Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur la nécessité d'aider les PVD dans la lutte contre le SIDA et sur l'importance du respect des personnes et de la solidarité dans les débats autour du dépistage obligatoire et de la levée du secret médical, à Paris les 21 mars et 31 mai 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Simone Veil - Ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville

Circonstance : Installation du comité national préparant le sommet des chefs de gouvernement pour renforcer la lutte contre le Sida, à Paris le 21 mars-débat sur la lutte contre le Sida, à l'Assemblée le 31 mai 19

Texte intégral

Installation du Comité national de pilotage préparatoire au sommet des chefs de gouvernement pour renforcer la lutte contre le SIDA, le 21 mars 1994 

Mesdames et Messieurs, 

I. – Contexte général 

Le Gouvernement a décidé, dès sa formation, de placer le SIDA parmi ses priorités, indiquant bien s'il en était besoin qu'il comptait assumer en matière de santé publique la plénitude de ses responsabilités. 

Conscients qu'il convenait de s'employer à une œuvre de longue haleine, dans un contexte budgétaire peu favorable, nous avons voulu procéder à une évaluation rapide de ce qui avait été fait et de ce qui devrait l'être. 

Un rapport a été commandé en ce sens au Pr Montagnier, dont le Premier ministre a souhaité, à ma demande, tirer sans tarder les conclusions qui paraissaient s'imposer. 

Si ce n'est pas le lieu de revenir, ici, sur les dispositions annoncées le mois dernier, j'indiquerai simplement qu'elles procèdent très clairement d'une volonté nouvelle, où l'autorité politique – à travers le Comité interministériel – et l'administration de la santé – à travers le délégué interministériel – se placent sans ambages au premier rang, dans le double souci d'une responsabilité revendiquée et d'une capacité plus grande à mobiliser les énergies de tous. 

Mais le combat contre le SIDA ne saurait être uniquement mené à l'échelon national. Ainsi que je le disais en décembre dernier, à Marrakech, dans le cadre de la VIIIème Conférence internationale sur le SIDA en Afrique, « le virus du SIDA ne connaît pas de frontières ». 

À l'heure d'un monde que l'on qualifie de « global », où les échanges de toute nature se développent sans trêve, où les interdépendances marquent si profondément nos concitoyens, nous commençons à comprendre la catastrophe qui menace nombre de nations. 

Le SIDA ne revêt pas le caractère sensationnel d'un attentat ou d'un bombardement, qui embrasent en quelques heures tous les médias du monde, mais quiconque s'est rendu, ces dernières années, dans ces hôpitaux d'Afrique, saturés malades qui n'en sortiront plus jamais ; quiconque a saisi le désespoir des orphelins, laissés brutalement pour compte par des familles déstructurées – car la maladie mine jusqu'aux plus anciennes des solidarités – ; le drame des prostituées en passe d'être abattues pour cause de séroprévalence sur la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie, prend la mesure du défi lancé à la communauté des hommes. 

Pour ceux qui savent, en toutes circonstances, raison garder et, parce qu'ils se croient en charge de l'essentiel, mesurent leur engagement à l'aune des intérêts économiques ou stratégiques, je rappellerai quelques chiffres.

Selon la Banque Mondiale, le SIDA devrait « coûter » quelque 10 % de son produit annuel à l'Afrique : plus encore, si l'on pouvait quantifier le coût considérable pour des sociétés en développement que représente la disparition soudaine d'individus pour lesquels elles ont consenti, si difficilement, de lourds investissements en éducation et en formation. 

Sait-on qu'aujourd'hui le SIDA touche prioritairement les catégories aisées des pays en développement. 

Sait-on aussi que les femmes, en raison de leur vulnérabilité biologique, sociale et économique, sont et seront de plus en plus les principales victimes de la pandémie. Selon l'OMS, d'ici à l'an 2000, 20 millions de femmes seront infectées. Cette féminisation de l'épidémie aura des conséquences considérables puisque les femmes ne pourront plus jouer leur rôle de mères, de soutien, voire de chef de famille, d'infirmière, d'éducatrices, etc.

Certaines prévisions laissaient croire que la pandémie de SIDA entraînerait, à la fin du siècle, des taux de croissance démographique négatifs. En réalité, la situation pourrait être plus dramatique encore : de récentes projections mathématiques indiquent que la croissance des jeunes générations ne serait pas freinée alors même que la population adulte censée subvenir à leurs besoins serait décimée. 

Confrontés en Afrique à des taux de prévalence qui dépassent parfois les 30 % de la population sexuellement active, notamment en Afrique de l'Est, nous devrons demain faire face à une épidémie qui s'emballe en Asie, en Amérique latine et demain en Europe de l'Est. 

II. – L'initiative française 

Or face à cette situation sans précédent dans l'histoire moderne, nous pouvons constater que la mobilisation des énergies internationales, particulièrement forte dans les années 1987-91, tend à marquer le pas. 

Les contributions volontaires des nations au Programme mondial créé en 1987 ont atteint, en 1990, leur maximum depuis, elles ont hélas diminué graduellement d'environ 15 %, alors même que la croissance de la pandémie tendait à devenir exponentielle dans certaines régions du monde. 

La France, pour ce qui la concerne, a compris l'ampleur du problème. Elle a résolu, dans la cadre de sa coopération, d'accorder une place plus importante à la lutte contre le SIDA. C'est ainsi qu'en Afrique, le ministre de la Coopération, Michel Roussin, a débloqué 300 MF de nouveaux crédits qui devraient permettre le financement, dans les prochaines années, de projets relatifs à la prévention ou à la prise en charge des malades et à la recherche. Dans le même ordre d'esprit, notre contribution au nouveau programme co-parrainé devrait être augmentée de manière substantielle. 

Mais il convient de faire davantage. 

Dans cet esprit, en accord avec le Premier ministre, j'ai annoncé à Marrakech que nous nous apprêtions à engager une initiative de grande ampleur, dont le point d'orgue sera, à la fin de l'année, une réunion des Chefs de Gouvernement des 17 plus importants contributeurs à la lutte contre le SIDA dans le monde. 

On peut s'interroger sur le pourquoi d'une telle réunion d'autres réunions ont déjà eu lieu, qui associaient des médecins, chercheurs, malades et responsables politiques. 

Ma conviction est que dix ans après la découverte du virus, alors que la communauté scientifique nous dit clairement que la victoire n'est pas pour demain, il convient impérativement de procéder sans tarder à une remobilisation des énergies, qui ne peut procéder que d'un engagement politique au plus haut niveau. 

Ne nous trompons pas d'ennemi : nos opinions publiques, dans chacun des pays considérés, sous une forme ou une autre, demandent déjà des comptes. Si nos moyens sont limités, l'occasion se présente d'en optimiser la mise en œuvre ; si nos espoirs s'éloignent, employons-nous au contraire à affermir notre volonté. 

De même que les Agences de l'ONU, chacune agissant jusqu'à présent de son côté, sont en passe de s'accorder sur un programme co-parrainé pour lequel nous avons toujours activement œuvré, je ne doute pas que nos États, qui contribuent de manière importante à l'aide au développement, puissent trouver dans ce Sommet l'occasion de mieux coordonner leurs efforts et d'être, ensemble, plus efficaces que seuls. 

Que pouvons-nous attendre d'un tel Sommet, en termes de résultats ? 

Un grand nombre d'entre vous n'ignorent rien de la rhétorique et des résultats souvent limités des Conférences internationales. Mais ils savent aussi que la réunion des responsables politiques, sur un ordre du jour précis, peut être de nature à marquer une étape nouvelle de la mobilisation internationale – sans laquelle rien ne pourra être mis en œuvre, au risque de nous rendre coupable, à l'égard des pays en développement, d'un véritable délit de non-assistance à nations en danger. 

Je souhaite que la réunion de Novembre puisse aboutir à la signature, par les Chefs de Gouvernement des dix-sept, d'une « déclaration politique », assortie de propositions d'actions concrètes ou tout au moins de recommandations. 

Il va de soi qu'il ne saurait s'agir de concurrencer, ou de mettre en question, une stratégie mondiale qui a naturellement vocation à être conduite dans le cadre du programme co-parrainé, sous l'égide de l'OMS. 

La France souhaite simplement créer, en termes de mobilisation politique, un précédent susceptible de marquer à la fois une conscience plus aiguë et l'amorce d'une solidarité nouvelle à l'égard des pays les plus démunis – qui sont aussi, trop souvent, les pays les plus touchés par la pandémie. Pour ce qui est des propositions d'action, je suis consciente que nous n'inventerons pas, en quelques mois, la panacée universelle : montrons seulement qu'il est possible, dans un concert international, de s'accorder sur quelques idées simples, mais utiles, et de nous efforcer de les promouvoir partout dans le monde. 

Pour éclairer cette réunion, il m'a semblé utile et nécessaire qu'une étape préalable puisse intervenir. C'est ainsi que je me propose de réunir, au mois de Juin, une Conférence associant aux 17 ministres de la Santé des pays conviés au Sommet de novembre les 17 ministres de pays en développement parmi les plus concernés, afin qu'il fassent entendre leur point de vue, nous fassent part de leurs expériences, nous exposent leurs attentes 

À leurs côtés, et après m'en être entretenue avec le SG de l'ONU, j'ai invité les responsables des principales agences du système des Nations Unies ainsi que la Banque Mondiale. Il me semble important que ces Agences, qui s'efforcent de mieux coordonner, à travers un programme co-parrainé, leurs interventions en matière de SIDA, puissent être membres à part entière de cette réunion elles ont beaucoup à dire, beaucoup à écouter, comme chacun de nous. 

Il me paraît aussi utile que soit associés à ce débat l'Union Européenne, le Conseil de l'Europe, voire l'OCDE, compte-tenu de la place qu'ils occupent sur la scène internationale et du rôle non négligeable qu'ils jouent pour développer la coopération en matière de lutte contre le SIDA. 

Enfin, j'ai souhaité que les organisations non gouvernementales, qui vivent au premier plan la lutte contre le SIDA – et notamment celles qui rassemblent les personnes atteintes – soient elles aussi à notre table : ce combat, je le redis, est celui de tous et nous avons à faire l'effort de ne négliger aucun point de vue, sous peine de retomber sous l'empire de préjugés. 

III. – Comité de pilotage 

Vous le voyez, durant plusieurs mois, la France sera à l'avant-garde du combat. Le Gouvernement l'a souhaité, afin de montrer que notre pays ne néglige en rien les défis de ce temps et use de son influence pour permettre de les relever. 

Il est manifeste que nous aurons, sur la scène internationale, à convaincre les éternels sceptiques, les cyniques qui craignent de s'engager trop avant, ceux qui regrettent de n'être pas à l'origine de cette initiative. 

Assurés du soutien du Gouvernement, c'est à vous qu'il appartiendra, durant le processus préparatoire à ces deux Conférences, de susciter, auprès de l'ensemble de nos partenaires, et en sachant utiliser tous les relais disponibles, une dynamique capable d'assurer le plein succès de note initiative. 

Sachons faire preuve de fermeté quant au cap que nous souhaitons garder et de modestie quant aux moyens à employer acceptons la contradiction si elle est fructueuse, notamment dans la phase de rédaction des documents s'impliquera d'autant plus qu'il aura le sentiment d'être écouté. 

Il convient à mon sens que le Comité de Pilotage se réunisse environ une fois par mois dans sa formation plénière. Je souhaite, dans l'intervalle, que des groupes de travail puissent être mis en place pour traiter de telle ou telle question. 

Vos missions principale me semblent pouvoir être déclinées comme suit : 

1. Assurer la promotion de l'initiative, collectivement et dans chacun de vos domaines d'intervention et d'influence nous nous devons de veiller à la cohérence de notre démarche, de savoir l'enrichir des points de vue de tous ceux qui concourent aux politiques publiques dans ce domaine. 

Nous en sommes tous conscients, il nous appartient à tous de montrer à nos partenaires étrangers que si la France revendique l'initiative d'une telle rencontre, elle est aussi capable d'apporter sa pierre à l'édifice commun – par les idées qu'elle avancera, par un souci plus grand de coopérer avec ces partenaires, par une capacité, aussi, à accroître de manière significative son engagement au côté des pays touchés par la pandémie. 

2. Veiller au suivi des invitations qui seront adressées pour les deux Conférences, tant par moi-même que par le Premier ministre, afin de garantir une participation à haut niveau des États invités. 

Je compte pour ma part sur l'aide qu'apportera le ministère de la Coopération, qui par ses interventions joue ici un rôle décisif ; sur la capacité du ministère des Affaires étrangères à mobiliser notre réseau diplomatique, seul à même de relayer nos analyses et de s'efforcer de les faire partager. 

Nos départements ministériels, ensemble, sont comptables du succès de l'initiative qu'a souhaité prendre le Premier ministre. 

3. Dans cette même phase de préparation, vous aurez la charge de contribuer à mettre au point, en liaison avec les coordonnateurs désignés par les États conviés, le projet de déclaration finale soumis aux participants à la réunion de novembre. 

4. Il vous appartiendra enfin de susciter une réflexion nationale de l'ensemble des acteurs concernés, y compris des associations en liaison avec le Comité Interministériel mis en place par le Premier ministre le 17 février dernier. 

C'est dans cet ordre d'esprit, vous l'avez compris, que j'ai demandé au Pr Jean-François Girard, Directeur général de la Santé et Délégué interministériel au SIDA, d'assumer les fonctions de Rapporteur général de ce Comité. 

J'ai en effet la certitude – et je conclurai ces propos liminaires par ce point – que nous ne saurions dissocier la question du SIDA dans notre pays d'une approche telle que celle qui sert de fondement à l'initiative française, et qui ambitionne de placer la question du SIDA parmi les axes prioritaires de la coopération Nord-Sud. 

D'abord pour les raisons évoquées tout à l'heure : il est absurde, aujourd'hui de se bercer de l'illusion d'un « cordon sanitaire » qui pourrait durablement nous préserver des maux qui sévissent hors de notre continent. Efforçons-nous, pour une fois, de relever avec quelque anticipation les défis qui s'imposent à nous. N'est-ce pas, après tout, la responsabilité première de ceux qui aspirent à gouverner, au nom de l'intérêt public ? 

Par ailleurs, en mettant l'accent sur la gravité de la situation dans certains PVD, sur la mobilisation générale qu'elle appelle, nous indiquons par là-même à nos opinions publiques que le SIDA n'est pas la maladie de tels ou tels en particulier, mais qu'elle est potentiellement celle de chacun de nous. À l'heure où les risques d'exclusions, auxquels sont confrontés les personnes atteintes dans nos sociétés ne peuvent plus être niés, j'ai la certitude qu'il s'agit là d'une pédagogie salutaire. 


Débat sur la lutte contre le SIDA, Assemblée nationale, mardi 31 mai 1994 

Monsieur le Président, 
Mesdames et Messieurs les Députés, 

Le SIDA a pris les dimensions d'une véritable tragédie. Toutes les forces de notre pays doivent se mobiliser pour qu'un jour il soit enfin possible d'en parler au passé. 

Un grand débat national s'est développé. Il revenait à l'Assemblée nationale d'être au cœur de ce débat. En quel autre lieu, en effet, notre société pourrait-elle mieux exprimer son angoisse d'abord, mais aussi sa solidarité, son espérance et, surtout, sa volonté d'agir pour faire de la lutte contre ce nouveau fléau une cause nationale ? 

L'épidémie de SIDA, faut-il le rappeler, figure au premier rang de nos priorités en matière de santé publique. Le Gouvernement s'est donné les moyens d'amplifier la lutte. Il a arrêté, sur la base du rapport remis par le professeur Montagnier, des mesures importantes de restructuration et de coordination. Mais ces mesures, sous l'angle aujourd'hui essentiel de la prévention, ne produiront leur plein effet que si la politique de lutte contre le SIDA est comprise, acceptée, et pleinement assumée par l'opinion et par tous les acteurs du combat. Notre débat n'aura pas manqué son but s'il permet d'y contribuer. 

Il y a 13 ans, la France voyait apparaître, dans l'indifférence, les premiers cas de cette infection qu'on n'appelait pas encore le syndrome de l'immunodéficience acquise. 32 000 personnes sont entrées dans la maladie depuis cette date. Près de six sur dix sont aujourd'hui décédées. On évalue entre 100 et 150 000 le nombre des personnes infectées dans notre pays. 

Au cours de la dernière décennie, l'épidémie s'est modifiée. Après avoir connu une progression exponentielle jusque vers la fin des années 80, le nombre des nouvelles contaminations connaît une augmentation plus ralentie mais cependant bien réelle et on peut observer aujourd'hui une diffusion lente de la maladie dans la population générale. 

Le rappel succinct de cette évolution exprime mal les souffrances endurées, le deuil des familles, la peine des proches. Il ne dit pas les espoirs immenses mis dans les traitements, la confiance dans ceux qui les prescrivent ou qui cherchent. Il n'évoque pas non plus ces courages silencieux, et la force bouleversante de générosité dont témoignent tant de personnes atteintes, malgré l'angoisse d'un temps compté. Enfin, il ne rend pas compte du travail remarquable des associations, auxquelles je tiens à rendre hommage dans l'accompagnement des malades, la défense de leurs droits et le développement de la prévention. 

La préoccupation si vive du Parlement s'est déjà exprimée avec force à de nombreuses reprises. Le débat qui s'ouvre aujourd'hui s'est en réalité engagé, d'abord au Sénat puis à l'Assemblée nationale, à la fin de l'année dernière. Vous vous souvenez que le problème du SIDA avait été abordé alors qu'était posée la question d'une extension du dépistage, à l'occasion de l'examen d'un texte législatif que le ministre délégué et moi-même avions l'honneur de vous présenter. Cette question grave en avait fait surgir beaucoup d'autres. 

Chacun – à commencer par le Gouvernement –, avait alors ressenti comme une nécessité impérieuse l'organisation d'un débat d'orientation. 

Le mérite de l'avoir proposé revient au Président Michel Péricard, au nom de la Commission des affaires sociales, culturelles et familiales. Je tiens, M. le Président, à vous en remercier de nouveau. 

Ce débat va donc avoir lieu. Le fait qu'il se tienne est déjà un signe, le signe que quelque chose est en train de changer et de progresser dans la manière dont notre société veut affronter l'épidémie. 

Le SIDA est et restera bien sûr l'affaire des chercheurs, des médecins et de tous ceux qui contribuent – et avec quel dévouement ! –, à soulager les souffrances des malades. Tous, nous guettons avec eux les progrès de la recherche médicale et les résultats de nouveaux traitements. Et nous sommes bien souvent tentés de dire « « Vite ! Plus vite ! », comme si les scientifiques, dans un effort inlassable, ne mettaient pas déjà tout en œuvre pour répondre au formidable espoir et à la confiance que placent dans leurs travaux tous ceux qui n'ont plus le temps d'attendre. 

Mais si j'ai à vous parler du SIDA ici, du haut de cette tribune, c'est surtout parce que l'épidémie n'est plus seulement une affaire médicale, si elle l'a jamais été. La société toute entière – et avec elle, la représentation nationale –, est interrogée dans les moyens qu'elle se donne pour la dominer. Le SIDA est désormais entré dans le champ du politique. Mon vœu est que, de ce point de vue, notre débat soit vécu et perçu comme un tournant. 

Depuis la lutte contre la tuberculose, l'Assemblée nationale n'a à ma reconnaissance jamais été appelée à discuter d'une maladie, et des conditions de son endiguement puis de sa disparition future. 

Pourtant, votre intervention sur ce type de questions, préparée par le travail en profondeur accompli au sein de l'intergroupe sur le SIDA que préside avec compétence et efficacité le professeur Bernard Debré, est à coup sûr légitime et souhaitable. Les grands problèmes de santé dépassent en effet le champ du médical et renvoient en réalité à des problèmes de société qu'il vous revient de traiter. L'épidémie du SIDA le démontre à l'évidence, parce que nous savons bien qu'au-delà de la recherche d'un vaccin et au-delà des thérapeutiques, déjà si utiles, la maladie ne reculera qu'au prix d'une modification des comportements, d'un effort accru de prévention, d'une évolution de notre système de santé et d'un meilleur traitement des difficultés sociales souvent associées à l'épidémie. La prévention, la médecine, et la solidarité constituent autant d'outils dont l'action doit être conjuguée. À cette condition, l'épidémie de SIDA peut être davantage maîtrisée, en attendant le jour où on saura l'arrêter. 

Certains estiment qu'il n'est déjà que trop question de SIDA. Ils ont tort, car s'il est vrai que le phénomène du SIDA n'épuise pas à lui seul, tant s'en faut, toutes les souffrances et les agressions, souvent terribles, liées aux maladies, s'il est vrai que nous devons porter une même attention à tous les malades, quelle que soit l'origine de leur affection, et particulièrement à ceux qui sont atteints d'un mal incurable, s'il est vrai enfin que les efforts accomplis par la collectivité en faveur des uns ne sauraient se faire au détriment des autres, l'épidémie de SIDA, par sa gravité, par sa signification et par la diversité des problèmes qu'elle pose, appelle un traitement spécifique. 
          
Faut-il rappeler que le SIDA constitue dès aujourd'hui la première cause de mortalité parmi les jeunes adultes ? Faut-il souligner à quel point cette épidémie est déstabilisante pour notre société ? Elle n'est plus, pour les Français, une réalité abstraite et lointaine. Même si elle est encore largement circonscrite à des populations exposées, elle est devenue l'affaire de tous. 

Le SIDA touche aux principes et aux symboles fondamentaux de la vie. Il relie l'amour et son contraire. Il associe, comme on l'a souvent dit, les principes de vie à ce qui les détruit. De ce fait, il atteint l'homme dans son intimité la plus forte mais aussi dans son lien avec l'autre. Il met en cause la confiance entre ceux qui s'aiment. Les valeurs les plus fondamentales pour la personne humaine, pour le couple et pour la famille sont donc à l'épreuve. Les choix que la société peut faire en vue de prévenir la maladie et de la réduire ne sauraient tourner le dos à ces valeurs. 

Les droits des personnes – de toutes les personnes, celles qui sont atteintes mais aussi les autres –, sont au cœur du combat contre le SIDA qui, faut-il le rappeler, est un combat contre la maladie, pas un combat contre ceux qui en sont frappés. Le SIDA, qui fragilise le tissu social, porte en germe toutes les exclusions – des exclusions qu'aucun motif de santé publique ne justifierait. Les progrès de la lutte reposeront sur le respect des personnes atteintes et non sur leur rejet. Ce rejet ne protégerait en rien la société. 

Il serait incompatible avec la démarche de vérité et de responsabilité sans laquelle la politique de prévention serait condamnée à l'échec. 

Les victimes de l'épidémie ne doivent pas être conduites par l'incompréhension de la société à ajouter au drame du SIDA la hantise d'être reconnues et dénoncées, qui pourrait déboucher sur des conduites de repli sur soi, de dissimulation, et de refus des soins. La marginalisation des personnes séropositives et des malades du SIDA serait alors le plus sûr moyen de renoncer au rôle tout-à-fait essentiel qu'ils jouent dans la prévention. Ce rôle, ils l'assument aujourd'hui avec courage. Il faut les y aider. Respecter la dignité des porteurs de virus et des malades, refuser la discrimination, faire de ces règles un impératif catégorique, c'est privilégier l'efficacité aux dépends des fausses sécurités et fortifier notre politique par le respect intangible des personnes, la reconnaissance de leurs droits, mais aussi la conscience qu'elles doivent avoir de leurs responsabilités. 

Les options que nous devons prendre dans la lutte contre le SIDA sont également lourdes de conséquences pour l'évolution de notre système de santé. L'irruption du SIDA aura mis en lumière les lacunes de notre approche de la santé. Elle n'a pas su s'ouvrir suffisamment tôt dans notre pays à une démarche de prévention adossée à l'action de tous les acteurs de nos institutions sanitaires et sociales. Si nous voulons être plus efficaces dans la lutte contre le SIDA, et plus généralement dans notre politique de santé, nous devrons corriger rapidement ces lacunes. 

Le débat d'aujourd'hui est à cet égard à la fois nécessaire et utile. 
            
Ce débat doit être aussi le signe d'une maturité nouvelle dans l'approche d'une épidémie pour laquelle la voix de la raison a eu du mal à se faire entendre entre le silence et la passion. La représentation nationale va pouvoir aborder pour la première fois toutes les dimensions d'un fléau qui amène avec lui la souffrance, la peur, la détresse, l'exclusion, et parfois aussi la colère. En débattant de la lutte contre le SIDA, nous ne pourrons ni les uns ni les autres faire taire notre cœur, mais nous saurons, j'en suis certaine, tenir le langage de la sagesse et de l'efficacité, en même temps, bien sûr, que celui de la sensibilité, du respect bienveillant pour les  personnes pour leur dignité, et de la solidarité.

Je voudrais, avant que M. Philippe Douste-Blazy ne complète lui-même cet exposé, vous livrer encore quelques réflexions, que je crois largement partagées. 

Elles porteront en premier lieu sur la prévention. Elles concerneront ensuite les soins, la recherche et l'évolution de l'épidémie au plan mondial. 

1. Plaçant la prévention au premier rang, je voudrais souligner que c'est sur elle que reposent les principaux espoirs de gagner bientôt du terrain sur la maladie. Il est clair que seuls des comportements de prudence et de responsabilité peuvent aujourd'hui bloquer l'essor du SIDA. Le préservatif en est l'instrument, dans les situations où son utilisation est recommandée. 

L'appréciation de ces situations comme le choix de les éviter, ou au contraire de les subir ou de les assumer, relèvent de la conscience de chacun. Il n'entre pas dans la démarche sanitaire de porter un jugement sur les modes de vie ou sur les comportements en matière de sexualité. D'autres sauront rappeler que le bonheur n'est pas fermé à ceux qui optent pour la fidélité cette fidélité dont une majorité de Français, et notamment une majorité de jeunes, reconnaissent qu'elle est bien la plus grande preuve d'amour. Il ne faut pas craindre de parler de fidélité, et de redonner ainsi à la sexualité sa dimension d'amour et de tendresse partagés. Mais il relève de la responsabilité des autorités sanitaires et des médecins d'inciter avec fermeté et gravité à la diffusion de réflexes de précaution de la part de tous ceux qui pourraient s'exposer ou exposer autrui à un risque de transmission du virus. 

De ce point de vue, l'information, la formation et l'éducation constituent évidemment des enjeux majeurs. 

Chacun de ces moyens concourt à l'acquisition d'une véritable culture sur le SIDA. Des efforts importants ont déjà été accomplis par notre pays en ces domaines et les budgets qui y sont consacrés ont substantiellement augmenté au cours des dernières années. On observe d'ailleurs que le niveau de connaissance du public sur les modes de transmission de l'infection, sur le développement de la maladie et sur ses traitements s'est élevé. Cette meilleure connaissance a par ailleurs favorisé une plus large tolérance vis-à-vis des personnes atteintes. Elle responsabilise chacun en définissant les règles d'un comportement à moindre risque. 
           
Ces efforts doivent être poursuivis. Il en est de même pour tout ce qui touche à la sensibilisation et à la formation des professionnels sanitaires et sociaux, qu'il s'agisse de médecins, d'intervenants sociaux, d'infirmiers libéraux ou hospitaliers, de pharmaciens, d'équipes de santé scolaire ou de personnels actifs dans les milieux spécialisés de la drogue, au sein des prisons ou dans les commissariats. 

L'incitation au dépistage est le corollaire de cette politique d'information. La connaissance de sa séropositivité par une personne contaminée est indispensable pour lui permettre d'être médicalement suivie et lui éviter de propager à son tour le virus. 

Mais la question du dépistage en appelle deux autres : 

– doit-on s'engager sur la voie d'un dépistage obligatoire, au moins dans certaines circonstances ? 
– le médecin qui détient les résultats de l'analyse de laboratoire, doit-il en faire part à des proches de la personne qui l'a consulté ? 
          
À ces deux questions, le Gouvernement, vous le savez, répond par la négative. Avec le Conseil national du SIDA, il estime tout d'abord que la mise en place d'un dépistage obligatoire n'est pas un bon moyen de renforcer la politique de prévention. 
          
Il n'est en effet de dépistage efficace que dans le cadre d'une démarche médicale d'information et d'éducation, tendant à modifier les comportements. Cette démarche passe par un accord des personnes dans un climat de confiance, de confidentialité et même parfois d'anonymat. Elle doit, bien évidemment, être très fortement encouragée. 

La prévention n'a pas pour seul objet de faire découvrir leur séropositivité aux porteurs du virus pour les inciter à se faire traiter et à éviter la contamination d'autres personnes. La prévention atteint son objectif lorsque les personnes auxquelles elle s'adresse, séropositives ou non, sont convaincues qu'il est vital d'adopter des mesures de prudence et de responsabilité. 

L'acte de dépistage n'a de sens que lorsqu'il s'intègre pleinement à cette démarche de prévention, sous conduite médicale. Il serait trop facile pour le médecin de prescrire de manière automatique, pour remplir une éventuelle obligation légale, des tests de dépistage qui ne seraient accompagnés d'aucune explication ni d'aucun dialogue. Lorsqu'il s'agit du SIDA, il est nécessaire d'expliquer longuement les choses et d'accompagner les intéressés, en particulier quand le test révèle la présence du virus. Cela suppose un lien de confiance qu'un test obligatoire, qui devrait en tout état de cause être répété régulièrement, ne contribuerait pas à établir. 

Dans certaines circonstances, le dépistage peut être utilement proposé, comme le prévoit déjà le code de la santé publique avant le mariage ou à l'occasion d'un examen prénatal. Il doit également être prescrit par le médecin à chaque fois qu'il sera demandé par le patient ou quand un signe d'appel le justifiera. Mais aller plus loin pourrait donner des résultats contraires au but recherché. 
          
J'ai aussi posé la question du secret médical. Ma position est claire et conforme au rapport que vient de me remettre le professeur René et à l'avis du Conseil national du SIDA. 

Je ne peux que m'opposer à la levée du secret médical, même si cette possibilité était réservée à des circonstances exceptionnelles. « Ma langue taira les secrets qui me sont confiés », disait déjà Hippocrate. La position du Gouvernement sur ce point n'est pas le fruit de considérations dogmatiques. Elle répond à une exigence d'efficacité. Une personne qui s'est trouvée dans une situation à risque ne doit pas être dissuadée de consulter un médecin par la crainte d'être dénoncée à son entourage. Le médecin n'a d'ailleurs pas les moyens de rechercher et de contacter lui-même les personnes que son patient peut exposer à un risque de contamination. Même en présence des situations les plus compliquées, il doit rechercher les conditions devant conduire à responsabiliser la personnes vis-à-vis d'elle-même comme vis-à-vis d'autrui. C'est la condition d'une véritable prévention des contaminations. 

Dès lors, l'aménagement de la règle du secret médical serait dépourvue d'utilité pratique, et viderait de toute signification l'appel à la responsabilité des personnes séropositives. Du reste, la question n'est pas aussi nouvelle qu'on veut bien le dire ici ou là. Dans beaucoup d'autres situations qui, au premier abord, auraient pu justifier un aménagement, aucune dérogation, même au titre des obligations d'assistance à personne en danger, n'autorise aujourd'hui le médecin à rompre le silence. Même devant le juge, ce silence s'impose à lui sauf à de très rares exceptions. 

2. Je voudrais évoquer aussi le traitement des personnes atteintes par le virus. 

Notre pays a accompli une œuvre de grande portée dans la prise en charge sanitaire des patients. Un nombre accru de patients est régulièrement suivi dans les hôpitaux et leur prise en charge intervient de plus en plus précocement. En outre, grâce aux Centres d'information et de Soins de l'Immunodéficience Humaine, la politique sanitaire a réussi à atteindre une population qui n'était pas rejointe par le système de soins traditionnels. 

Par ailleurs, un large processus de coopération s'est engagé avec la médecine de ville pour favoriser une prise en charge globale des malades, conforme à leurs besoins et à leurs attentes. La qualité de vie du malade et le respect de son désir d'être soigné chez lui, nécessitent une réelle continuité des interventions. 

Les professionnels qui s'occupent de l'accompagnement social et du soutien psychologique font partie intégrante des nouveaux dispositifs de coopération que sont les quelque cinquante réseaux « ville-hôpital » qui recouvrent aujourd'hui le territoire. 

À côté des adaptations qui ont été apportées à l'organisation des soins, le Gouvernement s'est attaché à améliorer leur accès. Complétant la prise en charge à 100 % de tous les séropositifs, les pouvoirs publics ont pris des mesures pour fournir aux plus démunis les soins que leur état appelait. La réforme de l'aide médicale constitue une disposition majeure dans la lutte contre l'exclusion. Ses procédures de gestion ont été simplifiées et accélérées. Par ailleurs, la liste des bénéficiaires a été élargie. 

Cependant, malgré ces initiatives, l'accès aux soins reste encore difficile pour une partie non négligeable de personnes en situation très précaire. Nous devons, en conséquence, et avec l'appui des professionnels sanitaires et sociaux, des collectivités territoriales et des associations, développer des réseaux de proximité. Les expérimentations en cours et les innovations qu'elles recèlent me rende confiante dans ces nouvelles formes d'organisation. 

Mais si la prévention permet de limiter les contaminations, si les thérapeutiques utilisées retardent le cours de l'infection vers la maladie, en définitive, seule la recherche fondamentale et appliquée nous fournira, un jour, les moyens véritables de supprimer le SIDA. C'est le troisième point que je souhaitais aborder. 

3. La recherche est la clef de voûte de notre dispositif. Nous devons amplifier le développement de la recherche clinique dans les hôpitaux et veiller à la mieux organiser. D'ores et déjà, le SIDA nous aura fait considérablement progresser, tant dans le nombre des essais thérapeutiques réalisés que dans leur qualité technique et méthodologique. Dans la recherche sur le SIDA, notre pays occupe le deuxième rang mondial. En outre, et malgré leur importance décisive, la clinique et l'épidémiologie ne constituent pas les seules disciplines à promouvoir. Compte tenu de l'impact social, économique et culturel du SIDA, il est impératif que notre pays accentue les recherches en sciences sociales. Ces études sont indispensables pour améliorer la prévention, pour adapter les soins aux besoins de toutes les populations, pour prévoir les différents volets de notre politique de santé publique, les évaluer et en chiffrer le coût. 

4. Enfin, je voudrais dire un mot de l'évolution de l'épidémie dans d'autres pays que le nôtre. S'il est de notre responsabilité de nous occuper d'abord de nos propres compatriotes, nous ne pouvons ignorer les ravages du SIDA dans le monde et tout particulièrement en Afrique Sub-Saharienne, en Asie, et, demain, dans les pays de l'Est. La part des cas de SIDA dans les pays développés représente à peine 10 % de ceux qu'on a enregistré dans le tiers monde. En revanche, nous mobilisons près de 90 % des ressources pour traiter cette épidémie. Cet écart entre les besoins et les ressources risque de s'accentuer. Les hôpitaux de pays africains sont aujourd'hui majoritairement remplis de patients infectés par le VIH, et les soins qu'ils exigent grèvent lourdement des budgets sanitaires déjà très insuffisants. Aujourd'hui, et plus encore demain, ce sont les forces vives de ces pays, entre les mains desquelles sont placés tous les espoirs en un possible développement, qui seront décimées. Les efforts d'investissement consentis en éducation et en formation pourraient se trouver ruinés au moment où ces pays allaient commencer à en bénéficier. La Banque Mondiale indique que le SIDA devrait ôter jusqu'à 10 % de son produit annuel brut à l'Afrique dans les prochaines années. Cette grave détérioration s'ajoutera aux quelque dix millions d'orphelins qu'aura fait l'épidémie à la fin de ce siècle. 

Nous ne pouvons rester indifférents à cette véritable catastrophe humaine et économique. L'histoire d'abord, la coopération ensuite nous ont conduit à tisser des liens profonds avec ces pays. Il est de notre responsabilité, de les aider dans leurs propres efforts. 

La France, depuis 1987, a consacré près de 300 millions de francs à de nombreuses actions sur le territoire africain. Cet effort vient d'être renforcé. Le ministre de la coopération, M. Michel Roussin, a doublé ces ressources de façon à démultiplier les projets relatifs à la prévention, aux soins et à la recherche. Face à l'ampleur de l'épidémie et à son expansion dramatique sur tous les continents, notre réponse doit être mondiale. 

C'est dans cet esprit, et après les décisions annoncées à Berlin et à Marrakech par M. Philippe Douste-Blazy et moi-même, que la France a pris l'initiative, sous l'autorité du Premier ministre, d'engager une action internationale de grande portée. Son point d'orgue sera la réunion le 1er décembre prochain des Chefs de Gouvernement des 17 pays contributeurs les plus importants dans la lutte contre le SIDA. Les aides internationales ont tendance à diminuer depuis 1990. Il faut donc mobiliser les énergies et inscrire cet effort dans un engagement politique au plus haut niveau. 

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, telles sont les différentes orientations que nous poursuivons. 

C'est sur leur complémentarité et leur approfondissement que repose notre politique. En chaque domaine, nous devons nous attacher à répondre à l'urgence mais aussi organiser nos efforts en fonction du moyen et du long terme. 

Les différents gouvernements qui jusqu'ici, ont dû faire face au SIDA ont souscrit, chacun à leur manière, à ces choix fondamentaux. Cette continuité honore notre pays. Je souhaite aujourd'hui qu'elle se poursuive et s'approfondisse. Les grands malheurs de notre temps appellent des solidarités nouvelles. Face à la souffrance des personnes atteintes et d'un nombre important d'exclus, on ne peut fermer son cœur ni se laisser porter par l'individualisme forcené qui fragilise nos sociétés tentées de se refermer sur elles-mêmes. Le SIDA et les questions particulièrement complexes et dramatiques qu'il pose aux médecins et aux décideurs en matière de santé publique nous obligent à réfléchir aux conflits qui peuvent s'élever entre les intérêts de l'individu et ceux des tiers ou de la collectivité. C'est un grave problème de société. Il doit être posé au grand jour dans toute sa dimension, que l'on ne peut réduire aux interrogations suscitées par le SIDA. Il s'agit là de problèmes éthiques qui justifient de véritables débats devant le Parlement et même l'opinion. La problématique santé publique-libertés individuelles n'est pas nouvelle. Elle est aussi au centre des discussions sur la sécurité routière ou sur la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme. Nous l'avons encore vue à l'œuvre tout récemment à l'occasion de l'examen des textes relatifs à l'éthique biomédicale. 

Dans la lutte contre le SIDA, les droits des individus n'ont pas à être sacrifiés à ceux de la collectivité. Rien ne le justifierait du point de vue de la santé publique, dans notre société à juste titre de plus en plus exigeante quant au respect des libertés individuelles. Et ce que nous disons pour le SIDA, s'agissant du dépistage, du secret médical, de la prévention mais aussi des problèmes d'emploi, d'accès au logement ou d'assurances, devra aussi être appliqué à d'autres maladies, afin d'éviter des discriminations fondées sur la peur et non sur des connaissances objectives. 

La pratique concrète de notre démocratie y gagnera. La santé publique aussi. 

Je vous remercie.