Interviews de M. René Monory, président du Sénat, à France 2 le 9 mars 1994, à France-Inter le 23, sur le contrat d'insertion professionnelle, la Chine, la préparation des élections présidentielles et le résultat des élections cantonales.

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Média : France 2 - France Inter

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G. Leclerc : Vous revenez d'un voyage en Chine, quelles impressions retirer de sa situation économique ?

R. Monory : C'est un changement profond. Le conseil que je donnerais à tous les hommes politiques, c'est d'aller faire un tour en Chine pour bien voir ce qui se passe et comprendre mieux pourquoi on ne fait plus de croissance dans les pays occidentaux. C'est un pays qui est en plein boum. Les villes sont des villes champignons. C'est fabuleux mais ça donne à réfléchir et ça ouvre aussi des portes formidables pour les marchés occidentaux.

G. Leclerc : Est-ce que les entreprises françaises sont présentes ?

R. Monory : À mon avis, sur les petits contrats, on continue à faire un certain nombre de transactions mais ce n'est pas très important. J'engage beaucoup les Français à aller là-bas, concevoir des accords avec les Chinois, faire des petites sociétés. Il y a beaucoup à faire. Mais ce que je regrette surtout, c'est que la présence physique des Français, par rapport aux Allemands, est au moins quatre ou cinq fois moins importante. Il faudra un jour que le gouvernement décide une grande action sur le plan international pour aider les gens qui s'expatrient parce que dans l'ensemble du monde et la Chine en particulier, nous ne sommes pas assez présents physiquement et les Chinois en ont besoin, ce sont des gens qui sont assez lents à décider. Il faut une pression discrète mais permanente, c'est ce qui est important.

G. Leclerc : Il y avait eu des différends politiques, c'est réglé ?

R. Monory : Mon voyage avait un peu ce but, je l'ai fait en plein accord avec le Premier ministre qui lui-même va aller bientôt en Chine et je crois pouvoir dire qu'on a aplani à peu près toutes les difficultés et qu'il n'y a plus d'ombres maintenant. Le Premier ministre pourra revenir maintenant avec un climat rassuré. Cela dit, il ne faut pas faire d'erreur, ce sont des gens difficiles, ils n'ont pas le même tempérament. Il faut comprendre leur culture et s'adapter à cette culture. Tout n'est pas parfait en Chine, mais c'est certainement le pays le plus capitaliste sur le plan économique et encore naturellement un régime plus autoritaire que les pays occidentaux. Mais il faut savoir que quand on vous parle là-bas, quand on vous fait voir une usine, on ne vous parle que d'argent. Les capitalistes chez nous ne tiennent pas un discours aussi avancé je dirais.

G. Leclerc : Il y a une vive polémique autour du CIP. Globalement, qu'en pensez-vous ?

R. Monory : Tout d'abord, je suis pour la formule de mettre en place les jeunes qui sortent de l'école quel que soit leur niveau pour apprendre la culture de l'activité, la culture de l'entreprise. Tout jeune qui sort du système scolaire n'est pas toujours utilisable complètement. Il ne s'agit pas de les faire travailler 39 heures et les payer 20 heures ou 30 heures. Il s'agit de les faire payer 25 ou 28 heures et les faire travailler 25 ou 28 heures et leur donner une formation. Cette formation, ce sera six mois, un an, deux ans, c'est ce que j'avais préconisé. Peut-être peut-on reprocher que la présentation n'a pas été précise mais cela dit, sur le plan de l'orientation, je crois que le Premier ministre avait parfaitement raison, c'est un peu dommage que notre société soit bloquée. Il ne s'agit pas de payer les gens au rabais, il s'agit de leur donner leur chance pour pouvoir pénétrer dans la vie active, ce qui n'est pas toujours facile. Cela dit, il ne faut pas trop vider de son contenu cette loi. À aucun moment, je n'aurais pensé faire travailler les gens 39 heures et les payer 30 heures. Ce n'est pas ce que le Premier ministre a pensé, mais naturellement, il faut faire de la formation et il faudra sans doute un jour que les entreprises consacrent au minimum 6 % par an de leurs salaires, à condition de leur donner les moyens, c'est-à-dire de les alléger par ailleurs au lieu des 2,5 % actuels qui sont insuffisants.

G. Leclerc : Donc cette affaire a été mal vendue ?

R. Monory : Peut-être mal vendue, mais sur le fond, il y a sûrement quelque chose à garder. Il ne faut surtout pas vider complètement la loi de son contenu.

G. Leclerc : Le ton monte entre J. Chirac et E. Balladur. Est-ce que ça vous inquiète et que pensez-vous de la proposition de M. Pasqua qui revient sur l'idée de primaires.

R. Monory : La polémique au RPR n'est pas notre problème. Je ne souhaite pas qu'il y ait de polémique mais à l'UDF nous ne pouvons pas régler les problèmes du RPR. Deuxièmement, les primaires me surprennent parce que la Constitution actuelle a été faite par le général de Gaulle, il y a donc un esprit. C'était un premier tour qui permettait aux uns et aux autres de se confronter. C'était une sorte de contrat entre un homme et la population au second tour. Alors, faire des primaires avant, c'est un peu détourner l'esprit de la Constitution qui est une Constitution gaullienne ou gaulliste. Et finalement, M. Pasqua se dit très gaulliste, c'est pour ça que ça me surprend un peu.

G. Leclerc : Donc au RPR de se débrouiller de trouver son candidat, à l'UDF de présenter le sien ?

R. Monory : On verra, on n'en est pas là. Il y a déjà tellement de candidats qui frappent à la porte que ce n'est pas la peine d'en rajouter. Mais cela dit, on verra bien ce qui se passera, on a encore un an devant nous. Il faut absolument que la situation s'assainisse en France et le Premier ministre travaille bien pour l'instant pour le faire.

G. Leclerc : On trouve un mélange des genres entre les gens du milieu, les personnalités politiques.

R. Monory : Ce qui est un peu désagréable pour les hommes politiques, ces suspicions qu'on porte aujourd'hui peut-être sans avoir de preuve peuvent tacher la réputation des hommes. Je regrette un peu parce qu'évidemment la justice a le droit de tout faire et les hommes politiques pas grand-chose. Alors, il faut faire attention. Cela dit, il faut quand même éclaircir la chose, savoir qui a fait quoi. Ce n'est pas facile, il y a déjà deux suspects d'arrêtés, on va bien voir ce qui va se passer. Mais il faut être quand même prudent pour ne pas culpabiliser les gens avant d'être sûr qu'ils soient vraiment coupables.

G. Leclerc : Vous pensez qu'il y a une dimension régionale ?

R. Monory : Je vais prendre mes vacances de temps en temps dans le Var mais je n'ai pas trouvé de truands à toutes les portes. Alors il ne faut pas non plus cataloguer un département parce qu'il y a un assassinat.


Mercredi 23 mars 1994
France Inter

A. Ardisson : Peut-on faire un parallèle avec les manifestations de 1986 ?

R. Monory : Non. C'est un problème beaucoup plus profond aujourd'hui. Il faut oublier le CIP qui fait l'objet de beaucoup de polémiques. Je dénonce depuis quelques mois cette cassure entre les jeunes. Je vois des jeunes tous les jours, qui n'ont rien à voir avec la politique. Ils regrettent que le monde politique ne pénètre pas plus dans leur milieu. C'est cela auquel il faut faire très attention. Un pays qui se coupe de ses jeunes est un pays dont la décadence commence. Je pèse mes mots, parce que je suis très triste et très malheureux en ce moment. Le chômage des jeunes, c'est un plan social général qu'il va falloir refaire. Ce n'est pas par petites mesures qu'on s'en sortira. C'est un plan différent où il faudra tout mettre sur la table. On distribue trop parce qu'on distribue plus que ce que nous gagnons. Quand on fait 1 % de croissance, on distribue sur le plan social 6 ou 7 % de plus par an. Ce n'est pas comme ça qu'on traitera le problème des jeunes. C'est le problème numéro un du gouvernement.

A. Ardisson : Fallait-il publier le décret du CIP ?

R. Monory : Le gouvernement est assez accablé dans cette affaire. Je ne vais pas en rajouter à ses difficultés. Je ne crois pas que ce soit en disant si on est pour ou contre le CIP qu'on réglera le problème des jeunes. C'est plus profond. Je vois des jeunes qui n'ont rien de révolutionnaire et qui descendent dans les rues. Ça m'inquiète beaucoup. Il faut faire preuve de chaleur dans nos paroles, de considération pour les jeunes. Il faut les réinscrire dans notre société. Il ne faut pas les laisser circuler en-dehors de la société. C'est trop grave.

A. Ardisson : Vous aviez une idée pour insérer les jeunes ?

R. Monory : Quand j'avais soutenu quelques candidats aux législatives de mars 1993, j'avais défendu cette idée : les jeunes ont besoin d'un coup de pouce pour entrer dans la vie active, même en sortant de l'école, quel que soit le diplôme, il y a toujours un temps d'adaptation. J'avais préconisé de donner 5 000 francs nets de toutes charges, aussi bien pour le patron que pour le jeune. Pendant un temps, on leur donnerait de la formation à l'activité. Il faut beaucoup de culture générale, puis ensuite, il faut s'adapter à la vie de tous les jours. Il y a là la possibilité d'engager 4 ou 500 000 jeunes. Ça aurait été très positif. Ça n'a pas été suivi d'effets. Ce le sera peut-être un jour.

A. Ardisson : C'est un peu le même principe que le CIP, à part la somme ?

R. Monory : 5 000 francs, c'était le SMIC. Le problème n'est pas de savoir si c'est plus ou moins que le SMIC : c'est la façon dont on présente les choses qui est importante. Il ne faut pas laisser déraper… De très bonnes mesures peuvent déraper si elles ne sont pas bien présentées. Comme le disait M. Giraud, il faut beaucoup expliquer et beaucoup écouter.

A. Ardisson : Y a-t-il eu maladresse au départ ?

R. Monory : Je ne le dirais pas comme cela. N'essayez pas de me faire accabler le gouvernement, il n'en a pas besoin en ce moment.

A. Ardisson : Votre réaction au premier tour des cantonales ?

R. Monory : De temps en temps, l'opinion se désintéresse. En ce moment, elle s'intéresse un peu plus à la politique. La participation a été bonne. Le résultat pour la majorité est bon. L'UDF plus les divers-droite font 28 %, le RPR 15, 44 % au total, c'est un beau résultat. Au second tour, il est probable qu'on fera le point définitif. Il ne faut pas crier victoire. Il ne faut jamais faire de triomphalisme dans une élection. En huit jours, les électeurs se retournent facilement.

A. Ardisson : Le RPR gagne du terrain ?

R. Monory : Dès l'instant que mes amis et alliés gagnent avec nous, c'est très bien. Le RPR a fait 15 %, l'UDF, idem, les divers-droite aussi. Donc on peut considérer que dans les divers-droite, il y a 80 % qui sont des UDF. Ce n'est pas mal pour l'UDF non plus !

A. Ardisson : Les cantonales sont toujours comme un rapport d'étape.

R. Monory : Les états-majors parisiens et politiques veulent en tirer des conclusions politiques. En réalité, dans mon département, ceux qui ont beaucoup travaillé sont réélus, quelle que soit leur couleur. Ceux qui ont moins travaillé ont plus de difficultés à se faire réélire. L'homme compte beaucoup. La femme compte beaucoup. Malheureusement il n'y a pas assez de femmes. Je vais sûrement augmenter de 50 % le nombre de femmes dans mon conseil : j'en aurai trois au lieu de deux. Ce n'est pas suffisant.

A. Ardisson : Que faut-il faire pour les européennes à ce sujet ?

R. Monory : Les jeunes ont besoin de considération. Ceux qui vont faire l'Europe, demain, ce sont les jeunes. Ils sont européens. Alors, démontrons que le gouvernement et les hommes politiques s'intéressent aux jeunes. Mettons des jeunes en tête de liste, comme je l'ai préconisé. Vous verrez que ça fera plaisir. On va encore remettre des gens qui ont fait beaucoup de politique. Les jeunes diront : "on ne pense pas à nous". Je suis tout à fait favorable à ce qu'on mette en tête de liste européenne des jeunes. Ce sera au moins leur apporter un peu de considération.

A. Ardisson : Il faut les trouver.

R. Monory : Il y en a, au RPR comme à l'UDF.

A. Ardisson : Avez-vous aplani vos divergences quant au choix de la date des municipales avec le RPR ?

R. Monory : Il y a un déjeuner de la majorité tous les mardis. Ce doit être là qu'on doit faire la politique. Je suis toujours favorable à ce qu'on maintienne les élections à leur date, même s'il faut les avancer de 15 jours ou de trois semaines pour le faire. Si c'est en juin, on aura une loi, on la votera. Je ne souhaite pas – je suis sûr que le Conseil constitutionnel l'aurait difficilement accepté – qu'on retarde trop les sénatoriales. L'une dépend de l'autre. On ne peut pas voter pour les sénateurs sans avoir renouvelé les maires.

A. Ardisson : Ne pensez-vous pas qu'il y ait une coupure entre le pays réel et le pays légal ?

R. Monory : Je n'ai pas de coupure : je suis président du Sénat. Je continue à aller sur le terrain tous les jours voir les gens. C'est pour cela que j'ai une sensibilité particulière pour les jeunes. J'en vois tous les jours. Les hommes politiques doivent être en permanence en contact avec le terrain. C'est la meilleure façon de comprendre l'opinion et ce qu'il faut faire.

A. Ardisson : Et la réalité ?

R. Monory : Ceux qui ne sont pas assez sur le terrain s'en aperçoivent rapidement parce que les électeurs se détournent d'eux. On a besoin d'une grande explication nationale. La croissance de la France n'est plus ce qu'elle était autrefois. Ce sera le cas pendant plusieurs année. Il faut un grand pacte social. Il faut se mettre autour d'une table, les jeunes, les hommes politiques, les syndicalistes et redéfinir la France de l'an 2 000. C'est urgent. Si on ne le fait, on aura de gros problèmes.

A. Ardisson : Le pacte social, c'est votre message du jour ?

R. Monory : Il faut un grand pacte social.