Interviews de M. Jean-Pierre Chevènement, député apparenté PS et fondateur du Mouvement des citoyens, à RMC le 2 mars 1994, Europe 1 le 9 et France-Inter le 28, sur la nouvelle politique préconisée par le Mouvement des citoyens, la liste qu'il proposera aux élections européennes et les résultats des élections cantonales.

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Média : RMC - Europe 1 - France Inter

Texte intégral

Q. : Le passage de Douze à Quinze est-il une bonne décision pour l'Europe ?

R. : L'Europe doit s'élargir, non seulement à ces petits pays riches qui sont dans l'orbite allemande. Si on veut une véritable Europe correspondant à ce qui s'est passé avec l'effondrement du rideau de fer, il faut aller jusqu'à la Russie. Une véritable Europe va de l'Atlantique à la Russie. C'est cela une Europe européenne et équilibrée. Cela passe par une bonne entente entre la France et l'Allemagne et la Russie.

Q. : Ce premier pas est un bon premier pas ?

R. : C'est un premier pas, mais il ne faut pas l'arrêter. C'est un peu comme en Bosnie-Herzégovine : il ne s'agit pas de faire tomber une nouvelle muraille entre une Europe chrétienne d'Occident et une Europe orthodoxe.

Q. : Le Mouvement va-t-il présenter une liste aux européennes ?

R. : Nous serons présents. Le dernier week-end, les Verts ont clairement manifesté leur intention de se rapprocher de Génération Écologie. C'est leur affaire. Disons que nous avions composé un large rassemblement pour créer un pôle progressiste sérieux et solide. La clarté politique me parait être la chose essentielle. Pour ce qui me concerne, je suis disponible pour conduire une telle liste, pour une autre politique pour l'emploi et l'Europe.

Q. : Aurez-vous 5 % ?

R. : Je le pense.

Q. : Les CIP ?

R. : L'hypocrisie consiste à faire passer pour une mesure favorable aux jeunes un contrat qui aboutira à faire payer un jeune ayant un BTS de niveau bac +2 3 850 francs par mois. Cela fait partie d'une stratégie d'abaissement du coût du travail qui a été mise en œuvre par le gouvernement précédent. C'est exact. Mais cela continue de plus belle. Alors que dans les CES ou les TUC, il y avait un élément de formation, en principe, il n'y en a même plus. Dans le dispositif à 80 %, il n'y a rien.

Q. : Le Livre blanc sera présenté demain à l'Assemblée. Quelle est votre position ?

R. : Je l'ai lu. On peut lire à livre ouvert l'inféodation croissante aux États-Unis, la réintégration même pas rampante à l'intérieur de l'OTAN de la France, la dérive expéditionnaire pour le compte d'intérêts qui, généralement, ne sont pas les nôtres, comme en Yougoslavie où les Américains sont disposés à effecteur des frappes aériennes avec des soldats français au sol, et l'effritement de la dissuasion. J'aurai l'occasion de poser à mon successeur un certain nombre de questions sur ce sujet.

Q. : Cela ne vous gêne-t-il pas que ce Livre blanc ait été élaboré en accord avec le président de la République ?

R. : Le président de la République a dit "ça me convient". Ce n'est pas une manifestation de grand enthousiasme. Une des questions fondamentales est de savoir si nous allons moderniser notre dissuasion. Ceci n'est pas bien compris par les Français et un certain nombre d'autorités éminentes : ils ne comprennent pas que la dissuasion, c'est le moyen de ne pas faire la guerre, le cas échéant. C'est le moyen pour la France de se reposer en dernier ressort sur elle-même le soin de sa défense. Contrairement à ce qui existait en 1914 ou en 1939, nous ne dépendons pas des États-Unis. C'est donc le moyen de faire une politique indépendante. Je crains fort que dans la tête de ceux qui nous dirigent, cette notion typiquement gaullienne se soit effacée.

Q. : Lorsque l'OTAN a lancé son ultimatum aux Serbes vous aviez mis en garde contre la diplomatie de l'audimat. Est-ce que votre formule est toujours d'actualité ?

R. : Malheureusement elle est toujours d'actualité. Notre politique ne doit pas se faire sous la pression de ce que M. JUPPÉ appelle les idéologues. Je pense qu'il faut partir de ce que sont les intérêts des peuples yougoslaves et l'intérêt de la France. Les deux se rejoignent. Cet intérêt, c'est la paix. Et nous ne sommes pas à l'abri d'un dérapage. Ce qui compte, c'est d'arriver à une solution politique.

Q. : Est-ce que l'on a progressé vers ce qui pourrait devenir un jour une paix ?

R. : Nous avons progressé parce que la Russie a obtenu une certaine flexibilité de la part des Serbes et on a donc assisté à un phénomène très intéressant, c'est que dans une guerre que l'Europe de Maastricht, la petite Europe à Douze avait sinon allumé, du moins attisé, même on peut dire pour ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine, allumé, l'introduction d'un partenaire extérieur qui s'appelle la Russie, qui a permis de gérer une contradiction qu'il faudra bien résoudre : comment faire coexister ces peuples. Je crois que le but c'est d'arrêter le massacre, ce n'est pas de réveiller le brasier.

Q. : Le rôle de la Russie qui inquiète certains, semble vous rassurer ?

R. : Je considère qu'il n'y a pas de solution sans la Russie, c'est le bon sens. On ne peut pas comprendre ce qui se passe aujourd'hui en Yougoslavie si on ne comprend pas que en 1991, l'URSS s'est effondrée, l'Allemagne s'est réunifiée, un démembrement sauvage s'est opéré sous la pression de la diplomatie allemande particulièrement irresponsable et je note que dans la réunion qui vient de se tenir à Washington hier et qui a abouti à un projet de confédération entre musulmans bosniaques et croates, il y avait la présence d'un haut fonctionnaire allemand. Donc, je pose la question : est-ce que nous assistons à un redécoupage des Balkans sous l'égide des États-Unis et de l'Allemagne considérée comme leur allié privilégié, laissant de côté les Serbes et d'une manière générale les orthodoxes.

Q. : Pensez-vous que les demandes de Y. ARAFAT de désarmer les colons israéliens et une protection internationale pour les civils palestiniens, sont légitimes que la France pourrait ou devrait prendre en charge ?

R. : Je pense que le problème est encore plus grave. C'est celui de l'accélération du processus de paix car ou celui-ci va s'arrêter ou il va reprendre, mais il devra reprendre à un rythme plus rapide. Le désarmement des colons, je pense qu'il y a quand même des raisons de sécurité et de protection sur lesquels le gouvernement israélien ne peut pas faire l'impasse. Mais on peut expulser les extrémistes. Et je pense qu'il y a une police en Israël. Donc, je pense que c'est plutôt vers l'expulsion des extrémistes bien connus et fichés qu'on devrait s'orienter. Et d'autre part, je crois qu'il faut envisager de reclasser dans les frontières d'Israël, un certain nombre de colons appartenant à des colonies qu'il faudra réduire. Donc, il y a un plan de réduction des colonies juives en territoires occupés qui devrait à mon sens être mise en œuvre. Je sais combien cela est difficile, les obstacles que vont rencontrer MM. RABIN et PERES. Mais je crois qu'ils ont l'étoffe d'hommes d'État véritables, ils l'ont montré comme DE GAULLE face à l'OAS, ils n'ont pas intérêt à fléchir. Je crois qu'ils doivent tenir leur ligne et le cas échéant, accélérer.

 

Mercredi 9 mars 1994
Europe 1

Q. : Depuis que vous avez quitté le PS, vous êtes le solitaire de la gauche : la solitude, ce n'est pas dur à porter ?

R. : D'abord, je ne suis pas seul puisque le Mouvement a plus de 8 000 adhérents. Nous sommes deux fois plus que les Verts. On parle beaucoup moins de nous, mais nous construisons un nouvel acteur politique. J'ajoute qu'il n'y a rien de mieux à faire aujourd'hui.

Q. : Vous vous sentez à l'aise dans le débat aujourd'hui ?

R. : Il n'y a pas de débat puisque tout le monde pense la même chose. On ne m'entend pas beaucoup parce que j'en ai rarement l'occasion mais je vous en remercie. Quand vous écoutez M. BALLADUR ou quand vous écoutez M. ROCARD, c'est le même qui parle.

Q. : Avec l'enquête sur l'assassinat de Y. PIAT, c'est toute la classe politique d'une région qui est sur la sellette. N'y a-t-il pas quelque chose de pourri dans le Midi ?

R. : Gardons-nous d'assimilations trop rapides. Quand la République cesse d'exister, quand il n'y a plus de transparence, surtout quand il n'y a plus de civisme, quand vous entendez des députés de la formation majoritaire dans le Var – le PR – dire qu'ils ne savent pas s'il existe ou non un système, qu'ils croyaient avoir été élus députés pour parler et qu'en fait, c'est pour se taire, on peut en effet se poser des questions. Quand la République a cessé d'exister, les coquins triomphent.

Q. : Dans le dernier baromètre Gallup-L'Express, E. BALLADUR a perdu cinq points et il passe sous la barre des 50 %. Pensez-vous que la chute va continuer, et comment l'expliquez-vous ?

R. : Je pense que M. BALLADUR a mangé son pain blanc, mais c'est tout à fait normal. Tout ce qu'il avait dit s'agissant de la lutte contre le chômage s'avère totalement inexact puisque le reflux qui devait se produire fin 1993 est maintenant remis à l'année prochaine. Le projet de SMIC-jeunes apparaît comme une attaque frontale contre le travail salarié, contre les diplômes, contre la jeunesse c'est un avenir vraiment en peau de chagrin. Je lis le journal italien La Stampa qui dit que M. BALLADUR est "un homme neuf pour peuple fatigué", au stade terminal. À la fin, le journaliste pose la question "mais si tous ces anorexiques– il parle des Français – allaient demander autre chose ?" Je crois que nous y sommes, il y a un certain réveil de la démocratie et du débat.

Q. : Autre chose, cela va être quoi ? Cela va peut-être être M. ROCARD, J. CHIRAC ?

R. : Ils proposent la même politique tous sont prisonniers de la même logique.

Q. : E. BALLADUR et J. CHIRAC, pour vous, c'est bonnet blanc ou blanc bonnet ou c'est plus compliqué que ça ?

R. : M. CHIRAC a moins de constance que M. BALLADUR. Disons que CHIRAC peut réserver des surprises. Ce que je préfère, c'est bâtir autre chose, une autre politique dont le pays a besoin parce qu'il en a marre. Il veut autre chose, par exemple il veut une politique clairement orientée vers l'expansion, la seule de nature à faire reculer le chômage, à condition qu'il y ait aussi une politique originale de l'embauche. Il veut par exemple une baisse drastique des taux d'intérêt : aucune entreprise ne peut emprunter à moins de 8 %, sauf les grandes qui ont accès au marché financier.

Q. : Il veut aussi des privatisations. Ce matin, M. ALPHANDERY va nous annoncer les privatisations des AGF et de Bull. J'imagine que vous n'êtes pas favorable à ce mouvement ?

R. : C'est un système qui consiste à nommer à la tête des grandes entreprises un certain nombre de gens issus du sérail, de la haute fonction publique, des grands corps. Ils se connaissent tous entre eux, c'est un système complètement bouclé, opaque, qui ne favorise pas la responsabilité. Permettez-moi de vous dire qu'au moins, à l'époque des nationalisations, on savait que c'était le gouvernement qui, pour trois ans, nommait le président de telle entreprise nationale, dont la politique intéressait, d'une certaine manière, la nation. Il y a un intérêt national. On peut imposer certaines contraintes : j'ai essayé – et j'étais bien le seul – d'imposer quelques contraintes aux entreprises nationales.

Q. : Les Français sont favorables à la politique monétaire menée actuellement.

R. : Je trouve monstrueux que M. AUBERGER, rapporteur général de la commission des finances, rapporteur du projet de dénationalisation de la Banque de France…

Q. : Il veut une politique plus audacieuse.

R. : Lui qui a assumé la responsabilité de donner toute liberté à ce comité de politique monétaire indépendant, irrévocable, proteste aujourd'hui contre le manque d'audace.

Q. : C'est ça, la démocratie, M. CHEVÈNEMENT !

R. : C'est cela ? Les hommes politiques commencent par se défaire de leurs responsabilités, ensuite, se plaignent de ceux auxquels ils les ont confiées, ne les exercent pas dans l'intérêt du pays. Ça a été un abandon majeur. On est revenu sur la nationalisation de la Banque de France qu'avait opérée le général DE GAULLE à la Libération, et on s'aperçoit aujourd'hui qu'on ne maîtrise plus notre politique monétaire.

Q. : On retrouve un peu votre discours nationaliste.

R. : Un discours nationaliste ! Ce que je combats, c'est la démission de leurs responsabilités par les hommes politiques, que ce soit vis-à-vis de la commission de Bruxelles, du GATT qui ne sera même pas ratifié par le Parlement, si je regarde ce qu'est le prochain ordre du jour de l'Assemblée. Il y a pourtant un article de la Constitution qui est très clair.

Q. : Est-il raisonnable d'exclure les Allemands ?

R. : Le fait qu'ils veuillent absolument défiler pour fêter un débarquement qui a consisté à chasser les soldats allemands, jusqu'à nouvel ordre, cela me paraît surprenant.

Q. : C'est bien de leur part ?

R. : Le défilé qui devait avoir lieu en septembre sous la porte de Brandebourg pour le départ de soldats alliés n'aura pas lieu. L'Allemagne a un vif sentiment de son identité nationale. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi. Ce qui m'inquiète, c'est, non la force de l'Allemagne, mais la faiblesse de la France. C'est de voir la France accrocher toute sa politique par le biais de sa politique de désinflation compétitive, du franc fort à la politique de l'Allemagne. C'est contraire à l'intérêt national.

Q. : Avec le CERES, vous avez bâti la première partie de votre carrière sur l'Union de la gauche. Avec le Mouvement des citoyens, n'êtes-vous pas en train de bâtir la seconde partie de votre carrière sur la division de la gauche ?

R. : Quelle gauche ? Une gauche qui propose la même politique de la droite, qui explique cette anesthésie dont vous parliez devant les privatisations, alors que se met sur pied un establishment financier qui étouffe la démocratie dans notre pays ? C'est cette gauche-là que vous me proposez de soutenir ?

Q. : Le Mouvement ne va pas aider la gauche à reconquérir le pouvoir ?

R. : Le Mouvement des citoyens a pour but de permettre à la France de voir à la tête de l'État des gens qui feront une autre politique conforme aux intérêts du peuple.

Q. : En 1995, vous voterez ROCARD ?

R. : On ne va pas travailler à maintenir à la surface d'un parti qui est en train d'imploser, dont M. ROCARD a peut-être réussi à coup de grandes opérations médiatiques à retarder l'implosion. Ce qu'il faut, c'est un profond renouvellement. C'est le sens de l'appel que j'ai lancé avec A. LE PORS, un certain nombre de gens venus de familles politiques diverses, y compris gaullistes, comme le général GALLOIS. Nous allons construire quelque chose de neuf.

 

Lundi 28 mars 1994
France Inter

I. LEVAI : Au regard des résultats chez vous, pavoisez-vous ?

R. : Je ne sais pas, comme le disait JOFFRE, qui a gagné la bataille de la Marne, je sais très bien qui l'aurait perdu. Toute cette semaine, on a annoncé la chute du Territoire de Belfort. Je suis content pour mon département, pour son dynamisme, pour la continuité des politiques engagées. Je suis content aussi pour la gauche et ses capacités de renouvellement. Non seulement dans le Territoire de Belfort, mais dans le pays tout entier. La victoire est très nette puisque nos candidats obtiennent ensemble 55 % des suffrages. La gauche a montré une très grande capacité de mobilisation.

Q. : Ne regrettez-vous pas de n'être plus socialiste ?

R. : Quand les hommes politiques comme M. GALLO, G. SARRE, d'autres encore ont le courage de mettre leur orientation politique, leurs choix en accord avec leurs convictions. Pour éviter tout brouillage, je décide de créer une force politique nouvelle et ils sont systématiquement boycottés. Une véritable censure médiatique s'abat sur eux. Nous proposons une autre politique, et les Français le souhaitent également. Un sondage hier montrait que 61 % des Français souhaitaient une autre politique, mais en même temps 77 % des Français considèrent que le PS ne présente pas d'autre politique ou même ferait moins bien que l'actuel gouvernement. Quand on a le courage de faire ce choix, on tombe dans la trappe de l'oubli, parce que le système politico-médiatique privilégie ce qui existe, ceux qui présentent sur tous les sujets les mêmes choix. Il y a une formidable puissance d'inertie, un formidable conformisme. Tout le système pénalise le débat, asphyxie la démocratie. Alors comment s'étonner que cela se traduise ensuite par des mouvements dans la rue. C'est là le propre d'un système bloqué, d'une démocratie en crise. Si nous regardons ce qui se passe dans le pays, il y a un écart entre l'autosatisfaction des hommes politiques, qu'ils soient de droit ou soi-disant de gauche. La droite confirme sa domination, la gauche amorce son redressement. Mais derrière tout cela quels sont les choix offerts à la jeunesse. Ce n'est pas seulement le retrait du CIP qui est nécessaire, c'est la définition d'une autre politique monétaire que celle qui prévaut depuis 15 ans, d'une autre politique industrielle, d'une politique volontariste de l'organisation du travail et de la formation. Mais de tout cela on ne peut pas parler, car le système est verrouillé et c'est la raison pour laquelle nous avons créé le Mouvement des citoyens et nous finirons par nous faire entendre à force de ténacité.

P. LE MARC : Est-ce que le redressement de la gauche enregistrée hier n'est pas la conséquence de l'action de M. ROCARD ?

R. : Vous ne m'avez pas entendu, ça c'est formidable. Je vous dis des choses qui étaient parfaitement vraies, c'est-à-dire que notre système est un système de bouclage. On n'a pu entendre que des repris de justice, des gens inculpés. Ceux-là seuls ont accès aux télévisions. Moi-même, pendant une demi-heure je suis resté devant le correspondant de France 2 et je voyais défiler les battus du suffrage universel ou les commentateurs qui distillent les mêmes commentaires inspirés par la même grille de lecture.

I. L. : Soyez plus clair, J.-P. CHEVÈNEMENT. N'avez-vous pas le sentiment de parler comme on le fait au Front national ?

R. : Le problème, c'est l'emploi des jeunes. Les jeunes s'en sont saisi, c'est une bonne chose. Il faut qu'ils réfléchissent aux perspectives politiques qui peuvent leur être offertes.

(Problème de liaison)

P. L. M. : À quelles conditions la gauche peut-elle retrouver un crédit ?

R. : Je pense que la politique commence toujours par les idées. Il faut que la gauche commence l'autocritique de la période qu'elle a passée au pouvoir. Elle ne l'a pas commencée. Il ne suffit pas de réunir des gens qui parlent à tout de rôle cinq minutes, pour qu'on puisse prétendre aller au fond des choses. Je pense que la gauche s'est ralliée au libéralisme dominant et qu'elle doit aujourd'hui définir une politique sérieuse s'agissant de la construction de l'Europe. Sortir des ornières de Maastricht, renoncer à ce projet néfaste de la monnaie unique avec ses critères de convergences qui nous enfoncent encore dans la récession. Il faut qu'elle innove, qu'elle soit capable de définir un autre cheminement pour l'Europe, une autre politique monétaire et économique, une initiative européenne de croissance réelle. Il faut que la gauche mette en œuvre une politique favorisant l'industrie et la production et non pas la rente financière comme c'est le cas depuis 15 ans. Il faut enfin une politique vigoureuse, volontariste d'organisation du travail.

P. L. M : Pensez-vous que M. ROCARD puisse apporter cette politique au cours de prochains mois ?

R. : Non, je ne le pense pas. Je le dis et je ne voudrais pas que cela nuise à nos relations qui ont toujours été cordiales. Mais je pense que les choix de M. ROCARD sur le fond des choses ne sont pas très différents de ceux d'E. BALLADUR, c'est-à-dire que la politique qu'il a appliquée et qu'il appliquerait ressemblerait beaucoup à celle qui est mise en œuvre aujourd'hui. À l'arrière-plan, c'est le même inspirateur à savoir M. TRICHET. C'est la voix de M. TRICHET que l'on entend par la bouche d'E. BALLADUR ou de M. ROCARD. N'oublions pas que M. TRICHET a été le directeur du Trésor de tous les gouvernements de la gauche. C'est la même politique d'argent cher, de récession, de chômage avec laquelle il faut rompre. C'est cette question qui n'a jamais été posée aux Français.

A. ARDISSON : Vous sentez-vous comptable des reports de voix à gauche et considérez-vous qu'il y a une renaissance de ce qu'on appelait naguère l'union de la gauche ?

R. : J'ai appelé à la discipline républicaine dès lundi dernier et j'ai demandé qu'au deuxième tour, toutes les voix de mes amis se reportent sur les candidats de gauche les mieux placés. La perspective dans laquelle je m'inscris est celle de la reconstruction d'une gauche républicaine, d'une gauche dans laquelle pourront se reconnaître des gens qui jusqu'à présent s'n sont tenus à l'écart. Mais ma perspective est très claire, c'est la rénovation, c'est la reconstruction de la gauche. Nous voulons offrir une alternative. Le Mouvement des citoyens soutiendra une liste aux élections européennes qui fera clairement apparaître qu'une autre politique est possible parce qu'elle est nécessaire.

I. L. : Que doit-être l'initiative d'E. BALLADUR pour que vous l'applaudissez ?

R. : Si E. BALLADUR renonce à ce projet des CIP, c'est une bonne chose. Mais cela ne suffit pas. On aurait tort de se précipiter pour applaudir déjà une initiative que l'on ne connaît pas. Il faut aller au-delà du problème des CIP, parce que ce qui est en cause c'est le chômage des jeunes. Seule une autre politique globale, une équation bien posée, faisant appel à l'effort collectif et au sens du partage, mais aussi une orientation non-malthusienne, dynamique pariant sur la production peut nous permettre de retrouver un chemin vers l'avenir, un optimisme. Ceci implique naturellement que l'on fasse beaucoup de ménage dans les têtes à droite et à gauche.

I. L. : Serez-vous candidat à l'élection présidentielle ?

R. : Je ferais en sorte qu'il ait une liste aux élections européennes dans à peine trois mois. Nous verrons à cette occasion qu'il y a dans le pays des gens honnêtes, des gens qui veulent que ça change, des gens qui ne se tourneront pas vers les démagogues ou vers les farfelus. Des gens qui sauront réconcilier leur réalisme et l'humanisme. C'est cela la voix de la République, la voie authentique de la République. Celle que vous avez pu entendre par le passé avec P. MENDÈS-FRANCE. Je pense que c'est cette voix-là que l'on attend.