Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur les relations entre la France et la Roumanie, la progression de la Roumanie vers l'Union européenne et l'embargo vers l'ex-Yougoslavie, Bucarest le 8 septembre 1994.

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Circonstance : Voyage officiel de M. Juppé en Roumanie les 7 et 8 septembre 1994

Texte intégral

Conférence de presse conjointe du ministre des Affaires étrangères, M. Alain, Juppé, et du ministre des Affaires étrangères Roumain

Propos du ministre – première partie (Bucarest, 8 septembre 1994)

Mesdames et Messieurs, compte tenu de peu de temps que nous avons devant nous, je vais essayer à mon tour d'être très bref. Je voudrais remercier le Ministre d'État, M. Melescanu, de m'accueillir ici dans son ministère pour cette rencontre avec la presse. Mon séjour a été bien rempli depuis hier, comme vient de le dire M. Melescanu. J'ai eu l'occasion de rencontrer longuement le Président de la République, le Premier ministre, les présidents des deux Assemblées, le ministre des Affaires étrangères, bien entendu, hier soir au cours du diner plusieurs ministres et, ce matin, plusieurs responsables de la vie politique roumaine dans toutes ses tendances. Bref, en quelques heures, j'ai pu aborder énormément de sujets.

Je n'entrerai pas ici dans le détail de toutes les questions bilatérales ou internationales que nous avons traitées. Je suis prêt à répondre à vos questions, bien entendu. Je voudrais simplement insister sur les trois points qui me paraissent les plus importants dans ce voyage. Premier point : la volonté du gouvernement français d'affirmer de manière tout à fait solennelle, et en même temps très concrète, sa détermination à développer le caractère privilégié des relations entre la France et la Roumanie. Je ne me sens pas – je vous le dis très sincèrement – à 2 500 kilomètres de Paris ici. Je crois que la distance réelle, la distance affective entre nous est beaucoup plus réduite que la distance géographique et j'ai pu apprécier la force du lien culturel, linguistique, historique, politique qui existe entre nos deux pays. C'est une chance pour la France, je crois. J'espère que c'est aussi une chance pour la Roumanie et nous voulons donc développer cette solidarité particulière.

Deuxième message, nous sommes très vigilants en France à ce que la Roumanie puisse progresser vers l'Union européenne au même pas et dans les mêmes conditions que tous les autres pays d'Europe centrale et orientale. Nous avons toujours beaucoup insisté au sein des Douze pour qu'il n'y ait pas deux poids et deux mesures : tous les pays qui le souhaitent et qui appartiennent à la famille européenne doivent se voir donner les mêmes chances et les mêmes possibilités, et ceci continuera à nous inspirer notamment pendant la Présidence française de l'Union européenne que nous assumerons, vous le savez, pendant le premier semestre de l'année 1995.

Enfin, troisième message à l'occasion de ce voyage ; notre désir de développer nos relations économiques. Nos positions culturelles et linguistiques sont fortes mais tout cela risquerait à l'avenir de s'étioler si la présence économique française n'était pas développée. Nous sommes déjà très présents : le quatrième partenaire commercial, le deuxième investisseur, mais nous pouvons faire mieux. Il faut, pour cela, qu'un certain nombre de règles du jeu soient bien définies. C'est le cas récemment avec l'accord de protection des investissements. Il y a peut-être encore d'autres points à éclaircir dans ce domaine, mais nous nous emploierons, nous gouvernement français, à inciter nos entreprises à s'intéresser, plus encore qu'elles ne le font, à la Roumanie. Il nous semble qu'après une période extrêmement difficile, après une récession très sévère, très pénible, très douloureuse, les choses sont en train de s'améliorer. On voit réapparaître ici des perspectives de croissance et de stabilité. Je crois que c'est ce moment-là qu'il faut saisir pour intensifier nos échanges.

Voilà, c'est cette Roumanie ouverte sur l'Europe, poursuivant son processus démocratisation, poursuivant ses réformes économiques que nous apprécions, que nous aimons. Je crois même, on peut le dire, que c'est elle que nous sommes prêts à aider dans cette marche, dans le cadre notamment de la coopération européenne. Je suis prêt maintenant à répondre à vos questions.

Q. : Monsieur Juppé, la Roumanie, qui perd beaucoup d'argent en raison de l'embargo imposé par les Nations-Unies à la Yougoslavie, est très intéressée par la levée de ces sanctions ? Quelle est la dernière position du groupe de contact, et notamment de la France, vis-à-vis de la suspension de l'embargo ?

R. : Nous sommes parfaitement conscients des difficultés que créent, notamment aux pays riverains du Danube, les sanctions prises par le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Je voudrais le rappeler, à l'encontre de la Serbie-Monténégro. J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises dans les rencontres du groupe de contact : il faut prendre en considération ces difficultés, notamment dans le domaine économique. Cela-dit, il faut bien voir quel était l'objectif politique de ces sanctions. Ces sanctions sont là pour résoudre une crise majeure qui menace la stabilité de l'ensemble du continent européen. Donc, c'est en fonction de l'évolution de cette crise que l'on peut envisager la levée des sanctions.

Quelles sont les perspectives dans ce domaine ? Vous savez que le groupe de contact, qui réunit les Américains, les Russes et trois pays européens, s'est réuni hier à Berlin. Il a bien travaillé, la cohésion du groupe a été maintenu, un certain nombre de points d'accord ont été enregistrés.

Parmi ces points d'accord, il y a l'idée que, dans la mesure où les décisions prses à Belgrade à l'encontre des Bosno-Serbes sont maintenues et efficacement appliquées, on pourra s'engager dans un processus de suspension progressive des sanctions. Une première étape pourrait être franchie dans les prochaines semaines, dans les conditions qui seront maintenant précisées par le groupe de contact.

Q. : (inaudible).

R. : Première question : peut-on modifier le plan qui a été mis au point par le groupe de contact. La réponse est non. Nous l'avons toujours dit, ce plan doit être accepté en l'état. Les seules modifications qui pourraient être envisagées sont des modifications contenues par mutuel accord entre les parties. Si les Croates, les Musulmans, les Bosno-serbes se mettent d'accord pour nous proposer une modification territoriale, alors nous l'acceptons. Mais, nous ne sommes pas d'accord pour entre dans une nouvelle procédure de discussion du plan. J'ajoute que le plan ne règle pas tout et que, notamment, les aspects institutionnels pourront, eux, continuer à être discutés.

Deuxième question : solidarité du groupe de contact ? Je viens de vous le dire, à Berlin, la solidarité entre les Américains, les Russes, les Français, les Britanniques, les Allemands a été forte et il y a, de tous côtés la volonté de maintenir la cohésion du groupe, parce que si ce groupe éclatait, alors on serait reporté six mois ou un an en arrière.

Enfin, vous me parliez des conséquences du référendum qui a eu lieu en Bosnie. Ce référendum, nous l'avons dit, avant même qu'il ait lieu, est nul et non avenu. Les conditions dans lesquelles il s'est déroulé, l'information très partisane, très sectaire qui a été donnée à la population et aux « électeurs », entre guillemets, font que ces résultats, de notre point de vue, n'ont aucune signification.

Q. : (inaudible).

R. : La France, oui, j'ai eu l'occasion de le dire à Genève et je l'ai d'ailleurs déclaré publiquement, y compris dans certaines interviews données à des journaux français. Nous pensons qu'un certain parallélisme de traitement est normal. La fédération croato-musulmane s'est confédérée avec la Croatie. Dans ces conditions, il me paraîtrait normal que l'entité serbe de Bosnie-Herzégovine, puisse avoir des liens particuliers avec la Serbie-Monténégro. C'est l'une des suggestions faites par la diplomatie française, soutenue par d'autres, mais nous continuons à en discuter au sein du groupe de contact.

Q. : Monsieur le ministre, pourriez-vous nous offrir quelques détails sur la prochaine réunion multilatérale franco-allemand-roumaine de 1993 ? Comment envisagez-vous le caractère privilégié des relations franco-roumaines ?

R. : Sur le premier point, nous avons pris une décision de principe de créer une concertation trilatérale entre la France, la Roumanie et l'Allemagne. C'était le vœu de chacun de nos trois pays. Nous sommes maintenant en train de mettre cela sur pied. Nous avons décidé, nous en sommes convenus hier avec M. Melescanu – et j'en avais parlé avec M. Kinkel il y a quelques semaines – de provoquer une réunion de hauts fonctionnaires d'ici la fin de l'année, de façon que la première réunion ministérielle puise se tenir dans les premiers mois de l'année 1995.

Votre deuxième question est plus générale et m'amènerait à de longs développements. La relation privilégiée entre la France et la Roumanie se marque de multiples manières. D'abord je l'ai dit, par notre coopération bilatérale, culturelle, linguistique, scientifique, par nos échanges économiques, par la création d'un certain nombre de mécanismes de coopération politique. Nous avons par exemple décidé de faire travailler très régulièrement nos deux ministres sur l'ensemble des questions bilatérales et internationales. Il y a également notre coopération dans d'autres instances internationales : on a évoqué ce groupe à trois, j'ai dit aux autorités roumaines que la France serait très intéressée par une participation accrue à la coopération entre les pays du Danube, et de même, nous pouvons envisager d'autres formules de consultations. Bref, c'est un peu une action tous azimuts qu'il s'agit d'engager, toutes les circonstances doivent être exploitées pour qu'entre la France et la Roumanie il y ait un lien particulier.

Q. : Avez-vous discuté avec les autorités roumaines de l'accord apparent de Belgrade concernant l'envoi d'observateurs non-militaires pour vérifier l'embargo contre la Bosnie ? Est-ce que la Roumanie est intéressée ? Pourriez-vous nous citer les organismes auxquels vous pensez ?

R. : Nous avons évoqué cette question avec le Président et le Premier ministre, avec le ministre des Affaires étrangères bien entendu, puisque la Roumanie, comme la France est très intéressée au règlement de la question de l'ex-Yougoslavie. J'ai dit à plusieurs reprises que nous étions prêts à nous engager dans une procédure de suspension progressive des sanctions, pour autant que l'embargo décrété par Belgrade contre Pale était durable et effectif. De ce point de vue, il nous semble qu'un système de surveillance de cet embargo doit être mis en place. Le principe en a été arrêté hier au groupe de contact, les modalités ne sont pas fixes donc je ne peux pas répondre à la question que vous me posez sur les organismes. Je vous laisse libre de penser à qui vous voulez, on vous répondra quand les modalités auront été mises en œuvre. Ces questions sont difficiles alors, ne faisons pas de fausse manœuvre, ne parlons pas trop avant que les décisions ne soient prises.

Q. : Est-ce que le sujet de la compensation aux pays touchés par l'embargo contre la Serbie a été évoqué lors de vos entretiens à Bucarest ? Si oui, quelle a été votre position ?

R. : Nous avons effectivement dit un mot rapide. Ma position de principe est favorable d'ailleurs. À Genève, le 30 juillet, lorsque nous avons évoqué les modalités d'application de l'embargo, il avait été convenu que nous discutions avec les pays touchés par la mise en œuvre de l'embargo des conséquences économiques que cela comporte pour eux. Je continue ç penser que cette discussion devait être engagée entre les Américains, l'Union européenne et les principaux pays concernés.

Q. : Paris a alloué une somme de 41 millions de francs français pour les relations dans le domaine culturel et scientifique, mais pour quelle méthode ? Avez-vous évoqué l'accord que Paris souhaite mettre en œuvre pour l'encouragement des investisseurs français en Roumanie ?

R. : Sur le premier point, c'est l'enveloppe annuelle de coopération entre la France et la Roumanie. Chaque année, nous mettons en place à peu près une quarantaine de millions de francs de crédits, sous différentes formes.

J'en profite d'ailleurs pour faire une toute petite parenthèse pour rappeler que si l'on met de côté les institutions financières internationales, c'est l'Union européenne qui a apporté au cours des dernières années 80 % de l'aide totale apportée à la Roumanie et je voudrais rappeler – parce que cela on ne le sait jamais – que dans le total de ce que fait l'Union européenne, 20 % viennent de la France : quand l'Union européenne donne 100, il y a 20 qui viennent du budget français. Donc, c'est en général sous le drapeau de l'Union, mais il faut quand même se rappeler que la France est très présente.

En ce concerne le développement de nos relations économiques, je n'ai pas le temps de rentrer dans le détail ; j'ai parlé de l'accord sur la protection des investissements qui me paraît un excellent signal, il a été paraphé, il sera prochainement signé. Nous avons évoqué les problèmes de crédits commerciaux – notamment des règles appliquées par la COFACE – je voudrais d'ailleurs à ce propos rappeler que le plafond des engagements de la COFACE vis-à-vis de la Roumanie a été récemment relevé. Je voudrais aussi bien souligner un point qui me paraît important pour encourager les investisseurs étrangers : il faut leur assurer une stabilité des règles économiques applicables et une certaine sécurité aussi dans les relations avec l'administration et les autorités locales et c'est un point sur lequel, aussi, il faut que nous soyons vigilants.

Q. :  M. le Premier ministre, Édouard Balladur, a évoqué la possibilité de construire une Europe à trois vitesses. Plus récemment encore, le parti du gouvernement de l'Allemagne a évoqué la possibilité de construire une Europe à cinq. Quelle est la position officielle de votre gouvernement en ce qui concerne l'intégration de l'Europe ?

R. : Il faudrait beaucoup de temps pour répondre à cette question. J'irai à l'essentiel, mais elle est intéressante parce qu'elle permet de dissiper quelques malentendus.

La France n'a jamais pris position pour la construction au sein de l'Europe d'un noyau dur de cinq pays excluant tous les autres. Ce n'est pas la position française. C'est vrai que cette position figure dans un document d'un parti politique allemand, la CDU, mais cela n'a jamais été exprimé ainsi sous la plume du Premier ministre ni dans ma bouche.

Que dit la France ? La France dit qu'il faut élargir l'Europe. Il faut notamment que les pays d'Europe centrale et orientale, et parmi eux la Roumanie, puissent se rapprocher et ensuite entrer dans l'Union européenne. Si l'on élargit l'Europe, si nous sommes demain ou après-demain 24 ou 25 pays, cela ne pourra pas fonctionner comme quand nous étions 6, ou 9 où même 12.

Il faut donc réfléchir d'ores et déjà aux réformes institutionnelles qu'il faudra apporter à l'Union européenne pour l'adapter à cette nouvelle situation qui fera que nous serons plus de douze pays. Comment ? Il est trop tôt pour le dire. On voit simplement se dessiner une orientation générale : c'est tout le monde ne pourra pas tout faire en même temps, et que l'organisation de l'Europe devra être plus souple et plus diversifiée qu'elle ne l'a été jusqu'à présent. Je dois dire d'ailleurs que cette idée, il a été prévu ce que j'appellerai des solidarités variables ; l'Union économique et monétaire n'est pas imposée à tout le monde au même moment.

Q. :  À géométrie variable ?

R. : L'Union économique et monétaire et la monnaie unique, c'est ce que j'appelle de la géométrie variable, c'est-à-dire que tout le monde n'est pas obligé d'entrer en même temps dans le système de la monnaie unique : ceux qui peuvent entrent, et ensuite, les autres les rejoignent. C'est un peu cela notre idée ; tout le monde n'est pas obligé de tout faire en même temps. On peut imaginer que sur la monnaie, sur la sécurité, sur la défense, sur l'industrie, il y ait des coopérations à géométrie variable, à condition de permettre à tout le monde, à tous ceux qui le souhaitent et à tous ceux qui le peuvent, de s'y associer. Voilà un peu l'idée française de l'évolution de la construction européenne.


Propos du ministre – deuxième partie (Bucarest, 8 septembre 1994)

Q. : Quelle est votre position sur la libre-circulation des personnes avec des pays comme la Roumanie ?

R. : La libre-circulation des personnes est évidemment un objectif et elle sera d'autant plus facile à assurer que les niveaux de développement économique se seront rapprochés. Il faut que vous sachiez que dans les pays de l'ouest européen, les mouvements de populations, les problèmes de migration sont devenus très sensibles. Donc, il est compréhensible que des pays comme la France ou l'Allemagne fassent attention aux flux migratoires et contrôlent ce qui se passe à la frontière. Sans doute faut-il améliorer le système – nous en avons parlé avec M. Melescanu – mais il faut que vous compreniez dans quel esprit nous exerçons ces contrôles. Lorsqu'ensuite, les niveaux de développement se seront rapprochés, lorsque certains pays ne seront plus des pays d'émigration, lorsque l'on aura plus la même raison d'émigrer, alors on pourra progresser plus rapidement vers la libre-circulation.

Q. : La Roumanie peut-elle jouer un rôle dans le règlement de la crise bosniaque ?

R. : Dans le règlement de la crise en ex-Yougoslavie, nous pensons que la Roumanie a un rôle important à jouer. D'abord elle est concernée, hélas, par les conséquences de l'embargo, nous l'avons vu, compte tenu des relations qu'elle a avec les États de l'ex-Yougoslavie, notamment avec la Serbie-Monténégro. Je pense que la Roumanie a une très grande capacité d'action. Nous avons d'ailleurs évoqué ces problèmes avec le président Iliescu et avec M. Melescanu.

Q. : Quelles sont les conditions que vous envisagez en vue d'une intégration plus rapide de la Roumanie dans l'Union européenne ?

R. : Nous ne fixons pas de conditions particulières à la Roumanie. Nous pensons que les conditions doivent être les mêmes pour tout le monde. Cela me paraît très important. J'évoquerais deux problèmes. Premièrement, nous souhaitons qu'avant d'entrer dans l'Union européenne, les pays candidats aient réglé entre eux les problèmes de voisinage. C'est la philosophie de l'initiative de M. Balladur qui s'appelle le Pacte de stabilité. La Roumanie a participé très activement à la conférence inaugurale de Paris. Des progrès sont en cours. La première table régionale va se tenir à la fin du mois de septembre à Bruxelles. Je crois que sur ce premier point, les choses vont dans la bonne direction. Deuxième préoccupation : avant l'élargissement – et là, nous en faisons, pas seulement pour la Roumanie, pour tout le monde, une sorte de préalable – il faut que l'Union européenne ait reformé ses institutions pour les adapter à une Europe à 24 ou 25 avant le nouvel élargissement. Pour cela il y a un rendez-vous très précis, c'est la conférence intergouvernementale de 1990. Il faut qu'à cette occasion, nous soyons capables d'adapter les institutions européennes à cet élargissement et, alors, nous pourrons progresser dans les années qui suivront.

Q. : Quelques organisations roumaines de Paris vous ont adressé une lettre en vous priant d'intervenir auprès des autorités roumaines pour le visa du roi Michel. Avez-vous répondu ? Quel est votre commentaire ?

R. : J'ai reçu cette lettre. J'y ai répondu et j'ai appelé l'attention de M. Melescanu – il s'en souvient – sur cette question qui relève bien entendu de la souveraineté roumaine.

Q. : Y a-t-il des différences entre Paris et Bucarest en ce qui concerne l'Europe du point de vue géographique ? Que représente l'Europe aujourd'hui, géographiquement ?

R. : Nous avons, d'une certaine manière, au Conseil européen de Copenhague fixé très clairement la liste des pays qui, selon nous, ont vocation à constituer l'Europe. Il y a les Seize qui sont où vont être le 1er janvier dans l'Union européenne et puis nous avons aussi une liste de dix pays : les trois États baltes et les six de l'Europe centrale et orientale, parmi lesquels la Roumanie et on doit sans doute ajouter à cela, pour que cela fasse dix, la Slovénie. Il y a également sur les rangs, c'est vrai, Chypre et Malte. Puis on devra un jour ou l'autre se poser la question, lorsque la paix sera revenue dans cette région et je souhaite que ce soit le cas le plus vite possible, du traitement à réserver aux Balkans qui font partie de l'Europe. Voilà ce qu'est l'Europe. J'ajouterai tout de suite que pour moi, l'Europe ne va pas jusqu'à Vladivostok. Voilà, il faut donc que la Russie soit un partenaire de l'Union européenne. Pour ma part, et à vue d'homme, je ne la vois pas dans l'Union européenne.

Q. : Y a-t-il des nouveautés concernant les visas touristiques pour les citoyens roumains qui désirent visiter la France ? Deuxièmement, est-ce que la France privilégiera la Roumanie dans le processus de l'intégration européenne et dans les structures euro-atlantiques ?

R. : Sur le premier point, les visas, je sais que c'est une préoccupation légitime ici. Je vous ai dit que lorsque, entre un pays plus développé et un autre qui l'est moins, il y a des mouvements de populations importants et des mouvements de migration importants, il est normal qu'il y ait des contrôles sous la forme de visas. Donc, nous maintenons cette procédure. En revanche, ce que nous essayons de faire, c'est d'accélérer le plus possible la procédure de délivrance. Des progrès ont été faits en ce sens : entre le moment où la demande est déposée et où la réponse est apportée, il fallait plus de dix jours il y a quelques mois ; nous sommes tombés actuellement à 48 heures. Je sais bien qu'il faut pouvoir déposer la demande, que c'est là qu'il y a des problèmes d'embouteillage et de queues. Nous allons essayer d'améliorer le système.

Deuxièmement, comment manifester le caractère privilégié de nos relations dans le processus d'intégration à l'Europe ? Il y a une première réponse, qui n'apparaîtra peut-être pas suffisamment enthousiaste, pas assez avancée : nous récusons l'idée que l'on pourrait avoir des pays candidats de première zone et des pays candidats de seconde zone. Tout le combat de la France a toujours été de dire : les pays candidats doivent être traités de la même manière avec les mêmes critères et dans les mêmes conditions. Dans ce cadre-là, nous serons particulièrement attentifs, bien sûr, à ce que le dossier de la Roumanie puisse progresser en fonction – je ne suis pas venu ici pour faire de la démagogie – en fonction des progrès que la Roumanie elle-même, notamment sur le plan économique.

L'Europe, ce n'est pas simplement une salle de réunion dans laquelle on passe des heures entre ministre des Affaires étrangères ; c'est aussi des politiques communes, des règles très précises. Il faut pouvoir les supporter, il faut pouvoir assumer les disciplines que cela représente et il y a encore des progrès à faire dans ce sens-là. Mais la France sera vigilante pour que la Roumanie soit tout à fait dans la course.

Q. : Après avoir écouté l'explication de M. Melescanu sur sa visite à Budapest, comment jugez-vous le processus de réconciliation entre la Hongrie et la Roumanie ? ses problèmes, ses chances ? Autre question : vous avez parlé du rapport privilégié entre la France et la Roumanie ; quelles en sont les raisons ?

R. : il faudrait beaucoup de temps là aussi. Sur le premier point, j'observe avec beaucoup de satisfaction les récentes discussions entre les autorités hongroises et les autorités roumaines. Il me semble qu'elles se sont déroulées dans une bonne ambiance, si j'en juge à la fois par les déclarations et par les entretiens que j'ai eus avec mon collègue, M. Melescanu. Nous souhaitons que cela progresse et que le traité dont il est question puisse être conclu rapidement et traiter toutes les questions qui doivent être traitées, notamment le régime des minorités.

En ce qui concerne les raisons actuelles de cette solidarité particulière entre la France et la Roumanie, il faudrait y passer toute la journée. Nous avons ici un capital de sympathie, de compréhension, tellement important que notre devoir est de la faire fructifier. Il n'y a pas beaucoup de pays au monde – j'espère que c'est aussi le souhait du peuple roumain – il n'y a pas beaucoup de pays au monde où près de 60 % des jeunes enfants font le choix de la langue française dans les établissements scolaires. Cela, c'est quelque chose qui va droit au cœur de la France, et qu'elle est en devoir d'aider, de préserver et de développer.

Il y a aussi d'autres raisons. Nous appartenons à la même culture. Tout à l'heure, le Président Iliescu me parlait de cette petite île de latinité que constitue la Roumanie. Cela aussi crée des liens. Enfin, il y a l'économie, il y a l'avenir et il y a la place que la Roumanie peut jouer dans l'Union européenne, qui nous tient aussi beaucoup à cœur. Vous voyez : des raisons anciennes, nouvelles et futures aussi, de maintenir ce lien.

Q. : Quelle est la préférence de la France comme nouveau Secrétaire général de l'OTAN ?

R. : Vous imagiez bien que ce n'est pas ici que je vais répondre à cette question. Cela se passe dans les conférences et dans les entretiens entre ministres des Affaires étrangères. Il faut bien que nous gardions quelques secrets. Sans cela, nous ne servirions plus à rien. Le secret sera dévoilé d'ici quelques semaines.