Texte intégral
E. Leenhardt : Par rapport aux bons chiffres sur le chômage, sur la croissance, considérez-vous que les choses sont en train de s'éclaircir ?
J. Chirac : Incontestablement, il a des signes positifs dans notre économie, et dont on voit une traduction en matière d'emploi. C'est un début, et j'espère qu'il y aura une suite plus importante.
A. Chabot : Cette reprise sera durable ou n'est-ce qu'un sursaut sans lendemain ?
J. Chirac : Difficile de porter un jugement, car les mécanismes internationaux sont relativement déréglés. Mais je ne suis pas pessimiste. Normalement, quand on voit ce qui se passe aux États-Unis, en Allemagne, on devrait pouvoir bénéficier de la reprise qui existe dans ces pays.
A. Chabot : Comment faire pour qu'il y ait une amélioration des chiffres du chômage et créer des emplois ?
J. Chirac : Le problème de cette rentrée, à quelques jours de la rentrée des classes, c'est de voir dans la situation de crise sociale que nous connaissons, et avec l'amélioration économique que vous évoquiez, comment on peut restaurer, rétablir, un véritable contrat social dans notre pays. Cela passe naturellement par une amélioration de l'emploi. Et, théoriquement, par un emploi pour chacun – ce qui est un objectif, hélas, lointain. Cela passe par une amélioration du logement, de la famille, de la santé, de la vieillesse, de l'éducation, c'est-à-dire toutes les préoccupations qui sont celles de nos concitoyens. Il y a, avec un peu d'imagination, des solutions concrètes à apporter à ces différents problèmes.
A. Chabot : Faites preuve d'imagination ! Sur l'emploi, comment faire ?
J. Chirac : La reprise n'est pas suffisante pour améliorer elle-même la situation de l'emploi. On le voit, car la situation à l'égard des jeunes continue à se dégrader. Ce qui est nécessaire c'est de créer une situation qui encourage les entreprises à créer davantage d'emplois. Le gouvernement a commencé, il y a d'autres choses à faire dans ce domaine, notamment en ce qui concerne la réduction des charges qui pèsent sur le travail. L'emploi est devenu trop rare pour qu'il soit écrasé par des charges. Il y a toute l'exploitation des emplois, des besoins nouveaux, qui ne sont pas satisfaits. Quand je propose que chaque chef de famille puisse déduire de ses revenus imposables, et donc de ses impôts, les sommes qu'il verse lorsqu'il embauche une personne pour s'occuper d'un enfant, d'une personne âgée, d'une personne handicapée, c'est coûteux, mais c'est beaucoup moins cher que de payer des chômeurs. Et c'est un moyen de créer des emplois et d'améliorer les conditions de vie. Il y a aussi le transfert d'un certain nombre de dépenses de pures indemnisations, donc un peu passives, en dépenses plus actives. Par exemple, nous avons beaucoup de cadres au chômage. À Paris, je vois le nombre important de cadres au chômage, et qui voudraient travailler ! Il y a beaucoup de PME qui n'ont pas les moyens de payer un cadre et qui, pourtant, en auraient besoin pour se développer et développer leurs activités. Il y des solutions à trouver pourvu qu'on veuille le faire. Le cadre peut être payé, à la fois, par l'entreprise et l'UNEDIC.
E. Leenhardt : Les 35 heures, êtes-vous favorable à la réduction du temps de travail ?
J. Chirac : J'ai souvent eu l'occasion de dire et d'écrire qu'il ne fallait repousser aucune solution. Mais je ne crois pas que la réduction du temps de travail soit une réponse au problème de l'emploi. Sauf dans des cas particuliers avec des expériences voulues auxquelles je suis favorable.
E. Leenhardt : L'abaissement des charges des entreprises : beaucoup reprochent aux entrepreneurs de ne pas créer véritablement des emplois. Faut-il faire une contrat entre les entreprises et le gouvernement ?
J. Chirac : Ce n'est pas cela le problème. L'emploi est rare aujourd'hui. Nous avons 5 millions de personnes en gros qui sont exclues du monde du travail, et donc cela crée une société où il y a des privilégiés et ceux qui ne le sont pas. Le travail est trop rare pour être taxé de façon excessive. Donc, il faut moins le taxer. Il y a un autre problème qui préoccupe les Français : le logement. Nous avons, dans notre pays, 7 à 800 000 SDF et plus de 2 millions de personnes qui sont mal-logées.
A. Chabot : Généralement, on ne s'en préoccupe que l'hiver ?
J. Chirac : C'est, hélas, trop vrai même s'il y a des mesures prises par la ville de Paris. Mais ce qui serait plus important, c'est de modifier notre système de construction et de financement des logements pour reconnaître à chacun un droit à être logé. C'est par l'effort financier que nous faisons que nous pourrons reconnaître un droit à être logé. Beaucoup de Français veulent accéder à la propriété. Ils ne le peuvent pas parce qu'on ne veut pas, ou parce qu'ils ont peur de ne pas pouvoir rembourser à cause de la crainte de l'emploi, éventuellement de la dissociation de la famille. Il faut aujourd'hui créer un nouveau type de prêt, adapté à cette situation – qui n'est pas celle du temps où on a créé notre système de financement et qui fasse en sorte que lorsqu'il y a un accident dans les revenus de celui qui a emprunté pour être propriétaire, on reporte les échéances. C'est un système peu coûteux et qui permettrait de relancer la construction individuelle et de dégager la pression faite par ces gens qui vont dans les logements sociaux locatifs, où ne peuvent plus entrer les plus démunis que l'on retrouve comme SDF. De la même façon, les locataires dans les logements sociaux, très souvent ne peuvent plus payer parce qu'ils sont au chômage, et là encore il faut faire un fonds qui garantisse le paiement des loyers lorsqu'il y a un accident. On a toute la possibilité de le faire. En clair, on peut donner à chacun son droit au logement.
E. Leenhardt : Qui nous parle ce soir, le maire de paris ou le candidat à l'élection présidentielle ?
J. Chirac : C'est J. Chirac qui vous parle, appuyé sur une certaine expérience. Je sais que vous êtes un jeune journaliste, mais je croyais que cette information était parvenue jusqu'à vous. Ces problèmes sont des problèmes auxquels on peut apporter des solutions, à condition d'avoir un peu d'imagination et de détermination.
E. Leenhardt : Toute la presse parle de la stratégie de J. Chirac, pourquoi vous ne dites pas que vous êtes candidat ?
J. Chirac : Si vous me demandez pourquoi je suis engagé, déjà depuis un certain temps, dans un débat qui va s'amplifier et qui concerne la façon de gouverner la France demain, la vision qu'on peut avoir de notre pays et de notre peuple, et la façon de résoudre ses problèmes, je vous dirai oui. Je suis candidat à ce débat, je l'ai engagé et j'y tiendrai ma place. Si vous me parlez de candidature à l'élection présidentielle, je vous répondrai que c'est une question prématurée. Si j'en crois ce que je lis dans le presse, j'observe dans les sondages qu'une très grande majorité de Français considèrent que ce n'est pas un sujet d'actualité. Je trouve qu'ils ont raison.
A. Chabot : Vous avez publié un livre, un second bientôt, un programme on le fait pour soi ?
J. Chirac : Je crois que le moment est venu d'essayer de réhabiliter la politique. Lorsqu'on regarde ce qui s'est passé depuis 15 ans, 25 ans, on s'aperçoit que la responsabilité du politique dans notre pays s'est considérablement affaiblie. La politique a été marginalisée et c'est le jeu des institutions qui a voulu cela, de la façon dont on les a appliquées. On a donné de plus en plus de pouvoirs aux techniciens. Je crois qu'on a eu tort, c'est très bien quand tout va bien, mais lorsque les choses vont mal, lorsqu'il y a crise, il faut de l'imagination, de la volonté, il faut avoir un sens politique, sentir et comprendre ce que veulent les Français, quels sont leurs véritables problèmes et donc chacun doit s'efforcer de réfléchir. Je réfléchis, je fais des propositions, je participe à un grand débat. Personne ne peut contester qu'il y a une crise en France, qu'il faudra bien en sortir d'une façon ou d'une autre.
E. Leenhardt : Vous vous fixez un calendrier pour les mois qui viennent ?
J. Chirac : Pour le moment, je le répète, je continue à essayer de réfléchir et de proposer aux Français des solutions à leurs problèmes. J'espère que cela les intéressera.