Article de M. Antoine Waechter, porte-parole des Verts, dans "Le Monde" du 5 février 1994 et lettres de M. Waechter et de Mme Dominique Voynet dans "Témoignage chrétien" du 18 mars, sur la participation des Verts aux Assises de la transformation sociale et leur positionnement par rapport au clivage Droite-Gauche.

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Média : Le Monde - Témoignage chrétien

Texte intégral

Réunies à l'initiative du Parti socialiste, les Assises de la transformation sociale réunissent la gauche politique et associative

La première rencontre des Assises de la transformation sociale, regroupant plus de sept cents représentants des différentes composantes de la gauche politique et associative, ainsi que des syndicalistes et des écologistes, est organisée, samedi 5 et dimanche 6 février, à Paris, avec pour premier thème "Pourquoi transformer la société ?" Contrairement aux trois autres porte-parole des Verts, Andrée Buchmann, Yves Cochet et Dominique Voynet, Antoine Waechter a décidé de ne pas se rendre à ce premier rendez-vous.

Nous n'avons rien à faire dans cette grand-messe, par Antoine Waechter, porte-parole des Verts

Les Assises de la transformation sociale, initiées par le Parti socialiste, constituent l'amorce concrète du "big bang" rocardien et une répétition du Conseil national de la gauche (1), organisé à la veille de l'élection présidentielle de 1988. Même si elle ne préfigure pas nécessairement une alliance électorale formelle, l'opération vise à élargir la base électorale du prochain présidentiable du Parti socialiste. Les signataires sont, en majorité, issus des partis de "gauche" et de quelques associations proches du PS. Les syndicats sont absents, ce qui est tout de même ennuyeux lorsqu'il s'agit de débattre de "transformation sociale".

Les Verts n'ont aucun intérêt à participer à cette grand-messe Les défis de la crise écologique et les réponses que celle-ci appelle requièrent de rompre avec le consensus productiviste qui rassemble la droite et la gauche Le nouveau clivage, qui oppose les écologistes aux partis qui se partagent le pouvoir depuis deux siècles, doit avoir une traduction politique claire pour que le message soit reçu par l'opinion. Il cesse d'être perceptible et mobilisateur lorsque ses porte-parole s'impliquent dans le vieux clivage pour "choisir leur camp". Cette expression, si souvent entendue comme une injonction, sous-entend que l'interpellation écologiste ne suffit pas à délimiter un champ politique autonome. Je refuse de l'accréditer.

La crise écologique concerne tous les êtres humains, quelles que soient leur catégorie sociale et leurs préférences partisanes initiales. Le message des écologistes s'adresse à toutes et à tous, avec le mémo volonté de convaincre, car aucune réponse ne sera pertinente si elle ne mobilise que la moitié des Français. Un processus de transformation sociale qui, d'emblée, ne s'adresse qu'au "peuple de gauche", aboutit inéluctablement à une impasse pour les écologistes.

Les Verts n'ont pas de partenaires naturels, ils n'ont que des partenaires potentiels, contraints par un rapport de forces favorable à la remise en question du productivisme. Aussi leur faut-il dialoguer avec toutes les forces politiques, pour ensemencer le débat de leurs idées ainsi que pour tester et enrichir leur propre discours. Dans cet esprit, je n'ai jamais refusé les invitations au débat et à la confrontation.

Malheureusement, les Assises de la transformation sociale, en privilégiant la mise en scène et le signal médiatique à finalité électorale, se disqualifient comme lieu de débat sincère : les arrière-pensées l'emportent sur la pensée elle-même, Voilà pourquoi je n'ai pas signé l'appel à les réunir.

(1) Constitué le 12 novembre 1986, ce conseil comprenait vingt-deux membres parmi lesquels onze des principaux dirigeants du PS. L'écologiste René Dumont, en désaccord avec la politique africaine de, M. Mitterrand, avait donné sa démission dès le premier jour.


18 mars 1994
Témoignage Chrétien

Verts : le divorce

Suite aux différentes enquêtes et commentaires parus dans TC sur la situation au sein des Verts, nous avons reçu deux lettres. La première, datée du 28 février, est signée Antoine Waechter. La seconde est en date du 4 mars et nous est envoyée par Dominique Voynet. Nous les publions in-extenso tout en maintenant l'intégralité de nos écrits sur le mouvement écologiste.

L'écologie politique traverse depuis plusieurs années une crise d'identité, dont expression la plus concrète est l'affrontement de deux cultures politiques : écologiste d'un côté, socialiste de l'autre. Cet affrontement porte autant sur les priorités du message, sur les concepts et les mots utilisés que sur la stratégie et les objectifs à moyen terme. La simplification médiatique de cette dualité qualifie les premiers de "partisans du ni droite – ni gauche" et les seconds de "militants de l'alliance à Gauche". Le débat est récurrent depuis la naissance des Verts en 1984, mais il a pris une acuité nouvelle avec l'arrivée massive d'anciens militants du PSU, des comités Juquin et de dissidents du Parti communiste. Les adhérents de 1988 ne représentaient plus que 7 % des votants de l'assemblée générale de Lille !

À plusieurs reprises depuis deux ans, Dominique Voynet et moi-même, avec d'autres, avons publiquement posé la question de la viabilité d'une telle cohabitation.

À Lille, au mois de novembre 1993, s'est constituée une nouvelle majorité aussi hétéroclite que circonstancielle. Elle a d'ailleurs éclaté dès le premier vrai débat politique. Je représente 40 % des militants quand ma collègue Dominique Voynet ne réunit que 27 % des militants.

En deux mois, malheureusement la nouvelle majorité a accumulé les erreurs et contribue à l'accroissement des tensions. Là où il fallait privilégier le dialogue et la cohésion, elle a joué le monolithisme. Alors que pendant sept ans (1987-1993) le collège exécutif a été à l'image de la diversité du mouvement, la coalition de novembre 1993 a voulu 80 % des sièges. La liste européenne que je conduisais en 1989 était constituée à parité de membres de la majorité et de la minorité : en 1994, cette même liste est totalement monocolore ! Dominique Voynet, Yves Cochet et Andrée Buchmann ont participé aux Assises initiées par le PS, alors que le conseil national en avait décidé autrement…

L'implication des écologistes dans le vieux clivage Droite/Gauche, quel que soit d'ailleurs le camp choisi, est suicidaire pour l'écologie politique française, car elle la divise. l'inféode et appauvris singulièrement sa capacité à innover à se faire entendre de l'opinion publique.

La crise que traversent les Verts aboutira inéluctablement à une recomposition de l'écologie politique sans qu'il soit possible de dire aujourd'hui par quelles voies et quelles bases.

Antoine Waechter

Liste de la "gauche critique", liste "Voynet-Fiterman-Rocard", on en apprend tous les jours en lisant la presse (1). Afin d'éviter toute ambiguïté, je tiens à faire la mise au point suivante. Comme j'en ai rendu compte lors du dernier Cnir, un certain nombre de rencontres ont eu lieu ces derniers mois avec des partis politiques (Génération Écologie, AREV, ADS, etc.) en vue des élections européennes. Depuis le dernier Cnir, les propositions, demandes de rencontre, etc. ont continué d'affluer. Nous y avons répondu en précisant à chaque fois les décisions déjà prises par le Cnir et en rappelant qu'en tout état de cause seul le Cnir est habilité à trancher sur les postes d'ouverture, sur proposition du Collège exécutif.

Certes, une réunion rassemblant un certain nombre d'organisations (AREV, ADS, Refondation, MdC, LCR, Verts) a bien eu lieu, à laquelle une délégation de Verts a participé à la condition expresse que le but en soit un échange sur nos options programmatiques et qu'il ne soit pas question d'une quelconque liste commune. Malgré l'évolution nette de bon nombre de participants, notamment sur la question du productivisme, cette réunion a surtout permis de confirmer nos fortes divergences avec certaines organisations, notamment le Mouvement des Citoyens.

Des perspectives nouvelles sont par contre venues de Génération Écologie ou les positions de plus en plus balladuriennes de Lalonde semblent (enfin) (mot illisible) une large réprobation. Nous avons donc rencontré plusieurs représentants de GE afin de faire un état précis de la situation pour la réunion du Cnir. Enfin, quant aux annonces tonitruantes pour des listes Voynet-Fiterman-Rocard, elles n'ont pour but que de permettre à leurs auteurs de faire des coups médiatiques à peu de frais au profit de leurs rapports de force internes.

Dominique Voynet

(1) Pour un peu on se croirait presque aussi mal informé qu'un Premier ministre.