Interview de M. Lionel Jospin, membre du PS, à TF1 le 18 septembre 1994, sur l'interdiction du foulard islamique à l'école, l'engagement de François Mitterrand dans la résistance, la candidature de Jacques Delors aux présidentielles et le problème de la protection sociale.

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Média : TF1

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C. Chazal : Est-ce que vous jugez que la circulaire interdisant le port du foulard islamique à l'école est inquiétante ?

L. JOSPIN : Le foulard islamique n'a pas normalement sa place à l'école, mais quand j'ai été confronté à ce problème il y a quatre ou cinq ans – j'ai été confronté au problème posé par quelques dizaines de jeunes filles et je crois pas que les chiffres soient tellement plus nombreux maintenant. Comme nous sommes dans un État de droit, je me suis tourné vers la plus haute autorité judiciaire administrative de ce pays, le Conseil d'État, pour demander dans quel cadre je pouvais agir et il m'a été dit très clairement que le droit ne permettait pas d'interdire purement et simplement, sans autres motifs, un signe religieux quel que soit ce signe religieux. Par contre, s'il y avait prosélytisme, volonté de propagande, d'imposer quelque chose, notamment une présence peut-être intégriste derrière, alors on pouvait interdire et on pouvait éventuellement exclure. C'est dans ce cadre que j'ai agi, ce cadre de droit n'a pas changé à ma connaissance. J'espère simplement qu'on va pas réveiller un problème qui, jusqu'ici était relativement apaisé et traité.

C. Chazal : Votre sentiment sur toutes ces révélations sur le président de la République, ces derniers temps ?

L. JOSPIN : Dans les périodes tragiques, ce sont des minorités d'hommes et de femmes qui se mettent en mouvement. Les choses bougent ensuite. En France, elles ont bougé quand il y a eu la révélation des rafles contre les juifs, et quand l'espoir a commencé à poindre par les victoires des Alliés. Sur l'acte essentiel d'engagement F. MITTERRAND a été un résistant. Je me suis exprimé sur cette question, car il y a des valeurs qui doivent être défendues par les socialistes. Mais l'engagement de F. MITTERRAND dans la résistance est fondamental. Le reproche de M. PASQUA est injuste. Le Général DE GAULLE a aussi eu dans le mouvement gaulliste un homme comme M. PAPON. M. POMPIDOU a gracié Monsieur TOUVIER. Par les actes qui ont été faits en direction de la communauté juive, par les actes qu'il a fait pour la résistance, le président de la République a clairement indiqué quel était son choix. La résistance ce n'est pas seulement réprouver un régime de pression, c'était aussi poser les fondements d'une nouvelle conception de la république et de la démocratie, plus sociale, plus progressiste. Quand F. MITTERRAND, hier, à Bayonne, défend la sécurité sociale, créée en 1945 dans l'esprit de la charte du comité national de libération, il s'inscrit véritablement et fait vivre, aujourd'hui, le message de la libération.

C. Chazal : On lui reproche certaines fidélités comme celle de R. BOUSQUET ?

L. JOSPIN : On a vu que les vies individuelles pouvaient être complexes. Il s'est exprimé sur ce qui concerne Monsieur BOUSQUET. Lorsqu'il a su ce qu'était réellement la responsabilité de BOUSQUET, il avait cessé de le voir.

C. Chazal : Cela peut-il laisser des traces profondes au PS ?

L. JOSPIN : Je ne le pense pas. J'ai dit que ces problèmes ne devaient pas être au cœur de nos débats. Le PS doit adopter lors de son prochain congrès des positions claires, faire des propositions qui intéressent les Français, et il faut qu'il tente de se rassembler. C'est le message que je vais développer. Mais tout ce qui pourrait aller dans le sens de la banalisation de Vichy nous devons le rejeter.

C. Chazal : H. EMMANUELLI a dit : J. DELORS a le maximum de chances de donner la victoire aux socialistes.

L. JOSPIN : C'est ce que nous indiquent les enquêtes d'opinion. Nous attendons que J. DELORS donne son sentiment. Il attend. Il a des responsabilités à assumer à la présidence de la commission de l'Union européenne. En attendant, nous pouvons réfléchir aux propositions des socialistes. Il n'y a pas de contradiction entre ce que ferait les socialistes et ce que ferait un éventuel candidat – J. DELORS par hypothèse.

C. Chazal : Les acquis sociaux sont menacés ?

L. JOSPIN : Le problème de la protection sociale ne se résume pas à celui du déficit – qui, d'ailleurs, se creuse avec le gouvernement actuel. Au nom du libéralisme, on a la tentation de donner aux compagnies d'assurances privées. Nous avons le devoir fondamental de défendre une conception de la solidarité pour tous et non pas une assurance que peuvent s'offrir les plus favorisés. Bien entendu, le thème du social revient, mais sur des questions comme celles-là, il y a des différences fondamentales entre les partis conservateurs et nous.