Texte intégral
LE POINT : Quelque chose a-t-il changé dans ce pays après le Mondial ?
Philippe Séguin : Sûrement. D’abord, les Français ont pris conscience de l’importance et de la nécessité de l’intégration : leur équipe leur a renvoyé une image qui les a d’abord surpris, mais qui leur a finalement beaucoup plu… Je crois sincèrement que cela fera des racistes en moins, en même temps que plus de sérénité et d’espoir pour les jeunes Français venus d’ailleurs. Et puis, je crois que la France, qui se dénigre volontiers, se sera donné les moyens d’avoir davantage confiance en elle-même.
LE POINT : Avez-vous été surpris par cet enthousiasme de la part d’un pays qu’on dit blasé ?
Philippe Séguin : Oui et non. Le football a des capacités fédératrices et mobilisatrices fortes. On les connaissait déjà au niveau de telle et telle ville. On les découvre aujourd’hui au niveau national. C’est tout, et c’est bien. M. Jospin et M. Hollande me faisaient reproche de trop m’intéresser au foot. Aujourd’hui, ils doivent comprendre pourquoi.
LE POINT : Comment doit, selon vous, s’analyser cette forme de patriotisme sportif ? Faut-il y voir un « renouveau du nationalisme », comme on l’a entendu ?
Philippe Séguin : Il n’est pas question de nationalisme. Car il s’est agi, tout au long de ce Mondial, de tous sauf de chauvinisme. Le 13, il n’y avait pas que des Français sur les Champs-Elysées ; il y avait aussi, en particulier, des jeunes qui agitaient d’une main un drapeau algérien, de l’autre un drapeau français, histoire de rappeler et de revendiquer les origines de la famille Zidane…
C’est cela, toute la magie de la Coupe du monde de football : exalter en même temps l’esprit national et l’entente entre toutes les nations.
Souvenez-vous, dans cette double perspective, d’Iran - Etats-Unis : ce fut un événement fort à la fois pour les deux pays et pour les Iraniens de toutes obédiences, qui après avoir échangé des slogans hostiles, ont communié dans le même soutien à leur équipe…
LE POINT : Faut-il lire dans cette ferveur nationale la crainte d’une perte d’identité liée à l’intégration européenne ou à la mondialisation ?
Philippe Séguin : Ne prenons pas les choses de manière négative. Voyons-y la volonté d’être, de rester français, avec notre manière d’être, notre manière de voir les choses. Soyons clairs : aimerions-nous autant les Ecossais sans leurs kilts, leurs flasques de whisky et leurs chants ou les Brésiliens sans leur samba et leur insouciance ? Quel monde ennuyeux que celui où nous nous ressemblerions tous ! Ce qui était beau dans les stades, c’étaient les taches de couleurs différentes.
LE POINT : Que pensez-vous de cette espèce de frénésie qui s’est emparée des hommes politiques, même au plus haut niveau, dans la célébration du football français victorieux ? Aviez-vous remarqué avant ce Mondial, que Jacques Chirac était un passionné de foot ?
Philippe Séguin : Vous ne pourriez pas nous f… la paix ? On n’a pas le droit de vibrer dans un Mondial ou de célébrer la victoire de la France, sous prétexte qu’on est un homme politique ? Moi, la victoire de la France, ça fait quarante ans que je l’attends, depuis que la France a dû jouer à 10 contre les Brésiliens, à Stockholm… Alors, vous pensez bien que toutes ces histoires, je ne me sens pas concerné. Et si M. Jospin veut se souvenir, pour les besoins de « récupération », qu’il a été gardien de but, grand bien lui fasse. Quant à M. Chirac, il m’est arrivé plus souvent qu’à mon tour de le croiser au Parc des Princes.
LE POINT : Cette euphorie ne risque-t-elle pas de retomber ? Comment la transformer durablement en énergie nationale ?
Philippe Séguin : Bien sûr qu’elle risque de retomber. Mais il en restera forcément quelque chose. Dans notre âme collective. Et en chacun de nous.
LE POINT : Cet événement donne-t-il le signal de la vertu et de l’effort ? La méthode Jacquet devient-elle un modèle ?
Philippe Séguin : Et pourquoi pas ? Ce Mondial nous a rappelé que rien n’est impossible, que rien n’est écrit. Pour peu qu’on le veuille. Pour peu qu’on s’en donne vraiment les moyens. Bref, il faut y croire… C’est le préalable. La condition de tout.