Texte intégral
RTL : lundi 19 septembre 1994
M. Cotta : Croyez-vous à la baisse du nombre de chômeurs annoncée hier par E. Alphandéry ?
J.-P. Chevènement : Nous avons 6 millions de chômeurs et de « précaires » en France. J'ajoute aux chômeurs – 3,3 millions – les précaires, c'est-à-dire les RMIstes, un certain nombre de gens en-dessous du Smic. 150 000 chômeurs de moins, c'est une promesse avant une élection. Ce n'est pas à la mesure du problème posé aujourd'hui à la France. Les perspectives de la reprise restent problématiques : il y a des pyramides de dettes qui pèsent lourdement sur la reprise économique. Il faut une initiative volontariste pour remettre au travail des centaines de milliers, voire des millions de chômeurs.
M. Cotta : Le tout social en politique ne traduit-il pas une volonté qui manquerait ?
J.-P. Chevènement : Tous ces gens sont solidaires de la politique conduite depuis près de 20 ans et qui a abouti au résultat que nous voyons. Il est temps qu'ils se réveillent. Ils ont fait preuve, jusqu'à présent, d'un manque total d'imagination.
M. Cotta : Vous avez contribué à cette politique !
J.-P. Chevènement : Je parle de la politique monétariste, de la politique libérale à laquelle malheureusement, malgré moi, la gauche s'est ralliée à partir de 1983. On l'a bien vu à l'époque de M. Rocard : la reprise économique ne suffit pas à faire reculer le chômage. Il faut faire preuve d'imagination. J'avais proposé il y a quelques mois un plan d'embauches d'1,5 million de personnes dans les entreprises et les administrations en utilisant les fonds d'indemnisation du chômage.
M. Cotta : La politique économique du gouvernement n'a pas fait preuve de sa justesse ?
J.-P. Chevènement : Tous les pays qui parlent de reprise aujourd'hui sont en fait tirés par l'exportation. Tout ceci est extrêmement fragile. Il n'y a pas de véritable initiative européenne de croissance. Les règles de Maastricht relatives à la limitation de l'endettement font que de toute façon les moteurs de la croissance ne sont pas très puissants. Rien ne permet de dire que l'Europe est entrée dans une période de croissance soutenue.
M. Cotta : F. Mitterrand est monté au créneau : les acquis sociaux sont-ils vraiment menacés ? Est-ce la fin d'une cohabitation douce avec E. Balladur ?
J.-P. Chevènement : Les acquis sociaux sont menacés. Mais ils le sont par des choix de libre-échangisme, d'ouverture tous azimuts, par les délocalisations industrielles, par une politique monétariste. Regardez les banques qui viennent de lever le taux de base bancaire sans aucune raison ! Qui s'y est opposé ? Or ça pénalise la reprise économique. En effet, la protection sociale est menacée par des choix qui ont rassemblé malheureusement des gouvernements de droite et la gauche qui s'est ralliée au libéralisme.
M. Cotta : Une rupture ?
J.-P. Chevènement : Il faut donc trouver une nouvelle voie. Ce n'est pas très facile, parce qu'il y a une crise de la démocratie. Notre démocratie est pourrie !
M. Cotta : L'opinion publique trouve que E. Balladur est le plus social. Est-ce juste ?
J.-P. Chevènement : Ça montre le degré d'intoxication auquel nos concitoyens ont fini par céder, s'abandonner. C'est désopilant ! En fait. E. Balladur illustre la force des tropismes conservateurs qu'il y a dans notre pays, notre establishment. C'est une réalité. Il faut que le citoyen se réveille.
M. Cotta : L'image de F. Mitterrand n'est-elle pas durablement brouillée ?
J.-P. Chevènement : Ce qui est essentiel, ce sont les choix politiques. Si F. Mitterrand avait été arrêté le 11 novembre 1943, quand la Gestapo est venue à son domicile, s'il avait été fusillé, on aurait dit « c'est un héros ». On ne serait pas allé chercher plus loin. Évidemment, il est président de la République. Les choses se posent tout à fait différemment à la fin de son deuxième septennat. Je ne veux pas participer à cette curée. Je ne veux pas réhabiliter, si peu que ce soit, Vichy. Je ne veux pas le banaliser, Vichy, c'est un régime né de la capitulation, illégitime, parce qu'il a accepté la capitulation. Par conséquent, le maréchal Pétain a mis l'immense prestige du vainqueur de Verdun au service d'une politique criminelle.
M. Cotta : Vous ne voulez pas laisser C. Pasqua dire ce qu'il a dit ?
J.-P. Chevènement : Surtout pas entendre Le Pen expliquer que Pétain n'était pas un traître, parce que d'une certaine manière, Pétain avait voulu tirer parti de la défaite de 1940 pour mettre fin à la République. Lisez Marc Ferro, c'est très clair !
M. Cotta : Le PS doit-il se démitterrandiser ?
J.-P. Chevènement : Oui : je pense qu'il doit revenir sur les choix de ralliement à l'ordre établi que F. Mitterrand – il n'était pas le seul – lui a imposé : le ralliement au libéralisme en 1983, le ralliement au Nouvel ordre mondial en 1990 et le traité de Maastricht, traité qui met la France à la remorque d'un ordre libéral injuste, dominé par le capital financier garanti par l'Allemagne.
M. Cotta : N'est-ce pas le moment pour vous de rallier le PS au moment où H. Emmanuelli négocie un virage à gauche ?
J.-P. Chevènement : Mais je vois en même temps que le PS récite des patenôtres en se tournant vers Saint-Jacques, non de Compostelle, mais de Bruxelles. Je reste résolument laïc. Le Mouvement des Citoyens entend montrer qu'il y a une autre voie pour la reconstruction de la gauche. Elle demande du temps, de la patience, de l'opiniâtreté, mais nous avons décidé d'être le môle républicain de la refondation de toute la gauche.
M. Cotta : Si le candidat socialiste était J. Delors, vous vous présenteriez à la présidentielle ?
J.-P. Chevènement : Que les choses soient claires : ne nous joignons pas au chœur des suppliants. Nous souhaitons qu'il y ait un candidat anti-libéral et républicain qui ne serait pas J. Delors. Quand on est candidat à la présidence de la République, il faut avoir un sentiment de devoir impérieux. On ne peut pas l'être autrement.
M. Cotta : Vous l'avez ce devoir impérieux ?
J.-P. Chevènement : Nous verrons cela au début de l'année prochaine On ne peut pas être candidat s'il n'y a pas une attente dans le pays.
Les Échos : 23 septembre 1994
Les Échos : La réalisation du TGV Rhin-Rhône est-elle vraiment nécessaire ?
Jean-Pierre Chevènement : Absolument. C'est un maillon clé du réseau européen des trains à grande vitesse. Aussi bien dans le sens Nord-Sud (Francfort-Strasbourg-Lyon-Méditerranée) que Est-Ouest (Suisse-Paris). C'est d'ailleurs tellement évident que c'est un des projets les plus rentables. La réalisation de la seule première phase – de l'agglomération mulhousienne à celle de Dijon – apporterait 4,2 millions de voyageurs supplémentaires. Et son taux de rentabilité interne (un peu revu à la baisse dans la mesure où le TGV Est serait réalisé avant) reste proche de 7 %. Tandis que la rentabilité dite « externe » est de 12 %. J'ajoute que le projet n'est pas cher comparé aux autres TGV : environ 12 milliards de francs. C'est incomparablement moins que le TGV Est, qui approche les 25 milliards, et que le TGV Lyon-Turin, qui en représente une cinquantaine.
Les Échos : Ce projet fait-il l'unanimité des Régions concernées par le tracé ?
J.-P. Chevènement : Il n'y a pas d'opposition de principe dans la Région de Franche-Comté. Ni en Alsace, ni en Bourgogne, même si certains voudraient tirer le tracé un peu plus sur Dijon. Mais cela ne correspond pas à la définition bifonctionnelle du TGV, à la fois Est-Ouest et Nord-Sud, ni au cahier des charges du projet.
Les Échos : Les Suisses sont-ils favorables au TGV Rhin-Rhône ?
J.-P. Chevènement : Les Suisses sont demandeurs d'un TGV Rhin-Rhône. Et je vous rappelle que l'association que je préside rassemble cinq Régions françaises, deux Länder allemands, de nombreux cantons suisses alémaniques et romans et la Catalogne. En réalité, le TGV Rhin-Rhône soufre de n'être pas porté par une grande métropole régionale et d'intéresser prioritairement des régions industrielles où la population est majoritairement ouvrières ; elles ont, par conséquent, plus de mal à se faire entendre des palais nationaux.
Les Échos : Le projet est-il reconnu prioritairement au plan européen ?
J.-P. Chevènement : Le TGV Rhin-Rhône est considéré comme maillon clé du futur réseau européen et inscrit, à ce titre, au schéma directeur européen. Malgré cela, il n'a pas été retenu dans le cadre de l'initiative européenne de croissance discutée lors du sommet européen de Corfou, les 24 et 25 juin dernier. Mais j'ai reçu dans le courant de l'été, une lettre du Premier ministre Édouard Balladur m'indiquant que les études pourraient être financées dès lors que l'on approcherait de la phase de réalisation concrète. Au-delà, le gouvernent français interviendrait pour que cette réalisation soit prise en charge dans le cadre européen.
Les Échos : Où en est le projet aujourd'hui ?
J.-P. Chevènement : Il progresse bien. Les études préliminaires de la première phase du projet (Mulhouse-Dijon) sont engagées depuis avril 1994, date de la signature du cahier des charges par le ministre des Transports. Elles consistent à rechercher et à étudier de grandes variantes d'itinéraire, sous la forme de fuseaux de un kilomètre de large, et à faire leur analyse comparative. Ces études seront achevées fin 1994 – début 1995. Les études d'avant-projet sommaire (d'une durée de dix-huit mois) devraient être engagées à la suite, courant 1995. Elles ont pour objectif, à partir du fuseau choisi, de préciser le projet à un niveau permettant la mise à l'enquête publique d'un tracé précis. Ce calendrier – si les délais sont tenus – devrait autoriser, après l'enquête publique, l'obtention de la déclaration d'utilité publique en 1998-1999. Les travaux pourront alors être engagés. On peut prévoir une mise en service du TGV Rhin-Rhône à l'horizon 2001-2003, au plus tard.
Les Échos : Pourquoi avez-vous créé une société d'économie mixte ?
J.-P. Chevènement : Nous l'avons fait pour des raisons qui tiennent à la situation financière de la SNCF. La société nationale est désireuse de trouver des structures qui peuvent, le moment venu, réaliser des infrastructures en lançant, le cas échéant, des appels de capitaux sur les marchés financiers, tout en obtenant naturellement des concours des Régions, de l'État et de l'Union européenne. La SEM TGV Rhin-Rhône a obtenu le concours de la Caisse des dépôts et consignations, du Crédit Local de France, du Crédit Industriel d'Alsace et de Lorraine, de la Société de Banque Suisse notamment, ainsi que des chambres consulaires et des collectivités territoriales. Robert Arnaud, directeur général de la Banque Populaire du Haut-Rhin, présidera cette société, qui devrait être effectivement installée dans les mois qui viennent.