Déclaration de M. Edmond Alphandéry, ministre de l'économie, sur la consolidation des acquis de la dévaluation du franc CFA et sur les engagements de réformes économiques des pays de la zone franc, Brazzaville 15 septembre 1994.

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Circonstance : Réunion des ministres des finances de la zone franc à Brazzaville le 15 septembre 1994

Texte intégral

Messieurs les Ministres et chers Collègues,
Messieurs les Gouverneurs,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de vous retrouver aujourd'hui à l'occasion de cette troisième réunion des ministres des finances de la zone franc à laquelle je participe.

Je souhaiterais, tout d'abord, exprimer ma gratitude aux autorités de la République Congolaise, au Président de la République, le professeur Pascal LISSOUBA, ainsi qu'à vous-même, Monsieur le Ministre, pour la chaleur et la qualité de votre accueil.

Je crois que la tenue de cette réunion dans la capitale du Congo, qui a été la première capitale de la France Libre, revêt aujourd'hui une signification toute particulière :

En effet, en cette année du cinquantenaire du discours historique du Général de Gaulle à Brazzaville, c'est pour mon collègue Michel ROUSSIN et moi-même, une occasion forte en symboles de rappeler la qualité des relations entre nos pays ainsi que leur engagement solidaire en faveur d'un modèle de développement original fondé sur la responsabilité, la franchise, l'amitié et la confiance.

Il y a six mois, j'ai eu l'honneur et le plaisir de vous accueillir à Paris où nous avons pu dresser un premier bilan de la situation économique et financière de la zone franc quelques mois seulement après l'ajustement monétaire historique de janvier dernier.

Aujourd'hui, il faut poursuivre plus loin notre réflexion commune autour des grands défis qui attendent les pays de la zone franc à court et à moyen termes.

J'en vois trois principaux autour desquels je souhaiterais façonner mon propos.

1. Dans la grande majorité des cas, la phase de stabilisation qui a suivi la dévaluation s'est déroulée jusqu'à présent avec succès ; la pérennité des nouveaux équilibres macro-économiques demandera toutefois une vigilance toute particulière dans la durée.

2. L'ajustement de la parité offre à chacun des États de la zone une chance unique de développement et de croissance ; mais il faut que les réformes structurelles qui en sont la condition essentielle soient menées à bien ; c'est la phase de consolidation qu'il s'agit à tout prix de réussir aujourd'hui.

3. Vous avez choisi enfin d'inscrire votre action de redressement dans le cadre d'une intégration régionale : ce troisième axe permet de renforcer considérablement la zone dans son ensemble et confère toute sa force à la communauté de monnaie CFA. Il doit retenir toute notre attention.


Le premier bilan que nous avions dressé ensemble lors de la réunion de la zone franc d'avril dernier se confirme dans ses grandes lignes :

L'inflation a été contenue et les dispositions prises pour maîtriser les évolutions budgétaires devraient porter leurs fruits.

Demain, si le programme togolais est approuvé par le conseil d'administration du FMI comme nous le souhaitons, tous les États de la zone franc auront conclu un programme avec le fonds monétaire International et par conséquent auront renoué le dialogue avec la communauté financière internationale.

Pour atteindre ce résultat dont je me réjouis nous nous sommes tous fortement mobilisés :

Tout d'abord, vous avez mis en œuvre des décisions difficiles visant à restaurer les grands équilibres et préparer la voie du retour à la croissance.

Les Institutions multilatérales, vous le savez, ont, pour leur part, fait preuve d'une diligence exceptionnelle.

Vous savez que j'y ai personnellement œuvré, n'ayant jamais manqué avec l'appui de mon collègue et ami, Michel ROUSSIN, de défendre avec ardeur la cause de la zone franc et de chacun de ses États membres auprès du FMI, de la Banque Mondiale et de l'ensemble de mes partenaires du G7.

En outre, conformément à la volonté et aux engagements du Premier ministre, Édouard Balladur, la France a prévu un volume d'aide à l'ajustement sans précédent en faveur des États de la zone.

Au 30 septembre prochain, 2,6 milliards de francs français auront ainsi été engagés depuis la décision de Dakar, du 11 janvier dernier.

Comme vous le savez, le Gouvernement français e décidé en outre d'effacer plus de 25 milliards de francs français de dette bilatérale.

Il a su convaincre ses partenaires du club de Paris d'accorder les traitements de dette les plus généreux possibles.

Permettez-mol de vous dire, sur ce point précis, que ce ne fut pas toujours facile. C. NOYER, président du Club de Paris, et moi-même pouvons en parler en pleine connaissance de cause. C'est pourquoi, le respect scrupuleux des accords que vous avez signés est capital ; c'est aujourd'hui l'une des clefs de la continuité de l'appui à vos pays par la communauté financière internationale, et du retour des investissements étrangers.

Je rappellerai enfin la mise en place du fonds spécial de développement dont le Premier Ministre a annoncé, lors de son dernier déplacement en Afrique, le réabondement à hauteur de 100 millions de francs français.

Ces actions conjuguées de la France et des autres partenaires de la zone franc ont permis d'assurer le succès de la phase de stabilisation.

Il y eu aussi la forte progression du cours des principaux produits d'exportation de la zone, qui a procuré des marges de manœuvre nouvelles importantes.

Je suis heureux de saluer les efforts que vous avez accomplis depuis le 12 janvier dernier, mais vous savez comme moi que rien n'est jamais définitivement acquis. Le souhait le plus vif de la France est que vous persévériez pour adapter vos politiques aux accords approuvés par le conseil d'administration du Fonds Monétaire.

Je constate avec inquiétude que, dans certains cas, ces accords ont dû être remplacés par des programmes de référence, suspendant les décaissements des bailleurs de fonds.

Ces écarts doivent être très rapidement corrigés.

Je suis persuadé que c'est possible, pour peu que les mesures d'ajustement correspondantes soient mises en œuvre immédiatement.

Les revues du fonds monétaire international de cet automne vont être, de ce point de vue, particulièrement cruciales.

Comme vous le savez, deux critères essentiels seront déterminants :

– La bonne maîtrise de la dépense budgétaire, en matière salariale notamment ;

Il s'agit là d'un point capital, ne serait-ce que pour mettre un terme aux dernières tensions ou anticipations inflationnistes qui subsistent et dont il ne faut pas sous-estimer le danger.

L'objectif que nous devons tous nous assigner est la stabilité des prix dans l'ensemble de la Zone et dans les plus brefs délais ; faute de quoi, nous risquerions de perdre à terme les bénéfices de la dévaluation.

– Le rétablissement des recettes fiscales et douanières à un niveau satisfaisant pour rétablir la pleine solvabilité de vos États.

Je ne puis, mes chers collègues, que vous encourager très sincèrement à continuer à mettre en œuvre très rapidement et avec détermination les mesures qui s'imposent dans chacun de vos pays pour atteindre ces objectifs. Il faut en effet garder la confiance des bailleurs de fonds dont la contribution active restera encore longtemps nécessaire.

En tout état de cause, la France continuera à appuyer, conformément à ses engagements, tous les pays dont le conseil d'administration du fonds monétaire international aura pu apprécier de façon positive les efforts.


Réussir la stabilisation était un impératif.

Pour consolider ces résultats chèrement acquis, il faut mettre en œuvre, dès aujourd'hui, les réformes structurelles qui vont permettre d'assurer le développement économique.

Ces mesures ont fait l'objet de réflexions que vous avez menées conjointement avec les institutions de Bretton Woods. Des orientations à moyen terme ont été arrêtées. Des lettres d'engagement contenant de vastes projets de réformes ont été signées.

Je vous encourage à les mettre en œuvre sans tarder. Elles conditionnent le développement de l'investissement. La croissance, qui justifie les efforts consentis par les populations des pays de la zone franc, est à ce prix.

Au premier rang des priorités figure la réforme des secteurs parapublics.

Il s'agit là d'une étape délicate, ô combien difficile, j'en suis bien conscient, mais indispensable. Elle doit permettre de créer un tissu d'entreprises concurrentielles rentables, créateur de richesses et d'emploi.

Le cadre juridique d'intervention de ces entreprises doit également être simplifié et modernisé réglementations du travail et de l'investissement, libéralisation des importations, renforcement de la concurrence notamment par la recherche d'une plus grande neutralité fiscale.

Nous savons tous que la transformation des économies conditionne la reprise de l'investissement.

Le Gouvernement français a décidé, comme l'a annoncé Édouard BALLADUR en juillet dernier à Abidjan, d'apporter un appui déterminé à ce processus.

La Caisse Française de Développement disposera l'an prochain d'1,5 milliard de francs français de moyens supplémentaires pour financer des projets en zone franc.

Mais il faut également orienter vers des emplois productifs les abondantes liquidités disponibles aujourd'hui dans chacun des États de la zone.

Mon collègue Michel ROUSSIN et moi-même avons donc demandé au directeur général de la Caisse Française de Développement de définir très rapidement les modalités pratiques de l'octroi par cet établissement de sa garantie à des émissions obligataires de syndicats bancaires.

Je place beaucoup d'espoir dans cette initiative novatrice dont le principe avait été annoncé par le Premier Ministre à Abidjan : elle témoigne de la confiance de la France dans l'avenir et l'approfondissement de la communauté de monnaie CFA.

Elle vise aussi à encourager l'initiative du secteur privé, sur qui reposent en fait les espoirs de la croissance.

Mais là encore, permettez-moi d'insister, mes chers collègues : ces initiatives ne peuvent qu'accompagner un processus d'assainissement et de redressement dont le bon déroulement est entièrement entre vos mains.

Elles ne peuvent en aucun cas se substituer aux réformes indispensables, mais ont vocation à en accompagner la mise en œuvre et en amplifier les résultats.

Le processus d'intégration régionale contribue également de façon très substantielle à la croissance ; son aboutissement constitue un autre défi essentiel pour l'avenir ; ce sera mon troisième et dernier point.

De vastes projets d'intégration économique et monétaire ont été lancés.

Je me félicite tout particulièrement de l'entrée en vigueur, le premier août dernier, du traité instituant l'union économique et monétaire ouest africaine.

Je tiens ici à saluer le remarquable travail qui a permis ce succès et la détermination politique des États de l'UMOA pour consolider leur union.

Au-delà de l'intégration monétaire, l'intégration économique favorisera la relance en offrant aux opérateurs économiques un cadre modernisé, des perspectives nouvelles et élargies.

Je me réjouis également que les six États membres de la Banque des États de l'Afrique Centrale aient signé le traité instaurant la communauté économique et monétaire de l'Afrique Centrale.

Ces États se sont engagés, avec la France, dans la modernisation des institutions monétaires de leur union. Il s'agit de favoriser un processus d'intégration économique fondé sur le socle durable d'une politique monétaire commune rigoureuse, qui soit définie et mise en œuvre par une banque centrale à l'indépendance renforcée.

Dans les deux cas, ces nouveaux traités prévoient la mise en place très rapide de mécanismes de surveillance multilatérale, c'est à dire de coordination des politiques budgétaires et économiques avec la politique monétaire commune. Il s'agit d'un pas décisif dont chacun mesure les contraintes mais également l'immense intérêt pour la pérennité de la monnaie commune.

Le bon fonctionnement des mécanismes de surveillance multilatérale constituera un signal très positif qui ne pourra que conforter la confiance des opérateurs économiques.

De nombreux projets d'intégration régionale à l'échelle de l'ensemble de la zone enregistrent par ailleurs des avancées importantes.

Il en va ainsi du traité sur le droit des affaires, dont l'entrée en vigueur constitue également un enjeu majeur pour le renforcement de la sécurité juridique et judiciaire et le rétablissement de la confiance des opérateurs ; un déroulement rapide des procédures de ratification apporterait là aussi un signal très attendu.

Nous aurons l'occasion de revenir en détail au cours de nos débats sur les nombreux autres projets d'intégration régionale ; je ne m'y attarderai donc pas maintenant.

Je noterai simplement que la modestie des moyens mis en œuvre par les nouvelles structures créées et la qualité des hommes et des femmes choisis pour les diriger seront les gages de leur réussite et de leur crédibilité.

Mes chers collègues, avant de céder la parole à mon collègue et ami, Michel ROUSSIN, permettez-moi de vous redire combien je suis satisfait et heureux d'être à nouveau parmi vous aujourd'hui.

Il y a un an, lors de la dernière réunion africaine de la zone franc à Abidjan, les graves difficultés financières et la profonde récession auxquelles étaient confrontées la plupart de vos États, ne pouvaient que nous préoccuper gravement.

Nous avons permis à la Zone Franc de prendre un nouveau départ ; nous avons ainsi ouvert de nouveaux et grands espoirs, même si rien n'est encore définitivement acquis.

Tous ensemble, nous devons rester vigilants pour que tous les programmes réussissent car la réussite ne peut être que collective au sein d'une même communauté de monnaie.

Vous l'avez compris, mon attitude est celle de la bienveillance d'un ami proche et de la vigilance d'un ami sûr.

Je vous remercie.