Texte intégral
TF1 : dimanche 16 janvier 1994
Claire Chazal : Quelles leçons tirez-vous de ce mouvement, et qu'attendez-vous du gouvernement ?
G. le Néouannic : Nous attendons du gouvernement qu'il tienne ses engagements. Le Premier ministre a décidé l'ouverture d'une discussion dans l'intérêt du service public, nous sommes donc prêts à nous y engager. Mais nous ne voulons pas simplement des palabres. Nous voulons des engagements sérieux pour que tous les parents qui, aujourd'hui, choisissent les établissements privés ne soient plus obligés de le faire. Le service public doit être de meilleure qualité, toujours et partout.
Claire Chazal : Vous demandez une loi de programmation ?
G. le Néouannic : Nous avons avancé l'idée d'une loi de programmation quinquennale. Nous l'avions déjà avancée avec la gauche. À l'époque, nous avions obtenu une loi d'orientation. Aujourd'hui, nous souhaitons que les moyens suivent car il y a des établissements à rénover, qu'il y a trop d'effectifs dans les classes, des cours non-assurés. Il faut que nous ayons les moyens d'assurer dans les endroits les plus difficiles toutes les missions du service public.
Claire Chazal : Était-ce une manifestation de la gauche ou de tous les partisans de l'école laïque ?
G. le Néouannic : Tous se sont rassemblés autour d'une idée simple, mais forte : la laïcité de la République et la défense de l'école publique. Derrière cela, c'est un cri extraordinaire qui fait chaud au cœur pour ceux qui, en 1984, avaient senti une sorte de mépris de la part de ceux qui taxaient les laïcs de liberticide. Aujourd'hui, on doit écouter cet immense cri du peuple de France.
Claire Chazal : Vous demandez la démission de F. Bayrou ?
G. le Néouannic : Certainement pas ! M. Bayrou est ministre. C'est notre interlocuteur, je le respecte en tant que tel. Mais bien entendu, je combats ces idées lorsque je ne suis pas d'accord avec elles. C'est la démocratie.
RMC : lundi 17 janvier 1994
M.-C. Courtioux : Quand certains dignitaires disent que la gauche existe toujours, en voilà la preuve ! Ont-ils raison ?
M. Deschamps : Lorsqu'une manifestation réunit autant de gens, et à l'évidence aussi divers, toutes les récupérations n'ont pas de crédibilité. J'ai dit, et je le redis, que les mesures qu'envisageait ce gouvernement, étaient d'autant plus graves pour l'école publique qu'elles faisaient suite à d'autres mesures contraires à l'intérêt de l'école publique.
M.-C. Courtioux : F. Bayrou a écarté toute idée de démission, préférez-vous cela ?
M. Deschamps : Je n'ai ni à préférer ni à émettre un quelconque jugement sur ce choix qui ne relève pas de ma responsabilité. Ce n'est pas aux organisations syndicales qu'il revient de choisir leur ministre. Moi, hier, je ne criais pas « Balladur-Bayrou démission », je criais « Balladur-Bayrou négociation ».
M.-C. Courtioux : Le message semble bien reçu par le gouvernement, qu'allez-vous dire au ministre ?
M. Deschamps : Demain, le ministre ouvre une phase de négociation avec les syndicaux nationaux et puis jeudi avec les fédérations elles-mêmes. Nous ne tiendrons pas deux langages. Nous disons au ministre que le gouvernement doit montrer qu'il a compris et pris la dimension de ce qui c'est passé hier de trois façons. D'abord, il faut qu'il soit très clair sur la question de la laïcité et du service public. Ces dernières semaines, il a entretenu la confusion entre le service public d'éducation et les établissements privés associés, il faut que toutes ces ambiguïtés soient levées, il faut que l'on en revienne à une conception saine, claire et républicaine de la laïcité. Deuxième point, il faut que le gouvernement montre qu'il ne veut pas essayer de gagner du temps ou nous engager dans des parlotes qui n'auraient pas d'effets concrets. Le meilleur moyen pour le gouvernement de le prouver est de prendre les décisions urgentes que réclame la préparation de la prochaine rentrée. Là il ne faut pas perdre de temps. Et puis enfin, le gouvernement doit répondre à la demande que nous faisons depuis plusieurs semaines d'une loi-programme qui pourrait être pluriannuelle. Donc, des choses très concrètes.
M.-C. Courtioux : Vous parlez d'urgence pour la rentrée scolaire, quel est votre diagnostic de l'état de l'école publique ?
M. Deschamps : Quand on met en face le besoin de formation, tel que nous l'expriment les familles et les établissements, et les moyens prévus par le gouvernement, on ne s'y retrouve pas. Je dis que l'on ne peut pas, actuellement, assurer la rentrée prochaine sans une nouvelle dégradation de l'enseignement public. Ce qui, après la manifestation d'hier, est encore plus inacceptable qu'avant le 16 janvier. Il faut vraiment que le ministre prenne des dispositions pour qu'il mette fin au redéploiement entre les secteurs qu'il avait prévu. Il faut aussi faire reculer la précarité dans les établissements, il me semble que c'est une mesure d'urgence. On ne peut assurer un enseignement de qualité lorsque les collègues n'ont pas la sécurité de l'emploi, qu'ils sont amenés à une rotation très rapide dans les établissements. Il faut trouver des solutions pour l'efficacité même de la rentrée prochaine.
M.-C. Courtioux : Souhaitez-vous que cela se traduise par l'annonce d'une enveloppe financière dans le but de la prochaine rentrée scolaire ?
M. Deschamps : Est-ce qu'il faudra un collectif budgétaire pour assurer la rentrée prochaine ? Je ne l'affirme pas avant que les travaux contradictoires avec le ministre l'aient prouvé. J'ai le sentiment que oui, mais la négociation va permettre de le confirmer ou de l'infirmer.
M.-C. Courtioux : Quelle est la réalité, selon vous, des problèmes de sécurité dans le public comme dans le privé ?
M. Deschamps : Je ne suis pas sûr, hélas, que le gouvernement ait totalement écarté la tentation de réintroduire d'une manière un peu plus soft ce qu'il prévoyait en faveur de l'enseignement privé. Mais la sécurité ce n'était qu'un prétexte, puisque avant même la décision du Conseil constitutionnel, nous avions dit très clairement qu'elle était notre position : nous n'accepterons jamais qu'un enfant puisse être en situation de grave insécurité dans une école quelle qu'elle soit. Mais je considère que la loi Falloux, telle qu'elle est rétablie, permet aux établissements privés d'assurer ces travaux de sécurité.
M.-C. Courtioux : Pour aboutir à ce que vous nous avez expliqué jusqu'où sont prêtes à aller les fédérations que vous représentez ?
M. Deschamps : Pour ce qui concerne ma fédération, nous voulons que les négociations qui s'ouvrent soient placées sous le contrôle des personnels. Nous voulons rendre compte régulièrement de l'avancement des négociations à nos collègues. Nous prenons l'engagement de ne rien décider, de ne rien signer sans avoir pris l'avis de nos collègues dans les établissements. La manifestation d'hier appartient à tous ceux qui étaient là et nous voulons continuer avec eux à débattre avec le gouvernement.
RMC : vendredi 28 janvier 1994
P. Lapousterle : M. Sarkozy a parlé d'une très très belle ambiance, M. Bayrou d'une bonne ambiance. Vous avez vu les mêmes soleils que les ministres ?
G. le Néouannic : C'était une réunion de lancement de la concertation proposée par le Premier ministre. L'ambiance n'était pas mauvaise.
P. Lapousterle : Vous disiez attendre du Premier ministre qu'il exprime des intentions politiques précises, et s'engage sur le principe de mesures particulières pour la prochaine rentrée scolaire. Vous êtes déçus ?
G. le Néouannic : Ce que nous continuons à dire c'est que nous souhaitons une réflexion sur le système éducatif dans son ensemble. Nous la souhaitons de fond, n'évitant aucune des difficultés. Nous avions souhaité que l'on examine tout, que l'on propose des remèdes, et que l'on planifie cela, d'où l'idée de loi de programmation. Nous avons ajouté qu'il y avait urgence. Sur les deux aspects, nous avons obtenu un groupe de travail qui, d'ici la fin du mois de février, va proposer des mesures concrètes d'urgence. Sur le reste, il n'a pas pris d'engagement en ce qui concerne la demande formulée par de nombreuses organisations d'une loi de programmation. Mais il ne l'a pas écartée.
P. Lapousterle : Un journal titre ce matin : « Balladur renvoie l'avenir de l'école en commissions ». E. Balladur a-t-il botté en touche ?
G. le Néouannic : On ne peut pas interpréter les propos du Premier ministre comme cela. Si l'on veut faire un travail sérieux, il faut le faire en prenant le temps de le faire. L'existence de table ronde, de commissions, est loin d'être choquant en soi. C'est dans ce cadre-là que l'on peut vraiment travailler. On ne veut pas qu'un tel travail se perde dans le sable.
P. Lapousterle : Vous voulez quoi dans les choses d'urgence, et dans quels délais ?
G. le Néouannic : Les choses urgentes, c'est la préparation de la prochaine rentrée scolaire. Nous savons qu'il va y avoir un afflux d'élèves dans les collèges. On ne peut pas envisager d'améliorer la qualité du système éducatif à ce niveau, sans que l'on donne des moyens supplémentaires. On ne peut pas dire qu'il faut que le système éducatif soit de plus en plus performant et, en même temps, faire des mesures de cartes scolaires qui aggravent les conditions de travail des jeunes et des enseignants. Tout de suite, il y a des efforts à faire pour la rentrée. Cela peut se chiffrer. Il suffit de demander aux recteurs et aux inspecteurs d'académies de faire remonter les besoins réels du terrain.
P. Lapousterle : Pour que des mesures puissent prendre effet à la rentrée prochaine, il faut que les décisions soient prises quand ?
G. le Néouannic : Très vite ! Nous sommes dans la phase de préparation du budget de l'année prochaine. En plus, il va y avoir la session de printemps. Il faudra donc un collectif budgétaire, c'est évident, et la date de fin février est une bonne date.
P. Lapousterle : Quand le PS estime les besoins de l'Éducation nationale publique à 80 milliards pour les 5 ans, cela vous parait démesuré ?
G. le Néouannic : Ni démesuré, ni vraiment fiable. Il vaut mieux d'abord évaluer les besoins et les chiffrer après, plutôt que d'annoncer d'entrée de jeu des sommes. Lorsque vous allez faire vos courses, vous ne commencez pas par passer par la caisse, vous allez d'abord dans les rayons, vous voyez ce dont vous avez besoin, vous le prenez et vous passez à la caisse. C'est là que vous voyez combien cela vous coûte. Dire d'entrée de jeu qu'on sait ce qu'on va dépenser, non ! Il faut partir de la réalité des besoins. L'Éducation nationale, cela coûte cher, c'est un investissement considérable, mais c'est un investissement indispensable pour une nation comme la nôtre.
P. Lapousterle : Est-ce que vous avez l'impression que les choses ont changé du côté du pouvoir après la manifestation du 16 janvier ?
G. le Néouannic : Je l'espère; ce que nous avions regretté depuis quelques mois, c'est que l'Éducation nationale, la formation des jeunes de ce pays, n'était plus la première des priorités de la nation alors que c'était affirmé par la loi d'orientation de 89. Cette manifestation a quand même marqué cet énorme élan, cet énorme attachement des citoyens de notre pays à l'éducation et à l'Éducation nationale en particulier. Je pense que cela a été une prise de conscience pour le gouvernement.
P. Lapousterle : Vous l'avez senti à la réunion d'hier ?
G. le Néouannic : Oui, cela a été affirmé, en tout cas, dans les propos du Premier ministre disant que c'était une chance d'avenir, et que c'était la seule chance d'avenir pour notre pays. Si ces propos sont sincères, j'y adhère totalement.
P. Lapousterle : Est-ce que le problème de l'Éducation nationale publique n'est pas autre chose que des questions d'argent, de postes ?
G. le Néouannic : Nous avons toujours, pour notre part, dit que les moyens devaient être au service de la qualité et non pas l'inverse. Nous nous associons dans notre réflexion, dans cette recherche de transformation, d'amélioration du système éducatif, dans son fondement, dans sa qualité. Nous voulons nous attaquer, bien sûr, aux problèmes matériels comme les locaux, l'implantation des établissements, mais nous voulons aussi que la réflexion s'engage sur les missions des personnels, sur leur formation, sur les conditions de travail des jeunes, c'est-à- dire sur tout ce qui est réellement la mission d'éducation. Donc la qualité d'abord mais on ne fera pas de la qualité sans moyens.
P. Lapousterle : Vous avez pris rendez-vous avec le Premier ministre pour une nouvelle réunion ?
G. le Néouannic : Le calendrier n'a pas été fixé au jour le jour, mais bien évidemment maintenant, c'est avec le ministre de l'Éducation nationale que nous allons travailler dans le cadre de ces différentes tables rondes qui doivent permettre d'aborder toutes les questions de l'Éducation nationale. J'insiste sur le terme éducation. On reprend trop souvent, y compris d'ailleurs le Premier ministre lui-même, le terme d'enseignant, mais l'éducation ne se limite pas aux enseignants, il y a aussi beaucoup de personnels qui travaillent autour de l'école, dans l'école et qu'il faut associer pleinement à cette tâche d'éducation. Surtout lorsqu'on voit la société de violence dans laquelle on est. Ils ont un rôle fondamental.