Interview de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "Libération" le 9 septembre 1994, sur son refus de l'extension des jachères décidée au niveau de la PAC et sur les affinités de la FNSEA pour le RPR et pour certaines options politiques de Philippe de Villiers.

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Luc Guyau hausse le ton contre la jachère

Le patron de la FNSEA refuse les sanctions imposées aux céréaliers français par Bruxelles. Le puissant syndicat agricole réclame une réduction du taux de la jachère obligatoire. Une requête reprise, hier à Bruxelles, par le ministre de l'Agriculture, Jean Puech.

Trois jours avant les 41èmes Championnats de France de labour, qui se tiennent samedi et dimanche à Landivisiau (Finistère) et préludent à la véritable rentrée sociale et économique du monde rural, Luc Guyau, président de la puissante Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA, regroupant près de 600 000 exploitations), a présidé hier un conseil national de son syndicat. Mardi dernier, il rencontrait son ministre de tutelle, Jean Puech, pour faire le point sur les grands dossiers du moment : augmentation des jachères, primes à l'hectare, bilan de la politique agricole commune (PAC), aides aux jeunes agriculteurs désirant s'installer, protection de l'environnement et… échéances électorales françaises à venir. Le message semble avoir été reçu 5 sur 5 car, hier soir à Bruxelles, le ministre français de l'Agriculture demandait officiellement à René Steichen, Commissaire européen à l'Agriculture, une réduction des taux de jachère en vigueur dans la Communauté. Ce qui n'empêche pas la FNSEA de hausser le ton.

Libération : Les producteurs français d'oléagineux et de céréales viennent d'être pénalisés pour avoir dépassé les surfaces de culture autorisées par la Politique agricole commune. Comment réagissez-vous à ces sanctions ?

Luc Guyau : Pas question d'être sanctionnés. D'abord parce que le marché des céréales s'est assaini et que les stocks d'intervention ont diminué de près de 50 %. Ensuite parce que nos principaux concurrents, les Américains, sont en jachère 0 et n'hésitent pas à produire de plus en plus. Enfin parce qu'en France, c'est l'augmentation de la surface en jachère (près de 300 000 hectares) qui est la cause du dépassement autorisé, non pas l'augmentation de la surface réellement cultivée. On en profite d'ailleurs pour demander que, dès cette année, la communauté réduise de manière significative le taux de la jachère obligatoire (15 % des terres, ndlr)… Il revient au gouvernement français de défendre cette position à Bruxelles. Sinon, l'action syndicale jouera.

Libération : La FNSEA va-t-elle appeler à de grandes manifestations de rues ?

Luc Guyau : Rien n'est exclu. Quand nous manifestons, c'est pour épauler la situation extrême d'une négociation. Si le gouvernement répond favorablement et rapidement à nos demandes, nous n'aurons aucune raison de le faire. Mais sur des sujets comme la jachère ou la gestion des terres, l'ambiance revient à la manif.

Libération : Quel bilan tirez-vous d'une année complète régie par la nouvelle Pac ?

Luc Guyau : Le plus négatif est la chape administrative et réglementaire qui pèse sur l'agriculture au moment où on veut avoir des exploitations gérées par des gens responsables. La mécanique bruxelloise est trop technocratique et très antidémocratique. Le point positif reste la meilleure maîtrise de la production qui a permis le raffermissement des cours, notamment sur les céréales. La Communauté doit désormais faire preuve de souplesse et réajuster ses directives en fonction du marché.

Libération : L'État met très régulièrement la main à la bourse pour aider les agriculteurs. N'avez-vous pas le sentiment d'être les chouchous du gouvernement ?

Luc Guyau : C'est vrai que nous obtenons des résultats. Les petites retraites agricoles sont par exemple enfin mises au niveau du RMI. Mais la réforme des cotisations sociales n'est pas terminée, le pouvoir d'achat de certains agriculteurs continue de régresser et l'aménagement du territoire n'est pas achevé.

On ne fait pas de cadeau gratuit aux agriculteurs ! Quand l'État donne de l'argent à Air France, par exemple, on dit : "C'est pour l'entreprise et les emplois". Mais quand le même État donne à l'agriculture, on dit : "Ça va dans la poche des agriculteurs" ! Moi, je dis que quand l'État fait un cadeau à l'agriculteur, c'est en fait un cadeau à toute la société car le maintien de la vie et de l'animation dans les campagnes est au service de tout le monde, citadins compris.

Il est vrai que notre principal interlocuteur reste les pouvoirs publics… À nous de diversifier les contacts avec ceux, grande distribution ou autre, qui assurent la valeur ajoutée à notre production. Si on n'y prend pas garde, on se battra demain avec l'État en lui disant : "Diminuez les charges, diminuez les charges", alors que de l'autre côté, la valeur ajoutée fichera le camp en permanence !

Libération : Votre syndicat a traditionnellement apporté son soutien aux partis de droite, et notamment au RPR. Est-il le reflet des options politiques des agriculteurs français ?

Luc Guyau : Nous sommes perçus comme cela parce que, en vérité, la majorité des agriculteurs sont d'obédience de droite. Pour plusieurs raisons : notre type d'entreprise nous rend plus sensibles aux partis plus entreprenants. Et puis, il faut reconnaître qu'un ministre de l'Agriculture comme Jacques Chirac (1973-74, ndlr) a été dynamique, a montré son intérêt pour le domaine et… est tombé à une époque dorée pour le prix des produits agricoles. Les agriculteurs s'en souviennent.

Si je me fie par ailleurs aux négociations de la PAC et des Accords sur le commerce international (Gatt), le gouvernement Balladur a été plus performant que le précédent conduit par le tandem Bérégovoy-Mermaz.

Libération : Vous avez vous-même plusieurs fois exprimé votre sympathie pour Philippe de Villiers. Vous considérez-vous comme un homme de droite ?

Luc Guyau : Dans le département de la Vendée, le mien, Philippe de Villiers, en tant que président du conseil général, a donné du souffle à l'image du département. Pour le reste, il passe dans la catégorie des hommes politiques nationaux et là, il y a des points que je peux partager avec lui, notamment sur l'Europe et la préférence communautaire… En revanche, son cheval de bataille est anti maastrichtien, alors que la FNSEA est pro-européenne car, qu'on le veuille ou non, le développement de l'agriculture s'est fait grâce à L'Europe. Là où je rejoins De Villiers, c'est sur le fonctionnement antidémocratique de la Communauté qu'il faut changer.

Il est sûr que si on laisse faire le libéralisme économique, il n'y aura plus d'agriculture ! Mais d'un autre côté, faire du social sans économie, c'est pas tenable. Il va falloir créer un nouveau parti !

Libération : C'est un peu ce que propose De Villiers…

Luc Guyau : (rire). Oui, oui.

Libération : Balladur, Chirac, De Villiers, Delors… Quel est votre meilleur candidat à la présidentielle ?

Luc Guyau : Tout candidat qui ferait campagne sans prendre en compte les intérêts des agriculteurs serait de toute manière à côté de la plaque. Lorsqu'ils se seront officiellement déclarés, nous prendrons contact avec tous les candidats et nous transmettrons nos impressions à nos adhérents. Pour l'heure, nous agissons au niveau parlementaire et gouvernemental pour que chacun comprenne les mesures qu'il doit prendre.

Un candidat pressenti est au gouvernement, l'autre n'y est pas mais est majoritaire à l'Assemblée nationale… À eux de jouer. Nous croyons pour notre part plus aux promesses tenues avant les élections qu'à celles qu'on prétend tenir après.

Libération : Vous vous entendez bien avec Jean Puech, votre ministre de tutelle ?

Luc Guyau : C'est un interlocuteur attentif mais le ciel se charge. Il arrive un temps où il faut mettre un peu plus les points sur les i. Un ministre, ça fait de la technique mais ça fait aussi de la politique… Il faut qu'il sache se projeter dans l'avenir et qu'il n'oublie pas qu'il va aborder une tâche importante mais extrêmement délicate puisqu'il sera président du Conseil des ministres européens de l'Agriculture au début 1995, en pleine campagne électorale française. Faut reconnaître que c’est pas forcément la meilleure période !