Texte intégral
A. Ardisson : Votre commentaire sur la victoire de M. Barety sur M. Peyrat ?
J.-M. Le Pen : On pouvait espérer une minute de lucidité chez les Français. Il ne s'est pas produit. Il faut savoir que M. Barety, au deuxième tour, était le candidat du gang des quatre. Les mêmes gens, qui huit jours avant, les socialistes en l'occurrence, avaient porté plainte contre son suppléant pour des magouilles économiques, sont venus leur apporter leurs voix. Cela prouve bien que la solidarité politicienne reste totale. Le Front républicain, c'est le front des gangs. Pour défendre leurs prébendes et leur situation, ils ne tolèrent même pas la présence d'un député à l'Assemblée nationale parce que celui-ci parlerait. Il dirait ce qu'il sait, alors que "je te tiens par la barbichette, tu me tiens par la barbichette", entre eux, ils sont sûr de l'omerta.
A. Ardisson : Cela prouve que le Front républicain peut s'unir pour vous faire barrage que vous n'ayez aucune chance d'obtenir des élus dans une législative à deux tours.
J.-M. Le Pen : Hier oui, mais demain, beaucoup de chance. La moitié des électeurs n'ont pas voté. La France est dans un état d'asthénie totale. C'est l'action du Gouvernement. Le bon docteur Morphine est au gouvernement. Il est normal que le malade soit en état de catalepsie. Quand les gens se réveilleront, quand la France aura encore plus de pauvres et d'exclus, ce jour-là – pourvu qu'il reste encore le recours des urnes, ce n'est même pas sûr –, ils seront balayés.
A. Ardisson : Avez-vous toujours des visées sur Nice ?
J.-M. Le Pen : Je suis élu de Nice. Je dirige le groupe le plus important au Conseil général PACA. J'ai éventuellement envisagé de me présenter quand M. Médecin est parti parce que j'étais alors le plus connu d'entre nous. Depuis, M. Peyrat a pris le flambeau. Il le maintiendra. Il sait que la vie commence toujours demain. J'ai connu le RPF dans une plus grande victoire en 1951. En 1956, Il faisait 500 000 voix dans toute la France. Il n'est pas sûr qu'un jour, au scrutin qu'ils ont imaginé, MM. Pasqua et ses amis soient élus.
A. Ardisson : L'autre mesure de Y. Piat pourra-t-elle jouer un rôle dans l'avenir de la région ?
J.-M. Le Pen : Si la mort de Y. Piat avait dû jouer contre les gangsters, Peyrat aurait été élu. Si les Français considèrent qu'un homme seul qui se bat tête haute et mains propres ne vaut pas l'ensemble des gangsters qui le combattent, c'est que l'opinion publique n'est pas encore mûre. Mais elle mûrit.
A. Ardisson : Et les cantonales ?
J.-M. Le Pen : J'ai visité 82 départements. Je vais faire les 16 derniers. J'en aurai visité 96. Les cantonales sont la première des six consultations qui vont se suivre dans les 18 mois. Elles auront toutes une influence les unes sur les autres. Ce sont les dernières élections auxquelles pourront procéder les Français. Dans 18 mois, la situation économique sera tellement tragique, la situation sociale tellement ruiné qu'il n'est pas sûr que le chaos et l'anarchie ne règnent pas à ce moment-là.
A. Ardisson : Qu'est-ce que ça veut dire ? Vous croyez à l'explosion sociale qui empêche la tenue d'élections ?
J.-M. Le Pen : Je le crois. Je viens de parcourir le pays. Je sais que la suppression des frontières consécutive à la politique de Maastricht met toutes nos entreprises dans une concurrence désespérée avec le reste du monde. Tout cela joint au phénomène de l'immigration et à la fiscalité écrasante va mettre notre économie en état de mort. Nous sommes en état de d'agonie. Les Français ne le savent pas, sauf ceux qui sont très misérables. Mais ils ne savent pas qu'ils vont tous le devenir. Ils pourraient tous défiler en criant "nous sommes tous des pêcheurs bretons". Le sort qui attend les pêcheurs bretons attend également l'économie et les travailleurs français.
A. Ardisson : En 1968, il y a bien eu des élections normales après les révoltes ?
J.-M. Le Pen : Mais il s'agissait là des étudiants, des fils de nantis qui s'amusaient à faire la révolutionnette juste avant d'aller prendre leur bain sur la Côte d'Azur : dès que l'essence est revenue, les révolutionnaires sont allés à Saint-Tropez. Là, ce n'est plus du tout la même chose : ce sera la révolte de la pauvreté et de la misère et de l'injustice. Ce jour-là, les exclus voteront pour le parti des exclus que nous sommes.
A. Ardisson : Mais vous venez de dire qu'il ne pourra y avoir d'élections !
J.-M. Le Pen : Dans les 18 mois ? Je me bats pour la formule démocratique pour la dernière chance démocratique de résoudre les problèmes. Il va y avoir tout un bloc d'élections où les Français seront mis devant leurs responsabilités ; ou bien la politique sera changée, elle ne l'a pas été de Bérégovoy à Balladur ; ou bien elle ne le sera pas, et le pays sera plongé dans une crise d'une gravité exceptionnelle que nos institutions vermoulues n'arriveront pas à diriger.
A. Ardisson : Vous n'irez pas jusqu'à susciter un tel mouvement !
J.-M. Le Pen : Oh là là, ce n'est pas moi ! C'est la rue qui fait cela. Moi, je fais l'inverse ; j'essaie de mobiliser les Français sur les consultations démocratiques. Pour le reste, ils ont montré dans l'Histoire qu'ils étaient capables tout seuls.
A. Ardisson : Approuvez-vous la venue d'E. Balladur à Briac ?
J.-M. Le Pen : Non, je suis indifférent à ce geste qui me paraît faire partie du théâtre politicien. Ceci est sans intérêt. Il sera utile que la France, qui a le plus gros contingent en Bosnie depuis deux ans, demande à être relevée par d'autres partenaires de l'ONU. Il n'y a aucune raison que ce soit toujours la France qui paie les pots cassés.
A. Ardisson : Vous devenez pacifiste sur vos vieux jours !
J.-M. Le Pen : Non. Je ne suis pas encore tout à fait sur mes vieux jours. Je le démontre en faisant 25 000 kilomètres pour les cantonales. J'aime la paix. Ceux qui aiment la guerre sont ceux qui ne l'ont jamais faite, mais qui envoient les autres.
Mercredi 16 mars 1994
RMC
P. Lapousterle : Quel est l'objectif du Front national dans ses cantonales ?
J.-M. Le Pen : Ces cantonales ouvrent une série de consultations qui vont s'étaler sur 18 mois, et qui comportent les européennes. C'est une série de consultations qui peut-être sera la dernière dans un climat relativement calme, parce que les prévisions que nous faisons sur l'avenir de l'économie française en générale qui, selon nous, va vers sa ruine depuis que les frontières ont été supprimées. L'extension du chômage, de l'insécurité, vont amener le pays dans une situation dramatique sur le plan économique et social et donc sur le plan politique.
P. Lapousterle : Vous prévoyez une dissolution de l'Assemblée, cette année ?
J.-M. Le Pen : Absolument. Je pense que le président de la République ne va pas laisser à ces adversaires la possibilité d'avoir la présidence de la majorité qualifiée pour changer la Constitution au Congrès.
P. Lapousterle : Est-ce vous que la classe politique exclut ou plutôt le Front national qui exclut la classe politique ?
J.-M. Le Pen : Je suis dans l'opposition, dans l'opposition je n'ai pas été tendre. C'est non seulement mon droit mais mon devoir de critiquer l'action gouvernementale et de lutter contre les autres partis politiques. D'ailleurs, c'est tout à fait clair que ce sont les partis politiques, dans un front prétendument républicain mais bien plutôt "ripoublicain", front des ripoux, qui font une alliance totale entre communistes, RPR, UDF et socialistes, contre le Front national. C'est l'exclusion du Front national, à la fois de la vie ordinaire et de l'univers médiatique à quelques rares exceptions près et ceci est une situation tout à fait anti-démocratique et qui est du fait de la classe politicienne, pas du tout du Front national.
P. Lapousterle : Ne pensez-vous pas aussi que les Français, dans leur majorité, n'aiment pas vos opinions ?
J.-M. Le Pen : Je vous rappelle que la démocratie, c'est justement le respect des minorités. Même s'il y avait une majorité de Français qui était contre le Front national, cela ne donnerait pas le droit de lui fermer le bec, comme je constate qu'on le fait. J'ai ici le rapport du CSA pour le quatrième trimestre 93, le gouvernement et la majorité ont bénéficié de 40 heures, la présence et l'opposition PS, PC, MRG ont eu 24 h 30 d'antenne, Écolo : 53 minutes, et enfin le FN : 4 minutes 14 secondes pour le trimestre. Les électeurs qui ne sont pas informés et qui désirent entendre les propositions du Front national doivent savoir que ce n'est pas du Front national mais du fait de ceux qui ne l'invitent pas.
P. Lapousterle : Avez-vous été déçu par les résultats de J. Peyrat ?
J.-M. Le Pen : Je préfère que les candidats du Front national soient élus, évidemment. Mais je préfère qu'ils soient battus sur les idées qu'élus sur celles des autres. Faire 43,5 % contre l'ensemble des partis politiques français, cela me paraît prouver que nous sommes le premier mouvement dans les Alpes-Maritimes. Comme je préside au Conseil régional le premier groupe politique de cette région. Nous sommes les plus forts. Nous sommes les premiers. Et battus par la coalition absolument absurde et dérisoire des communistes, des socialistes, du RPR et de l'UDF, sont le gang des quatre.
P. Lapousterle : J. Peyrat ne va-t-il pas prendre ces distances avec le Front national lors des prochaines municipales ?
J.-M. Le Pen : Je n'ai pas vu ce que vous avez vu dans les déclarations de J. Peyrar. Il a dit que le résultat l'amenait à considérer que cette stratégie avait montré ses limites. Or, J. Peyrat a fait une candidature non pas de Front national mais de rassemblement national, j'ai compris exactement l'inverse de ce que vous semblez avoir conclu. Il regrette de ne pas avoir fait une campagne Front national. Mais je comprends bien que le soir d'une élection, on soit un tout petit peu découragé. J'ai une nouvelle dans ce domaine-là aussi. Un conseiller municipal Front national, qui avait sollicité il y a trois semaines son investiture comme candidat au Conseil général, a démissionné en pleine campagne, c'est-à-dire qu'il interdit au Front national de pouvoir présenter un candidat dans ces circonscriptions. Il a été immédiatement, et évidemment, exclu pour félonie et trahison. Je pense que les électeurs du Front national vont lui faire une conduite de Grenoble.
P. Lapousterle : Pensez-vous que l'enquête sur l'assassinat de Y. Piat progresse comme il le faut ?
J.-M. Le Pen : Je ne suis pas dans le secret de l'instruction ? Ce que je sais c'est qu'il y a beaucoup de chose à découvrir dans cette affaire. Ce n'est pas l'intérêt de la classe politicienne que ceci soit découvert. Comme il y a un consensus pour le silence, je pense que c'est le silence qui l'emportera, hélas.
P. Lapousterle : Pensez-vous que ce sont des élections qui ont décidé de l'assassinat de Y. Piat ?
J.-M. Le Pen : Je n'ai pas du tout dit ça, mais je pense qu'il y a un cocktail tout à fait condamnable de relations entre les hommes politiques et la pègre. Les partis qui n'ont pas de militants sont bien obligés de faire appel, pendant les campagnes électorales, aux maquereaux et aux gangsters pour assurer le service d'ordre. Le Front national n'a pas besoin de cela puisque ces militants non seulement collent des affiches de ces réunions mais en plus ils payent leur place quand ils y assistent.
P. Lapousterle : Quel est le bilan que vous dressez de onze mois de gouvernement Balladur ?
J.-M. Le Pen : C'est un échec mais c'est un échec programmé puisque E. Balladur et surtout. J. Chirac, avait fait une définition stratégique des deux années qui séparaient l'élection législative de l'élection présidentielle. J. Chirac ayant cru décider que son agitation dans la période précédente lui avait nui, a changé complètement d'axe et là c'est l'immobilisme. Or, à la vitesse où va la dégradation de la situation économique de la France, les Français n'attendent pas l'immobilisme. Il est tout à fait vraisemblable de voir maintenant chuter verticalement la côte d'E. Balladur et celle des députés de la majorité. C'est pourquoi je crois que le temps venu le président de la République frappera et infligera à la majorité actuelle une cuisante défaite trois mois ou quatre mois avant l'élection présidentielle.
P. Lapousterle : Pensez-vous qu'il y a un risque d'explosion sociale en ce moment ?
J.-M. Le Pen : Je crois en effet qu'il y a un risque d'explosion sociale. Je fais cette tournée dans tous les départements français pour avertir nos militants et adhérents, mais aussi tous les Français que l'évolution imparable avec le choix balladurien va conduire à la ruine de l'économie française. Par conséquent plus de chômage et comme les vannes de l'immigration restent ouvertes dans le cadre de l'opération immigration zéro de C. Pasqua, la situation va se détériorer
P. Lapousterle : Le procès Touvier était-il nécessaire ?
J.-M. Le Pen : Ce n'était pas nécessaire car la France a bien d'autres problèmes qu'à envisager les détails de son histoire. Je trouve assez triste que 50 ans après la guerre, on ne soit pas capable de pardonner à l'ancien adversaire allemand et que l'on recherche chez un homme de 80 ans des responsabilités qui furent peut-être celles de Vichy mais qui furent surtout aussi celles des gouvernements qui avaient préparé l'avant-guerre et qui ont perdu la guerre.
24 mars 1994
Le Figaro
Cantonales : une interview du président du Front national
Le Pen : "On nous impose notre stratégie"
Le refus de désistement des candidats du FN procède, dit-il, du rejet dont est victime son mouvement de la part de la majorité parlementaire.
Jean-Marie Le Pen a déclaré hier que le résultat des élections cantonales représentait pour le Front national un "succès indéniable, sur un terrain qui lui est particulièrement défavorable, car il s'agit d'un scrutin de notables, qui favorise les vieux partis". Par rapport au résultat qu'il avait obtenu en 1988, dans les mêmes cantons, le président du Front national a fait remarquer que son mouvement avait progressé en voix de 122 %. Le FN avait alors 13 candidats susceptibles de figurer au second tour ? Il en a 93 cette fois. M. Le Pen a toutefois fait part d'une "certaine déception" quant aux résultats de son mouvement dans certains départements ruraux – l'Hérault, l'Aude – où les agriculteurs n'ont pas "intégré la défense héroïque" de leur cause par les parlementaires du FN à Strasbourg. Les candidats du Front national se maintiendront partout au second tour. Une exception toutefois, annoncée hier par M. Le Pen : le candidat du FN se désistera à Creil au profit du candidat RPR Ernest Chenière.
Le président du Front national répond ci-dessous aux questions du Figaro.
Le Figaro : N'assiste-t-on pas à une sorte de plafonnement de votre mouvement ?
Jean-Marie Le Pen : Je réfute cet argument. En 1988, c'est-à-dire après deux ans de gouvernement de droite, j'ai obtenu 14 % des voix à l'élection présidentielle. Et aujourd'hui, ces élections cantonales, après un an de gouvernement de droite, nous montrent que le Front national n'a pas reculé, mais progresse. Cette progression n'est donc pas liée exclusivement à la présence de la gauche au pouvoir, d'autant plus que la droite et la gauche maintenant, se confondent idéologiquement. À des nuances près, leur vision du monde est la même. Ils sont internationalistes, mondialistes. La droite a non seulement abandonné la préférence nationale, mais le combat.
Le Figaro : On peut tout de même se demander si le Front nation n'a pas aussi profité des divisions de l'ancienne opposition. À cet égard, le gouvernement de M. Balladur, son style personnel, offrant peut-être un terrain moins propice à votre mouvement…
Jean-Marie Le Pen : Nous n'avons pas fait à M. Balladur un procès d'intention. Nous avons attendu de voir quelles étaient ses réalisations. Nous avons malheureusement constaté qu'il était impuissant, peut-être pas par mauvaise volonté.
Le Figaro : Le maintien de vos candidats au second tour de dimanche prochain va profiter dans de nombreux cas à la gauche. N'est-ce pas faire la politique du pire ?
Jean-Marie Le Pen : Cette stratégie n'est pas choisie par nous. Elle est imposée par la droite RPR et UDF. Ce n'est pas nous qui avons pris des positions d'exclusions à l'égard de la majorité. C'est sans aucune justification idéologique. C'est à mon avis un des fruits empoisonnés de la cohabitation. M. Mitterrand efface M. Balladur et sa majorité dans une étreinte mortelle et l'attire vers la gauche. En fait, la droite parlementaire s'est gauchisée dans ses réflexes.
Le Figaro : La droite parlementaire peut-elle faire autrement que rejeter votre mouvement, à partir du moment où il se pose en force de remplacement globale et rejette lui-même tous les autres sous le vocable de "bande des quatre" ?
Jean-Marie Le Pen : Je croyais savoir que la politique était un débat permanent. Or ce débat n'existe pas, puisque dans les statistiques du CSA, pour le quatrième trimestre 1993, la gauche a eu 24 heures de télévision, la droite 40 heures, les écologistes 53 minutes, le Front 4 minutes 17 secondes, il s'agit donc bien d'une exclusion méthodique et concertée avec la gauche. Le Front national, malgré ses millions d'électeurs – 3 200 000 aux élections législatives, 4 400 000 à l'élection présidentielle – est mis au ban de la société politique, sans que jamais personne n'en ait donné une explication, en particulier à droite. On n'a jamais justifié cet acte d'apartheid politique.
Quand je parle de "bande des quatre", ce n'est pas moi qui mets dans le même sac les partis arbitrairement. C'est parce qu'ils ont des démarches communes, qu'ils constituent effectivement une bande. Par exemple, ils sont d'accord pour écouter les scandales… Le FN n'est pour rien dans la constitution du "front républicain" et dans la mise au point de cette technique d'autodéfense.
"L'opinion publique a changé"
Le Figaro : Votre mouvement, ou en tous cas certains de ses sympathisants, sont soupçonnés d'affinités idéologiques avec des doctrines non démocratiques, de nostalgies troubles…
Jean-Marie Le Pen : On a détourné l'attention de l'opinion sur des idées qui ne sont pas extraites du programme du Front national ou de ses discours, mais de fantasmes que l'on a dans la tête. On prête aux gens des idées que toute leur vie dément : il y a bientôt quarante ans que je suis parlementaire, et nous n'avons jamais été poursuivis, ni condamné de ce chef, y compris en quatorze ans de pouvoir socialiste. Vous pouvez d'ailleurs constater, ce n'est pas étonnant, que tous les contempteurs du Front national, tous ceux qui ont annoté ce "Front républicain", en prétendant rejeter le Front national pour sauver leur âme, auraient mieux fait de rejeter les casseroles qui sont attachées à leurs basques : M. Carignon, M. Noir, M. Mouillot, M. Léotard ont été les grands adversaires du Front national, ainsi qu'un certain nombre de socialistes.
Le Figaro : Votre mouvement s'est tout de même développé sur une sensibilité de rejet. On l'a parfois assimilé au poujadisme. Est-ce que ce n'est pas intrinsèquement une démarche d'opposition ? Au fond, le Front national peut-il apparaître véritablement comme une force de conquête du pouvoir ? N'y a-t-il pas contradiction entre sa stratégie de rupture totale et son aspiration à gouverner ?
Jean-Marie Le Pen : Si on pense que le peuple joue un rôle, la démocratie doit bien servir à quelque chose… Certes, les technocrates considèrent que les élections sont l'occasion d'aller ramasser un blanc-seing à partir duquel ils construiront la société selon leurs propres objectifs. Moi, je pense que la démocratie, c'est l'intégration du peuple dans les mécanismes des pouvoirs publics. Il n'y a pas de droit héréditaire des partis à occuper autant de sièges à l'Assemblée et à exercer telle influence. Si tout allait bien, le Front national ne serait pas né. Les mouvements nouveaux sont ceux qui interprètent un changement de l'opinion publique. Or elle a changé.
Nous essayons de rassembler tous les gens qui considèrent que sur les points que nous estimons capitaux – immigration, insécurité, laxisme moral, dénatalité – la politique gouvernementale est insuffisance et même complice. Nous aboutissons progressivement, et, à partir de notre analyse pragmatique de la société, nous reconstruirons un corps idéologique. Au terme de cette démarche, nous retrouvons les grands principes de la nation et de la morale nationale. Les situations ne sont pas éternelles. Voyez ce qui se passe en Italie avec le MSI. Quand la situation économique et sociale de notre pays atteindra le niveau dramatique que je pense proche, la situation politique changera.