Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte parole de Lutte Ouvrière, dans "Lutte Ouvrière" des 4, 11 et 18 mars 1994, sur le contrat d'insertion professionnelle qualifié de "SMIC jeunes".

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Lutte Ouvrière : 4 mars 12994

« SMIC- JEUNES »
Chômage ou emplois au rabais : L'avenir des jeunes selon Balladur et le patronat

Après bien des mesures contre les travailleurs – et on ne pourrait tout citer sans en oublier – le gouvernement vient de se livrer à une véritable provocation avec l'instauration du SMIC réduit de 20 % pour les jeunes de moins de 26 ans.

Cela ne créera évidemment pas un seul emploi car aucun patron n'embauchera plus de main-d'œuvre qu'il n'en a besoin. Donc cela n'augmentera absolument pas le nombre total de postes. Tout ce que cela va faire, c'est des bénéfices supplémentaires pour les patrons qui combleront les postes vacants avec des jeunes de moins de 26 ans et, bien sûr, pour les moins scrupuleux d'entre eux, qui se débarrasseront des plus vieux pour les remplacer par des jeunes.

Ce cadeau du gouvernement au patronat n'est pas le premier (d'autant que les gouvernements socialistes en avait fait déjà pas mal), mais celui-là est vraiment une mesure cynique.

Plusieurs organisations syndicales ont appelé à des manifestations de protestation. Il est vrai que le gouvernement se moque aussi bien d'elles que des travailleurs. Ces organisations, qui réclament toujours des négociations pour au moins avoir l'air d'avoir obtenu un petit quelque chose, et qui devaient justement « négocier » ces jours-ci avec le gouvernement, viennent de recevoir une gifle. Le gouvernement vient, à la veille du cirque où elles étaient invitées, de dire ouvertement à tout le monde : cette réunion ne sert à rien, de toute façon nous faisons ce que nous voulons.

Les organisations d'étudiants aussi ont appelé à des manifestations le jeudi 3 mars car les étudiants qui ont fait deux ans d'études après le Bac sont aussi visés par ces mesures. Ils ont bien sûr raison de réagir sans attendre et de se défendre, mais ils doivent le faire avec tous les autres jeunes qui sont concernés au même titre qu'eux par ces mesures. Ils ne doivent pas se sentir plus touchés que les autres.

Bien sûr, on leur avait dit : si vous faites des études, vous serez parmi les privilégiés. Aujourd'hui, on leur dit tout crûment qu'ils sont, comme tous les autres jeunes, de la main d'œuvre à bon marché, exploitable et corvéable de la même façon.

C'est donc avec tous les autres jeunes qu'ils doivent se battre, en cherchant à s'associer à eux et pas seulement à ne faire rapporter la mesure que pour eux-mêmes.

Par ailleurs, une manifestation nationale est prévue pour le 12 mars dans différentes villes de France, dont Paris.

Il faut donc que le maximum de travailleurs participent à toutes ces manifestations et en particulier le 12.

Il est temps que le monde du travail réagisse de façon massive et unanime. Jusqu'à présent, les réactions se font isolément : à chaque fois qu'il y a des licenciements – ce que les patrons appellent un plan social – ou une fermeture d'entreprise.

Il est temps que les centrales syndicales arrêtent de nous lanterner de parlottes en parlottes avec les pouvoirs publics.

Le gouvernement craint les travailleurs beaucoup plus qu'il ne craint les syndicats. Il ne craint pas les parlottes avec ceux qu'on appelle les « partenaires sociaux » du patronat et du gouvernement. Il est temps que les syndicats cessent d'être des partenaires du gouvernement et du patronat pour en devenir des adversaires.

Il faut que travailleurs et étudiants se retrouvent aussi bien le 12 mars que le 3, dans des manifestations et des luttes communes. Il faut que ces manifestations soient le prélude d'une réaction plus générale des travailleurs contre une gouvernement et un patronat de combat qui vont tenter de diminuer les salaires de tous ceux qui travaillent. Car ne nous faisons pas d'illusions : la diminution de salaire pour les moins de 26 ans n'est qu'un test, un pas peut-être suivi d'autres. Ainsi le patronat en est à réclamer que le montant du SMIC puisse être revu à la baisse en fonction de la zone géographique !

Alors si nous laissions ces dernières tentatives sans réponses, nul doute qu'ils iraient plus loin.


Lutte Ouvrière : 18 mars 1994

Il faut une véritable contre-offensive ouvrière

La dernière en date des provocations du gouvernement, l'instauration d'un SMIC réduit à 20 % pour les jeunes de moins de 26 ans, a suscité la riposte des jeunes le 3 et le 10 mars, et par endroits, le 11. Elle a contribué au succès des manifestations du 12 mars.
 
Ces réactions des travailleurs et des jeunes étaient indispensables, tant ce SMIC-jeunes est une mesure cyniquement pro-patronale. Elle ne crée pas un emploi de plus, mais elle autorise officiellement les patrons à sous-payer les jeunes et les incite à se débarrasser des travailleurs plus âgés. 

Devant les premières manifestations, le gouvernement a reculé un peu. Cela ne suffit pas. Il faut le contraindre à annuler purement et simplement les décrets instaurant le SMIC-jeunes. Les manifestations du 17 mars qui ont cela pour objectif, doivent être un succès. 

Ceux qui ont participé aux manifestations du 12 mars, comme ceux qui vont participer à celles du 17, ne l'ont cependant pas fait uniquement contre la dernière en date des mesures anti-ouvrières. Cela fait dix ans, quinze ans, que les travailleurs reçoivent des coups plein la figure. Les gouvernements se succèdent, les étiquettes politiques des ministres valsent, mais la politique menée ne change jamais sur le fond. Elle est toujours favorable aux patrons, toujours nuisible aux travailleurs.
 
Tous ces gouvernements, de droite comme de gauche, nous ont présenté le combat contre le chômage comme une priorité. C'est avec ce prétexte qu'ils ont bloqué les salaires, rogné les protections sociales, distribué des cadeaux au patronat. 

Résultat : le chômage n'a jamais reculé, une fraction de la classe ouvrière – les chômeurs de longue durée – est tombée dans la pauvreté et il n'y a pas d'autre avenir pour les jeunes que de naviguer de chômage en petits boulots de plus en plus mal payés. Mais en revanche, tous les possédants qui tirent leurs revenus des entreprises, les actionnaires, les boursicoteurs, se sont enrichis. Et le patronat a acquis des droits supplémentaires, un culot monstre et la conviction qu'il peut faire ce qu'il veut. 

Alors, la coupe est pleine. Il faut arrêter tout cela. Sinon, ne nous faisons pas d'illusion, ils continueront. 

Les états-majors syndicaux sont surtout préoccupés par leurs rivalités de boutique et leur course après la « concertation sociale », c'est-à-dire des parlotes inutiles avec le patronat et le gouvernement. Ils ne cherchent pas réellement à combattre l'un et l'autre en proposant aux travailleurs un plan de lutte en conséquence. Les appels à des manifestations séparées – avant que la CGT choisisse, avec raison, de se joindre à celles appelées par la CFDT, FO, etc. – le montrent, entre  autres. 

Mais il faut saisir l'occasion que ces manifestations offrent et y participer massivement pour exprimer le mécontentement du monde du travail. 

Ces manifestations ne doivent cependant pas rester sans lendemain. Il faut qu'elles soient le début d'une réaction générale de la classe ouvrière, toutes professions et toutes catégories confondues ; de ceux qui sont encore au travail comme de ceux qui sont déjà chômeurs. 

Le SMIC-jeunes n'est peut-être qu'une goutte de plus dans la succession de toutes ces mesures anti-ouvrières qui rendent la vie des travailleurs de plus en plus dure pour enrichir une petite couche de parasites. Mais c'est peut-être la goutte qui fera déborder le vase. l'explosion sociale qu'ils craignent tous, ils finiront par la provoquer ! 


Lutte Ouvrière : 11 mars 1994

Chômage, SMIC-jeunes emplois au rabais…
Balladur doit reculer encore !

Alors que les manifestations contre le « Contrat d'Insertion Professionnelle », autrement dit le SMIC-jeunes, continuent d'être organisées, le gouvernement apporte des « aménagements » à son décret.

Dans un premier temps il ne s'agissait que des jeunes diplômés, ceux ayant fait deux ans d'études après le Bac. Voyant que cela ne suffit pas à désamorcer le mécontentement, le gouvernement parle maintenant de ceux qui ont un CAP ou un Bac professionnel. Mais même si l'on garantit désormais à ceux qui ont fait deux ans d'études après le Bac, ou qui ont quelque autre diplôme, qu'ils ne toucheront pas moins que le SMIC, ils ne toucheront encore que 80 % du salaire conventionnel auquel ils auraient eu droit ! 

Balladur veut sans doute désamorcer un peu le mécontentement. Il veut séparer les jeunes qui sont un peu diplômés des autres, et faire de même au niveau des parents, souvent aussi mécontents de ces mesures que les enfants dont ils payent les études. Mais ces aménagements sont dérisoires, et de toute façon pour la majorité des jeunes concernés par le décret, il n'y a pas du tout d'aménagement. 

Alors, le fond de la politique gouvernementale demeure. Elle consiste toujours, sous prétexte d'aider l'emploi, à faire les quatre volontés du patronat. Cela ne crée pas le moindre poste de travail ; les mesures dites pour l'emploi des jeunes peuvent tout au plus inciter les patrons à remplacer un travailleur ancien par un jeune payé en dessous du SMIC, en somme à mettre les parents au chômage pour faire travailler quelques jeunes à leur place, et pour moins cher ! 

Le Patronat, lui, ne se satisfait même pas de cela. Après un aménagement en sa faveur, il en réclame un autre. Il en est maintenant à demander qu'on diminue le salaire minimum selon les régions. Sous prétexte que le coût de la vie y serait un peu moins élevé, il faudrait que dans certaines d'entre elles le SMIC soit abaissé de, 20 ou 30 % ! Ce retour aux « abattements de zone » d'avant 1968 serait d'après lui le minimum pour qu'il y ait « incitation à l'embauche » dans ces régions-là.

On ne peut être plus cynique. Tout ce que ces gens-là ont à proposer, c'est de baisser les salaires, que ce soit suivant l'âge ou suivant les régions, pour faire faire le même travail, moins cher, à un personnel moins nombreux et encore plus exploité. Quand on leur parle d'embaucher, ils répondent invariablement qu'il faut les y inciter en baissant les charges ou les salaires toujours trop élevés selon eux ! Et jamais il n'est question de prendre sur leurs profits.

Alors oui, il faut mettre un coup d'arrêt à ce déluge de mesures qui ne favorise que le patronat et débouchent sur l'aggravation des conditions de vie de tous, jeunes et moins jeunes, à qui on ne veut plus laisser le choix qu'entre des salaires et des conditions de travail sans peut-être plus Après bien des mesures contre les travailleurs et on ne pourrait tout citer sans cesse revus à la baisse, et le chômage. Ce sont d'ailleurs ces mesures elles-mêmes qui contribuent à aggraver la crise, car comment y aurait-il une reprise tant soit peu sensible si le pouvoir d'achat de la population ne cesse de baisser ?

Il faut que Balladur remballe purement et simplement son décret, exactement comme il a dû reculer à Air France il y a quelques mois ou comme il a dû remballer sa loi d'aide à l'enseignement privé.

Le 3 mars, des premières manifestations de la jeunesse des écoles ont eu lieu, avec le soutien d'une partie des organisations syndicales. D'autres manifestations devaient avoir lieu le 10 mars. Le 12 mars, des manifestations sont organisées dans tout le pays par la CGT, pour la défense de l'emploi. D'autres organisations syndicales ont parlé d'une journée d'action le 17 mars, ce qui est une façon d'éloigner dans le temps toute éventuelle riposte. Ce serait pourtant l'intérêt de tous les travailleurs, de toute la jeunesse, de manifester ensemble contre ces attaques du gouvernement.

Tous, travailleurs ou chômeurs, jeunes diplômés ou pas, sont concernés de la même façon par cette extension du chômage, des bas salaires, par toute la dégradation sociale qui accompagne la progression de cette politique anti-ouvrière. Il n'y a qu'une riposte d'ensemble, de toute la classe ouvrière et de toute la jeunesse, qui peut y mettre un coup d'arrêt.

Il faut donc participer à toutes ces manifestations, à commencer par celles du 10 et du 12 mars, en souhaitant qu'elles soient un pas vers le mouvement d'ensemble qu'il faut préparer. Balladur peut faire passer ses lois et ses décrets comme il veut, au Parlement et dans les ministères. Mais on peut les empêcher de passer par l'action, dans les entreprises et dans la rue. Le gouvernement a déjà dû reculer plusieurs fois ; il faut le faire reculer encore.