Interviews de M. Michel Roussin, ministre de la coopération, à RTL et à "Infomatin" le 11 avril 1994, déclaration à l'Assemblée nationale le 13 et article dans "Le Nouvel économiste" le 22, sur la violence au Rwanda, l'évacuation des ressortissants français et la coopération entre la France et le Rwanda.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : RTL - Infomatin - Le Nouvel Economiste

Texte intégral

RTL – 11 avril 1994

P. Caloni : Vous avez les toutes dernières nouvelles du Rwanda ou pas ? 

M. Roussin : Oui, j'ai eu les toutes dernières nouvelles. Nous avons encore 70 de nos compatriotes qui sont à l'aéroport à Kigali, protégés par les parachutistes qui sont sur place, qui attendent de partir. Je pense que le décollage du dernier Transall est imminent. Pour autant, il reste à Kigali un certain nombre d'étrangers, des Belges, des Européens.
 
P. Caloni : Les 460 soldats des 3èmes et 8èmes régiments de parachutistes d'infanterie de marine sont habilités à rester à l'aéroport pour protéger les autres Occidentaux ou pas ? 

M. Roussin : Nous avons une directive très précise du Premier ministre : après l'évacuation des derniers Français, nous replions notre dispositif militaire.

P. Caloni : Vous ne restez pas pour aider les autres ? 

M. Roussin : Non. Nous resterons quelque temps parce que les Belges s'installent mais le relais va être pris par nos amis belges qui ont, eux, une évacuation lourde à organiser puisque la communauté belge comporte près de 1 500 personnes.

P. Caloni : C'est une guerre civile qui oppose deux ethnies, les Hutus et les Tutsis. Le détonateur a été cet accident d'avion dans lequel les présidents du Burundi et du Rwanda ont trouvé la mort mais en fait ce n'est pas nouveau. 

M. Roussin : Ce n'est pas nouveau. Il y a eu des combats très violents et une guerre civile latente. Nous nous sommes interposés, c'est-à-dire que nous avons permis aux uns et aux autres de s'expliquer, de se réunir autour d'une table en Tanzanie pour qu'enfin cessent les combats. Nous étions très optimistes puisqu'il y a eu un accord au mois d'août dernier et que tous les partis s'étaient mis d'accord pour que le processus démocratique se poursuive, qu'il y ait une intégration des minorités et que la démocratie se mette enfin à fonctionner au Rwanda. Vous voyez que tout cela est très difficile et tout est à refaire.

P. Caloni : On a parlé aussi de Français morts ? 

M. Roussin : Oui. On est très préoccupés sur le sort de trois de nos compatriotes. Nous n'avons aucune preuve certaine mais chaque heure qui passe me laisse à craindre le pire.

P. Caloni : Vous êtes de moins en moins optimiste ? 

M. Roussin : Tout à fait. Surtout qu'il s'agit de coopérants militaires. J'attendrai d'avoir des informations plus précises.

P. Caloni : Vous les aurez dans la journée ? 

M. Roussin : Oui.

P. Caloni : S'il y a une coopération, c'est parce que le Rwanda est un état francophone. C'est une ancienne colonie belge. 

M. Roussin : D'une manière générale, la coopération c'est la francophonie, c'est le lien fort entre tous les pays sur lesquels nous avons une action de coopération. Le Rwanda et le Burundi sont effectivement deux pays indépendants depuis 1962.

P. Caloni : Nous coopérons depuis quand ? 

M. Roussin : Depuis 1975. Nous avions, pour ce qui concerne le ministère de la Coopération, 30 coopérants qui se consacraient essentiellement à des tâches de coopération dans le domaine de la santé, de l'éducation et aussi de l'agriculture et de l'élevage parce que le peuple rwandais est un peuple très attaché à la culture. Les haricots verts que l'on mange à Paris et que l'on achète à Rungis arrivent tous frais du Rwanda.

P. Caloni : Arrivaient. 

M. Roussin : Oui, arrivaient. La situation maintenant va être difficile, des agriculteurs et des éleveurs. Bien évidemment, vous avez évoqué la francophonie. Nous avions des coopérants dans le domaine de l'enseignement.

P. Caloni : Combien de Français finalement y avait-il au Rwanda ? 

M. Roussin : Nous avons 600 de nos compatriotes qui étaient installés dans des activités diverses.

P. Caloni : On les voit arriver à Roissy sains et saufs. Mais ces gens-là sont déracinés. 

M. Roussin : Pour ce qui concerne les coopérants, je suis en charge de leurs problèmes. Malheureusement, dans mon ministère, on a une cellule qui gère ce genre de problèmes parce que, fréquemment, malheureusement, nous avons ce genre de difficultés à résoudre. Pour le reste, c'est notre communauté ici qui doit se montrer solidaire.

P. Caloni : Et ceux qui sont au Burundi ? 

M. Roussin : C'est une étape transitoire. Nous avons eu beaucoup de chances de pouvoir compter sur l'amitié des Burundais, l'amitié des Centrafricains parce que sans ces deux possibilités d'escale intermédiaire, nous aurions eu de très grandes difficultés pour rapatrier nos compatriotes parce que les Transalls ont, comme on dit, les pattes un peu courtes.

P. Caloni : Est-ce que vous ne pensez pas que l'Afrique pourrait un jour lasser la communauté internationale à travers ses drames ? 

M. Roussin : C'est vrai que cela peut être une tentation mais on a un lien tellement fort avec l'Afrique, une histoire en commun que, chaque fois la France, en dépit de toutes ses difficultés, en dépit de ses guerres, en dépit de ses situations de crise, est de nouveau présente et chaque fois nos partenaires africains peuvent compter sur nous. Mais c'est vrai que la communauté internationale peut se lasser. Elle vient de faire un effort colossal après la dévaluation du franc CFA. Elle s'est de nouveau mobilisée pour aider l'Afrique. Je ne parle pas de la France qui, elle, fait un effort considérable d'accompagnement et prend des mesures pour aider nos amis africains à sortir de ce pas difficile qui va de la date du déclenchement de la dévaluation au redémarrage que nous sentons et que nous voyons se dessiner jour après jour.

P. Caloni : Hasard du calendrier, le président Diouf est à Paris. 

M. Roussin : Oui, il est ici avec des ministres de son gouvernement pour une visite officielle de travail. Nous allons avec le président Diouf évoquer les suites de la dévaluation et c'est exemplaire ce qui a été fait au Sénégal par nos amis parce qu'ils ont encaissé ce rude coup avec beaucoup de courage. Le gouvernement, sous la houlette du président Diouf, a pris des mesures draconiennes pour que cette dévaluation soit un succès et permette le redémarrage de l'Afrique, le redémarrage de la croissance au Sénégal.


Interview du ministre de la Coopération, M. Michel Roussin, à Infomatin (Paris, 11 avril 1994) 

Q. : Quelles sont les principales difficultés d'une opération d'évacuation comme celle du Rwanda ? 

R. : Il y a d'abord l'enclavement du pays, qui conduit à utiliser exclusivement les moyens aériens ou routiers. Il nous faut donc nous assurer en premier lieu de la sécurité de la plateforme aérienne afin de permettre les rotations d'avions. Ensuite, la dispersion de nos ressortissants nécessite des regroupements préalables sur des points que nous contrôlons. Après quoi, il faut acheminer ces personnes vers l'aéroport, par des convois protégés par nos militaires. Pour ceux qui ont reçu l'ordre de ne pas se replier sur Kigali et de rallier directement Bujumbura, il a fallu également s'assurer que la zone traversée était calme. 

Q. : La précédente intervention des troupes françaises dans ce pays s'était faite pour soutenir le gouvernement en place. Qu'en est-il donc cette fois-ci ? 

R. : Il ne s'agit pas, pour la France, d'intervenir militairement au Rwanda. Il est clair notre mission n'a qu'un caractère humanitaire visant à rapatrier nos ressortissants et leurs familles. 

Q. : Au-delà du sauvetage des ressortissants français, quelle initiative vous paraît possible ou souhaitable dans ce pays déchiré par la guerre civile ? 

R. : La France reste entièrement disponible, comme elle l'a toujours été, pour faciliter un cessez-le-feu, mettre fin aux massacres le plus rapidement possible et faire asseoir les différentes factions autour d'une table de négociations. Nous avons toujours soutenu, où que ce soit, ceux qui privilégient le dialogue plutôt que les tueries. Avec nos partenaires européens et américains, qui sont tout autant que nous parties prenantes, nous pouvons essayer de peser de tout notre poids sur les factions en présence pour les convaincre de retrouver enfin la voie de la raison.


Réponses du ministre de la Coopération, M. Michel Roussin, à deux questions d'actualité (Assemblée nationale, 13 avril 1994) 

Q. : M. le Président, à l'heure où je parle, un pays d'Afrique, le Rwanda, est à feu et à sang, et les morts se comptent par milliers. Certes grâce à l'intervention des parachutistes français, nos ressortissants ont pu être évacués, mais nous avons laissé le champ libre à un massacre programmé et annoncé. 

Face à ce nouveau drame africain où l'émotion le dispute à l'horreur, nous n'acceptons pas la résignation. Que compte faire le Gouvernement pour réveiller la conscience des principales puissances et notamment celles du Conseil de Sécurité des Nations-Unies ?

R. : Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, Monsieur le Député, 

Depuis plus de vingt ans la France coopère au Rwanda. Ces dernières années, nous avons chaque année consacré 300 millions de francs. Nous avons 50 coopérants civils, 20 coopérants militaires. Nous n'avons cessé d'être proches des Rwandais. Chaque fois qu'il y a eu des conflits ethniques, c'est la France qui est intervenue et c'est la France qui a pu amener les ethnies, qui se confondent parfois avec les partis, à se réunir autour d'une table pour enfin mettre fin à ces conflits. Et c'est comme cela qu'au mois d'août dernier, la France a obtenu qu'à Arusha, en Tanzanie, tout le monde puisse se réunir et que l'on puisse voir la démocratie progresser et la paix revenir. 

Les événements de ces derniers jours ont montré combien tout cela était fragile. La France n'a jamais cessé de mobiliser l'opinion publique, africaine d'abord, et l'opinion publique internationale ensuite. Nous ne sommes pas restés les bras croisés, je vous rassure. Et même si nous nous sommes aperçus les uns et les autres que les 2 500 Casques Bleus avaient eu besoin du renfort rapide de 500 parachutistes pour évacuer plus de 1 500 personnes, sachez que le Premier ministre a demandé aujourd'hui au ministre des Affaires étrangères de bien rappeler à l'ONU son rôle. Car nous ne pouvons pas être le gendarme de l'Afrique. La communauté internationale se doit de nous relayer et l'ONU doit maintenant rapprocher les différents partis, amener les protagonistes au cessez-le-feu et si la France est sollicitée, eh bien une nouvelle fois, la France répondra oui. 

Q. : M. le Président, chers collègues, ma question s'adresse au ministre de la Coopération et je me permettrai, M. le Ministre, d'évoquer avec beaucoup de tristesse une question qui a déjà été évoquée par l'un de mes collègues qui est celle du Rwanda Tristesse de voir la situation de ce pays, qui comme vous l'avez dit, est un pays ami de la France, un pays francophone dans lequel, sous l'égide de votre ministère, nous menons depuis 20 ans une coopération efficace. Tristesse devant les drames que nous pouvons constater journellement au plan humain et également tristesse devant l'incapacité des Nations unies à remplir leur rôle. 

Alors, je suis d'autant plus attaché à ce petit pays africain que notre département, le Département du Loiret, y mène une coopération décentralisée, une coopération importante sur le plan agricole, de la santé et également sur le plan de l'enseignement, et où nous avons ouvert au mois de décembre 1993 une maison du Loiret avec sept coopérants qui travaillaient de façon efficace dans le cadre de la coopération. 

J'y suis allé à plusieurs reprises, monsieur le Ministre, et encore récemment, rencontrer les ministres et le Président de la République avec mes collègues du Loiret. Nous avons pu constater toute l'amitié qu'a ce peuple pour la France et toute l'amitié et toute l'efficacité de notre coopération. 

Je souhaiterais également, comme l'a fait mon collègue, féliciter vos services, ceux des autres ministères, qui ont pu rapatrier dans les meilleures conditions qui soient nos collègues, et vous avez pu constater que les deux ethnies, qu'elle soit Hutu on Tutsi, ont respecté l'ensemble de nos ressortissants lors de ces évacuations, ce qui montre toute l'amitié de ce peuple pour la France. 

Ma question sera double. La première concerne la politique gouvernementale française. Au niveau de cette politique, je souhaiterais savoir quelle sera votre attitude vis à vis du Rwanda et vis à vis des collectivités, des associations qui se donnent beaucoup et avec beaucoup de profondeur pour ce pays. Ma deuxième question sera relative à l'attitude des Nations-unies. Je dois dire que, pour l'avoir constaté sur place, les soldats de la paix ne sont malheureusement que des personnes qui ne peuvent constater que ces horreurs et je souhaiterais savoir si vous allez pouvoir rapidement intervenir auprès des Nations unies.

R. : Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, Monsieur le Député, 

D'abord, bravo aux gens du Loiret parce que vos coopérants, je suis allé les chercher à Roissy. Sept garçons et filles encore traumatisés par ce qu'ils avaient vécu mais déjà me disant qu'ils étaient prêts à repartir. Et c'est souvent l'état d'esprit des coopérants, des jeunes qui sont dans les ONG, en général des Français qui sont en Afrique. Merci de me donner aussi l'occasion de saluer nos forces le troisième RPIMA, le huitième RPIMA, les équipages du transport aérien militaire qui ont permis l'évacuation dans de très bonnes conditions non seulement de nos compatriotes, mais de nos amis étrangers de la Communauté et d'autres pays. 

Permettez-moi aussi de dire pendant quelques instants toute notre admiration pour les trois anciens officiers et sous-officiers de l'armée de l'air qui pilotaient l'aéronef du Président de la République, qui sont morts et deux adjudants chefs d'une arme qui m'est chère, la gendarmerie, et l'épouse de l'un d'entre eux que nous ramènerons. 

La France a continué ce qu'elle devait faire au Rwanda. Nous sommes partis après avoir en vain essayé de rapprocher les points de vue. Pour l'instant, notre priorité a été les nôtres. Mais la France ne lâche pas l'Afrique et nous sommes là disposés maintenant à reprendre indéfiniment ce que nous faisons depuis des années, c'est-à-dire permettre aux gens de s'exprimer, permettre à la démocratie en Afrique de vivre et aussi de rappeler parfois à l'ONU que nous ne sommes pas seuls et qu'il faut que nous puissions nous appuyer sur la communauté internationale et aussi sur la communauté africaine. 

Que dire à ceux qui continuent et qui veulent coopérer ? Eh bien le témoignage que j'apporte de ce que j'ai entendu à Roissy tous ces derniers jours, c'est qu'en France, il y a toujours des énergies, il y a toujours une générosité et qu'il y a toujours un grand coup de cœur pour l'Afrique.


Interview accordée par le ministre de la Coopération, M. Michel Roussin, au journal « Le Nouvel Economiste » (Paris, 22 avril 1994) 

Un déchaînement de violence frappe le Rwanda depuis la disparition brutale du président Habyarimana. À la veille des accords d'Arusha, le 4 août 1993, le Rwanda était éclaté en trois forces : le FPR à majorité tutsi soutenait depuis 1984 une lutte très dure contre le pouvoir hutu, lui-même divisé entre faucons et colombes. Seul le Président Habyarimana paraissait en mesure d'arbitrer. 

Le rôle de la France a toujours été clair : il s'agissait de tenter de ramener la paix, par négociations sous contrôle international, en évitant l'écrasement de l'une ou l'autre des parties. Depuis 1975, nous étions liés par un accord de coopération militaire, dans les domaines de la formation et du conseil. Et notre coopération civile était forte d'une centaine d'assistants ou de volontaires du progrès. 

La France n'a cessé d'œuvrer sur le plan diplomatique pour une solution de paix. C'est ainsi qu'ont pu être signés avec le soutien des Nations unies, de l'OUA et celui des pays africains de la région (Tanzanie, Ouganda, Burundi, Zaïre...) les accords qui prévoyaient un retour progressif des éléments du FPR dans la vie politique. Ce retour devait s'effectuer sous le contrôle d'une force des Nations unies. Nous avons aussitôt réduit notre présence militaire, revenue en 1994 à une vingtaine de coopérants. La paix signée et le FPR réintégré dans le jeu politique, c'était désormais aux Rwandais de gérer leurs problèmes intérieurs. Si notre devoir était de faciliter le dialogue, nous n'avions pas à nous immiscer dans la gestion intérieure du pays. 

Les événements du 6 avril ont hélas ressuscité les vieux démons rwandais. Nous avons vite compris que les 2 500 casques bleus avaient besoin du renfort de nos parachutistes. La France a rappelé à l'ONU sa mission. Puisse la sagesse amener les Rwandais à trouver les voies du dialogue et de la paix. 

La France ne lâche pas l'Afrique. Elle est, comme toujours, disposée, avec l'appui de la communauté internationale et notamment africaine, à reprendre inlassablement son rôle : permettre à la démocratie de progresser en Afrique, aux opinions de s'y exprimer, à la stabilité de s'instaurer pour rendre possible le développement.