Interview de M. Jack Lang, député européen PS, à Europe 1 le 14 septembre 1994, sur la controverse autour des options politiques de jeunesse de François Mitterrand, l'évolution du PS et la candidature souhaitée de Jacques Delors à l'élection présidentielle et sur l'action de François Bayrou à l'éducation nationale.

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Média : Europe 1

Texte intégral

F.-O. Giesbert : Est-ce que vous êtes malheureux en ce moment ?

J. Lang : On ne peut pas dire que l'atmosphère soit totalement sympathique.

F.-O. Giesbert : Au PS ?

J. Lang : Dans quelques débats qu'on entend ici ou là et en particulier, ce festival d'hypocrisie et de règlements de comptes autour de la personne de F. Mitterrand.

F.-O. Giesbert : Qu'est-ce que vous pensez de vos petits camarades socialistes qui jettent la pierre a F. Mitterrand ?

J. Lang : De certains d'entre eux. Pas tous. Je suis parfois un peu triste sinon choqué du comportement de certains – je n'ai pas l'habitude de citer de noms et vous les connaissez – qui, à la première pichenette venue, perdent pied, vacillent, doutent et renient l'homme qui a conduit la gauche à la victoire.

F.-O. Giesbert : Est-ce qu'il y a quelque chose qui vous a choqué dans le discours de F. Mitterrand sur Vichy ?

J. Lang : J'ai eu le sentiment, en l'entendant, d'un homme qui, avec une grande dignité, beaucoup de noblesse, a essayé d'expliquer son itinéraire qui a été celui d'un homme patriote, courageux, qui s'est arraché à son milieu d'origine pour progressivement trouver le chemin de la gauche. J'ai été choqué que tout ce tintamarre ait fait passer à la trappe l'essentiel : F. Mitterrand fut l'un des héros de la Résistance française et vous observerez d'ailleurs qu'à ce concert de haine, aucun grand résistant n'a mêlé sa voix, ni Chaban-Delmas, ni S. Veil, ni le général de Benouville. Eux savent qui était qui, qui était lâche ou courageux.

F.-O. Giesbert : Si la curée continue, est-ce que vous songez à l'aider d'une façon particulière ?

J. Lang : Il y a ici ou là assez de gens, des millions de gens en France qui ont du bon sens et qui savent surtout ce qu'est la nature profonde de F. Mitterrand.

F.-O. Giesbert : Vous avez pris des initiatives dans le passé. Vous seriez prêt à recommencer ?

J. Lang : Il s'agit d'être clair, ferme, de ne pas vaciller et de se rappeler que F. Mitterrand est un humaniste auquel toute idée de racisme a constamment fait horreur. Tous ses actes témoignent de sa profonde humanité et Klarsfeld lui-même le dit : aucun président de la République n'aurait accompli ce qu'il a accompli pour la mémoire juive.

F.-O. Giesbert : Est-ce que vous ne trouvez pas que dans ce climat d'hystérie collective, la droite se comporte mieux que la gauche ?

J. Lang : Il y a parfois certaines personnalités de droite qui ont appartenu à la Résistance précisément, qui savent qui est F. Mitterrand, ce qu'il a accompli pour le pays. Ils ont fait preuve de dignité. Pas tous. Je regrette que M. Deniau, hier, ait tenu ces propos. Il avait moins de scrupules lorsqu'il siégeait au sein du même gouvernement avec M. Papon.

F.-O. Giesbert : F. Mitterrand s'est prononcé en faveur de la candidature de J. Delors. Cela vous fait de la peine ?

J. Lang : Cela me réjouit et j'espère que toutes les conditions seront réunies pour que J. Delors soit notre candidat.

F.-O. Giesbert : S'il ne l'est pas, vous envisagez la vôtre ?

J. Lang : Cette question sera posée dans trois mois. J'ai l'occasion, ce soir, de revoir J. Delors à Bruxelles. Je lui redirai à nouveau à quel point nous souhaitons tous qu'il soit notre candidat.

F.-O. Giesbert : Pour que ce candidat ait une chance, il faut que le PS renaisse. Comment peut-il le faire ? Est-ce qu'il ne faut pas que le socialisme rompe avec le mitterrandisme ?

J. Lang : Je ne crois pas que c'est en cédant à ces illusions que l'on peut reconstruire. Au contraire, c'est en se remettant à l'époque où F. Mitterrand a redonné vie et espoir à la gauche. Le PS est une ruche. Y venaient des intellectuels, des créateurs, des inventeurs, des scientifiques. C'est cela qu'il faut retrouver.

F.-O. Giesbert : Ce n'est pas le cas aujourd'hui ?

J. Lang : H. Emmanuelli a pris toute une série de dispositions pour que ce parti puisse retrouver vigueur et santé.

F.-O. Giesbert : Comment expliquez-vous la popularité d'E. Balladur, aujourd'hui ?

J. Lang : C'est un autre sujet. C'est une popularité qui est due, sans doute, a quelques-uns de ses mérites, qui est due aussi sans doute au fait que, précisément, l'alternative ou l'alternance n'apparaît pas clairement. La tâche, le devoir des hommes qui aujourd'hui incarnent la gauche est précisément d'offrir au pays un programme d'action et d'imagination assez audacieux.

F.-O. Giesbert : On vous soupçonne de vouloir créer un mouvement de gauche en faveur d'E. Balladur. C'est une calomnie ?

J. Lang : Ce sont les rumeurs que vous colportez, vous-même. Je vous en laisse la paternité.

F.-O. Giesbert : La rentrée des classes s'est effectuée dans le calme. Est-ce que vous avez envie de donner un coup de chapeau à F. Bayrou ?

J. Lang : Non, j'ai eu la chance aussi d'avoir une rentrée très calme, à l'université et à l'école. Un homme d'État a le devoir de vérité. On ne change pas de langage selon que l'on est ou à l'opposition, ou au gouvernement. Je ne prendrai pas modèle sur les détestables méthodes de l'opposition d'hier, aujourd'hui majorité, qui tirait à boulets rouges sur nos réformes parce qu'elles étaient les nôtres. Cela vous surprendra, mais je ne suis pas mécontent que l'actuel gouvernement ait mis au placard les funestes projets de l'UDF et du RPR qui consistaient à démanteler l'Éducation nationale. Je ne suis pas mécontent que le gouvernement actuel se soit rallié à l'esprit de certaines réformes engagées par Jospin ou par moi-même, et je me réjouis en particulier que M. Bayrou ait fait sien le nouveau baccalauréat. Il y a apporté d'ailleurs un ou deux correctifs heureux. Je ne suis pas malheureux non plus qu'il ait repris à son compte les mesures que nous avions engagées pour changer l'école, l'apprentissage précoce des langues, l'habilitation aux études dirigées, le soutien renforcé aux élèves de sixième. Ainsi, M. Bayrou et le gouvernement ont rendu un hommage indirect à nos gouvernements. Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Il y a deux petits "mais" : les actes accomplis depuis 18 mois tournent un peu le dos à ces mesures, et je pense en particulier à la baisse des crédits pour les ZEP ou pour les études dirigées et, surtout, j'espère pour le futur que l'imagination et l'audace permettront d'engager de vraies réformes pour attaquer à la racine du mal l'échec scolaire dans les quartiers populaires.

F.-O. Giesbert : Il s'entend bien avec les syndicats, lui ?

J. Lang : Oui, c'est une curiosité ; ces syndicats qui, naguère, étaient présentés comme l'horreur de l'horreur sont aujourd'hui caressés, flattés.

F.-O. Giesbert : Il n'est pas interdit aux ministres d'être habiles ?

J. Lang : Il n'est pas interdit aux ministres d'être habiles, et il l'est.

F.-O. Giesbert : F. Bayrou a interdit le foulard islamique. Est-ce que vous regrettez, de ne pas avoir eu le courage de prendre cette mesure ?

J. Lang : Je ne sais pas où est le courage. Je ne sais surtout pas où est la réalité. Aucun changement de cap, sauf verbal, n'a été accompli par l'actuel ministère. Les instructions de L. Jospin, qui étaient conformes à l'acte du Conseil d'État continuent à s'appliquer. Priorité au dialogue et à la persuasion pour résoudre, établissement par établissement, les difficultés. Pourquoi risquer, par l'éclat médiatique de ces derniers jours, de raviver les passions et de rallumer les feux de l'intolérance ? Dans ce domaine, il ne faut surtout pas politiser et ne pas faire des enfants les otages des querelles politiques. J'espère que c'est le souci de F. Bayrou.