Interview de M. Jean Poperen, membre du bureau exécutif du PS, dans "Le Figaro" du 29 avril 1994, sur la nécessité pour la direction du PS de proposer un pacte social européen dans le cadre de la campagne pour les élections européennes 1994, et sur les alliances à gauche (refus de faire l'amalgame entre B. Tapie et le populisme italien).

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Média : Le Figaro

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Poperen : "Le PS n'a d'avenir qu'avec les autres"

L'ancien ministre refuse tout ostracisme à l'encontre de Bernard Tapie en qui il voit d'abord "quelqu'un qui se bat contre Le Pen".

Le Figaro : Il y a un an, vous avez publié "Socialistes, la chute finale ?". Aujourd'hui, pensez-vous que la chute est stoppée ou que les bons résultats des cantonales sont en trompe l'œil ?

Jean Poperen : En termes d'opinion, d'influence électorale, il n'y a eu, avec les cantonales, qu'un simple correctif mécanique dans l'ordre des choses. Mais il n'a toujours pas été répondu à la question que je posais : pourquoi cet échec si grave, quelles leçons en tirons-nous ? Notre réflexion doit désormais être centrée sur les conséquences pour nos sociétés d'Europe occidentale de la grande tourmente de la mondialisation de l'économie. Nous voyons bien que celle-ci est l'occasion d'une remise en cause du pacte social sur lequel nous avons vécu pendant des générations. Quel nouveau pacte social dans ce nouveau contexte ? Je ne suis même pas sûr que la problématique que j'évoque soit celle de l'actuelle direction du PS.

"Listes siamoises"

Q. : N'en trouvez-vous pas trace dans le discours adopté par Michel Rocard pour les européennes ?

R. : Pas vraiment. J'ai proposé que cette campagne soit d'abord européenne. Je ne sens pas vraiment cette orientation. La ligne directrice devrait être l'action que peuvent mener l'ensemble des forces du travail de l'Europe des Douze contre les effets de la mondialisation, sous l'action du libéralisme : salaires, protection sociale, chômage. La campagne, pour les socialistes, devrait être l'occasion de prendre des initiatives pour un grand mouvement dans lequel ils s'efforceraient d'engager les organisations de la gauche européenne et les organisations syndicales sur un objectif commun. Sur ce qu'il faudrait bien appeler un véritable pacte social européen. Sinon la dérive antisociale va s'accélérer.

Je crains, au contraire, que nous ne retombions dans ce qui a été notre erreur lors de la campagne de Maastricht : une campagne pro-européenne incolore où l'on ne distinguera pas bien la perspective socialiste de celle de la principale liste de droite. Il est quand même significatif que l'on ait pu parler de "listes siamoises". Si c'est le cas, nous offrons un boulevard à ceux qui sont contre la politique européenne.

Q. : Un boulevard aussi à Bernard Tapie ?

R. : La question se présente différemment. Le MRG et Tapie se prononcent fermement pour l'Europe. D'excellents esprits s'inquiètent. C'est vrai que ce que l'on appelle parfois le populisme – Tapie est-il un populiste ? – n'est pas la bonne réponse aux crises sociales. Mais si le populisme il y a, c'est d'abord parce que les organisations politiques de gauche n'ont pas répondu à l'attente du peuple. Le populisme n'est que la maladie sénile de la gauche établie. Si le peuple va ailleurs, il ne faut pas s'en prendre au peuple.

Label de gauche

Q. : Et pas davantage à Bernard Tapie ?

R. : Quand un dirigeant du PS écrit que ce que fait Tapie "ne peut en aucun cas renforcer la gauche", on est amené à se demander quand donc l'actuelle direction du PS en rabattra de cette prétention à décider qui a droit au label gauche, qui mérite d'être accepté dans le cercle de famille. C'est fini ça ! Plus d'humilité ! Le PS a laissé passer l'occasion d'être la structure de rassemblement à gauche. Qu'il tienne la place qui est la sienne aujourd'hui. Ce serait déjà bien. Mais qu'il se persuade qu'il n'a d'avenir qu'avec les autres.

Je voudrais ajouter que l'amalgame entre telle manifestation de la vie politique italienne et ce qui se passe chez nous me paraît pour le moins audacieux. Et je me refuse à assimiler quelqu'un qui se bat contre Le Pen à quelqu'un qui s'allie aux épigones de Mussolini.

Q. : Comment accueillez-vous la démarche entreprise par Robert Hue ?

R. : Dans l'état d'éparpillement et de grand affaiblissement où se trouve encore la gauche, on ne va pas faire le tri. Plus que jamais, il y a besoin de tout le monde. Mais il faut que Robert Hue et la direction du PC précisent le contenu du pacte unitaire pour le progrès.

Q. : Les assises de la transformation sociale organisées par le PS sont-elles une bonne base de départ pour une reconstruction de la gauche ?

R. : Elles sont un moment de cet effort diversifié pour une recomposition de la gauche. Un replâtrage serait la pire tentation et n'entraînerait aucun dynamisme. Il faut qu'une vraie recomposition intervienne le plus tôt possible. Il faut s'y mettre sans attendre. Des initiatives devront être prises dès après les européennes. Aujourd'hui, les écuries sont en piste pour le 12 juin. Dans six semaines, il faudra faire les comptes et qu'ensuite tout ne tourne pas autour du choix du candidat à la présidentielle. À la gauche de montrer qu'elle veut sortir de ce piège institutionnel.