Article de M. Charles Pasqua, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, dans "Le Monde" du 19 septembre 1994, sur la résistance, intitulé : "Mémoire d'avenir".

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  • Charles Pasqua - Ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire

Média : Le Monde

Texte intégral

POINT DE VUE

Mémoire d'avenir

Par Charles Pasqua

Ainsi, quelques semaines seulement après qu'elle a commémoré le Débarquement, célébré la Résistance, fêté la Libération, voici la France brusquement plongée dans l'évocation complaisante d'un régime qui avait fait siennes l'idéologie la plus nauséabonde et les pratiques les plus odieuses.

Cela suffirait à nous désoler. Qu'on doive ce dérapage à l'exploration du parcours de François Mitterrand ajoute, bien sûr, au trouble des esprits. J'en serais, pour ma part, resté là si, derrière la justification, par l'homme politique, de son itinéraire personnel, ne se profilait la révision de l'histoire de cette extraordinaire épopée que furent la France libre et la Résistance.

Une telle démarche, dont le chef d'État a pris l'initiative, ne peut laisser indifférents ceux qui se sont engagés, sans calcul ni réserve, et qu'elles qu'aient été leurs opinions, leurs croyances ou leurs origines, parce qu'ils ont cru d'emblée en la France et en son destin.

Car il semble bien qu'il y ait désormais la volonté de nier l'acte fondateur du 18 juin, geste auquel la France dut seul sa place au rang des vainqueurs, et la République sa continuité historique. L'omission du nom de De Gaulle, le 6 juin dernier déjà, traduisait cette volonté manifeste de solder les comptes avec le fondateur de la France libre et la Ve République.

Ce débat ne concerne pas seulement la mémoire du pays, mais son avenir. C'est l'image d'une France battue, déchirée, consentante, qu'on dessine à ceux qui vont nous suivre. Là n'est pas la vérité. Je veux dire à la jeunesse de mon pays, que parmi les milliers d'hommes et de femmes qui, à l'extérieur comme à l'intérieur, se levèrent dès juin 1940 pour combattre la tyrannie et restaurer la souveraineté et la liberté de la France, beaucoup, qui donnèrent leur vie, n'avaient pas vingt ans.

Rappelons-nous seulement Mathurin Henriot, dit Barrioz, mort à quatorze ans, le plus jeune des trois cent douze compagnons de la Libération à titre posthume. "Ils constituèrent, écrit le général De Gaulle, la tête de l'immense et magnifique cohorte des fils et filles de France qui ont, dans les épreuves, attesté sa grandeur. Que leur gloire soit pour jamais compagne de notre espérance."

Que tous ceux qui ont de notre patrie la même idée chevillée au corps fassent qu'elle renoue, bientôt, avec cette espérance.