Texte intégral
Compagnons,
Je voudrais m'adresser à vous, ce soir, en ma qualité de secrétaire général du RPR.
"C'est bien normal", me direz-vous.
Certes. Mais c'est un choix risqué, tant les partis et leurs responsables ont toujours mauvaise presse dans notre pays.
Il serait sans doute plus valorisant pour moi de vous parler de l'état du monde et de la politique étrangère de la France.
Mais voilà ! Je suis votre Secrétaire général, et cela pour la 7ème année consécutive. Je me suis beaucoup donné à ma tâche. J'y ai cru. J'y crois plus que jamais.
Quant à vous, vous êtes aussi des militants engagés dans un parti, le nôtre, le Rassemblement.
Il est donc naturel et utile que nous nous posions ensemble cette question simple : "Le RPR, aujourd'hui, pourquoi faire ?"
La réponse n'est pas évidente.
Je le disais en commençant : les partis, en France et peut-être en France plus qu'ailleurs n'ont pas bonne réputation.
Qui dit "parti", dit "partisan" avec tout ce que cet adjectif sous-entend de sectarisme et d'intrigues. Curieusement, cette réticence est répandue dans nos rangs, à nous gaullistes qui conservons une sorte de méfiance atavique pour le "régime des partis" et veillons toujours à marquer la différence entre notre rassemblement et un parti traditionnel.
Ce discrédit est encore accru par la crise générale qui frappe en France les corps intermédiaires ou les grandes organisations : syndicats, administrations, voire églises… Crise de représentativité, crise de légitimité : je lisais récemment, sous la plume d'un sociologue, que le succès du questionnaire directement adressé par le Gouvernement aux jeunes Français démontrait l'affaiblissement, voire la disparition des relais habituels. Thèse discutable, mais bien dans le vent.
Comment réagir ?
Nous pourrions nous résigner au déclin, expédier en quelque sorte les affaires courantes, et nous contenter de réveiller notre parti à l'approche des échéances électorales. Car – on l'a vu de manière éclatante au début de 1993 – quand viennent les élections, alors tout le monde se tourne vers nous, tout-le-monde a besoin de nous !
Une telle attitude ne serait pas, à mes yeux, digne de nous et des responsabilités qui sont les nôtres. Elle serait même dangereuse pour la vie démocratique de notre pays dans la mesure où elle encouragerait la tentation démagogique si vivace dans notre société, et le culte de personnalités douteuses, toujours promptes à profiter de l'absence de vrai débat politique.
Dans les grandes démocraties européennes proches de nous, l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, les partis sont vivants, respectés et forts.
D'où le défi que je vous propose, à vous, tout particulièrement, jeunes gaullistes : faire du Rassemblement, première formation politique de France, un parti vivant, respecté fort, capable d'ouverture et d'innovation.
L'une des fonctions essentielles d'un grand parti politique – même si ce n'est pas la seule, comme je le rappelai à l'instant – c'est, bien sûr, de préparer et de gagner les élections.
Nous savons faire : nous l'avons prouvé en avril 1993 en amenant à l'Assemblée nationale le groupe de députés le plus nombreux de notre histoire parlementaire récente.
L'an prochain, nous aurons à montrer à deux reprises que nous n'avons pas perdu la main : d'abord en avril-mai en portant l'un des nôtres à l'Élysée ; puis en juin, à l'occasion des élections municipales qui pèsent, elles aussi, lourd dans notre vie politique. Sachez que nous nous y préparons. Je souhaite que les listes que nous soutiendrons comportent le plus de jeunes conseillers municipaux possibles. J'y veillerai personnellement.
Mais notre Rassemblement ne peut être seulement une machine électorale bien rodée. Si nous voulons vraiment et durablement réussir, il doit aussi et surtout rester un lieu de compagnonnage, de solidarité, de dialogue, de créativité et de diversité.
Tel que nous le concevons, le Rassemblement est le contraire d'un club fermé, socialement homogène, monolithique. Ce n'est pas davantage une organisation dans laquelle chaque membre perdrait sa liberté ou son identité. J'entends parfois dire : "Moi, je suis un homme libre ; je n'appartiens à aucun parti". Eh bien !, nous devons faire mentir cette formule toute faite et proclamer bien haut et bien fort : "Moi, je suis membre du RPR et je m'y sens un homme libre !"
Veillons à ce que le RPR demeure un vrai rassemblement, ouvert à des hommes et à des femmes d'origines intellectuelles ou sociales très diverses – "le métro à cinq heures", comme disait Malraux – où chacun peut apporter ses idées, en débattre, conserver son originalité, dès lors qu'entre compagnons, nous avons l'essentiel en commun.
Cela n'a pas toujours marché ainsi.
L'un des objectifs que je m'étais fixé en 1988, en lançant la rénovation du RPR, était précisément de le débarrasser d'une certaine gangue de conformisme et d'intolérance qui l'avait peu à peu enveloppé, et de l'ouvrir au débat d'idées, au jeu de ce qu'on appela quelque temps les "courants". C'était nécessaire. Ce ne fut pas facile. Nous y sommes parvenus et c'est ainsi que nous avons pu éviter l'éclatement maintes fois annoncé par les commentateurs.
Ouverture et dialogue, pluralisme et diversité qui étaient les idées-maîtresses de la rénovation, ne doivent évidemment pas empêcher la décision ni exclure le choix. L'esprit de compagnonnage aidant, vient un moment où l'on peut et où l'on doit fixer démocratiquement la ligne. Chacun, après avoir fait valoir ses arguments, peut y adhérer librement.
S'ils veulent être attirants dans un monde où chaque homme, chaque femme entend désormais pleinement assumer sa vie, c'est ainsi que doivent fonctionner les grands partis modernes.
Cet acquis, nous devons non seulement le préserver mais aussi le développer, en refusant tout retour à je ne sais quelle bunkérisassions.
Force électorale, lieu de compagnonnage et de solidarité, le Rassemblement se doit, plus que tout, d'être un laboratoire d'idées.
L'ambition peut paraître excessive. On m'objectera que c'est rarement à l'intérieur des partis politiques qu'ont été élaborées les grandes doctrines politiques. C'est sans doute vrai.
Mais un parti qui se couperait de la réflexion sur les grandes évolutions de la société où il vit, qui ne participerait pas ou ne s'intéresserait pas au mouvement général des idées et du monde se condamnerait vite à la sclérose et à la mort.
Notre première responsabilité – cela va de soi – est de maintenir une filiation, une tradition, une fidélité qui ont pour nous un nom : le gaullisme.
Certains ont rêvé "du passé, faire table rase". C'était absurde.
Nous avons tous, nous sommes tous, d'abord, une histoire.
Les références historiques, dans le paysage politique français, sont nombreuses : marxisme pour les uns, socialisme pour les autres, ou démocratie chrétienne, ou libéralisme, que sais-je encore.
Notre référence à nous, c'est le gaullisme dont il nous incombe de montrer l'actualité et la pertinence.
Si je voulais me risquer à en résumer ici, devant vous, les principes – outre le pragmatisme et le réalisme – je dirais volontiers :
– sentiment national ;
– sens de l'État ;
– existence sociale.
Sentiment national, et, pour dire les choses plus simplement : patriotisme.
Nous n'en avons certes pas le monopole. Bien d'autres formations politiques peuvent à bon droit proclamer leur patriotisme.
Mais, chez nous gaullistes, la France, telle que le Général de Gaulle – du 18 juin 1940 jusqu'à sa fin – n'a cessé d'en parler, c'est plus qu'un concept ou même une valeur, c'est une réalité charnelle, une personne à qui l'on porte des sentiments d'amour, à la grandeur et à la prospérité de laquelle on est prêt à beaucoup sacrifier.
L'histoire récente nous montre que le patriotisme n'a pas vieilli, qu'il est plus vivace que jamais, qu'il peut être ferment de progrès et de libération dès lors qu'il ne s'identifie pas au sectarisme, à l'égoïsme ou à la xénophobie. C'est notre responsabilité que d'en proclamer la vraie nature et d'en combattre les perversions.
Qui dit gaullisme, dit aussi sens de l'État. Nous pensons qu'il n'y a pas de liberté individuelle authentique et durable sans règles du jeu social, c'est-à-dire sans autorité. L'État démocratique, dans ses fonctions régaliennes, détient seul l'autorité légitime et il doit l'exercer sans faillir. Plus la société devient complexe, plus le niveau d'éducation et de formation s'élève, plus l'aspiration de l'individu à vivre libre de ses choix personnels devient forte, et plus l'exercice de l'autorité est un art difficile. Grandeurs et servitudes… Mais l'État – je le répète – ne doit pas faillir.
Il y parviendra d'autant mieux qu'il mettra la recherche d'équité au même rang que l'exigence d'autorité. Il est aussi de sa responsabilité fondamentale de corriger les inégalités sociales, géographiques, culturelles qui pourraient menacer l'unité et la cohésion du corps social.
Mais attention : de même que le patriotisme peut se pervertir en nationalisme intolérant, de même l'État, s'il est lointain, hautain, sclérosé, se transforme en technocratie. L'État républicain auquel nous sommes attachés s'impose à lui-même autant de devoirs qu'il se reconnaît de droits : le devoir de proximité et d'humanité ; le devoir de transparence et de vertu ; le devoir de réforme et de modernité. L'État, pour nous gaullistes, ce n'est pas un "appareil", avec ce que cela implique souvent de morgue ; c'est l'adhésion collective au contrat qui fonde la République.
Exigence sociale enfin.
On a souvent essayé de théoriser l'exigence sociale du gaullisme. On a voulu la rattacher à la doctrine sociale de l'Église – et il est vrai que le Général de Gaulle lui-même, comme beaucoup de ceux qui l'ont influencé, n'y était pas étranger.
On a ensuite voulu explorer une troisième voie entre capitalisme et socialisme.
On a voulu ériger la participation en système global d'organisation de la société.
Je ne suis pas sûr que ces belles constructions théoriques – où il y a certes beaucoup à prendre – soient aujourd'hui très "parlantes" pour nos concitoyens.
Soyons plus pragmatiques et plus concrets : ce qu'un gaulliste ne peut admettre, c'est l'injustice sociale pérennisée, c'est la coupure de la société entre ceux à qui sont ouvertes toutes les perspectives et ceux qui n'en auraient aucune ; ce qu'un gaulliste rêve de réaliser, c'est la promotion sociale, c'est l'égalité des chances, c'est le respect de la dignité de toute personne humaine. "Il n'y a de querelle qui vaille que celle de l'homme"…
Georges Pompidou, dans le Nœud Gordien, disait la même chose à sa manière : "La République doit être celle des politiques au vrai sens du terme, de ceux pour qui les problèmes humains l'emportent sur tous les autres".
Voilà pourquoi je disais naguère, devant notre Conseil national, que le gaullisme est tout à la fois un patriotisme et un humanisme.
Cette fidélité à nos racines nous honore. Mais prenons garde que le rassemblement ne devienne un conservatoire d'idées.
Je l'imagine plus volontiers, quant à moi, comme un laboratoire d'idées, c'est-à-dire une force d'analyse, de recherche, de création, d'innovation, d'anticipation.
Nous connaissons son champ d'investigation : la France et la société française, dans leur environnement international.
Vaste programme, me dira-t-on !
Mais des responsables et des militants politiques, comme nous le sommes, peuvent-ils se dispenser, à la veille d'une échéance politique capitale, de se demander sérieusement : "Où en est la France aujourd'hui ? Où en est la France à la veille de l'an 2000 ? Et où voulons-nous la conduire ?"
Nous attendrons des candidats à la prochaine élection présidentielle qu'ils répondent à ces questions et qu'ils nous proposent leur vision personnelle de notre avenir commun.
Nous devons nous préparer, dès maintenant, à ce débat, pour pouvoir juger en connaissance de cause. Ces universités, telles que vous avez voulu les organiser entre vous, jeunes gaullistes, marquent une première étape de notre indispensable réflexion. Permettez-moi d'y apporter ma modeste contribution.
Plus je voyage dans le monde, plus je me dis que l'inquiétude qui mine les esprits en France, depuis quelques années, est excessive.
La France est toujours riche et forte, même si les Français ne le savent pas.
Notre richesse par habitant est l'une des plus élevées du monde. Nous comptons parmi les 4 ou 5 premières puissances industrielles de la planète. Nous sommes le 4ème exportateur mondial et même, s'agissant des services, le 2ème. Notre agriculture et, plus généralement, notre filière agro-alimentaire se placent aussi au 2ème rang mondial. Plusieurs de nos grands groupes industriels, par exemple dans le domaine des transports, des télécommunications, de l'énergie, etc. ont fait la preuve de leur excellence internationale.
Quant à notre système de protection sociale, quels que soient ses défauts, il nous permet d'assurer entre les Français un degré de solidarité rarement atteint ailleurs.
Je vous rappelle ces réalités non point pour vous inciter à l'autosatisfaction ou à l'indolence, mais pour relativiser le pessimisme ambiant.
Est-ce à dire que tout va bien et qu'il ne nous reste plus qu'à gérer la prospérité existante ? Évidemment non !
La France présente aussi des fragilités. Sa richesse et sa puissance sont menacées. Il faut nous battre pour les préserver et les renforcer. Le constater aujourd'hui, ce n'est critiquer ou agresser personne. C'est tout simplement faire acte de lucidité et de vérité.
Le premier risque majeur qui pèse sur notre pays est l'effacement de son identité. Ce mot d'identité auquel le grand historien Fernand Braudel a donné ses lettres de noblesse, revient souvent, depuis quelques années, dans le discours politique. C'est le signe que les Français ont, plus ou moins clairement, conscience qu'il touche à l'essentiel, et que l'essentiel désormais, est en question.
Pourquoi ?
L'identité de la France, c'est d'abord le nombre des Français. Comment un pays frappé d'affaiblissement démographique pourrait-il affirmer son rayonnement et son dynamisme dans le monde ? Tout au long de notre histoire, il y a toujours eu coïncidence entre les périodes de vitalité démographique et les périodes de progrès économique et social.
Aujourd'hui la baisse de notre natalité est d'autant plus préoccupante que s'amplifient les mouvements de population qui conduisent sur notre sol un grand nombre d'hommes et de femmes auxquels nous n'avons pas su donner les moyens de "vivre au pays" et de se développer là où ils ont leurs racines.
L'identité de la France, c'est aussi sa langue et sa culture. Il est poignant pour le chef de la diplomatie française de constater que le français est de moins en moins, dans le monde et hélas ! en Europe, la grande langue de communication internationale qu'il était avant-guerre.
La francophonie est, certes, une communauté bien vivante. Mais il ne faut pas se leurrer : les jeunes générations qui prennent les commandes dans les pays les plus entreprenants ont plus souvent achevé leurs études supérieures dans une université américaine que dans une grande école française. Sommes-nous sûrs de nous donner les moyens d'inverser cette tendance ?
À ce mouvement de recul de notre langue s'ajoute la diffusion d'une culture uniforme souvent réduite au plus petit commun dénominateur, qui du – "hamburger" surgelé quotidien à l'incontournable "tube" musical de l'été, en passant par la tenue vestimentaire obligée – appauvrit nos modes de vie et nos traditions.
Uniformisation. Intégration… Certains sautent le pas et prédisent – quand ils ne souhaitent pas – la fin des Nations. L'avenir serait à "l'Europe des régions", formule qui indique, dans ses termes mêmes, qu'entre le niveau communautaire bruxellois et les pouvoirs locaux, il n'y aurait plus rien.
Premier défi : comment sauvegarder, renforcer, magnifier l'identité de la France sans tomber dans les excès inverses du nationalisme étriqué, du protectionnisme, de la xénophobie !
Le deuxième risque majeur que court notre pays en cette fin de siècle, c'est celui de la fracture sociale.
Jacques Chirac, dans ses "Réflexions" pour une "nouvelle France", a bien analysé le phénomène de l'exclusion. Je vous conseille, si vous ne l'avez déjà fait, de lire son livre. La montée du chômage a coupé plusieurs millions de Français du reste de la société, tant il est vrai que le travail est le meilleur moyen d'intégration sociale. Mais la perte d'emploi n'est pas la seule cause de marginalisation. Une fraction trop importante de notre population, souvent incapable de maîtriser notre propre langue, ne parvient plus à entrer dans le jeu social et échappe aux institutions – publiques et privées – dont la vocation est de mettre en œuvre les nombreux mécanismes de solidarité qu'au fil des années nous avons créés. Lorsqu'un tel phénomène touche près de cinq millions de personnes, il peut déstabiliser la société tout entière.
D'où le deuxième défi : comment éviter la fracture de la France en deux – d'un côté ceux qui participent à la vie et au progrès collectifs, de l'autre ceux qui en sont exclus ? – Comment remettre tous nos compatriotes dans la course ?
Troisième risque majeur, plus difficile à analyser et à nommer : ce que j'appellerai "la baisse de tonus" de la société française ; une certaine perte de créativité et de combativité ; la défiance en soi ; et, corrélativement, la montée des comportements frileux, introvertis, bureaucratiques.
Vous le savez bien : la compétition est partout de plus en plus rude. À l'intérieur de nos frontières. Avec nos partenaires extérieurs. La vieille Europe finit par douter d'elle-même devant l'insolente réussite de l'Asie ou l'émergence de l'Amérique du Sud. Le risque est grand que nous nous relâchions, que nous perdions le goût de l'effort, que nous nous en remettions à d'autres – à commencer par une Administration "Big Brother" tutélaire et ronronnant – du soin d'assurer notre avenir. Ce relâchement a un nom dans l'histoire des civilisations : décadence.
Troisième défi donc : comment réveiller les énergies de la France ? Comment redonner à tous les Français le goût et les moyens d'entreprendre, de créer, de conquérir – pacifiquement s'entend – leur juste place dans le monde ?
Voilà les risques et les défis, tels que je les sens.
Comprenez-moi bien : si je vous en parle un peu longuement, ce n'est pas pour distiller ici la morosité. C'est pour vous inviter à provoquer le sursaut. Nous devons être, vous devez être au cours des prochains mois, le "poil à gratter" des satisfaits et des résignés. Vous devez contribuer à la prise de conscience dont la France a besoin. Vous devez exiger de ceux qui solliciteront votre confiance qu'ils vous donnent leur explication de l'état de la France et qu'ils vous présentent leurs solutions.
Mon rôle aujourd'hui n'est pas de faire les questions et les réponses. Permettez-moi cependant de prendre quelques exemples de ce que pourrait être l'action réformatrice qui nous permettra de bâtir la "nouvelle France".
D'abord, un politique tout azimut de l'emploi.
Si notre analyse est la bonne, c'est le chômage qui déstabilise à la fois l'économie et la société française. C'est donc vers la création d'emplois que doivent être mobilisées toutes les énergies de la Nation. C'est la politique de l'emploi qui donnera sa vraie dimension sociale à l'action publique.
Condition sine qua non du retour de l'emploi : le retour de la croissance. La condition n'est certes pas suffisante – j'y reviendrai – mais elle est absolument nécessaire.
Or la croissance ne revient que lentement. Il faudra accélérer la cadence, et surtout assurer sa régularité.
Comment ?
La croissance, c'est d'abord nous-mêmes, c'est-à-dire les mesures que peut prendre le gouvernement français. Celui d'Édouard Balladur a montré l'exemple. Il faudra poursuivre et amplifier, par exemple en favorisant l'accession à la propriété du logement, en passant-commande des infrastructures collectives dont le pays a encore besoin, en modernisant le financement de nos PME.
La croissance, c'est aussi l'Europe et nos partenaires : les grands projets annoncés dans le domaine des transports et de l'énergie devront être effectivement lancés ; l'effort communautaire de recherche devra être prolongé ; l'Union Européenne devra mieux défendre ses intérêts dans l'organisation du commerce mondial. Ce ne sont là que des exemples.
Il est vrai que la croissance ne suffira pas. Il est vrai que nous devrons aussi imaginer une nouvelle croissance qui soit davantage créatrice d'emplois. Et créatrice de nouveaux emplois. C'est une banalité que de le dire, mais aussi une vérité : nos grandes entreprises – industrielles ou autres –totalement exposées à la dure loi de la concurrence internationale, ne donneront pas, dans les années qui viennent, assez de travail pour tous ceux qui en chercheront. C'est ailleurs que se trouveront les gisements d'emplois : dans l'immense réseau des petites et moyennes entreprises de tous métiers services collectifs, services à la personne, mais aussi services aux entreprises… – qui sont le signe de la vitalité d'une société. C'est leur éclosion qu'il faut encourager, en aidant ceux que tente l'aventure.
J'évoquais ici même à Bordeaux, il y a deux mois, quelques-unes des réformes qui me paraissent nécessaires pour cela : la réforme de l'organisation du temps de travail ; la réforme du financement de la protection sociale pour abaisser le coût direct du travail ; celle du régime fiscal et administratif des nouveaux emplois, notamment dans les services; la réforme de notre système de formation, et principalement celle du premier cycle de l'enseignement supérieur ; la réforme du service public de l'emploi qu'il faut à la fois unifier et régionaliser ; celle enfin de l'aménagement du territoire que Charles Pasqua vient d'amorcer.
Faute de temps, je ne développerai pas chacun de ces points. Ensemble, ils constituent une stratégie globale de l'emploi qui devrait, peu à peu faire reculer le fléau.
Encore faudra-t-il que le pays se mobilise. Et c'est la raison pour laquelle nous devrons stimuler le dynamisme de la Nation tout entière. Jacques Chirac a cette idée en tête lorsqu'il parle, dans son livre, de "l'esprit de conquête".
La France ne doit pas devenir une puissance médiocre. Elle doit demeurer une puissance de premier plan. Elle en a les moyens. Elle doit jouer à fond les atouts qu'elle détient. Ces atouts sont plus spirituels ou intellectuels que matériels. Deux mots les résument : l'intelligence et le dynamisme des Français. Voilà où doivent porter tous nos efforts : un système éducatif performant, une recherche d'excellence, une volonté de présence et d'ouverture au monde, l'agressivité de nos entreprises, le souci constant d'exporter et de conquérir des marchés, l'aide à ceux qui, s'expatriant, incarnent la France à travers la planète, mais aussi l'obsession de la promotion sociale, de l'égalité des chances, de la participation et de la responsabilité dans le travail quel qu'il soit. Le dynamisme français passe par une plus grande solidarité, par l'invention d'une nouvelle citoyenneté qui s'exprime aussi bien dans l'entreprise que dans la cité.
Sur de telles bases, nous pourrons enfin promouvoir – et ce sera mon troisième exemple – une grande politique du rayonnement français en Europe.
Nous avons eu sur l'Europe, au cours des années et des mois récents, un vrai et bon débat entre nous. Entre nous, gaullistes. Entre nous, Français.
Il me semble que notre vision s'est désormais clarifiée. Nous discernons mieux le dessin de la Grande Europe que nous appelons de nos vœux d'ici l'an 2000. Nous percevons bien l'importance, je dirais même la gravité de l'enjeu : saurons-nous réussir la mutation de la Communauté de l'Ouest européen que nous avons édifiée du temps du rideau de fer en cette Union de la Grande Europe à laquelle aspire notre continent ?
Il le faut car nous l'avons promis aux États européens qui subissaient naguère le joug communiste.
Il le faut car ce sera un facteur de stabilité pour l'Europe tout entière.
Il le faut car, si nous nous y refusions, le couple franco-allemand n'y résisterait pas et l'Union européenne telle qu'elle n'est aujourd'hui pas davantage.
L'élargissement vers la Grande Europe comporte évidemment des risques : celui de la dilution de l'Union Européenne en une simple zone de libre-échange, celui de la disparition des politiques communes qui font l'identité de l'Union ; celui de la paralysie du processus de décision.
Voilà pourquoi il faut le préparer avec soin – et avec imagination. Il est probable que la nouvelle Europe qui émergera de ces futures négociations sera plus souple et plus diverse que celle dont rêvaient les Pères Fondateurs dans les années 50. Mais après tout, n'est-ce pas ce que, nous gaullistes, avions toujours pressenti ?
Quoi qu'il en soit, la France aura un rôle déterminant à jouer dans ce qui m'apparaît comme la grande affaire de notre politique extérieure pour les 5 ou 7 ans qui viennent. Il faut nous donner les moyens politiques et matériels de d'assumer pleinement sans timidité et sans complexes.
Mener un politique tout azimut de l'emploi ; redonner à la Nation dynamisme et esprit de conquête ; promouvoir une grande politique du rayonnement français en Europe ; voilà pour après-demain, me direz-vous…
Mais pour demain ?
Comment le RPR va-t-il vivre les 9 prochains mois ? La gestation présidentielle ne sera-t-elle pas trop douloureuse ?
Je comprends votre inquiétude. Je me dois d'y répondre… ou, en tout cas, d'essayer. Je conclurai par là.
Je sais déjà ce que nous ne devrons pas faire, dans quels pièges nous ne devrons pas tomber. Je résumerai ma pensée en une formule : ni passivité ni agressivité.
Nous ne resterons naturellement pas indifférents ou passifs. Nous participerons au débat présidentiel dont notre démocratie a besoin. Nous poserons les vraies questions, nous soulèverons les vrais enjeux, nous exprimerons notre choix. Je vous l'ai déjà dit : c'est notre devoir de militants politiques. Nous sentons bien qu'une page de l'histoire politique de notre pays va être tournée : la page de 10 années de socialisme, de deux septennats de mitterrandisme. Une nouvelle période va s'ouvrir. Une grande formation politique, la première de France, se condamnerait à l'effacement durable si elle n'était pas de ce combat.
Faudra-t-il, pour autant, chercher la confrontation, voire l'exclusion ; faire campagne plutôt contre que pour ? Ce serait à coup sûr courir à l'échec, pour nous-mêmes et pour la majorité tout entière.
Je l'ai rappelé en commençant mon intervention : depuis 6 ans, nous avons tout fait pour donner de notre Rassemblement l'image d'une formation ouverte et tolérante.
Ne nous refermons pas. Sachons assumer les conséquences de cette évolution et de notre diversité.
Nous y parviendrons d'autant mieux que, le moment venu, nous saurons définir une règle du jeu claire, susceptible de nous conduire à ce qui doit être notre seul objectif : permettre à un gaulliste d'assumer la responsabilité de conduire la France et les Français pendant les 7 prochaines années.
Le moment venu, ai-je dit.
Je sais, d'expérience, que la patience n'est pas de votre âge.
Vous aimeriez connaitre déjà la fin de l'histoire. Ou du moins les prochains épisodes…
Y aura-t-il, par exemple, des primaires ? J'ai donné mon sentiment sur cette question : si tous les partis concernés, si tous les candidats potentiels y sont prêts, appliquons donc l'accord que nous avons, après mûre réflexion, signé en 1992.
Mais devons-nous vraiment, ici et maintenant, jouer les mécaniciens de la politique ?
N'avez-vous pas, vous jeunes gaullistes, un autre rôle à assumer ? N'est-ce pas à vous qu'il incombe, mieux qu'à tous autres, de replacer le débat au niveau des valeurs et principes de l'engagement politique ?
Laissez-moi, pour finir, vous en suggérer deux : d'abord, la volonté d'unité.
Notre Rassemblement doit, par-dessus tout, préserver son unité parce que nous aurons besoin, la France aura besoin d'un mouvement gaulliste en 1995, mais aussi en 1996, en 1997 et ainsi de suite.
Soyez donc les garants de l'unité.
Ensuite la passion de la France.
Ce que les Français attendent plus ou moins consciemment pour la France, c'est un projet qui entraîne, un idéal qui rassemble, un rêve qui grandisse.
Or, de quoi leur parle-t-on à longueur de colonnes ? De sondages… Est-on si sûr qu'ils en feront, l'an prochain, leur critère de choix ?
Je crois pour ma part qu'au moment décisif, celui où l'on vote, ils chercheront autre chose : un grand projet, une grande ambition, un nouvel élan pour la France.
Soyez donc des passionnés de la France. Et demandez-vous avec qui vous avez envie de partager cette passion. La réponse monte de vos poitrines, aujourd'hui à Bordeaux, comme l'an dernier à Strasbourg : oui, que Jacques Chirac montre le chemin ; il sait qu'alors vous serez là – et moi avec vous – pour le suivre.
22 septembre 1994
Chers Compagnons,
Nous avons l'habitude de dire que ce qui nous rassemble nous gaullistes ce qui nous unit, est beaucoup plus fort que ce qui nous distingue et peut éventuellement nous séparer.
C'est vrai. Nous l'avons, je crois, abondamment prouvé au cours des années passées.
Encore faut-il nous remettre de temps en temps en tête ce qui nous rassemble.
Parmi tout ce que nous avons en commun, il y a notamment me semble-t-il, l'attachement à notre mouvement, au Mouvement gaulliste, au Rassemblement pour la République.
Ce n'est pas un attachement de routine ni la manifestation d'un esprit de chapelle.
Nous y sommes attachés parce que nous partageons la conviction que le RPR est aujourd'hui plus nécessaire que jamais et qu'il le sera tout autant demain.
Oui, le RPR est nécessaire.
Il l'est d'abord parce qu'il est une mémoire.
Nous assistons ces temps-ci à de curieuses relectures de l'Histoire qui brouillent les idées des Français, qu'ils aient ou non vécu la période de la guerre. Notre responsabilité, à nous Gaullistes, est de rappeler, comme l'a fait récemment avec talent Charles Pasqua, qu'il y eut dès le premier jour des Français qui surent distinguer le vrai du faux et prendre le vrai chemin. Notre guide spirituel et politique a été et demeure celui qui le premier sut brandir la flamme de la résistance française. Notre histoire, à nous Gaullistes, elle est là et nulle part et la première mission du RPR est d'en faire mémoire.
Sa mission est aussi de préparer l'avenir, de proposer aux Français une vision de la France de l'an 2000. Comme je le disais récemment à Bordeaux, nous ne sommes pas simplement un conservatoire d'idées, nous devons être aussi un laboratoire d'idées. Le RPR est nécessaire pour affirmer haut et fort l'idée qu'il se fait de la France : le sens qu'il donne au mot de Nation, de République, d'État, la priorité qu'il accorde à la dimension sociale de la politique sans laquelle la France ne saurait sauvegarder ni renforcer sa cohésion et son identité même. Je n'ai pas entendu ce matin le discours de Philippe Séguin, mais je l'ai lu et j'ai constaté que comme à l'habitude, il nous rappelait l'exigence sociale du gaullisme en termes excellents.
Le RPR est enfin nécessaire parce que sa capacité de rassemblement est à nulle autre pareille. Rassembler a toujours été l'un des mots phares du message du Général de Gaulle.
Rassembler – c'est-à-dire transcender les clivages sociaux intellectuels spirituels – a toujours été l'ambition du mouvement gaulliste qui porte d'ailleurs le nom même de rassemblement dans son titre.
Rassembler nous l'avons fait en devenant le premier parti de France, que l'on compte en voix dans le pays ou en nombre de sièges à l'Assemblée nationale.
Si l'un des nôtres, Édouard Balladur, conduit avec notre plein soutien le gouvernement de la France, c'est parce que notre action collective nous a permis en mars 1993 d'être le groupe majoritaire de la nouvelle majorité.
Dois-je rappeler la question fréquemment posée à la commission d'investiture que je dirigeais alors : "Obtiendrons-nous un nombre suffisant de primaires pour faire la différence à l'Assemblée nationale ?" Nous l'avons fait.
Cette nécessité du RPR que nous ressentons profondément aujourd'hui sera plus forte encore demain. Comment la sauvegarder, comment la développer ? Telle doit être une de nos préoccupations primordiales, telle est en tout cas la priorité de votre Secrétaire général et la mission que m'a confiée notre Conseil national en me renouvelant au printemps dernier sa confiance à la quasi-unanimité.
Le chemin à suivre me semble clair : il nous faut rester fidèle à nous-mêmes, c'est-à-dire, rester rassemblés car notre cohésion est notre plus grande force.
La meilleure manière d'atteindre cet objectif sur lequel je pense tout le monde sera d'accord ici, ne me paraît pas pratiquer la politique de l'autruche. Assez de faux fuyants ou de non-dits nous avons le devoir de regarder la réalité en face, et cette réalité, nous le savons tous les Français le savent bien, c'est que dans la perspective de la prochaine élection présidentielle, il y a dans nos rangs et dans ceux de la majorité, plusieurs candidats. Plusieurs candidats qui se préparent. Plusieurs candidats autour desquels se constituent des équipes. Ce n'est pas en janvier que le problème se posera à nous, il est déjà posé.
Le mieux serait, nous en sommes tous convaincus j'en suis convaincu pour ma part, que se dégage une candidature d'union. Vous me direz "Comment y parvenir ? ».
Charles Pasqua a eu une idée, qu'il expose de manière récurrente avec beaucoup de force : cela s'appelle les Primaires à la Française.
Au nom du Rassemblement Pour la République, j'ai répondu que nous étions naturellement prêts à honorer notre signature. Nous avons en 1992 conclu un accord entre le RPR et l'UDF. Je l'ai signé beaucoup d'entre vous l'ont signé il va de soi que le RPR tient ses engagements. Cet accord, je vous en rappelle en passant la philosophie : cela n'était pas une sorte de troisième tour précédent de 15 jours ou d'un mois le premier, au risque d'ouvrir prématurément une polémique. C'était une dynamique à créer dans le pays, suffisamment à l'avance pour que le moment venu tout le monde puisse se retrouver sur un candidat unique. La balle ne me semble plus être désormais dans le camp des partis : ils ont donné leur accord. La balle est dans le camp des candidats potentiels : c'est à eux de dire s'ils acceptent cette règle du jeu. Comment en effet faire des primaires sans que tous les candidats potentiels s'engagent à y participer ?
Chaque jour qui passe rend la chose plus difficile pour ne pas dire plus improbable.
Alors, ici ou là on songe à d'autres procédures. Certains suggèrent le colloque singulier ; ou le rapport de force, ce qui est déjà moins agréable et moins sympathique.
Quoi qu'il en soit, pour aujourd'hui et pour demain, et c'est cela que je voulais vous dire ce soir, il nous faut une règle du jeu. Le mouvement, ses dirigeants, nous tous nous devons nous préparer à être les garants d'une règle du jeu.
Et quand je parle de règle du jeu, je ne parle pas de dispositions techniques (il en faudra peut-être) je parle d'un état d'esprit. Je parle de l'esprit de tolérance, je parle de l'esprit d'un respect mutuel, je parle de l'esprit de compagnonnage.
Pourquoi faut-il, quand tel d'entre nous. Quel qu'il soit, exprime sa préférence, que tel autre l'invective ? Cela nuit à ceux qu'on croit servir et cela nuit au Rassemblement tout entier.
Alors que diable, privilégions le calme et la sérénité. Ce qui ne veut pas dire l'absence de débat. Soyons calmes et sereins, ce qui ne veut pas dire muets. C'est ce que je vous propose pour les prochaines semaines et les prochains mois.
Quand je parle de compagnonnage je ne dis pas cela par excès d'affectivité, (on a longtemps pensé que je ne pêchais pas dans ce domaine par excès), je dis cela par réalisme et par conviction : notre cohésion est la condition de notre succès.
Eh bien ! Je vais vous faite une confidence : j'ai envie de gagner, de faire gagner le RPR pour faire gagner la France.
Je le pense très profondément. Si nous nous respectons mutuellement, si nous sommes capables de faire preuve de cet esprit de tolérance et de compagnonnage que j'évoquais tout à l'heure, nous devons gagner nous allons gagner. Ce pourrait être, je vous le propose ce soir entre nous tous, l'engagement de Colmar.