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Le débat national lancé par François Bayrou n'aborde pas en tant que telle la relation école-entreprises. Impossible pourtant de dessiner l'école de l'avenir sans parler de l'emploi.
François Bayrou a lancé vendredi « le grand débat national sur l'avenir du système éducatif ». Les travaux se dérouleront en continu jusqu'en mai. Vingt commissions sont créées autour de quatre thèmes : missions et contenus du système éducatif, école et société, vie des établissements, métiers de l'éducation. Le travail sera ponctué par des journées thématiques décentralisées, plus des journées plénières à Paris. Il pourrait être conclu le 19 mai. Le ministre de l'éducation nationale se déclare frappé par « l'épaisseur du brouillon » et il appelle à « poser ensemble (…) les bonnes questions ». Ainsi, après avoir subi le choc de la manifestation du 16 janvier et consenti quelques crédits et postes supplémentaires, le ministre tente de renouer la discussion. Il suggère la recherche d'un « nouveau contrat pour l'école ».
Dans les faits, beaucoup de changements du système scolaire ont eu lieu au long de quarante années d'explosion de la demande scolaire. L'Éducation nationale peut se justifier d'un bilan honorable. Mais chacun pressent la nécessité de nouvelles mutations. Pour un progrès pou pour une régression ? La société est peut-être moins bloquée ou angoissée car elle a le sentiment que les enjeux ne sont pas maîtrisés.
L'introuvable coopération école-entreprise
Dans son discours comme dans le découpage thématique, le ministre n'a pas fait place aux relations à construire entre l'école et l'économie. Pourtant, avec les contenus scolaires, il s'agit d'un des enjeux les plus cruciaux.
Comment impliquer la société et d'abord les jeunes, dans un nouveau contrat quand le lien est brisé entre la formation et l'insertion dans l'emploi ? D'autant que les effets de création des BTS, DUT, baccalauréats techniques et professionnels sont dévalorisés. La rupture des garanties salariales pour les jeunes diplômés, avec le CIP, risque d'être perçu comme un coup de grâce. Le Haut Comité éducation économie estimait, dans une étude récente, que la moitié d'une classe d'âge devrait obtenir un diplôme au moins égal à bac + 2 à l'horizon 2000.
Durant les « trente glorieuses » d'après-guerre, la régulation du système scolaire s'est faite en lien avec une anticipation des besoins d'emplois dans un contexte de croissance. Aujourd'hui, on peut d'autant moins s'ajuster sur l'emploi qu'il chute. Le ministre a précisé que « le choix du gouvernement n'est pas de faire remplir à l'école une fonction productiviste ». Est-ce rassurant ou inquiétant ? Si on ne veut pas renoncer à établir une relation formation-emploi, alors l'école comme l'entreprise doivent assumer une culture d'efficacité sociale. À l'école de former des citoyens, des salariés, des entrepreneurs, avec une éthique de responsabilité et de solidarité, de susciter l'esprit critique et l'interactivité. Dans cet esprit, la formation générale et la formation professionnelle seraient articulées dans chaque filière et non dissociées. Aux entreprises de développer qualification et emploi. Ce à quoi la réduction des charges et du coût du travail ne les incitent pas.
Dans l'immédiat, la contrainte du financement constitue le vecteur essentiel du remodelage du système éducatif. Les transferts aux collectivités locales et aux familles et le développement d'un marché de l'école risquent d'aboutir à un véritable dualisme scolaire. Ces mutations peuvent provoquer la rupture du principe de service public non marchand sur lequel est fondée l'éducation française.
Le gouvernement n'a pas exclu de proposer une loi de programmation financière. Syndicats et associations y trouveront-ils leur compte ? Il faudrait inclure le financement des entreprises dans le contrat. Mais les enseignants ont peur des entreprises et les entreprises n'acceptent pas de partager les coûts.
Dur, oui d'envisager une telle « coopération », au-delà des luttes et des négociations au demeurant nécessaires. Pourtant, la société en a besoin.