Déclaration de M. Jacques Chirac, président du RPR, sur l'exclusion sociale, le projet du RPR à la veille des élections présidentielles de 1995, et la nécessité de donner un nouvel élan à la société, Colmar le 22 septembre 1994.

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Circonstance : Journées parlementaires du RPR à Colmar du 22 au 23 septembre 1994

Texte intégral

Mes chers Compagnons,

Si nous avons décidé de consacrer ces journées parlementaires à la question sociale, c'est parce qu'elle figure aujourd'hui au centre des préoccupations de nos compatriotes.

Si les mots ont pu varier d'une intervention à l'autre, c'est la même exigence qui s'est exprimée durant cette journée de travail. Chacun à notre façon, nous ressentons bien la nécessité d'un nouvel élan pour notre pays. Nouvel élan qui ne peut venir que de ce que j'ai appelé un nouveau contrat social. La tâche est difficile. Mais c'est la seule voie possible pour ceux qui mettent la dignité de l'homme et la grandeur de la Nation au cœur de leur engagement. C'est cela l'enjeu majeur du grand débat qui s'ouvre actuellement.

L'exclusion s'est fortement développée dans les 20 dernières années. Combien sont-ils, ainsi frappés par ce qui ressemble à une nouvelle forme d'indignité ? Nul ne peut le dire avec précision. Ce qui est certain, c'est que l'assurance du lendemain est devenue un privilège.

Mais l'exclusion n'épuise pas, loin de là, les préoccupations sociales des français.

Notre système de protection sociale, construit à la Libération, sous l'impulsion du Général de Gaulle, résiste mal au changement d'époque et à la montée du chômage. À travers la crise financière de nos régimes sociaux, c'est le problème des solidarités dans leur ensemble qui est posé. L'heure ne peut plus être aux approches strictement gestionnaires.

C'est vrai dans le domaine de la santé où, malgré des cotisations toujours plus fortes et des niveaux de remboursement toujours plus faibles ; l'accès aux soins n'est plus garanti également à tous les Français. Face aux progrès de la médecine, à l'allongement de l'espérance de vie à l'apparition de nouvelles maladies et de nouveaux risques, nous n'avons pas su nous adapter à temps.

Faut-il rappeler, qu'au-delà du problème des retraites, traité par le gouvernement, se profile la redoutable question de la prise en charge des personnes âgées dépendantes ? C'est l'un des défis des 30 années qui viennent. Nous ne pourrons rester longtemps sans solution.

Mais plus encore que l'exclusion et la fragilité de notre sécurité sociale, c'est la perte d'espoir qui constitue le risque social majeur.

Jamais il n'y a eu tant de français à douter de l'avenir. Jamais ils n'ont été aussi nombreux à redouter que leurs enfants aient à connaître, demain, une situation plus précaire que la leur.

Or, le fondement même de notre République, de notre pacte commun, c'est la possibilité, sinon la promesse, d'une promotion sociale pour chacune et chacun d'entre nous. C'est l'idée que par la formation et le travail, on pourra améliorer sa position, on pourra au sens propre du terme "élever" ses enfants, c'est-à-dire leur offrir des perspectives supérieures à celles que l'on a connues soi-même.

Rien n'est plus prioritaire aujourd'hui que de remettre en état de marche "l'ascenseur social" qui s'est déréglé sous l'effet de la crise que nous traversons depuis plus de 20 ans.

Sur ces différentes lignes de front, et sur bien d'autres encore, il est possible d'agir, d'anticiper, de réformer, avec un seul objectif : promouvoir l'égalité des chances. C'est ce principe qui doit figurer au cœur de notre démarche. Il est l'expression la plus achevée de ce que doit être le rêve républicain tel que les gaullistes le conçoivent.

J'approuve, bien entendu, l'effort d'assainissement entrepris dans notre économie. Pour avoir été deux fois Premier ministre, je sais qu'il est essentiel de garantir la stabilité de notre monnaie, la maîtrise de l'inflation et surtout, dans la France d'aujourd'hui, la réduction des déficits publics. Mais les grands équilibres ne suffisent pas à fonder nos engagements communs. Le Gaullisme, c'est d'abord un supplément d'âme.

Nous avons trop longtemps considéré le chômage comme un mal inévitable, et l'emploi comme le solde de notre politique économique.

Aujourd'hui, l'exigence sociale doit guider nos choix. Elle doit tenir lieu d'ambition pour la France et inspirer notre projet. C'est à cette tâche, qu'en liaison étroite avec vous, j'entends me consacrer dans les mois qui viennent.

C'est le rôle et la grandeur du Politique que rétablir ainsi l'ordre des priorités, et de tout mettre en œuvre pour recomposer, alors que la reprise se dessine, notre tissu social. À l'heure de la réconciliation, il y a cinquante ans, le Général de Gaulle ne s'y est pas pris autrement.

L'état de la France appelle de profonds changements et de vraies réformes sont encore devant nous.

J'admets bien volontiers qu'on ne peut réformer la société française à marche forcée. Il faut tenir compte de ses rythmes, car il n'y a pas de réformes intelligentes qui n'aient été préalablement débattues et expliquées à l'opinion. Mais reconnaitre cette vérité, ce n'est pas se résoudre à la passivité. Car gouverner c'est, plus que jamais choisir.

La politique ce n'est pas l'art du possible. C'est l'art de rendre possible ce qui est nécessaire.

Le débat est aujourd'hui ouvert car si les enjeux sont connus, il n'y a à l'évidence pas unanimité sur les priorités et sur les solutions.

Un exemple : l'emploi, qui constitue, faut-il le rappeler, la meilleure des sécurités sociales. Je dirai, au risque de choquer, que par-delà les discours et les bonnes intentions affichées, on se résigne trop facilement en France à une sorte de fatalité du chômage.

Depuis 20 ans, l'arbitrage, consciemment ou non, a toujours privilégié la protection du pouvoir d'achat et le maintien des situations acquises, au détriment de l'emploi. C'est un fait que personne ne peut contester sérieusement et qui doit nous conduire, aujourd'hui, à repenser notre conception du travail, la gestion de nos entreprises, et, de façon plus générale, l'organisation de notre économie. Notre société doit devenir plus solidaire, le retour de la croissance ne suffisant pas, de toute évidence, à résorber durablement le chômage.

Méfions-nous des faux consensus : ils ne sont souvent que prétexte à l'immobilisme. Le statu quo, qui se perpétue toujours au détriment des plus faibles, ne peut tenir lieu de ligne de conduite pour notre pays. Il ne saurait y avoir une politique intelligente de la fatalité.

Nous devons aborder avec franchise et courage les problèmes d'aujourd'hui : l'emploi et la croissance, l'aménagement du travail, la politique du logement, l'éducation des enfants, la formation professionnelle des adultes, l'accès à la santé, la solidarité envers nos aînés, la lutte contre l'exclusion, la vie dans les cités, l'avenir des campagnes et le développement du territoire.

C'est sur l'ensemble de ces sujets que nous serons jugés. Le débat va porter sur les idées, pas seulement sur les hommes. Il faut redonner à nos compatriotes le sens de l'engagement collectif.

Je le répète, dans un environnement de plus en plus instable, il n'y a pas de plus grand risques de rester immobile. Nous n'avons d'autre alternative que de redéfinir nos priorités, de renouveler nos modes de pensée, d'imaginer de nouveaux modes d'action. En clair, de donner un nouvel élan à notre société, aujourd'hui prisonnière de ses pesanteurs et de ses conservatismes. Autant que de bonne gestion, la France a besoin d'objectifs qui la transcendent.

Il ne s'agit pas, bien sûr, de multiplier les engagements inconsidérés. Il s'agit, et c'est beaucoup plus exigeant, de dire quelles sont les réformes prioritaires sur lesquelles nous nous engagerons, avec quelles préoccupations et selon quelles modalités.

C'est possible. L'exemple de l'emploi le montre.

Cela fait de longs mois que je plaide pour la transformation des dépenses passives d'indemnisation en dépenses actives d'insertion.

Nombreux sont ceux qui expliquaient, il y a quelques mois encore, qu'une telle évolution était impossible, sauf à remettre en cause l'indemnisation du chômage.

Le Gouvernement vient de décider de créer un dispositif permettant de faciliter l'embauche des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion. C'est un premier pas. Il faut aller plus loin en incitant, aussi, les entreprises à embaucher des chômeurs qui continueraient à être rémunérés par les ASSEDIC, jusqu'à ce que leur intégration professionnelle soit réussie.

Là comme ailleurs, le bon sens et l'imagination doivent nous guider : chaque fois que l'on peut, pour un coût inférieur à l'indemnisation du chômage, favoriser la formation ou la remise au travail d'un chômeur, le maintien ou la création d'une activité, il faut le faire.

Vouloir encourager les emplois de proximité, ce n'est pas se satisfaire de "petits boulots". C'est tout simplement prendre en compte de nouveaux besoins et répondre à de nouvelles attentes.

De même, lorsque je plaide pour une forte réduction de la part des dépenses sociales financées par les cotisations salariales, ce n'est pas pour faire un cadeau aux chefs d'entreprise. C'est parce que l'emploi est un bien trop précieux et trop rare pour être inconsidérément taxé. C'est aussi parce que nous devons tout faire pour tirer les salaires vers le haut, soutenir la consommation qui favorisera la croissance, donc le recul du chômage.

Prenons également l'exemple de notre politique de santé.

Fallait-il, comme les socialistes ont tenté de le faire rendre les professions médicales responsables de la dérive des dépenses, au nom d'une approche purement comptable de la médecine ? Certainement pas. C'était le plus sûr moyen de diminuer la qualité des soins.

Les professionnels de santé ont su définir, dans la concertation, un ensemble de règles et de références qui permettront un meilleur usage des soins. Tout n'est pas acquis, loin de là, mais l'on a progressé dans la bonne direction. La démarche qui a été lancée dans le domaine de la médecine libérale doit, désormais, être entreprise au sein des hôpitaux qui n'ont fait l'objet d'aucune réforme sérieuse depuis 1958.

Comme toujours, aux moments clés de notre histoire, l'avenir se nourrit d'idées neuves.

Mais ces réflexions, mes chers Compagnons, doivent prendre leur place dans une vision de notre histoire.

Aujourd'hui notre réunion, réunion de parlementaires gaullistes, de responsables politiques appartenant à une même famille, est lourde de symboles. Qui peut, mieux que nous gaullistes, au terme de quatorze années d'une présidence socialiste, mesurer le caractère exceptionnel de ce moment ?

Septembre 1994 : cinquante ans après la Libération de la France, après la victoire sur le nazisme, à l'aube d'un nouveau siècle, nous voilà confrontés à une échéance qui engage la nation toute entière. Or, sur quelles convictions pouvons-nous nous appuyer, si ce n'est l'unité et la pérennité de notre mouvement quand tout témoigne de l'actualité du gaullisme ?

Cette unité, forgée par l'Histoire, s'appuie sur des exigences communes et sur une même vision.

Notre première exigence, c'est la force du sentiment national, non pas crispation ou repli, mais conviction d'appartenir à une réalité vivante, la Nation française ; la deuxième c'est une certaine idée de l'État, qui doit assumer ses fonctions régaliennes d'autorité sans jamais oublier son obligation d'équité, son exigence de proximité des citoyens. Ces devoirs de l'État ne peuvent être satisfaits sans un souci permanent de réforme et de modernité ; notre troisième exigence est la responsabilité sociale. Nous devons être garants d'une bonne organisation et d'une juste répartition de la croissance et ne jamais oublier ceux qui sont laissés en marge ou qui sont exclus de la société.

Mais derrière ces exigences, l'essentiel réside peut-être dans une certaine vision de la politique.

Vous tous, qui avez choisi de servir la France et les Français, vous connaissez la noblesse de l'engagement politique. Trop souvent, l'image populaire ou médiatique montre la politique sous un jour indigne : corruptions, calculs personnels, manœuvres d'initiés, en un mot confiscation de la démocratie par quelques-uns.

Quelles que soient les difficultés du chemin, sachons prendre la hauteur et la distance nécessaires. Sachons rester dignes. Sachons rester humbles. Sachons rester fidèles.

Notre force c'est l'unité de notre Mouvement mais c'est surtout, pour demain, la pérennité de notre famille, une pérennité dont j'ai fait l'un des objectifs essentiels de mon action politique. Non par esprit partisan bien sûr, mais parce qu'un grand mouvement gaulliste est nécessaire à la France. Le danger pour nous n'est pas tant la division, c'est la dilution. Cette réalité doit nous conduire à nous dépasser sans cesse.

Certes il y a les humeurs du moment, la tentation permanente de la facilité. Mais je le répète, la réalité c'est que dans les temps difficiles le comportement gaulliste est celui qui convient.

Nous le constatons, une fois de plus, à un moment où notre vie politique est rattrapée par l'Histoire, à un moment où nous sommes à nouveau confrontés à la douloureuse épreuve de la mémoire, de cette mémoire qui sépare et qui divise alors que nous voudrions tous voir la France et les Français réconciliées. J'ajoute que le caractère fondateur de l'Appel du 18 juin ne peut être contesté par personne.

Face à la confusion des valeurs et des idées qui agite bruyamment la scène politique française, je veux en appeler à l'idéal qui nous unit et qui justifie qu'à travers difficultés et épreuves nous poursuivons notre combat, ensemble.

Car il nous faut regarder les réalités en face et percevoir les menaces qui s'annoncent.

Je sens monter chez certains d'entre nous l'inquiétude. Ici ou là, je sens poindre les calculs ou les arrière-pensées. Dans le combat politique, la frontière est fragile entre la nécessité diversité qui fait notre richesse et les divisions qui pourraient mettre en péril la famille toute entière. Nul doute que ce péril doit être écarté en retrouvant l'esprit de notre combat.

Une autre menace, plus pernicieuse encore, nous guette. Elle émane de ceux qui veulent nier l'essence et l'originalité même de notre mouvement et brouiller la force de notre message. Quelques-uns, dans l'ombre, à droite ou à gauche, appellent en effet de leurs vœux et préparent déjà une recomposition du paysage politique au lendemain d'une dissolution de l'Assemblée nationale. D'aucuns de nos amis et certains de nos partenaires s'en accommoderaient, qui croient que les identités politique actuelles ne répondent plus aux aspirations du temps. Cette entreprise déboucherait, à n'en pas douter, sur un regroupement utopique et réducteur qui ne serait qu'un parti de nulle part pour aller Dieu sait où.

Force est le constater que nous vivons un étrange paradoxe. Cinquante ans après la victoire historique du Général de Gaulle, alors que chacun s'accorde pour dire que nos idées doivent l'emporter en 1995, on voudrait nous faire croire que ces évolutions sont inéluctables. Comme si l'on cherchait à remettre en cause notre victoire aux législatives. Ces conspirations, ces marchandages, ces alliances et ces contre-alliances se font loin du regard de la Nation, loin des préoccupations du peuple français qui est seule apte à décider.

Pour que la Nation se retrouve tout entière sur le même chemin, il faut ouvrir la voie et convaincre. Certes la politique peut se gérer au jour le jour, mais il faut aussi, aux tournants de notre Histoire, savoir penser la politique et la penser avec audace, loin des routines et des conforts, pour que notre pays se retrouve rassemblé dans un même élan, debout face aux défis de cette fin de siècle.

J'entends dire parfois qu'en décidant par avance de renoncer à tout retour à l'Hôtel Matignon en 1993, j'aurais manqué de jugement, je n'aurais pas mesuré l'impact du pouvoir sur les hommes.

C'est une erreur. Il est un temps ou le silence et la réflexion sont nécessaires. La solitude aussi.

En politique un destin ne se subit pas. Il se construit.

Mes chers Compagnons,

Face à certaines de vos interrogations consacrez-vous à ce qui est d'abord notre mission, à ce qu'il y a de plus haut et de plus noble en politique.

Ensemble approfondissons le débat pour mieux servir la France et les Français. Oublions les sondages, ces tables de la loi des temps incertains. Oublions les arithmétiques électorales, les engouements et les empressements médiatiques qui pourraient ou voudraient tuer tout débat et nous éloigner ainsi de la vraie politique, de la vraie démocratie.

Je vous l'ai dit à Bordeaux, il n'y a pas, et il n'y aura pas de place chez nous pour des divisions ou des querelles.

Pour vous en convaincre, mes chers Compagnons, je voudrais aujourd'hui vous faire une confidence en forme de promesse : je suis sûr de notre victoire.

En attendant, mobilisons nos idées et nos énergies et n'oublions jamais que l'Histoire est dans les mains de ceux qui la préparent et non dans celles de ceux qui la retiennent.