Interview de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR, dans "Le Parisien" le 4 juillet 1998, sur sa passion pour le football.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Le Parisien
– Quand un homme politique avoue sa passion pour le football, n’est-ce pas aussi de la démagogie ?

Nicolas Sarkozy
– Je ne me suis jamais posé cette question. J’aimais le football bien avant de faire de la politique et avant que le Mondial français ne commence. La vraie question est la suivante : est-ce que j’aime plus le football que la politique ?

Le Parisien
– Et alors ?

Sarkozy
– C’est possible.

Le Parisien
– Le foot peut abolir les clivages entre les hommes politiques ?

Sarkozy
– La politique ne doit pas aveugler les rapports humains. On peut apprécier des hommes et des femmes qui n’ont pas les mêmes opinions que vous. Je ne suis pas certain que, pour partir en vacances avec quelqu’un il suffit d’être scrupuleusement d’accord avec lui sur les conditions de la réforme de la sécu.

Le Parisien
– Parlez-vous volontiers de sport avec vos adversaires ?

Sarkozy
– Oui, bien sûr. Je vais au Parc des Princes tous les quinze jours pour voir le PSG. À cette occasion, je rencontre fréquemment Jean-Marie Le Guen (NDLR : député PS de Paris) ou François Hollande. Avec Jacques Delors, en revanche, je parle cyclisme.

Le Parisien
– Chirac et Jospin étaient hier dans les tribunes du Stade de France. Les Bleus sont-ils devenus un enjeu de la cohabitation ?

Sarkozy
– Le sport en général et le football en particulier sont des éléments de la cohésion nationale à laquelle un responsable politique ne peut rester insensible. C’est formidable de voir un stade se lever pour cirer « Allez les Bleus ! », alors que cette équipe est composée de joueurs d’origine arménienne, algérienne, canaque, basque ou ghanéenne.

Le Parisien
– À quand remonte votre passion pour le football ?

Sarkozy
– Je ne sais pas, mais d’aussi loin que je me souvienne, je suis un lecteur de « l’Équipe ». Quand j’étais au collège, près du parc Monceau, au début des années soixante-dix, je collectionnais les pièces jaunes pour l’acheter.

Le Parisien
– Vous ne lisiez que les articles concernant le football ?

Sarkozy
– Ouh la la !... Ma situation est bien plus grave. Je suis un amoureux du sport et, à l’intérieur du sport, le football est mon sport préféré.

Le Parisien
– Votre parents ont-ils encouragé cette passion ?

Sarkozy
– Pas du tout. Mon père m’a emmené un fois au stade, mais ma mère et mes frères n’aimaient pas ça. C’était une passion plutôt solitaire. J’allais à Saint-Ouen voir le Red Star ou au Parc des Princes. Je me souviens d’avoir applaudi un arrière gauche du nom de « Tchouki » Djorkaeff. Et maintenant, quand je vois jouer mon fils, Youri, je comprends que j’ai vieilli. J’ai toujours aimé aller au Parc des Princes suivre le PSG des différentes époques. J’ai presque plus de plaisir à suivre un match anonyme du championnat qu’une rencontre de prestige. J’aime le jeu. J’aime les joueurs au point d’être devenu l’ami d’un certain nombre d’entre eux.

Le Parisien
– Lesquels ?

Sarkozy
– Daniel Bravo. C’était mon joueur préféré. Un homme de cœur et de courage. Nous sommes même partis ensemble en vacances, il y a deux ans. J’ai eu la prétention de suivre le même entraînement que lui. Au bout de quinze kilomètres de vélo, il m’a regardé et m’a dit : « Ah ! On commence vraiment à faire un truc intéressant. » Moi je tirais la langue. Là encore j’ai pris un coup de vieux.

Le Parisien
– Enfant, vous étiez seulement spectateur ou jouiez-vous aussi ?

Sarkozy
– Oh ! Comme ça, dans les cours d’école ou de collège. Mais je n’ai jamais fait partie d’une équipe. Je suis un supporter passionné et praticien occasionnel. Aujourd’hui je joue avec mes fils, pour l’Olympique de Neuilly naturellement.

Le Parisien
– Et alors, qui gagne ?

Sarkozy
– Ce sont eux, bien sûr.

Le Parisien
– Comment jugez-vous le Mondial au bout de trois semaines de compétition ?

Sarkozy
– Je le trouve très beau. D’abord, il y a des buts. Ensuite la confrontation des styles est admirable. Par exemple, je me suis régalé en suivant la rencontre Nigeria-Bulgarie. Autre enseignement : les grandes équipes sont au rendez-vous et les petites se sont avérées plus fortes qu’on ne le croyait. Enfin on constate la force do football européen, même si cela se fait, hélas ! au détriment de l’Afrique. J’aurai tellement aimé qu’une équipe africaine parvienne en quart ou en demi-finale.

Le Parisien
– Les hooligans n’ont-ils pas terni la fête ?

Sarkozy
– On est effaré par le comportement bestial d’un certain nombre d’individus. La violence dans le sport est d’autant plus intolérable qu’il est le domaine de la famille, de l’enfance, de la convivialité. Voir des gens qui se comportent comme des bêtes en frappant un homme à terre, ça me porte le cœur au bord des lèvres.

Le Parisien
– L’équipe de France a été d’abord décriée, puis félicitée. Vous l’avez toujours soutenue ?

Sarkozy
– Je fais partie des rares qui ont soutenu Aimé Jacquet dès le départ. Il a préparé son Mondial dans un contexte extrêmement difficile où rien ne lui a été épargné. C’est un homme réfléchi, modeste, pondéré, travailleur et qui n’aime pas l’esbroufe. Il est parvenu à faire travailler ensemble des joueurs à fortes personnalité évoluant dans des championnats différents. À mes yeux, c’est déjà beaucoup de qualités et une réussite.

Le Parisien
– Certains d’ailleurs n’hésitent pas à comparer Jacquet à Jospin…

Sarkozy
– Ça, c’est cruel pour Jacquet.