Texte intégral
Propos du ministre des Affaires Étrangères, M. Alain Juppé, à la presse (Paris, 17 mai 1994)
Je suis extrêmement surpris du tumulte – enfin, toutes proportions gardées – que fait cette affaire. Je vais vous dire combien de fois ce ministre a obtenu des visas. Il en a eu le 2 septembre 1992, le 13 décembre 1992, le 23 mars 1993, le 9 janvier 1993, et ainsi de suite. Il s'agit du ministre des Affaires étrangères d'un pays avec lequel la France n'a pas rompu ses relations diplomatiques. Et quand il demande à transiter par Paris entre deux escales, comme c'était le cas aujourd'hui, je ne vois pas au nom de quoi nous refuserions ce transit. Cela a été accepté à de très nombreuses reprises depuis plusieurs années. Est-ce à dire que la France a changé en quoi que ce soit son attitude vis-à-vis de la Libye ? Évidemment non. Nous sommes parmi les plus exigeants sur l'application des résolutions du Conseil de sécurité, et en particulier sur la poursuite du processus judiciaire qui doit permettre de juger les coupables ou les présumés coupables de l'attentat qui a été perpétré contre l'avion français d'UTA. Donc de ce point de vue-là, c'est vraiment une non-affaire.
Q. : A-t-il eu des contacts au ministère des Affaires étrangères ?
R. : En aucune manière.
Q. : Les familles sont très choquées …
R. : Ce qui choqueraient les familles des victimes, c'est que la France change de position et cesse de faire toutes les actions qu'elle mène pour obtenir que le gouvernement Libyen s'exécute et laisse partir le présumé (coupable ?). Cela, ce serait choquant, mais je peux vous assurer qu'il n'en est strictement rien, et d'ailleurs je me tiens en étroit contact très fréquemment avec les organisations qui représentent les familles, avec certaines d'entre elles, pour les tenir au courant des démarches que nous avons faites. Je vous rappelle que la France a été particulièrement active pour l'adoption, il y a quelques mois, d'une nouvelle résolution du Conseil de sécurité qui a encore durci les sanctions vis-à-vis de la Libye, notamment dans le domaine financier et dans le domaine parapétrolier. Et nous les appliquons avec la plus extrême rigueur. Donc, je le répète, cette affaire pour moi est une non-affaire, c'est le transit par Paris d'un ministre d'un pays avec lequel nous avons toujours des relations diplomatiques. Le contraire eût été très surprenant, à avoir que nous lui refusions le libre passage, comme il l'a eu depuis plusieurs années à de multiples reprises.
Réponse du ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé, à une question d'actualité (Assemblée nationale, 18 mai 1994)
Monsieur le député, je voudrais d'abord avoir une pensée pour les familles des 170 victimes de l'attentat qui a été perpétré, le 19 septembre 1989, contre un avion d'UTA.
J'entends dire : « Il est temps ». Je ne voudrais pas polémiquer sur ce genre de situation, monsieur le député.
L'une des premières choses que j'ai faites, sans attendre votre exhortation, lorsque j'ai été nommé ministre des Affaires étrangères a été de recevoir les familles des victimes et, en particulier, la présidente de l'association SOS attentats qui s'intéresse à juste titre à ce dossier. Et je les ai reçues à deux reprises.
Je leur ai indiqué que la France était tout à fait déterminée à obtenir que les suspects soient traduits devant la justice française. Ce n'étaient que des mots, il y a eu des actes.
En effet, c'est l'initiative de la France, et malgré certaines difficultés, que l'été dernier une nouvelle résolution du Conseil de sécurité a frappé la Libye de nouvelles sanctions sur les avoirs financiers et, surtout, sur les équipements parapétroliers. Et nous appliquons strictement ces sanctions.
Nous avons très clairement informé le gouvernement libyen qu'aucun assouplissement ne serait apporté à ce régime de sanctions très strict tant qu'il n'aurait pas donné satisfaction aux exigences légitimes du juge d'instruction français, qui demande la traduction, dans son cabinet, à Paris, des suspects qu'il a identifiés dans cet attentat. C'est la position constante de la France qui ne variera pas d'un centimètre.
J'en viens maintenant au visa monsieur Gest. Je n'ai pas appris par la presse l'octroi d'un visa pour la bonne raison que c'est la dixième fois depuis deux ans que les différents ministres des Affaires étrangères libyens transitent par Paris.
Pourquoi ? Parce qu'en effet, au lendemain de l'attentat, – c'était en 1989 –, puisqu'au lendemain des premières résolutions du Conseil de sécurité contre la Libye – c'était en 1992 – nous n'avons pas rompu nos relations diplomatiques avec la Libye, que je sache. Donc dans la mesure ou un ministre d'un pays avec lequel nous avons des relations diplomatiques demande à transiter par Paris, il a son visa et continuera à l'avoir conformément au droit international.
Il va de soi que le gouvernement français n‘a pris aucune espèce de contact et ne prendra d'autres contacts, que ceux nécessaires pour faire appliquer les résolutions du Conseil de sécurité à obtenir, par la persévérance de son action, que les suspects soient traduits devant la justice française.