Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-espagnoles, la préparation de la conférence intergouvernementale en 1996, l'élargissement de l'Union européenne et la situation en Haïti et à Cuba, Paris le 17 septembre 1994.

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Circonstance : Séminaire ministériel franco-espagnol à Paris les 16 et 17 septembre 1994

Texte intégral

Mesdames et messieurs, je vous remercie d'être venus ce samedi matin au Quai d'Orsay pour une conférence de presse qui clôture le séminaire ministériel franco-espagnol qui s'est déroulé dans la cadre fixé depuis le début des années 1980 pour une relation bilatérale. Je voudrais, au nom d'Alain Lamassoure qui a participé à nos travaux hier, et en mon nom personnel, remercier mon collègue et ami M. Solana et le Secrétaire d'État aux Affaires européennes, d'avoir participé à ce séminaire.

Il a commencé hier vous le savez, par un déjeuner très amical que nous avons pris entre ministres. Il s'est poursuivi par une séance de travail et un dîner et nous avons repris ce matin en séance plénière pour mettre au point cette conférence de presse. Je voudrais d'emblée signaler que ce séminaire s'est déroulé dans un climat exceptionnellement amical et chaleureux, d'abord parce que nous avons des relations personnelles très amicales et cela compte dans la politique étrangère, et ensuite parce que nous avons constaté sur tous les sujets à peu près sans exception que nous avons débattus une très grande pour ne pas dire une complète identité de vue.

Nous avons décidé cette année de consacrer nos réflexions aux questions européennes ; d'abord, parce que, sur le plan des relations bilatérales, tout va très bien, donc il n'est pas utile d'en discuter longuement, les relations sont marquées par le point de l'excellence dans tous les domaines et en particulier dans le domaine culturel. Nous avons choisi les questions européennes aussi parce que, vous le savez, la France va assumer la présidence de l'Union au premier semestre et l'Espagne, au deuxième semestre de l'année 1995 et nous tenons à faire en sorte que ces deux présidences soient coordonnées le plus possible de façon à assurer la continuité de nos initiatives.

Sur ces questions européennes, comme sur le reste, nous avons constaté une profonde convergence sur deux ou trois points que je voudrais énumérer rapidement pour ne pas vous faire un compte rendu exhaustif. Je répondrai ensuite à vos questions.

Première convergence d'abord, sur la préparation de la conférence intergouvernementale de 1996 Nous sommes d'accord pour dire que ce rendez-vous est important, qu'il ne doit pas s'agir d'une réformette, mais d'une réforme en profondeur du fonctionnement de l'Union. Nous sommes d'accord aussi sur le calendrier : c'est sous la présidence française que seront établis les rapports demandés aux trois institutions de l'Union, le Conseil, la Commission, le Parlement, et c'est la présidence espagnol qui activera le groupe des représentants personnels des ministres des Affaires étrangères dont la constitution avait été décidée à Ioannina.

Accord aussi sur les thèmes essentiels, nous y reviendrons sans doute. Cette conférence doit se situer dans la perspective des futurs élargissements de l'Union européenne et nous devrons en cette occasion réfléchir à la manière d'introduire plus de souplesse dans le fonctionnement des institutions de l'Union pour tenir compte de cet élargissement.

Deuxième grand thème après la préparation de la conférence : ce que j'appellerai la dimension méditerranéenne de l'Union européenne. Il nous est apparu nécessaire, au fur et à mesure que l'Union s'élargit vers le nord, les pays scandinaves, l'Autriche, plus tard les PECO, de réaffirmer tout l'attachement que l'Espagne et la France ont pour les questions méditerranéennes, il y va d'ailleurs de l'intérêt de l'ensemble de l'Union et en particulier de sa stabilité et de sa sécurité. Dans cet esprit, nous avons souhaité que les accords en cours de discussion avec le Maroc et la Tunisie puissent être pris le plus vite possible, nous avons rappelé que le Forum méditerranéen dont la première réunion s'est tenue à Alexandrie en juillet se réunirait à nouveau en France au printemps 1995. L'année 1995 verra aussi la conférence méditerranéenne dont le principe a été adopté à Corfou.

Troisième grand thème enfin de discussion sur les questions européennes, les questions de sécurité, l'architecture de sécurité de l'Europe. Là encore, l'Espagne et la France ont la même vision de ce qu'il faut faire, renforcement de l'UEO, avec des forces opérationnelles, notamment le Corps européen, dont l'Espagne est membre, et d'autres initiatives en ce sens.

J'ajoute que nous avons passé en revue un certain nombre d'autres sujets sur lesquels nous pourrons revenir en réponse à vos questions : le pacte de stabilité, la situation dans l'ex-Yougoslavie, la situation en Algérie, la situation à Cuba. Nous avons également dit un mot de la ratification de l'accord de Marrakech et abordé, je dis les choses un peu dans le désordre, les problèmes culturels et linguistiques sur le plan communautaire pour affirmer notre commun attachement au bilinguisme en Europe. Quand je parle de bilinguisme, j'ai en tête d'avoir dans chaque pays, outre la langue maternelle, deux langues vivantes obligatoires.

Enfin, et je termine par un aspect plus bilatéral de nos conversations, nous avons évoqué les questions de la coopération transfrontalière, vous savez que de très nombreux projets voient le jour entre les collectivités locales de part et d'autre des Pyrénées, entres régions, entre départements, entres villes, ce foisonnement d'initiatives est très positif et nous souhaitons qu'il soit encouragé. Nous pensons qu'il faut lui donner un cadre et des bases juridiques qui permettent aux gouvernements d'être impliqués dans cette coopération, et à cette fin, nous avons décidé de préparer un projet de traité bilatéral qui donnerait un cadre à cette coopération transfrontalière, que nous pourrions commencer à étudier lors du prochain sommet franco-espagnol qui se tiendra, vous le savez, en France aux alentours du 21 octobres prochain, c'est-à-dire dans un mois.

Q. : (inaudible).

R. : Je vous ai dit qu'il existait actuellement un très grand nombre de projets mis au point par les collectivités locales françaises et espagnols de part et d'autre des Pyrénées. Ce mouvement est très positif, nous souhaitons l'encourager. Il nous est apparu que la participation des gouvernements à ce processus, dans le cadre d'une commission mixte franco-espagnole pourrait être utile et permettrait de mieux coordonner l'ensemble de ces initiatives tout en laissant bien sûr, les collectivités locales libres de leurs mouvements.

Voilà un peu l'objectif. Pour donner une base juridique à cette commission mixte qui suivra ces projets de coopération, nous avons pensé élaborer un texte très simple. Vous avez vu l'objectif que nous nous sommes fixés, c'est de pouvoir déjà l'examiner à la fin du mois d'octobre.

Q. : (sur l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale après la conférence de 1996 ?)

R. : Je partage tout à fait ce point de vue. Nous avons dit qu'avant de poursuivre l'élargissement de l'Union européenne au-delà des quatre pays qui vont entrer, je l'espère, le 1er janvier prochain, il fallait remettre un peu d'ordre dans la maison, dans les institutions. La vision que nous avons de l'Union est d'ouvrir la famille européenne aux PECO dont nous avons en principe dit qu'ils entreraient dans l'Union à Copenhague. Voilà donc l'objectif de cette conférence intergouvernementale. Vous avez dit « entrer immédiatement dans l'Union au lendemain de la conférence », je dirais ouverture immédiate des discussions et l'adhésion après la conférence intergouvernementale avec les pays qui sont candidats.

Q. : Avez-vous parlé des propositions de la CDU allemande sur la marche de l'Union ?

R. : M. Solana donnera son point de vue, le mien doit être bref mais il est utile que l'on commence à parler de tout cela. Nous voyons bien qu'il y a un problème. La conférence intergouvernementale sera un grand rendez-vous, donc il faut que le débat s'ouvre, nous avons deux ans devant nous. Je ne me choque pas du tout de voir apparaître ici ou là des propositions et des idées, la France en a elle-même avancées. Nous sommes convenus précisément au cours de ce séminaire d'essayer de faire des propositions conjointes franco-espagnoles sur ce genre de problèmes. S'agissant du document de la CDU ; j'ai déjà eu l'occasion de dire ce que j'en pensais. Je ne suis pas favorable pour ma part et la France n'est pas favorable à l'idée d'un noyau dur comme cela figurait, du moins dans un premier temps, dans le document en question.

Quelle est notre vision ? Nous pensons qu'il doit y avoir, entre tous les membres de l'Union européenne un socle commun qui définit ce qu'est la solidarité entre membres de l'Union ; l'Union douanière par exemple, la coopération politique, un certain nombre de politiques communes, c'est ce que j'ai appelé le plus grand commun dénominateur entre les membres de l'Union. Au-dessus de ce socle commun, on peut imaginer des solidarités renforcées. Il se peut que tel ou tel pays ou tel ou tel groupe de pays puissent vouloir aller plus vite et plus loin dans telle ou telle direction ; on doit le leur permettre mais sans fermer la porte à personne, sans fixer à l'avance la liste de pays qui seraient seuls habilités à entrer dans ces solidarités renforcées. Et enfin, autour de l'Union européenne ainsi définie, il faut avoir des accords de partenariat avec les pays qui, sans être membres de l'Union, sont proches de nous, c'est un peu la théorie des trois cercles que M. Balladur le Premier ministre a exprimée dans un article.

Voilà donc un peu notre philosophie et je crois que cette idée des solidarités renforcées au sein de l'Union européenne sera un acquis valable pour tous, mais nous n'y sommes pas encore.

Q. : Au sujet d'Haïti ?

R. : Nous n'avons pas d'informations particulières depuis hier. Vous connaissez la position de la France, et sur Haïti, j'ai eu l'occasion de m'exprimer au cours des dernières 24 heures, je n'y reviens pas. La démarche américaine qui est de tenter la conciliation de la dernière chance me parait positive ; espérons qu'elle permettra enfin de faire entendre raison à ceux qui ont confisqué le pouvoir en Haïti. Pour le reste, je n'ai pas de commentaire à faire.

Q. : Au sujet du renforcement de la sécurité avec les pays de la Méditerranée.

R. : Sur le renforcement opérationnel de l'UEO, nous avons eu déjà l'occasion d'en parler. Il y a d'abord le Corps européen, auquel l'Espagne participe pleinement et nous nous en sommes réjouis. Il faut maintenant petit à petit, et c'est en cours, donner à ce Corps européen, une existence et une efficacité opérationnelle et nos ministres de la Défense respectifs y travaillent. Rendre l'UEO plus opérationnelle, c'est aussi concrétiser un certain nombre de projets qui avancent. Je pense au réseau satellitaire d'observation dont devrait se doter l'Union, je pense aussi à la coopération en matière d'armement, l'embryon de l'agence européenne de l'armement vous le savez, est en cours de définition. Pour renforcer ce caractère opérationnel de l'UEO, il nous semble aussi que l'idée d'une force terrestre d'actions rapides qui est en cours d'examen entre la France, l'Italie et l'Espagne pourrait être un bon moyen. Cela ne fait pas double emploi avec le Corps européen, c'est une force plus légère et plus rapide. Le Corps européen a vocation à quelque chose de plus lourd et plus ambitieux et nous sommes d'accord pour poursuivre dans la voie de l'élaboration de la mise au point de cette force.

Q. : Quelle est la position de la France vis-à-vis des événements actuels à Cuba, à propos de l'embargo ?

R. : Nous avons parlé hier assez longuement M. Solana et moi de la situation à Cuba. J'étais très heureux de voir que, là encore, nous étions sur la même longueur d'ondes. Ce qui nous préoccupe, nous Français, c'est la misère et la souffrance du peuple cubain qui vit dans une situation épouvantable. Cela est dû au régime qui lui a été imposé depuis plusieurs décennies, et nous considérons que quoiqu'il y eût dans le domaine quelques inexactitudes d'expression, nous considérons nous, gouvernement français que l'embargo n'est pas une solution. C'est tellement vrai d'ailleurs que nous ne l'appliquons pas, que nous avons même toujours voté dans toutes les instances internationales contre cet embargo qui, je le rappelle, est unilatéral ; Il aggrave les souffrances du peuple cubain sans même déboucher sur une solution. La solution est la réforme économique et politique : c'est l'ouverture de l'économie cubaine, et c'est la démocratisation bien entendu. Nous nous retrouvons tout à fait sur la même ligne : l'embargo n'est pas une bonne formule, il faut maintenant parler pour faire évoluer la situation et sortir du désastre qui dure depuis tant d'années.

Q. : (Sur la pêche ?)

R. : Je n'ai pas une virgule à changer à ce que vient de dire M. Solana. Je crois qu'effectivement « l'arbre est attaché à la forêt » il y a eu les incidents que vous savez mais au total, dans ces questions de pêche et d'agriculture, nous avons beaucoup plus d'intérêts communs la France et l'Espagne, vis-à-vis de l'Union européenne que d'intérêts divergents.

C'est donc dans cet esprit que nous envisageons les choses avec des réunions entre ministres techniques. Nous sommes nous aussi et nous l'avons été pendant tout l'été en contact pour jouer notre rôle de conciliation. Il faut que le contact ne soit jamais interrompu sur ces questions et nous avons donc décidé de mettre en place un système qui puisse détecter la montée des crises et éviter que les choses ne s'enveniment.

Pour conclure, je voudrais vraiment – et ce n'est pas une clause de style, tous ceux qui ont participé à ces deux journées de travail l'ont bien perçu – insister sur l'excellence, c'est le mot qui me paraît convenir, de nos relations. Le climat a été extraordinairement franc, constructif et cordial dans les trois groupes de travail qui se sont réunis hier, et évidemment aussi dans les séances plénières. Je crois que maintenant – peut-être plus que nous ne l'avons fait et c'est la résolution que nous pouvons prendre pour l'avenir – il faut que la France et l'Espagne passent des positions communes aux initiatives communes au sein de l'Union européenne et que nous puissions, notamment à l'occasion des deux présidences successives faire bouger les choses dans la direction qui nous paraît la bonne et que nous partageons.

Je voudrais encore remercier M. Solana et toute sa délégation de l'esprit dans lequel ils sont venus ici à Paris.