Texte intégral
E. Lucet : Pourquoi une action de la part d'une banque qui vous a soutenu pendant des années ?
B. Tapie : L'action vise probablement à exprimer un changement d'attitude, et on aura l'occasion sûrement, dans les heures et jours à venir, d'en parler. Mais ce n'est pas parce qu'un des deux partenaires d'un contrat a envie de le dénoncer qu'il est dénoncé. Pour l'instant, c'est leur position, ce n'est pas la mienne. Effectivement, il y a des arguments avancés. L'argument de l'OM, franchement je ne vois pas ce que cela vient faire. L'argument fiscal non plus. Mais je ne veux pas rentrer dans ce détail. Je voudrais juste dire que tous les éléments qui étaient obligatoires et liés à ce contrat, ont été remplis. La semaine dernière, souvenez-vous, vous avez fait tout le week-end, en commençant le vendredi soir par l'histoire du bateau. On a fait faire aux Français, tout un week-end, sur mon bateau. Cette semaine, on recommence et on fait passer aux Français tout le week-end avec mes meubles. Si un jour, je suis ruiné complètement, mais je n'ai rien eu de saisi encore à aujourd'hui, ne vous faites pas de mauvais sens pour moi, ce pas n'est grave. Ma femme s'en moque, je m'en moque, mes enfants s'en moquent. Soyez comme nous : moquez-vous en.
E. Lucet : Est-ce selon vous l'acharnement que vous évoquez souvent ?
B. Tapie : D'après vous ? Je ne sais pas s'il existe encore un seul français qui en doute.
E. Lucet : Cela ne va-t-il pas interrompre ou modifier votre campagne électorale ?
B. Tapie : Je suis content que vous me parliez de cela parce que non seulement cela ne va pas l'arrêter. Mais j'ai bien l'intention, dans quelques jours, si effectivement les sondages nous donnent encore cette espèce de possibilité d'imprimer notre originalité dans un monde politique qui en manque un peu, de raconter les méthodes. Pas de droite ou de gauche, je ne veux pas dénoncer cela. Mais qu'à trois semaines des élections, on me fiscalise un bateau alors que pendant huit ans on a accepté son statut et plus maintenant… Le Crédit Lyonnais a fait un accord avec moi qui avait fait couler beaucoup d'encre. Je vous affirme sur l'honneur que l'on avait simplement oublié de dire que la seule plus-value qu'il va faire sur Adidas est bien supérieure à ce qu'ils auraient pu perdre. Je ne peux pas m'exprimer sur cette histoire, parce qu'elle me met KO, tellement je tombe du ciel. Il y a trois choses à rectifier. La première est que je n'étais pas chez moi ce matin et je n'ai pas été témoin de ce qui s'est passé. La deuxième : ne dites plus que je suis saisi, car je ne le suis toujours pas. Et la troisième est que je vous affirme que j'ai été scrupuleux sur l'application de mes devoirs et j'entends bien obliger les autres à être scrupuleux. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit de mettre en cause l'un des plus grands établissements français, qui a assuré sa réputation mondiale sur un critère fondamental quand on est banquier, à savoir : le respect de sa signature. Si pour quelques raisons que ce soit on ne la respecte pas, le monde entier a le doute sur la qualité et la crédibilité d'un tel établissement et je ne peux pas le croire.
E. Lucet : Selon les dernières intentions de vote, ce sont les listes anti-Maastricht qui progressent. Ce rejet de l'Europe actuelle, qu'est-ce que cela vous inspire ?
B. Tapie : Je crois qu'une fois encore, quelques têtes de liste ont réussi à faire croire aux gens qu'on était en train, de nouveau, de voter pour ou contre Maastricht. Il faut définitivement dire aux gens qui ont voté contre que nous allons essayer de les convaincre de revenir maintenant sur un schéma qui est conciliable entre les pro et les anti-Maastricht, car il y a des points de convergence. Vous êtes dans un pays formidable qui donne l'exemple aux autres. Aucun pays au monde, aujourd'hui, ne peut prétendre être sûr de ne pas avoir la guerre devant lui dans quelques mois. La France fait partie de ceux-là. Donc, l'Europe a besoin de nous, mais nous, pour beaucoup de sujets, on a besoin d'elle. À nous d'essayer de vous dire pourquoi, comment, avec qui, combien.
27 mai 1994
RMC - L'Express
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous avez dit hier : je compte les juges comme on compte les moutons, quand cela va-t-il s'arrêter ?
B. Tapie : La différence c'est que les moutons, ça endort, tandis que les juges, ça rend les nuits longues, ça retire le sommeil. Quand ça va s'arrêter ? Ou, je pense que ça s'arrêtera le jour où ils auront décidé de s'attacher un peu moins à mes basques. Dans ce qui m'est reproché, il y a des choses qui sont graves, des choses qui sont moins graves, des choses qui ne sont pas graves du tout. Pour dire vrai, tout ce qui touche autour de la recherche pour savoir si l'argent qui est passé de la société A à la société B y est bien passé par la bonne manière, ça ne m'intéresse pas vraiment parce que ça vise la compétence de mes conseils. Ça ne remet en cause ni mon honnêteté ni mon honorabilité. Un seul procès est attendu par mois, c'est celui de Valenciennes, parce que lui il touche à la morale, et à la morale fondamentale puisqu'il s'agit de savoir si je suis tricheur ou pas. Or un homme politique peut parfaitement être honorable et avoir des conseils qui se trompent sur la manière d'enregistrer un bateau au commerce ou pas, il ne peut pas être honorable s'il est reconnu d'avoir triché ou maquillé les cartes d'un match, d'autant plus que c'est tellement pas important, un match de football, que s'il le fait pour un match de football, il y a tout à craindre pour autre chose. Donc j'ai hâte que je sois, comme le début de l'enquête l'a montré, totalement mis hors du coup de cette sale affaire de Valenciennes. Le reste, je vous affirme bien que n'importe quel juge instruction qui se mettrait dans toutes les entreprises françaises à vouloir chercher un acte ou deux d'abus de biens, le trouverait. Par conséquent, quand ça va s'arrêter ? Le jour où ils arrêteront de chercher. Et tant qu'ils chercheront, ils trouveront. Si je mets un gendarme dans le coffre de voiture de tous les gens qui font 1 000 kilomètres par semaine, à la fin de l'année on a tous perdu notre permis de conduire.
Sylvie Pierre-Brossolette : Et financièrement, vous avez une stratégie pour vous en sortir ?
B. Tapie : Ça je m'en fous, donc je n'ai pas de stratégie, je vis au fur et à mesure des évènements tels qu'ils se présentent. Je ne suis pas du genre à mettre de côté.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais la procédure devant le TGI où vous assignez le Crédit Lyonnais : d'abord, vous l'assignez ?
B. Tapie : Ça ne m'intéresse pas de parler de ça.
Philippe Lapousterle : Tout le monde se demande si on va vendre votre immeuble jeudi…
B. Tapie : Mais non, Monsieur. Vous, vous le demandez. Je vous affirme, j'ai fait 4 conférences hier, en tout, pratiquement 3 000 personnes. On m'a posé précisément 104 questions, pas un ne m'a demandé, pas une non plus, si on allait vendre mon hôtel, les gens s'en foutent. Vous savez qu'il y a la moitié de la France qui actuellement ne sait pas comment joindre les deux bouts, ne sais pas comment payer son loyer, ne sait pas comment payer les traites de la télévision, donc le fait que je garde ou pas mon hôtel ne les intéresse pas. Et je crois qu'ils ne me jugeront pas en fonction de ça, je l'espère en tout cas. Ce qui serait grave, ce serait que mes entreprises soient en faillite et que je reste propriétaire de mon hôtel, alors ça ça serait grave, et là il serait normal que ça les intéresse. Mais objectivement que mes entreprises soient toutes désendettées, qu'elles fonctionnent bien, qu'elles garantissent l'emploi et que je sois ruiné personnellement, ça c'est plutôt bon signe, ce serait plutôt un acte courageux. Et franchement, ne vous faites pas plus de soucis que moi, puisque moi je ne m'en fais pas, donc ne vous en faites pas pour moi. Je vous reconnais beaucoup d'attachement à ma personne, mais franchement ça n'a pas tellement d'intérêt.
Philippe Lapousterle : Est-ce que à votre avis…
B. Tapie : D'habitude, quand les banques font des choses, elles le font et elles ne le font pas savoir. Aujourd'hui, la banque fait et fait savoir. Si vous, qui êtes journaliste depuis longtemps, vous ne vous apercevez pas qu'il y a là autant d'intérêt à faire savoir qu'à faire, c'est que vous avez, à mon avis, perdu l'essentiel.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous pensez que Peyrelevade est sous influence et qu'il n'a pas fait ça par hasard ?
B. Tapie : Je ne parle pas de ça, je dis que l'on s'arrange pour faire savoir tout ce qu'il faut. Moi je m'arrange pour ne pas faire savoir tout ce que je fais. On passe à autre chose ?
Philippe Lapousterle : C'est politique toute cette affaire, c'est un geste politique vis-à-vis de vous ?
B. Tapie : J'en sais rien, j'en sais rien.
Sylvie Pierre-Brossolette : Et vous, quoi qu'il arrive, vous êtes décidé à rester en politique ?
B. Tapie : Il n'y a aucun doute là-dessus.
Sylvie Pierre-Brossolette : Malgré vos ennuis, l'opinion semble rester globalement derrière vous, et vos sondages se situent entre 8 et 10 % ; est-ce un réconfort pour vous ?
B. Tapie : Je crois que les Français, objectivement, dans la période actuelle, essaient de se trouver des idées, d'être mobilisés sur des idées politiques ou sur des comportements, en tout cas, cherchent à trouver des solutions aux problèmes qui leur sont posés. Et dès lors que j'apparais comme un moyen parmi d'autres de sortir d'une obligation d'être, ou socialiste ou RPR-UDF, ils ont essayé les écologistes, ça n'a pas tellement marché, ils tentent comme ça, ils mettent leur pion sur des numéros, et ils espèrent voir ce numéro au débouché aboutir. Une partie de ceux qui me font confiance sont ceux qui m'ont vu agir déjà dans la vie directe de tous les jours, soit en tant que ministre, soit quand je fais des écoles de formation, soit même quand je fais du sport. Car il se fait qu'on peut parfaitement savoir-faire un club de football et être totalement nul en politique. Mais on peut aussi être nul en politique et ne pas savoir faire un club de football. Autrement dit, c'est tout de même un gage que je sais faire au moins quelque chose. Il y en a beaucoup qui sont en tête de partis politiques, et dans les hiérarchies importantes, et qui n'ont pas trouvé grand-chose. Alors tant que ça marche bien, on ne leur demande pas de prouver, on leur fait confiance sur parole. Au moment où ça marche mal, vous avez bien vu dans l'ensemble du pays, les gens cherchent. Les écolos avaient dit "nous on va faire la politique autrement, les gens y sont allés. Moi qu'est-ce que je leur dis ? Je leur dis je crois qu'on a perdu le dialogue avec vous, qu'on n'a pas très bien compris vos demandes, ou en tout cas qu'on n'y a pas répondu de la manière la plus efficace. Et voilà, les gens sont un peu tentés. Je crois qu'ils ne sont pas perturbés, parce que les annonces dont on ne cesse de les encombrer ne sont pas des annonces qui remettent en cause ni ma compétence, ni éventuellement la morale de la politique, qui empêche les hommes politiques de se servir de l'argent public. Et je crois que la grande différence avec certains autres hommes politiques qui sont dans la nasse ou qui ne vont pas tarder à y être, c'est qu'on leur reproche d'avoir profité de leur statut d'un politique pour s'enrichir. Or moi, chacun sait que je suis beaucoup plus pauvre depuis que j'ai fait de la politique qu'avant d'en faire. Lors de ce point de vue-là, on me décernerait plutôt un bon point.
Philippe Lapousterle : Est-ce que ces scores de 8 ou 10 %, ce sont les scores que vous pensez faire au début de la campagne ?
B. Tapie : Je ne suis pas sûr encore qu'on le fera, parce qu'il y a beaucoup de listes, et les élections européennes ne passionnent pas. Les premiers en général qui sont sanctionnés par ces élections qui ne passionnent pas, sont ceux qui n'ont pas leurs électeurs très installés, avec des habitudes électorales qui se répètent. Autrement dit, le sympathisant RPR ou socialiste ou communiste, ou même FN maintenant, a un réflexe d'habitude de participer aux élections plus fort que ceux qui ne participent jamais, et qui, parce qu'ils ne participent pas, sont tentés par une nouvelle aventure, il faut passer du sondage à l'acte, et je crois qu'on risque d'avoir des déceptions, si je ne suis pas en mesure de les transformer en réalisation. Mais il y a un chiffre qui est très important au-delà de ceux que vous nous indiquez aujourd'hui, c'est que plus de la moitié des électeurs sont, aujourd'hui encore, tout à fait capables de changer d'avis, c'est ça qu'ils disent aux sondeurs. Donc ça veut dire que les 15 derniers jours vont être très importants.
Sylvie Pierre-Brossolette : Êtes-vous déçu de la réaction de certains politiques qui vous soutenaient comme Edmonde Charles-Roux, qui a déclaré que la ville de Marseille n'était pas, dans le contrat avec Gaston Defferre, dans l'idée de vous faire venir à Marseille ?
B. Tapie : Elle m'a certifié avant-hier au téléphone qu'elle n'avait jamais dit ça.
Philippe Lapousterle : C'est curieux comme les messages passent mal en ce moment…
B. Tapie : En plus ça me ferait d'autant plus de peine que Edmonde Charles-Roux est vraiment une amie en dehors du fait qu'elle est un soutien éventuel politique, elle est une amie, donc ça m'avait beaucoup bouleversé, et elle n'a pas attendu ma réaction personnelle pour m'appeler à mon domicile et me dire "je suis outrée". Elle m'a dit, si mes souvenirs sont bons, "si tu veux savoir ce que j'ai dit exactement, prends Le Monde d'hier, il y a là la totalité de ma déclaration tel que je l'ai faite". Comme je ne lis pas Le Monde, je n'ai pas vérifié.
Philippe Lapousterle : Vous avez toujours des relations avec le Président de la République ?
B. Tapie : Je n'ai jamais étalé mes relations avec quiconque, dès lors qu'ils occupent des fonctions très importantes.
Philippe Lapousterle : Quelle est votre réaction à la constitution d'une liste d'intellectuels pour la Bosnie ? C'est une bonne idée ?
B. Tapie : C'est toujours une bonne idée. Mais c'est formidable, quel beau pays que celui où des gens se réunissent à plusieurs, viennent d'horizons différents, et parce qu'ils ont une idée qui devient presque une obsession, ils peuvent la matérialiser, la concrétiser, la formaliser et la proposer aux gens.
Sylvie Pierre-Brossolette : C'est le rôle des intellos ?
B. Tapie : C'est le rôle de tous les citoyens français, il n'y a pas de rôle réparti qui soient tellement infranchissables que l'un ne puisse pas aller chez l'autre. Alors après on peut parler de ce qu'ils veulent, et comment ils le veulent, mais réjouissons-nous que ça existe. Des gens sont morts chez nous pour avoir ce droit de vote, et pour avoir le droit de se présenter, et c'est exceptionnel, il n'y a pas tellement de pays où c'est aussi facile que ça. Donc je crois que c'est formidable, on mélange un philosophe, un médecin, et puis un enseignant et un scientifique, et puis on fait une liste de gens qui ont des idées sur des choses, et quelles choses ! Et ils vont soumettre ça à l'opinion publique, c'est bien.
Sylvie Pierre-Brossolette : Mais vous êtes hostile à leur message ?
B. Tapie : Je suis totalement opposé, parce que c'est un danger incroyable. Mais si vous me demandez ce que je pense de ce qu'ils proposent, c'est gravissime qu'ils le proposent, pas eux, parce qu'ils ont en fait un souci affectif, c'est la Bosnie, tout le monde s'en fout apparemment, si on ne s'en foutait pas on mettrait plus de moyens, donc on les laisse mourir un peu. Si j'étais bosniaque, je dirais exactement ce que les Bosniaques disent, et je serai content qu'on me soutienne. Moi je dirais : que je meurs peut-être, mais donnez-moi au moins ma chance, je vais pouvoir me défendre, je veux pouvoir prendre un fusil et me battre, parce que je veux rester indépendant et libre.
Philippe Lapousterle : N'est-ce pas un bon raisonnement ?
B. Tapie : C'est un très bon raisonnement de la part de ceux qui vivent ça comme un calvaire injuste. C'est encore un bon raisonnement de la part d'un philosophe, c'est un très mauvais raisonnement pour un futur Président de la République. Car lui doit savoir ce que les philosophes ne savent pas. Les philosophes ne sont pas obligés de savoir les conséquences de tel acte. Tout comme un contribuable n'est pas obligé de savoir pourquoi à un moment donné, le ministre du budget choisi cet impôt plutôt qu'un autre. Qu'est-ce qui se passe, si effectivement on enlève l'embargo ? D'abord ce n'est plus les Serbes de Bosnie qui vont faire la guerre, c'est l'armée serbe tout entière. Et l'armée serbe tout entière, ça va être une boucherie complète. Ne vous faites aucune idée, les casques bleus partiront dans ce cas de figure, c'est-à-dire qu'il n'y aura plus de protection. Ça veut dire aussi peut-être la possibilité de régler le problème de la Macédoine, il y en a beaucoup qui sont tentés de la faire. Ça veut dire peut-être qu'on n'aura pas une parfaite indifférence de la Russie, ça veut dire que c'est un conflit mondial qui peut survenir, et qu'on ne peut pas laisser faire ça.
Philippe Lapousterle : Et au nom de tout ça on doit laisser des assiégés sans armes, et sacrifier les bosniaques ?
B. Tapie : Ce n'est pas comme ça qu'il faut répondre. C'est exactement comme si vous disiez lorsque vous êtes victime d'un agresseur sans pouvoir vous défendre, est-ce que oui ou non il ne faut pas vous donner un pistolet pour pouvoir le faire vous-même ? Non, il faut faire en sorte que votre pays soit de nature à protéger les innocents face aux agresseurs, c'est ça notre boulot, c'est ça notre devoir. La France est entrée, depuis le début, dans la construction européenne pour éviter la guerre. Tout le monde a oublié, c'était ça le motif premier, les vieux qui sont morts et qui ont dit plus jamais ça, c'était pas autre chose, c'était : plus de guerre. Et nous voilà en train, non pas de mettre le paquet, notre énergie, nos moyens, pour empêcher la guerre d'avoir lieu, mais voilà qu'on donnerait les moyens qu'elle ait lieu un peu plus encore. Moi je suis malheureux à l'idée qu'un seul bosniaque soit tué, mais encore plus à l'idée que ça va générer une guerre mondiale et qu'ils vont être écrasés.
Sylvie Pierre-Brossolette : Quand Rocard se demande de quel côté est la morale dans cette affaire ?
B. Tapie : La morale elle est forcément du côté de ceux qui feront qu'il y aura le moins de victimes possible. Chaque mort est un mort illégitime, dans une guerre chacun croit avoir raison. Si tous ceux qui sont, depuis les 50 dernières années, morts des folies de ceux qui nous commandaient pour des grandes causes puisqu'elles valaient la peine d'en mourir, si ceux-là revenaient sur terre pour voir à quoi ça a servi, franchement ils seraient désolés d'avoir donné leur vie…
Philippe Lapousterle : Depuis l'origine du monde c'est comme ça…
B. Tapie : Oui, mais depuis la naissance du monde, cher ami, il y avait une grosse différence, c'est qu'on était à peu près en mesure de circonscrire les combats des belligérants là où la guerre avait lieu, plus maintenant. Maintenant, elle peut avoir lieu dans n'importe quel coin de la planète, et avoir des retombées partout. Alors moi, j'estime que c'est la morale, comme vous le dites, et c'est vrai que la morale est bafouée, voilà un peuple qui se fait écraser, exterminer, parce que l'ONU et donc parce que l'Europe ne veut pas avoir le courage de faire son travail. Nous on a une proposition, pourquoi on ne la retient pas ? En quoi elle est gênante ? On se cherche un grand dessein européen, on ne sait pas quoi faire pour transcender les clivages, les habitudes des nations. On dit : entrons la Bosnie tout de suite dans le Marché Commun, entrons dans l'Union européenne, ça coûte un Écu par européen et par an. Il y a 4 millions de bosniaques à intégrer, on en a intégré plus de 20 millions des allemands de l'Est, ça n'a posé aucun problème. Et là vous aurez un vrai dessein qui se dessine, on comprendra pourquoi il faut qu'elle existe. C'est quand même préférable de faire ça et de mettre le paquet pour que la paix soit respectée, que d'armer un des deux belligérants qui veut en finir et en découdre. Ensuite, je pense que rentrer dans ce processus de guerre, c'est ne pas savoir où il va s'arrêter. Donc la morale, elle sera où quand dans l'histoire, dans 25 ans, on expliquera qu'on a fait 5 millions de victimes ?
Sylvie Pierre-Brossolette : Le 12 juin vous réaliserez un score, idem pour le PS, est-ce qu'on pourra faire des additions et dire la gauche non-communiste, c'est tant, PS plus Tapie ?
B. Tapie : Je pense que ce sera même plus que ça ; ça sera Chevènement aussi, ça sera une grosse partie des écologistes, car j'espère que par Lalonde il reste encore quelques écologistes à gauche. Par conséquent, on pourra dire entre le PC d'un côté et la liste Énergie-Radicale de l'autre, il y aura un espace qui, effectivement, sera de nature à dire "ça c'est la gauche". Je mets un bémol quand même, parce que plus les listes sont connues, plus elles font savoir leur contenu, et moins je trouve qu'elles se ressemblent au point de pouvoir s'assembler un jour. Par conséquent, il va falloir qu'on fasse le bilan après les élections, mais ce que je dis là, c'est aussi un peu vrai à l'intérieur du parti socialiste, car quand j'entends dire le Président de la République l'autre fois, et d'une manière élégante mais quand même sans ambiguïté, il a dit : "je suis socialiste depuis toujours et je suis pro européen, est-ce qu'il y a une liste qui répond à ces deux critères, c'est-à-dire socialiste et européenne ? La réponse est oui, je voterai donc pour celle-là". Ça m'a déçu bien sûr, parce que je comprenais à ce moment-là qu'il ne voterait pas pour moi, je n'en espérais pas tant, mais pourquoi pas ? Mais comment va-t-il faire maintenant ? Comment va-t-il faire quand, dans le secret de l'isoloir, il faudra qu'il mette un bulletin dans l'urne pour, effectivement, donner crédit à la levée de l'embargo sur la Bosnie ? Voilà un problème qui va être posé à de nombreux socialistes.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous comprenez que Lang reste sur cette liste ?
B. Tapie : Je le comprends de moins en moins, mais je pense qu'il est socialiste avant d'être rocardien, et que ces déclarations il les considère comme des déclarations de Rocard plus que comme des déclarations qui symbolisent ou qui authentifient les combats du PS depuis toujours. Moi j'ai vu d'autres grands ténors socialistes, hier j'étais avec Poperen qui ne se reconnaît pas du tout dans ce discours, et qui est socialiste et qui le restera. La vertu des socialistes, c'est de se recomposer toujours après les grandes étapes, et je pense qu'ils le feront. Est-ce que ça sera autour de Michel Rocard, est-ce que ce sera autour de quelqu'un d'autre ? C'est la vraie question qu'ils doivent se poser aujourd'hui.
Philippe Lapousterle : Et votre avis ?
B. Tapie : Oh, ça, je ne m'y intéresse pas du tout.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous aurez votre mot à dire…
B. Tapie : Oh non, pas sur la recomposition du PS.
Philippe Lapousterle : On écoute la question que J.-M. Le Pen vous a posée la semaine dernière…
J.-M. Le Pen : Monsieur Tapie, vous avez sans doute entendu parler du surintendant Fouquet. Ce que vous ne savez peut-être pas, c'est qu'il est mort au Fort de Pignerolles, emprisonné pendant plus de 20 ans. C'est un exemple qui devrait peut-être vous faire réfléchir avant de vous lancer dans de grandes ambitions politiques. Vous avez été élu député, vous avez été élu conseiller régional, vous n'avez pratiquement jamais siégé dans cette assemblée ; est-ce que vous avez l'intention sérieusement de siéger au Parlement européen ?
B. Tapie : objectivement, ça m'embête de répondre à Le Pen. On a un rendez-vous, je lui répondrai à ce moment-là.
(…)
B. Tapie : Il ne maintiendra pas cette position de toute façon, surtout si en plus Bernard-Henri Lévy lui fait l'enfant dans le dos de rester avec la liste, je pense que ce n'est pas ça qui était prévu.
Sylvie Pierre-Brossolette : Sur quelles bases faut-il que la gauche reparte, et si vous aviez une idée à donner à vos amis pour essayer de remettre la gauche à l'ordre du jour, vous diriez que c'est quoi la bonne tactique ?
B. Tapie : Vous savez, on tourne autour du pot. Quel est l'objectif de chacun d'entre nous ? Franchement, c'est simplement d'être un peu heureux, tout le reste sont des accessoires.
Sylvie Pierre-Brossolette : Baudis, Rocard, Tapie, tout le monde est d'accord pour dire ça ; quelles sont vos vraies différences ?
B. Tapie : D'abord, il y a quelques différences, pas de vraies différences, mais quelques différences. Il y a un moment donné, beaucoup plus au moment de l'arbitrage, on donne priorité d'un côté ou de l'autre de la société telle qu'on veut la construire. Pour résumer un peu, et vous verrez que je ne suis pas du tout démagogique quand je dis ça, la droite a une vision de la société qui est de l'organiser à partir de son élite, à partir de la connaissance qu'ils ont, de l'organisation qu'ils ont, de leur intelligence d'ailleurs, pour fabriquer une pyramide à l'intérieur de laquelle chacun aura sa place, et ce n'est pas un manque de générosité que de la construire avec la pyramide en l'air et la base en bas. J'ai une sensibilité qui laisse penser qu'il faut construire la pyramide à partir du désir de chaque être, y compris le plus petit, en lui donnant un espace, certes restreint, mais dans cette espace là une totale responsabilité, de manière à ce qu'il soit acteur, même s'il n'a pas beaucoup d'intelligence et pas beaucoup de moyens. Et mon sentiment à moi, c'est que la pyramide ne se construit que par l'addition de ces désirs, c'est schématique mais ça veut bien dire que pour moi, l'élite n'est que responsable d'organiser la société selon les désirs des gens, et non pas de nous inventer leurs schémas qui pensent que ça répond à nos besoins, et à nos désirs, parce qu'ils ne les connaissent pas. Et cette manière de se perpétuer à la tête, que ce soit à la tête d'une entreprise ou à la tête de l'État, en devenant possesseur pour ne pas dire propriétaire de notre destin, en pensant que c'est ça qui nous fera du bien, c'est tout simplement nous emmener là où on n'a pas envie d'aller. Et je reviens à la notion du bonheur, pourquoi ? Parce que le bonheur, ce n'est pas forcément de nous donner le plein d'emploi, ce n'est pas forcément de nous donner des programmes de télé formidables, ce n'est pas forcément de nous ouvrir ou non à l'Europe, c'est simplement que chaque individu est le sentiment d'être un peu plus heureux demain qu'hier. Et pourquoi on est en faillite vraiment sur l'essentiel ? C'est que quand on a des enfants, tous ceux qui en ont sont absolument lucides sur le fait que le niveau de vie s'est arrangé, notre confort de vie aussi, et on est moins heureux qu'hier. Et tout le monde est d'accord là-dessus. Je suis beaucoup plus heureux aujourd'hui que mes enfants ne vont l'être demain, et beaucoup moins heureux que je ne l'étais il y a 10 ans. Donc si la société, qui s'organise avec des progrès scientifiques formidables, avec une meilleure communication, avec une meilleure connaissance, c'est d'être de moins en moins heureux, je crois qu'on a fait faillite.
Philippe Lapousterle : Et vous vous sentez capable de renverser la tendance ?
B. Tapie : Ce n'est pas le problème de savoir si c'est moi qui m'en sens capable. Je dis simplement il faut arrêter de considérer que ce modèle de société est le bon. Et quand on rentre là où les gens sont le plus malheureux, c'est-à-dire la cité, la vraie, là où il y a comme vous le savez des vraies souffrances, vous déclenchez des phénomènes incroyables, dès lors qu'effectivement vous leur donnez la responsabilité, vous leur donnez l'impression, au moins, qu'ils vont pouvoir influencer sur leur vie.
Philippe Lapousterle : Avez-vous le sentiment qu'à la place de monsieur Balladur, vous feriez une politique complètement différente, et qu'il est possible de faire une politique complètement différente ?
B. Tapie : Ça, c'est une autre question : est-ce que c'est possible ? Je ne le crois pas si on veut rester dans l'optique où la politique doit être essentiellement une science raisonnable, basée sur les grands équilibres budgétaires, basée sur le bon sens. La politique ça doit être aussi l'utopie, le rêve, l'impertinence. Ça veut dire que, de temps en temps, la société se bouscule parce qu'il y a des grands hommes qui vont contre l'idée reçue. Jules ferry, il y a plus de 110 ans, dit : "l'école libre, oui, mais l'école publique obligatoire". D'un seul coup il révolutionne complètement la relation de l'être et de la connaissance. Cette utopie on ne la croyait pas possible, toutes les grandes acquisitions, les phénomènes énormes comme les principes de la colonisation, ont été des phénomènes transcendants…
Philippe Lapousterle : Et votre utopie actuellement, c'est quoi ?
Sylvie Pierre-Brossolette : C'est le chômage illégal ?
B. Tapie : Ne riez pas avec ça…
Sylvie Pierre-Brossolette : On vous a beaucoup charrié là-dessus…
B. Tapie : Non, je vous assure, c'est vrai, ça. C'est-à-dire d'essayer de faire en sorte que demain matin, on donne le sentiment à nos jeunes qu'on n'est pas là simplement pour se goinfrer à leur détriment. On a complètement oublié l'essentiel de ce que c'est que le rôle du père et de la mère. Vous savez ce que c'est le rôle du père et de la mère ? Est-ce que vous êtes capable de donner un rein pour votre enfant ? La réponse est oui. Est-ce que vous êtes d'accord pour donner le deuxième à l'autre enfant ? Réfléchissez à ça et vous verrez qu'on est plus prêt à ça, alors que c'est ça la vérité du devoir des parents, c'est le sacrifice, le devoir du sacrifice pour les enfants.
Philippe Lapousterle : Les politique sont les pères et les mères des citoyens ?
B. Tapie : Les politiques ne sont pas en train de nous organiser la société pour que les parents et les enfants soient mieux les uns avec les autres, ce n'est pas leur boulot. Dans vos questions, vous symbolisez bien la scission qui se fait entre nous tous, journalistes, politiques, et les gens, vous voulez absolument que ce soit grâce aux politiques que ces modifications surviennent. Ce n'est pas grâce aux politiques, ce n'est pas grave ni à cause des politiques que les gens, le soir, ne veulent même plus en famille faire l'effort de se mettre d'accord sur un programme de télé par exemple. Ce n'est pas la faute des politiques, et pourtant on ne le fait plus, chacun va voir la télé dans son coin, parce que chacun veut vivre son bonheur au moment présent, sans sacrifier une parcelle de celui-ci au profit de l'autre. Ce n'est pas les politiques qui vont dire : et si, une fois par semaine, les parents et les enfants, on se disait on ferme et puis on parle ; on passe une soirée, on se fait une fondue et on parle. Ce qu'on faisait avant, mes parents, vos parents ont bien connu ces soirées. Moi je n'ai jamais fait une seule partie de Monopoly avec mes gosses, mes parents ils en ont fait pratiquement trois fois par semaine.
Sylvie Pierre-Brossolette : Vous avez dit qu'il n'y avait que 2 projets de société qui s'opposaient aujourd'hui, celui de Le Pen et le vôtre ; c'est quoi le reste ?
B. Tapie : J'ai dit ça moi ? Où ça ?
Sylvie Pierre-Brossolette : Oui, il y a quelques jours.
B. Tapie : Vous l'avez lu, heureusement que la société ne se restreint pas à ça.
Philippe Lapousterle : Merci monsieur Tapie, prochain invité Michel Rocard.
Dimanche 29 mai 1994
RTL - Le Monde
Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais
C'est un sujet qui, normalement, n'aurait jamais dû intéresser personne d'autre que moi-même et la banque : il s'agit d'un conflit privé (…). Pour des raisons que j'ignore, j'apprends des procédures en cours par la presse, ce qui est nouveau (…).
Je n'ai pas envie de m'étendre là-dessus. Pas comme l'attaché de presse du Crédit Lyonnais, Monsieur Plenel, qui est également journaliste (…).
Il ne faut pas oublier que les juges aussi lisent les journaux. Les éléments qui sont diffusés ne procèdent que d'un seul son de cloche et ils risquent un jour de les influencer (…). Le tribunal décidera qui du Crédit Lyonnais ou de moi-même a raison. En attendant il faudrait que l'on cesse les investigations qui sont de nature à fausser l'opinion.
Q. : Vous expliquez-vous l'attitude du Crédit Lyonnais ?
B. Tapie : Le Crédit Lyonnais est dirigé par des gens qui ont pesé le pour et le contre (…). Ils ont choisi la voie du "faire savoir" (…). S'ils se sentaient forts sur le plan du droit, ils recourraient moins aux médias (…).
D'où vient la fortune de monsieur Bernard Tapie ?
Je n'ai jamais gagné d'argent sur mes propres entreprises (…). Toute la fortune que j'ai pu accumuler, et qui diminue beaucoup par les temps qui court, provient des plus-values de cessions de titres que j'ai réalisé (…). J'ai réussi eu la chance d'investir dans des domaines au moment où il fallait le faire, (…) Comme les peintres impressionnistes ou les meubles des 17e et 18e siècle (…).
Il ne faut pas oublier que, dans le cadre du métier que j'avais choisi, faire fortune signifiait réussir (…).
Bernard Tapie a-t-il créé ou supprimé des emplois ?
Q. : Considérez-vous avoir réussi en tant qu'entrepreneur et notamment en matière d'emplois ?
B. Tapie : Oui (…). Cette année, 400 000 personnes ont perdu leur emploi à cause de 60 000 défaillances d'entreprises (…). Il aurait fallu que nous soyons beaucoup plus nombreux ! (…)
Les plus-values ne sont que la conséquence d'un bon acte de gestion. (…)
Quand on redresse une entreprise, il faut recommencer à embaucher et ce ne sont pas forcément les mêmes qui sont repris (…). Ma façon à moi de me déculpabiliser, si je puis dire, de ce drame a été de créer des écoles de formation. (…) 10 000 personnes et ont été formées (…).
Y a-t-il acharnement ?
Est-ce qu'on s'acharne ? (…) Je suis content de constater que ceux qui disent que c'est le cas sont plus nombreux que les autres. La réponse est évidemment : oui (…).
Quand un bateau est sous un même régime pendant 11 ans, depuis son origine, c'est-à-dire avant moi (…), il est étonnant de constater que l'on ne se penche sur sa situation que les six derniers mois avant les élections (…).
Q. : Y a-t-il un "complot" ?
B. Tapie : Pour qu'il y ait complot, il faudrait un organisateur. Or il n'y a pas d'organisateur mais il y a tout un corps constitué de gens qui ont des responsabilités. Ces gens ont un sentiment personnel, ils ont choisi le moment idéal et il y a un effet d'entraînement (…).
Quand on est magistrat, il est dur de se faire connaître (…). Il existe un moyen cependant : coller à quelqu'un un abus de bien social. (…) Dans toutes les structures sociales, si l'on gratte un peu, on trouve les moyens d'épingler (…).
Je n'ai pas été honnête pendant 15 ans pour passer de l'autre côté la dernière année (…). Chez moi, on a utilisé les mêmes techniques qu'ailleurs (…).
Immunité parlementaire est affaires privées
Q. : L'immunité au Parlement européen est-elle pour vous plus solide que celle du Parlement français ?
B. Tapie : Je n'en sais rien et je ne me pose pas la question aujourd'hui. (…)
Si je suis mis en accusation d'avoir utilisé mon mandat d'élu pour faire en sorte de m'enrichir personnellement ou d'enrichir mon entourage, je démissionnerai. (…) Pour le moment, on ne me fait que des procès sur la manière dont je me suis pris mon propre argent. (…) Il n'est question ni d'argent public ni de corruption. (…)
Regardez ce qui se passe dans le département du Var. Le parrain du Var a fait école : il a appris à tous ceux du département comment l'on mélange l'argent malhonnête, la mafia, l'argent public, la corruption, les grands travaux. (…) Cela fait des années que tout le monde sait que ce département marche à ça. Or il n'y a pas une seule demande de mise en examen. Cela ne vous épate pas ? (…)
S'agissant de l'immunité, ce que les élus veulent savoir, c'est si je fais partie de ceux, nombreux, qui mettent la main dans le pot de confiture (…).
La Bosnie dans l'Union européenne
Je suis favorable à l'entrée de la Bosnie dans l'Union européenne (…) mais il faut que la paix puisse être assurée. Il y a des chances que la paix finisse par arriver par la voie diplomatique (…). Si cela ne marche pas, la tentation sera forte de lever l'embargo (…). Nous ne voulons pas entrer dans ce schéma car nous pensons que c'est contraire à la diplomatie française menée depuis des années (…), et contraire aussi à l'un des objectifs les plus ambitieux de l'Europe, qui est celui qu'on ne reconnaisse pas les drames de la guerre (…).
Si on levait l'embargo, l'armée serbe entrerait en guerre et les casques bleus ne pourraient plus rester (…), d'où un risque accru d'extension du conflit car, à un moment donné, la Russie pourrait entrer dans le jeu (…).
Si la Bosnie faisait partie de l'Union européenne, l'armée serbe aurait en face d'elle les armées de l'ensemble de l'Union européenne (…).
Cela fait quatre siècles que le problème n'est pas réglé (…). La Première Guerre mondiale est née à Sarajevo. Que l'on fasse en sorte qu'il n'en soit pas de même d'une troisième ! (…)
La liste "Sarajevo"
Q. : Êtes-vous étonné que Monsieur Léon Schwartzenberg soit tête de liste ?
B. Tapie : Je ne suis pas surpris car Léon se cherche énormément politiquement. Il a des pulsions, et ses pulsions sont sincères. Quand il était député européen, il a voté contre le bombardement des positions serbes (…). Maintenant, il s'est prononcé pour la levée de l'embargo. Dans les deux cas, il a été sincère, mais pas pour la même chose (…).
Q. : La liste de Bernard Henri Lévy : qui gêne-t-elle le plus ?
B. Tapie : Elle ne gêne personne et elle gêne tout le monde. B.-H. L. a donné le coup d'envoi. Il a monté un petit meccano pour Rocard. (…) Schwartzenberg a été viré de la liste de Rocard. En plus, il l'a appris par la radio. Il n'est pas content. On l'a mis tête de liste. (…)
En ce qui concerne ma propre liste, il y avait, sur le plan humanitaire, l'équivalent : Pradier. J'ai hésité deux secondes et j'ai choisi Pradier. (…)
La liste Sarajevo obtient 7 points dans les sondages. Du coup, Schwartzie ne veut plus partir. Il va donc y avoir un problème. Je ne sais pas comment ils s'en sortiront. (…)
Q. : Quel score pour la liste Tapie ?
B. Tapie : Je pense que nous aurons plus de 5 %. Avec 6 %, je serai content (…).
La durée du temps de travail
Raccourcir la durée du temps de travail est un phénomène inévitable, souhaitable et qui aura lieu. (…) Mais ce n'est pas cela qu'il faut promouvoir pour régler le problème du chômage de demain matin. (…) Le partage du temps de travail est un phénomène formidable lorsqu'on n'est pas dans un système concurrentiel. (…) Il y a des retraités – des anciens gendarmes ou pompiers – qui prennent un deuxième boulot. Ce n'est pas correct ! (…) Il y en a 400 000 ! (…) Dire aux gens : on réduit le temps de travail et l'on crée la richesse qu'il faut pour qu'il y ait de l'emploi en plus, c'est un raisonnement qui ne tient pas debout. Quand on crée moins de richesses, on crée mois d'emplois. (…)
L'Europe et l'emploi
Si dans les pays qui constituent l'Union européenne, il n'y avait plus besoin de rien (…), à quoi servirait l'Europe ? Mais les besoins existent. (…) L'Europe a une faculté énorme, celle d'ajouter les moyens aux moyens. (…) Dans un univers élargi, il y a forcément une potentialité de richesses inexplorées qui n'existent pas au niveau d'un État. (…) Par ailleurs, par sa taille, l'Europe peut jouer un rôle que chacun de ces États ne peut pas jouer, un rôle d'arbitrage, d'expertise, de surveillance, de gendarme, par exemple en matière de pollution. (…)
Rendre le chômage des jeunes illégal !
Le chômage d'une personne âgée est aussi pénible que celui d'une personne jeune. Mais à cette notion s'en ajoute une autre lorsqu'on a moins de 25 ans (…), c'est que toute la structure d'organisation sociale, dans la tête et dans le cœur, se fait par l'emploi. (…) quand on est privé de cela, on s'organise une autre société. (…) Cela ne coûterait que 70 milliards, c'est-à-dire le tiers des sommes dépensées en faux stages, fausses formations. (…) Il y a donc largement de quoi le financer ! Il reste simplement à demander aux employeurs : si cela ne vous coûte rien, est-ce que oui ou non, vous voulez faire l'effort d'ouvrir les portes pour mettre le pied à l'étrier à des jeunes (…) ? J'ai peur de la délinquance des jeunes qui ne sont pas insérés dans la société. (…)
Vous me parlez de Lénine qui voulait rendre l'emploi obligatoire pour tous, et moi je vous parle de Jules Ferry, qui a rendu l'école obligatoire pour tous. Le résultat de Jules Ferry a été plus convaincant que celui de Lénine. La différence entre Lénine et moi est qu'il était marxiste et que moi je suis radical comme Jules Ferry. (…)
Martine Aubry (…) sait que par des méthodes douces on n'y arrivera pas. (…) À un moment donné, il ne faut plus jouer "petits bras". Cette opération-là serait fantastique et si vous nous aidiez à la promouvoir, elle changerait la mentalité française. (…)
Pour un impôt européen
Je propose que toutes les compétences qui relèvent actuellement de la France en matière d'environnement, de défense, d'économie et de politique sociale soient assumées par la Communauté. (…) Cet impôt viendra à la place, il ne sera pas en plus. (…)
Monsieur Pineau-Valencienne en prison
Je ne vois pas un président d'une grande compagnie française commettre des actes qui soient de nature à l'emmener en prison. S'il était malhonnête, cela se saurait. (…) On peut être en contravention, et évidemment ceux qui ne foutent rien non aucune espèce de chance de se trouver en contravention ; mais quand vous faites beaucoup, beaucoup de choses, c'est comme lorsque vous faites beaucoup de kilomètres : vous faites inévitablement des fautes de conduite. La question qu'il faut poser est : est-ce que cela a porté préjudice à quelqu'un ou pas ? Je ne connais rien de l'affaire, sauf que j'ai cru comprendre que les actionnaires minoritaires, qui n'étaient pas contents à un moment, s'étaient plus ou moins mis d'accord avec le groupe Empain-Schneider. Par conséquent, on est de nouveau dans le domaine de la faute formelle. (…)
Mais franchement, de vous à moi, on se fout du monde, quand on voit le monde dans lequel on vit. (…) Il y a des millions d'escrocs, de vrais voyous qui font du trafic de drogue, qui tuent nos gosses sans arrêt, à la sortie des lycées, en leur injectant dans les veines des produits toxiques. Il y a des centaines de politicards qui se mettent l'argent des collectivités dans les poches parce que vous ne pouvez faire des travaux dans leur commune que si vous payez une commission. (…) Et on met des gens en prison parce que, à un moment donné, il y a eu une faute formelle de commise, parce qu'un juge a envie de se faire un industriel ! (…)
Fellous, quand il est allé en prison, je n'ai pas vu une demi-page dans le journal pour dire: c'est un scandale. Pourtant c'était le même scandale, et ça se passait en France.