Interview de M. Valéry Giscard d'Estaing, président de l'UDF, dans "Le Journal du dimanche" le 17 avril et article dans "Le Monde" le 21 avril 1994, sur sa proposition d'un référendum sur "le quinquennat dès 1994", avant les élections présidentielles de 1995.

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Média : Le Journal du Dimanche - Le Monde

Texte intégral

Le Journal du Dimanche : 17 avril 1997

Le Journal du Dimanche : En vous adressant au Premier ministre comme vous venez de le faire après son discours d'Aurillac au colloque Pompidou, ne cherchez-vous pas à le prendre au mot ?

Valéry Giscard d'Estaing : Ce n'est pas pour le prendre au mot. Je pense qu'il s'agit là d'une réforme indispensable qu'il faut faire avant l'élection présidentielle. Puisque le Premier ministre se dit favorable à cette réponse – ce dont je me réjouis – il faut la mener à son terme.

Il faut replacer cette question sur un plan historique. Rappelez-vous : Georges Pompidou, juste après les élections législatives de 1973, a adressé un message au Parlement pour demander que l'on ramène le mandat présidentiel de sept à cinq ans, qualifiant cette réforme de « réforme la plus importante » de son programme. Le gouvernement Messmer, dont je faisais partie, a déposé alors un projet de loi qui a été voté par l'Assemblée nationale et par le Sénat. Il ne restait plus qu'à achever cette réforme. La procédure normale devait être le référendum, à moins que le Président décide d'adresser le projet au Congrès.  Georges Pompidou ne l'a pas envoyé au Congrès car il eut manqué 18 voix pour obtenir la majorité des trois cinquièmes. Nous étions alors en octobre 1973, six mois avant sa mort, et il a hésité à user du référendum.

Le Journal du Dimanche : Vous-mêmes, vous n'avez pas réalisé cette réforme…

Valéry Giscard d'Estaing : J'y étais favorable mais je me suis engagé à l'époque où j'ai été élu, devant certaines craintes de la partie gaulliste de ma majorité, de ne rien changer à l'institution présidentielle pendant mon septennat. J'ai tenu parole. En 1981, délivré de cet engagement, j'ai annoncé pendant ma campagne que je m'engageais à réaliser la réforme du quinquennat. Je n'ai cessé de militer pour cette réforme. Le monde va très vite. Cinq ans, c'est aujourd'hui la durée standard des Présidents dans le monde.

Le Journal du Dimanche : Ne craignez-vous pas, vous qui êtes un Européen convaincu, de perturber l'élection du 12 juin en ajoutant à ces préoccupations européennes une question de politique intérieure ?

Valéry Giscard d'Estaing : C'est un point secondaire : ce n'est là qu'une suggestion pratique. Si on voit un inconvénient à faire ces deux importantes consultations le même jour, je n'insisterai pas. Simplement, on sait qu'il est parfois plus sage de faire des votes simultanés pour ne pas faire voter les Français tous les mois. Cela s'est passé en France quand on a voté le même jour pour les élections régionales et législatives en 1986. Ça s'est très bien passé. Dans des pays voisins, on vote souvent pour des élections parlementaires en même temps qu'on répond à des référendums.

Le Journal du Dimanche : Si l'on regroupe deux élections, ne serait-il pas plus logique de faire voter les Français sur la durée du mandat présidentiel en même temps que l'élection présidentielle ?

Valéry Giscard d'Estaing : C'est une solution. L'essentiel c'est de faire cette réforme avant l'élection du prochain Président de la République, sinon elle retombera encore dans la trappe. Nous avons devant nous un délai d'un an, et je reviendrai souvent sur ce sujet ! Proposer de faire le référendum sur le quinquennat en même temps que l'élection présidentielle est une solution qui mérite qu'on y réfléchisse.

On commémore en ce moment le vingtième anniversaire de la mort de Georges Pompidou. Comme la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans a été la dernière volonté politique qu'il a exprimée, je pense que la réalisation de cette réforme serait une sorte de témoignage de reconnaissance et de continuité.

Le Journal du Dimanche : Tout le monde est partisan de cette réforme depuis plus de vingt ans. Les obstacles sont-ils seulement techniques ?

Valéry Giscard d'Estaing : On invoque une idée théorique qui s'oppose à cette réforme. Certains craignent qu'en ramenant la durée du mandat du Président à cinq ans on l'affaiblisse par rapport à l'Assemblée Nationale dont le mandat est de cinq ans. Cet argument est démenti par la réalité. Depuis 1981, dans les faits, on vit sur le régime du quinquennat plus la cohabitation. Ainsi avons-nous connu un quinquennat de 1981 à1986, puis deux ans de cohabitation. On voit bien combien cette cohabitation paralyse la vie du pays.

Le Journal du Dimanche : Vous avez adressé une lettre au Premier ministre, pourquoi pas au Président ?

Valéry Giscard d'Estaing : En dehors de mon expérience personnelle, je n'ai pas de fonction constitutionnelle pour m'adresser au Président de la République. Selon la constitution, la réforme de la constitution peut être engagée sur proposition du Premier ministre. Je m'adresse donc à lui, en lui demandant de la mener à son terme.


Le Monde : 17 avril 1997
Le quinquennat dès 1994

En prenant position, à Aurillac, en faveur du quinquennat présidentiel, le Premier ministre a replacé cette question au centre de l'actualité politique. À un an de la prochaine élection présidentielle, il est important pour les Français de savoir s'ils éliront leur Président de la République pour sept ans ou pour cinq ans.

Désormais, le débat est enserré entre trois textes :

La déclaration initiale du Président Georges Pompidou. Celui-ci, s'adressant à l'Assemblée nationale qui venait d'être élue, a annoncé dans un message lu, le 3 avril 1973, par le Président Edgar Faure : « Il ne m'appartient pas de définir devant vous les réformes que vous proposera le gouvernement. Il en est une, cependant, que je dois évoquer, car elle touche directement à ma fonction. Je veux parler de la durée du mandat présidentiel. Hostile à la coïncidence des élections législatives et présidentielle, que le droit de dissolution rend d'ailleurs illusoire, je n'en crois pas moins, depuis longtemps, que le septennat n'est pas adapté à nos institutions nouvelles, et ma propre expérience m'a confirmé dans cette idée…  La coopération du gouvernement et du Parlement devrait, sur un tel sujet, trouver à brefs délais l'occasion de se manifester de façon éclatante. »

Quel plus bel hommage le gouvernement et le Parlement pourraient-ils rendre au Président Georges Pompidou, au moment du vingtième anniversaire de sa mort, que de conduire jusqu'à son terme la réforme à laquelle il les avait appelés avec autant d'insistance ?

Le deuxième texte est celui de la « Lettre à tous les Français », dans laquelle François Mitterrand décrit, en avril 1988, les engagements qu'il prend pour son deuxième septennat. Dès la troisième page, il aborde le sujet du quinquennat. Il rappelle l'historique du projet, puis il ajoute : « Pour ne pas être accusé de considérations personnelles, je ne prendrai pas l'initiative. Mais si une large majorité parlementaire et le gouvernement s'accordent sur le mandat à cinq ans, j'y souscrirai. »  Cette seule phrase figure en caractère gras dans la colonne qui résume le contenu de la lettre. Il est vrai que François Mitterrand ajoute, dans la suite du texte, une condition restrictive « à la seule condition que le mandat ainsi réduit ne soit renouvelable qu'une fois », mais il n'ignore pas que l'introduction d'une telle clause obligerait à reprendre toute la démarche entamée par Georges Pompidou.

Le dernier texte est celui d'Édouard Balladur à Aurillac : « Par la réforme du quinquennat, a-t-il déclaré, Georges Pompidou voulait rendre nos institutions encore plus démocratiques, permettre au peuple de se prononcer à intervalles plus courts, et mieux garantir l'équilibre des pouvoirs. Cette réforme inachevée garde à mes yeux toute son utilité. » Et, dans la lettre qu'il m'a adressée le 16 avril, le Premier ministre allait plus loin en écrivant : « Je suis comme vous-même convaincu qu'il s'agit d'un changement nécessaire. »  

Ainsi, il s'agit d'une réforme souhaitée par un Président de la République à l'inspiration duquel beaucoup se réfèrent aujourd'hui, jugée nécessaire par l'actuel chef du gouvernement et à laquelle le Président de la République en exercice est prêt à souscrire ! Il faut, maintenant, l'achever.

Quelle démarche entreprendre pour aboutir ? Deux questions se posent : l'une sur la procédure, l'autre sur le calendrier.

Il existe deux voies possibles pour la réforme : la voie de l'article 89 de la Constitution, qui est celle du référendum : « La révision est définitive, après avoir été approuvée par référendum » ; et la voie alternative, ouverte à la décision du Président de la République, consistant à soumettre le projet au Parlement convoqué en congrès.

Dans le cas du quinquennat, la voie du référendum me paraît être la plus appropriée. Il s'agit, en effet, de modifier un article de la Constitution – celui qui prévoit l'élection du Président de la République au suffrage universel – qui a été adopté lui-même par référendum en 1962. Et le sujet traité, celui de la durée du mandat du Président qu'ils sont appelés à élire, concerne directement tous les citoyens. Pour pouvoir utiliser le référendum, il faut, évidemment, s'en tenir au texte déjà adopté en termes identiques par les deux Assemblées. Sinon, toute la procédure serait à reprendre.

La deuxième question concerne la fixation de la date du référendum. N'en exagérons pas l'importance. Il s'agit d'un problème pratique. La question posée aux électeurs sera simple – le choix d'une durée de mandat –, dont les arguments pour ou contre ont été débattus publiquement depuis vingt ans et à laquelle il suffit d'apporter une réponse par « oui » ou par « non ». Si j'ai évoqué, comme une hypothèse, la possibilité d'organiser ce référendum le jour prévu pour l'élection européenne, c'est pour une simple raison de commodité et pour répondre à l'avance à l'argument qu'il ne faut pas obliger les Français à des votes trop fréquents.

Il n'est évidemment pas question de lier entre eux deux problèmes de nature totalement différente, l'un interne et l'autre externe, et qui donneront lieu pour les électeurs à des gestes facilement distingués : un vote par « oui » ou par « non », et le choix d'une liste à la proportionnelle. Le Premier ministre y voit certains inconvénients. Dans ce cas, il faut rechercher et proposer une autre date.

Certains journalistes ont avancé l'idée qu'on pourrait faire coïncider le référendum avec l'élection présidentielle elle-même. Les électeurs pourraient, ainsi, élire le Président de la République et fixer, en même temps, la durée de son mandat. Je ne suis pas certain que le Conseil constitutionnel donnerait son accord à cette solution. Il faudrait s'en assurer avant de la proposer. Car le Conseil constitutionnel, chargé de veiller à la régularité de l'élection présidentielle, pourrait s'inquiéter du fait que la simultanéité des deux votes pourrait influencer sur le choix des candidats, en fonction de l'attitude qu'ils prendraient au sujet du quinquennat.

Quelles que soient ces considérations, une chose est certaine : la réforme du quinquennat doit intervenir dans l'année qui nous sépare de la prochaine élection présidentielle. Il faut fixer la règle du jeu avant d'engager la partie. C'est au gouvernement, convaincu de la nécessité de cette réforme, de nous en proposer les modalités.

Pourquoi, me direz-vous, tant insister sur une réforme institutionnelle si éloignée des préoccupations quotidiennes des Français, angoissés et affolés par la menace du chômage ? C'est, d'abord, parce que cette réforme est bonne en elle-même : elle réduit l'écart entre le temps de la vie moderne, qui va très vite, et le temps de la vie politique, qui évolue plus lentement ; elle permet une respiration plus régulière de notre système démocratique ; et elle rend moins conflictuel le passage du relais entre les générations.

J'ajouterai une autre réponse : la modernité ne se divise pas ! Si notre milieu politique ne se montre pas capable de conduire jusqu'à son terme une réforme de modernisation de nos institutions, jugée souhaitable et nécessaire par les plus hauts responsables, et attendue par une très large majorité de l'opinion, comment croire qu'il pourra réussir davantage les grandes réformes, s'attaquant aux tabous, qui nous sont indispensables pour revenir vers le plein emploi et pour aborder la fin du siècle dans la confiance et l'activité retrouvées ?

C'est pourquoi il faut conclure en 1994 la réforme du quinquennat.