Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur les objectifs et les méthodes de l'évaluation médicale en matière de santé publique, Paris le 15 mars 1994.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Journées scientifiques "Evaluation médicale et santé publique", à Paris le 15 mars 1994

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui. Je devais prononcer ce discours à l'occasion de l'ouverture de cette journée scientifique. Malheureusement, je ne pouvais être là à 9 heures ce matin et j'ai demandé aux organisateurs de bien vouloir déplacer l'horaire de mon intervention en cette fin de matinée.

1. Pourquoi cette première journée scientifique sur l'évaluation médicale et la santé publique ?

Cette journée de travail est importante et j'ai personnellement souhaité qu'elle ait lieu afin de permettre aux nombreuses institutions et organismes officiels qui travaillent sur ces questions, de communiquer et de s'entendre sur les termes, les objectifs et les méthodes de l'évaluation médicale afin de pouvoir replacer ensuite ces missions dans une cohérence globale de santé publique.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont participé à l'élaboration de ce programme ambitieux, l'Agence Nationale de l'Évaluation Médicale, l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, le Réseau National de Santé Publique, l'Agence du Médicament et l'Agence Française du Sang.

Je tiens également à remercier les directions de ce ministère qui ont apporté une précieuse collaboration lors de la mise en place de cette journée et qui participeront tout à l'heure au débat prévu sur l'évaluation des stratégies thérapeutiques et préventives.

La médecine est confrontée depuis quelques dizaines d'années aux problèmes soulevés par l'extraordinaire développement des connaissances et des techniques. L'accélération de ce développement modifie profondément les modalités de prise en charge diagnostiques, thérapeutiques et préventives des patients. Tous les professionnels de santé sont donc confrontés à un problème majeur : ils ne peuvent pas toujours assimiler l'évolution incessante des connaissances. Et pourtant, ils doivent les utiliser dans leurs pratiques sans toujours savoir si c'est à bon escient.

L'évaluation médicale apporte la réponse à cette question.

Car, à mes yeux, l'évaluation c'est, en prenant une définition courante, l'appréciation systématique et objective d'un programme, d'une intervention, d'une pratique, d'outil diagnostique ou thérapeutique, en vue de déterminer dans quelle mesure ces derniers atteignent les objectifs qui leur sont assignés.

Je souhaiterais que nous nous arrêtions quelques instants sur les termes principaux de cette définition :

a) L'évaluation doit être systématique et objective. C'est une démarche scientifique, selon une méthodologie précise ;

b) L'évaluation recouvre des réalités très diverses selon l'objet observé : un programme, une intervention, une pratique, un outil diagnostique ou thérapeutique, un plan de communication, etc. on peut aussi bien évaluer l'efficacité d'un programme de vaccination préventive contre la grippe que les effets de l''angioplastie coronaire sur la survie des infarctus ou la qualité de l'accueil des patients aux urgences d'un hôpital général ;

c) Enfin l'évaluation doit permettre de savoir si la pratique ou le programme en question atteignent bien les objectifs que l'on poursuivait en les mettant en action.

Pour le médecin, l'objectif primordial est la qualité des soins.

C'est ce qui permet de garantir pour chaque patient l'efficacité du diagnostic et de la thérapeutique, conformément à l'état actuel de la science médicale, dans les meilleures conditions de sécurité et pour la plus grande satisfaction du malade.

À partir du moment où la collectivité prend en charge financièrement, dans une démarche de solidarité, tout ou partie des soins médicaux, elle est en droit d'exiger que ces soins soient les moins coûteux possibles à qualité égale.

L'évaluation médicale doit donc permettre de savoir si ces objectifs sont attentifs ou non.

L'évaluation a toujours fait partie de la démarche du médecin. Ce qui change de nos jours, c'est le besoin que nous avons de substituer à une évaluation individuelle, souvent intuitive, et en tous cas pragmatique, une attitude beaucoup plus systématique d'observation scientifique des résultats de nos actions.

Lorsque la médecine et la thérapeutique étaient empiriques, lorsque les connaissances scientifiques manquaient au médecin, il n'était pas facile d'évaluer quoi que ce soit. L'accélération des soins rendent de nos jours indispensable l'évolution systématique des conduites diagnostiques, thérapeutiques et préventives. Sans évaluation, il n'y a pas de progrès.

2. Les différents types d'évaluation

Plusieurs types d'évaluation peuvent se combiner :

a) Dans le temps : l'évaluation peut être prospective, elle pourra alors constituer une aide à la décision ; concomitante, elle vise à améliorer par rétroaction ; a priori, elle sert à valider ;

b) Suivant les objectifs, l'évaluation peut être nominative permettant d'aborder des normes ou des références ; stratégique pour aider à la planification et à l'élaboration d'intervention ; fondamentale pour la recherche de l'amélioration des connaissances ;

c) Suivant l'objet étudié, l'évaluation peut être technologique pour apprécier ces techniques ; stratégique pour analyser l'ensemble d'une démarche diagnostique ou thérapeutique ; l'évaluation peut aussi porter sur la qualité des soins qu'il s'agisse de qualité d'exécution ou de qualité des résultats ;

d) Enfin, suivant celui qui évalue, il peut s'agir d'une autoévaluation, ou d'une évaluation externe réalisée par les acteurs indépendants qui possèdent des connaissances approfondies dans le domaine étudié.

Ces différents types d'évaluation couvrent l'ensemble de nos besoins en médecine en santé publique et ils doivent être adaptés à la situation que l'on veut étudier.

Vous entendrez parler au cours de la journée de l'évaluation des soins, tout autant que de l'évaluation des médicaments, des pratiques transfusionnelles, des systèmes de détection des maladies infectieuses ou de prévention des affections dégénératives. Chaque situation nécessite une définition précise des objectifs et de la méthodologie de l'évaluation.

Chaque cas particulier doit être étudié avec soin, car les indicateurs que nous utiliserons pour évaluer l'efficacité de la pratique seront forcément différents selon la situation considérée. Ce qui relie toutes ces démarches, c'est le désir de savoir si ce que nous faisons est correct et adapté aux buts poursuivis. C'est aussi de savoir si les moyens financiers de la collectivité consacrés à la prise en charge des soins sont utilisés de façon optimale.

3. Objectifs de cette journée

Le ministère des Affaires sociales et de la Santé et les différentes administrations qui en dépendent, les médecins et les infirmiers ont mis en place, chacun dans leur domaine spécifique d'activité, des processus d'évaluation.

Ils vont nous faire part aujourd'hui de leurs objectifs et de leur démarche méthodologique. L'important maintenant est d'assurer la cohérence de ces programmes : l'ANDEM s'occupe des stratégies diagnostiques et thérapeutiques ; l'INSERM s'occupe de recherche et formation ; le RNSP met en place des études épidémiologiques ; l'Agence du Médicament organise la pharmaco-épidémiologie et la pharmacovigilance ; l'AFS s'occupe des produits dérivés du sang.

Il nous faut assurer la complémentarité de ces démarches. Et c'est notre responsabilité.

La puissance publique se doit de consacrer d'importants moyens à l'évaluation en matière de santé publique.

Toute les institutions et administrations qui ont organisé cette journée consacrent une part importante de leur budget à l'évaluation. Il faut que les Français le sachent et qu'ils en voient les résultats tangibles dans l'amélioration permanente de notre système de soins. La coopération entre ces institutions et administrations doit permettre de faire face à l'extraordinaire variété des pratiques et des programmes à évaluer.

Il est de mon devoir de m'assurer que cette coopération progresse dans l'intérêt de tous, comme il est de mon devoir de vérifier que nos objectifs sont clairs, nos méthodes rigoureuses, et les résultats de nos études mis en pratique.

4. L'évaluation médicale

Je voudrais pour terminer, insister quelques instants sur la formidable révolution qui est en train de vivre le corps médical dans notre pays.

Comme l'a écrit récemment le Pr Glorion, Président de l'Ordre des Médecins, l'évaluation est « une chance pour la médecine ». Il ajoutait : « L'évaluation peut-être un outil efficace permettant une aide à la décision médicale, une optimisation de l'emploi des ressources et par conséquent, une meilleure efficacité des soins … 

Pour le médecin, prendre en charge cette évolution, c'est aussi prendre le risque de se remettre en question en réfléchissant sur son comportement et en acceptant la comparaison avec des références admises. »

L'évaluation de leurs pratiques va apporter aux médecins :

1. Une aide à la décision, grâce en particulier à la synthèse et à la réorganisation de l'information disponible ;

2. Une augmentation de la sécurité grâce à la prévention des possibles effets pervers des traitements et à la direction précoce des inconvénients de certaines stratégies diagnostiques ou thérapeutiques.

La publication des premières références médicales participe également à cette demande.

Il ne faut pas, bien sûr tout régenter, tout organiser et tout figer. Cela sera contraire au principe même de responsabilité médicale. En revanche, nous devons veiller à ce que les médecins s'assurent que leurs pratiques atteignent bien les objectifs qu'ils se fixent lorsqu'ils prennent en charge un patient.

Cet effort d'analyse, de réflexion, de remise en cause des habitudes acquises ne portera pas ses fruits en un jour ! et changer de comportements à la suite d'une évaluation systématique ne se fera pas sans réticence ou difficulté.

L'important est que nous avons initié un profond mouvement de réflexion dans le monde médical et qu'en s'appropriant les outils de leur propre évaluation, les médecins fassent valoir leurs exigences éthiques de leur profession.


Conclusion

Je voudrais, pour conclure vous dire combien je crois profondément à l'éthique de l'évaluation. Il s'agit en effet d'une exigence morale que nous avons vis-à-vis de nos malades. La qualité des soins dont j'ai rappelé tout à l'heure les éléments essentiels, est d'abord une exigence morale qui s'impose à tous les professionnels de santé et aux médecins en particulier. Seul le respect de cette exigence garantira la confiance des malades dans leurs médecins, leurs pharmaciens leurs infirmières, leurs biologistes, etc.

L'évaluation est un devoir professionnel.

Voilà ce que je tenais à vous dire ce matin. Je souhaite que les travaux et les débats de cette première journée permettent à tous les acteurs de santé de mieux se comprendre et de créer des synergies entre les services, institutions et agences dans le domaine de l'évaluation, car l'évaluation n'est pas une démarche isolée.

D'autres journées d'étude seront sûrement nécessaire pour approfondir les différentes facettes de l'évaluation médicale, mais je suis très heureux d'avoir pu, aujourd'hui, constater la mobilisation de nombreux d'entre vous sur ce sujet.

Nous ne pouvons pas encore mesurer le formidable impact de ce qui est en train de se passer, mais nous pouvons être fiers d'avoir joué un rôle dans cette évolution de notre société.

Je vous remercie.