Texte intégral
Q. : Pourquoi les donateurs apportent-ils une aide au compte-gouttes à M. Arafat ? Est-ce qu'à votre avis Arafat devrait agir différemment ?
R. : J'y vois deux raisons : la première est liée aux procédures des organisations internationales qui dispensent l'aide, qu'il s'agisse de la Banque mondiale ou d'autres. Elles ne savent pas faire ce qu'il faudrait savoir faire pour aider les Palestiniens. Ces grandes organisations savent financer des projets de développement, des projets d'investissement : par exemple une route, un port, etc. Elles ne savent pas, en revanche, financer la vie quotidienne des administrations du pays ou de l'entité qu'il s'agit d'aider. Or c'est précisément de cela que les Palestiniens ont besoin, c'est d'une aide au fonctionnement pour faire tourner les écoles, les hôpitaux, la police, etc. La deuxième raison est plus politique : il faut que nos amis palestiniens s'organisent de telle manière que nous ayons la certitude que l'aide est bien utilisée. Ils doivent mettre en place les structures administratives nécessaires. Nous ne pouvons pas décaisser des millions de dollars ou des millions d'écus sans savoir où ça va, sans avoir des interlocuteurs vraiment organisés. Je pense que c'est en bonne voie.
Q. : Lors d'une de vos interventions télévisées, vous avez dit que la France est en droit de questionner les autorités algériennes sur l'aide de la France à l'Algérie. Êtes-vous satisfait jusqu'à présent de la performance des autorités algériennes 1) sur le plan politique et 2) sur le plan économique, allez-vous continuer à soutenir indéfiniment un pouvoir impopulaire ?
R. : Il faut distinguer : l'économie et la politique. En ce qui concerne l'économie, les autorités algériennes ont fait une grande partie du chemin que nous leur demandions de faire, elles ont pris un certain nombre de décisions qui étaient encore refusées il y a un an et demi ou deux ans. On les connaît : l'accord avec le FMI, le rééchelonnement de la dette, la dévaluation de la monnaie, la mise en œuvre d'un plan de réformes de structure… Ceci a été fait, il faut en tenir compte. Est-ce que ces réformes annoncées sont vraiment entrées dans les faits ? Il incombe maintenant au FMI de faire un premier bilan. Les accords avec le FMI datent de janvier. Six mois ont passé, il faut maintenant faire comme on le fait avec d'autres pays, un premier examen en profondeur.
En ce qui concerne les aspects politiques, nous n'avons jamais apporté un soutien inconditionnel au gouvernement algérien. J'ai répété que le statu quo n'était pas tenable. Tout en comprenant le souci de tout gouvernement, d'assurer l'ordre et la sécurité dans le pays dont il a la charge, nous avons dit que la politique du « tout sécuritaire » ne permettait pas de trouver des solutions à long terme et que seul le dialogue, la réconciliation de l'ensemble des forces politiques qui récusent la violence permettraient d'aboutir. Là encore, les choses ont évolué, le dialogue est maintenant engagé. Il est engagé avec un certain nombre de partis politiques, plus ou moins représentatifs ; il est aussi, on le sait de façon certaine maintenant, engagé avec le FIS. Il nous faut encourager ces évolutions.
Q. : Votre collègue de l'intérieur M. Pasqua avait estimé qu'il n'y a pas de choix pour la France que de soutenir le régime algérien, sinon ce serait le FIS extrémiste car il n'y a pas de FIS modéré. Partagez-vous cette analyse qu'il n'y a pas de FIS modéré ?
R. : Le Premier ministre a bien indiqué la ligne qui est celle du gouvernement français. C'est celle que je viens de rappeler, s'agissant des relations de la France avec l'Algérie : elle est d'inciter les autorités algériennes à dialoguer avec ceux qui, au FIS, acceptent une interruption de la violence et un dialogue fondé sur les principes démocratiques. La déclaration du ministre de l'Intérieur visait les mouvements terroristes et c'est vrai qu'il n'y a pas de dialogue possible avec les terroristes. Je ne vois pas de contradiction. Il est normal que le ministre de l'Intérieur chargé de la sécurité du territoire français soit plus vigilant que d'autres sur ces aspects sécuritaires intérieurs.
Q. : Le refus de la France de parler au FIS ou d'avoir des contacts avec le FIS est-il lié au fait que l'Islam est la deuxième religion de la France, ce qui suscite une certaine inquiétude dans certains milieux français ?
R. : Cela n'a strictement rien à voir. Je voudrais bien qu'on m'explique pourquoi la France irait négocier avec le FIS. Le FIS est un mouvement politique algérien. C'est aux autorités algériennes de déterminer dans quelles conditions, elles veulent négocier avec ceux qui, au FIS, acceptent les principes que j'ai indiqués. La France, elle, n'a pas à s'immiscer dans le dialogue des différentes composantes politiques algériennes, c'est l'affaire des Algériens, ce n'est pas notre problème.
Si un jour le gouvernement algérien évolue, s'ouvre, se diversifie, nous parlerons avec ce gouvernement algérien.
Q. : Vous aviez lancé un appel à vos partenaires européens et vos alliés américains pour qu'ils ne laissent pas les dirigeants du FIS, résidents chez eux, avoir des activités politiques et faire des déclarations mais la Grande-Bretagne a permis à la conférence des islamistes de se tenir à Sheffield et les États-Unis continuent à laisser Haddam parler, pourquoi à votre avis ne sont-ils pas réceptifs à votre appel ?
R. : Chaque pays a ses règles. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne comme la France sont des démocraties et tant que les lois internes n'y sont pas violées et tant qu'il n'y a pas de menace a l'ordre public, les démocraties laissent parler les gens qui se trouvent sur leur territoire. Cependant, l'attitude de nos partenaires européens et américains a beaucoup évolué, peut-être sous l'influence de la France. Il y a encore quelques mois, la plupart de nos partenaires était totalement hostile à toute forme d'aide économique à l''Algérie en considérant que c'était à fonds perdus. Les déclarations du Conseil européen de Corfou, les décisions prises par l'Union européenne et les déclarations du G7 à Naples ont marqué un net changement. Il y a eu prise de conscience et rapprochement des points de vue. Sur le plan politique aussi, les activités de M. Rabah Kébir en Allemagne sont maintenant beaucoup mieux contrôlées par les autorités allemandes. La Grande-Bretagne vient de refuser un visa à Annouar Haddam qui devait faire une conférence à Chatham House. Quant aux États-Unis, ils ont pris une certaine distance avec le même Annouar Haddam. Nos positions se sont donc plutôt rapprochées.
Q. : Les récentes arrestations des Français d'origine marocaine en liaison avec l'attentat de Marrakech sont-ils de nature à renforcer l'idée qu'une contagion de l'extrémisme islamique est en train d'envahir l'Afrique du Nord ?
R. : J'ai toujours pensé que la contagion était à redouter parce que les mouvements extrémistes ou terroristes sont toujours portés au prosélytisme. Ce serait bien la seule fois qu'ils n'essaieraient pas de se répandre à travers la planète tout entière et nous ne sommes pas les seuls à le dire. Les autorités égyptiennes le disent, les autorités tunisiennes le disent, beaucoup de pays d'Afrique noire également et le Premier ministre a été très frappé par ce fait lorsqu'il s'est rendu en Afrique. Quand je déclarais ; il y a quelques mois : attention, la déstabilisation de l'Algérie aurait des conséquences sur ses voisins, on s'est un peu formalisé dans ces pays qui nous disaient qu'ils étaient à l'abri de cette contagion. On voit hélas ! ce qui se passe aujourd'hui. La France a fait savoir que dans le cadre des procédures existantes, par l'intermédiaire d'Interpol et dans le cadre de l'assistance judiciaire qui existe entre le Maroc et nous, nous étions tout à fait disposés à participer aux enquêtes qui sont en cours, c'est ce qui s'est passé. Donc nous prendrons, s'il s'avère qu'il y a en France des gens qui organisent des réseaux terroristes, les mesures nécessaires en les traduisant en justice. Ce que nous n'avons pas pu accepter en revanche, ce sont les mesures discriminatoires qui ont été prises vis-à-vis des citoyens français en fonction de leur origine. Un Français est français. Nous avons donc dit aux Marocains que nous étions sur ce point préoccupés, ils l'ont compris, une mission est allée à Rabat la semaine dernière, elle comportait des représentants de mon ministère et du ministère de l'Intérieur, je pense qu'on trouvera une solution.
Q. : Est-ce qu'il y a des preuves certaines que des expulsés islamistes de France vers Ouagadougou sont liés à l'attentat de Marrakech ?
R. : Je n'ai pas d'information sur ce point. Le juge d'instruction est au travail, c'est à lui d'établir les faits.
Q. : Le Maroc refuse aux Français d'origine algérienne les visas, ceci risque-t-il de gêner les relations franco-marocaines ?
R. : Nous avons d'excellentes relations avec le Maroc, c'est un pays ami dont nous approuvons tout à fait les orientations, notamment la volonté de s‘arrimer à l'Union européenne. Je suis persuadé que l'on trouvera une solution permettant d'éviter les conséquences d'une décision prise un peu à chaud.
Q. : Le dirigeant soudanais, M. Tourabi, a déclaré qu'il entreprenait une médiation entre la France et le FIS, avez-vous besoin d'une telle médiation ?
R. : Ce qui me surprend toujours, c'est le crédit qui est fait par certains organes de presse aux déclarations unilatérales de tel ou tel. Il est évident que quand on veut se faire valoir sur la scène internationale, on a toujours intérêt à expliquer qu'on a tout arrangé et qu'on est le médiateur obligé. Il faut regarder la réalité : nous n'avons pas besoin de médiateur puisque nous ne cherchons pas à négocier, et si nous avions besoin à la limite d'un médiateur, ce n'est certainement pas là que nous nous adresserions. Donc je démens formellement ces prétendus contacts. La France a la politique que vous savez vis-à-vis du Soudan : elle estime que dans ce pays il y a beaucoup de problèmes au regard des Droits de l'Homme, de la manière dont est traitée la population chrétienne du Sud, au regard aussi d'un certain prosélytisme terroriste, comme on nous le dit dans de nombreux pays africains.
Ce n'est pas parce qu'il a collaboré avec nos services en mettant à notre disposition Carlos que tout d'un coup nous allons changer de politique vis-à-vis du régime soudanais. S'il s'avère dans les mois qui viennent que le Soudan change de politique, alors on en tiendra compte mais ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Q. : Est-ce que la politique française au Soudan est de la même nature que la politique américaine au Soudan ?
R. : D'autres ont les mêmes inquiétudes que nous vis-à-vis de ce qui se passe au Soudan.
Q. : Est-ce à dire que vous êtes aussi sévères que les Américains à leur égard ?
R. : Nous avons notre propre jugement, et il est prudent.
Q. : Que pensez-vous des déclarations du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin selon lesquelles il ne s'opposerait pas à ce que l'armée syrienne reste au Liban dans le cadre d'un accord de paix israélo-syrien pour la sécurité d'Israël ?
R. : Ce n'est pas la position de la France et je ne partage pas ce point de vue. Nous avons considéré que les accords de Taëf méritaient d'être soutenus à condition qu'ils soient appliqués dans toutes leurs parties. Et ils prévoient que, dans le cadre d'un accord global de paix dans la région, le Liban doit recouvrer sa pleine souveraineté et on n'est pas souverain quand on a sur son territoire des troupes étrangères. Il n'y a aucune raison dans ce cadre-là qu'une présence militaire soit perpétuée au Liban.
Q. : Mais la satellisation du Liban à la Syrie n'est-elle pas maintenant acceptée de facto par les grandes puissances ? Il n'y a vraiment pas de force qui pousse dans le sens contraire ?
R. : Il y a la France et elle ne changera pas de ligne. Ce n'est pas parce que les accords sont mal appliqués qu'il faut tirer une croix dessus. Quelle est l'alternative au Liban ? Se désolidariser complètement de ce qui se fait aujourd'hui, à savoir des efforts de reconstruction du pays. Que faire à la place ? Inciter à nouveau telle ou telle faction à reprendre l'offensive ou les hostilités ? Ce serait une grave erreur. Il y a au moins un acquis au Liban, c'est qu'on revit aujourd'hui dans la paix. Le pays commence à se reconstruire aussi. La France a fait un effort substantiel en ce sens. Il faut continuer à encourager ce processus tout en rappelant un certain nombre de principes auxquels nous tenons. Nous les rappelons régulièrement aux Américains, régulièrement aux Syriens. Je ne nie pas qu'il y a entre la Syrie et le Liban une relation particulière d'État à État et de peuple à peuple. Ce sont des voisins, ils ont une histoire qui, sur bien des points, est commune. Mais le Liban doit être maître de son destin et de sa souveraineté. Nous ne renoncerons pas à le dire.
Q. : La présence de Carlos jusqu'en 1993 à Damas va-t-elle gêner le développement des relations franco-syriennes ?
R. : Je suis très attaché au développement des relations franco-syriennes, je suis allé en Syrie, le ministre des Affaires étrangères Farouk Shareh est venu ici, nous avons beaucoup de choses à faire ensemble mais pas au prix d'un déni de justice. Ce n'est pas pour sauvegarder les relations franco-syriennes que je vais m'opposer à ce qu'un criminel soit jugé. Tout donne à penser que cet individu a sur les mains le sang de très nombreux Français et d'autres encore, il faut qu'il soit jugé. C'est sans aucune réserve, sans aucune réticence que j'ai approuvé ce qui s'est passé, c'est une très belle réussite de nos services. Il faut que la justice passe.
Q. : Mais si le juge a des preuves de l'implication syrienne dans les attentats que Carlos a commis, cela affectera-t-il vos relations avec la Syrie ?
R. : Il appartiendrait alors aux autorités syriennes d'expliquer qu'elles ont rompu ces pratiques. Ce serait à elles de le montrer.
Q. : Les Syriens ont fait une démarche de protestation auprès du Quai d'Orsay suite aux articles de la presse concernant leur lien avec Carlos ?
R. : Je passe mon temps à expliquer à un certain nombre de gouvernements étrangers que la presse française est libre. C'est parfois difficile à comprendre dans certains pays mais c'est un fait. Mais en tout cas on ne peut pas me demander de tordre le nez contre la prise de Carlos sous prétexte que ça mettrait en danger nos relations avec tel ou tel pays. Que la justice passe et ensuite chacun répondra.
Q. : La France serait-elle comme la Grande-Bretagne favorable à une levée de l'embargo des armes pour la Syrie ?
R. : J'ai pris bonne note de cette proposition de la diplomatie britannique. Nous allons en discuter à douze. Au terme de cette discussion nous déterminerons notre position. Si la Syrie s'engage résolument dans la voie de la négociation et de la paix, il faut en tenir compte. On s'est parfois un peu offusqué que la France après la déclaration de principe d'Oslo ait apporté une aide résolue à Arafat et à l'OLP, d'autres au contraire se sont offusqués du réchauffement de nos relations avec Israël. Eh bien ! voyez-vous, nous sommes décidés à aider les artisans de paix.
Q. : Pour revenir au Liban, pourquoi ce pays ami de la France doit-il passer par une procédure si compliquée pour l'obtention de visas d'entrée en France ?
R. : J'étais, il y a quarante-huit heures, en Roumanie, et les Roumains s'offusquent beaucoup de la procédure de visas. Je suis sûr qu'en Argentine où je vais aller dans quelques semaines on s'offusquera beaucoup de la procédure des visas.
Il faut bien voir ce qui s'est passé : nous avons rétabli ces visas en 86-87 au moment où la France était la cible du terrorisme international. Et puis la France est un pays d'immigration : un mouvement de population très important s'y dirige et nous n'avons plus aujourd'hui les moyens d'accueillir des milliers ou des dizaines de milliers d'immigrants. On constate dans la demande des visas qu'une proportion non négligeable de 15 à 20 % n'est pas justifiée, que sous des demandes de visas touristiques ou autres se dissimulent une demande d'immigration à peine déguisée. Donc il est normal que nous vérifions. Cela dit nous essayons d'accélérer la procédure pour les responsables qui ont des déplacements fréquents à faire en France et qui y sont connus. En tout cas, ce n'est certainement pas une méfiance particulière contre le Liban.
Q. : Au Liban, on soupçonne la France de favoriser telle ou telle faction de l'opposition libanaise en exil en France surtout après avoir laissé la conférence de l'opposition se tenir à Paris en juin. Il semblerait qu'il y a au sein du gouvernement français quelques ministres parmi lesquels M. Léotard et M. Pasqua qui ont des sympathies pour le Général Aoun, n'y a-t-il donc pas une seule politique française au Liban ?
R. : Il y a une politique étrangère de la France conduite par le ministre des Affaires étrangères sur instruction du Premier ministre et en accord avec le Président de la République. Cette politique, c'est celle que je mène. Que tel ou tel ait ses préférences peut-être ! Ce n'est pas la politique de la France. Le congrès dont vous parlez s'est déroulé à Paris parce que nous sommes un pays démocratique. Sauf trouble à l'ordre publique, il n'y avait pas de raison chez nous de l'interdire. Nous avons simplement souhaité que des personnalités gouvernementales n'y participent pas. Par ailleurs, nous rappelons à ceux qui sont nos hôtes, en particulier le général Aoun, qu'ils se sont engagés à observer de la réserve dans leurs activités publiques car, quand on demande le droit d'asile en France et qu'on s'installe en France, ce n'est pas pour prêcher la reconquête ou la croisade. La France ne défend pas une faction au Liban, elle défend les Libanais et tous les Libanais.
Q. : Le procès des tueurs du Premier ministre iranien Bakhtiar va commencer en décembre. Des proches du régime iranien y sont accusés. Quelles en seront les conséquences sur les relations franco-iraniennes ?
R. : Je vous ferais la même réponse que pour Carlos. M. Bakhtiar a été assassiné sur le territoire français, nous avons mis la main sur un certain nombre de gens présumés coupables. Ma conception de l'état de droit en France et les principes de la démocratie font que ces gens doivent être jugés, que ça plaise ou que ça ne plaise pas à tel ou tel et nous l'avons dit aux Iraniens. Le juge d'instruction a déposé ses conclusions. Le procès doit avoir lieu. Nous n'avons pas à faire obstacle à la justice.
Q. : Mais quel est l'état de vos relations avec l'Iran ?
R. : C'est un dialogue critique que nous avons avec les Iraniens. Nous les voyons, j'ai rencontré le ministre Velayati à plusieurs reprises, je lui parle au téléphone de temps en temps. Nous avons des inquiétudes sur certaines attitudes de l'Iran. Je sais bien qu'il est difficile de parler de l'Iran en général. Il y a des factions et des clans. Mais nous avons des inquiétudes sur les rapports entre certaines autorités iraniennes et le terrorisme international. Il faut que ces doutes soient levés. Il faut que les Iraniens fassent ce qu'il faut dans ce sens. Alors nous n'aurons aucune objection à avoir des relations confiantes avec un pays qui est important, qui est une grande nation.
Q. : Dans l'interview du Président Mitterrand au Figaro, il a conditionné la levée de l'embargo sur l'Irak a l'application des résolutions des Nations unies sur le plan nucléaire, il n'a pas mentionné la reconnaissance par l'Irak de la souveraineté du Koweït et des frontières irako-koweitiennes, est-ce un changement ?
R. : Notre position est tout à fait claire : il faut que l'Irak applique la totalité des résolutions du Conseil de sécurité : celle qui concerne le démantèlement des armes de destruction massive, nucléaires, chimiques, bactériologiques, celle qui concerne la reconnaissance du Koweït et des frontières et aussi celle qui concerne le traitement des minorités en Irak.
J'ajouterai simplement que l'Irak a fait mouvement dans cette direction. J'ai reçu hier encore le Président de la Commission spéciale des Nations unies qui est chargé de suivre la manière dont l'Irak applique la résolution concernant les armes de destruction massive et il m'a dit ce qu'il a déjà dit publiquement à savoir que l'Irak avait fait preuve d'esprit de coopération. Aujourd'hui la Commission spéciale est en mesure de dire que les systèmes d'armes sont démantelés, elle est aussi en mesure, j'espère à brève échéance, de mettre en place un système de contrôle. Il y a plus d'une centaine de sites avec des caméras qui permettent le contrôle, un centre de contrôle opérationnel sera installé à Bagdad pour coordonner et unifier ce système. Quand la Commission spéciale sera en mesure de dire au Conseil de sécurité que l'Irak a fait ce qu'il fallait pour ne pas reconstituer les stocks d'armes balistiques ou autres, je crois qu'il faut que le Conseil de sécurité en tienne compte.
Q. : Est-ce prévu pour la session prochaine ?
R. : C'est à la Commission spéciale de le dire mais elle ne pourra pas indéfiniment nous dire qu'elle est quasiment prête et puis ne jamais faire sauter le mot « quasiment ». Il y a un moment où elle sera prête et nous espérons qu'elle le dira clairement.
Q. : Vous allez rencontrer le vice-président irakien Tarek Aziz à New York, dans quel but cette rencontre ?
R. : Il souhaite me rencontrer, donc j'écouterai ce qu'il a à dire et je lui dirai en tout cas de mon côté que l'Irak doit aller plus loin dans l'application des résolutions du Conseil de sécurité, en particulier en ce qui concerne la reconnaissance du Koweït.
Q. : Lors de vos entretiens avec le roi de Jordanie, vous en avez parlé ?
R. : Le roi Hussein nous a redit combien il était préoccupé par le sort du peuple irakien et par un risque à terme de dislocation de l'Irak. Il faut y être très attentif. L'objectif des résolutions du Conseil de sécurité n'est pas de provoquer l'éclatement de l'Irak. C'est clair.
Q. : Vous faites une tournée dans le Golfe en octobre, quel est le but de ce voyage ?
R. : Il est à la fois politique et économique. Ce sont des États avec lesquels la France a de très bonnes relations, il y a longtemps que je voulais y aller pour renforcer cette coopération politique et évoquer l'équilibre de la région, les problèmes de sécurité, de stabilité d'un ensemble régional extrêmement important pour la France.
Et puis il y a des aspects économiques, ce sont des pays qui se développent avec lesquels la France a souvent des relations étroites, il y a même des aspects culturels à ne pas négliger. Dans certains pays de la région le français a une position importante qu'il s'agit de développer.
Q. : Comment voyez-vous la tournure des événements au Yémen après avoir appuyé le Président Ali abdallah Saleh ?
R. : La France a appuyé le Yémen. Pourquoi ? Parce qu'il y eu une réconciliation du Nord et du Sud, il y a eu référendum et le peuple yéménite a choisi l'unité. Il nous est apparu qu'il n'y avait pas de raisons de remettre en cause cette unité. Mais nous avons en permanence prôné la réconciliation entre le Nord et le Sud. Nous n'avons jamais encouragé le Nord à pratiquer une solution militaire, nous avons même, s'agissant d'Aden, multiplié les conseils de prudence.
Nous continuons à dire aux autorités de Sanaa que ce n'est pas dans l'épuration ou la confrontation avec le Sud que le pays retrouvera sa stabilité. Il faut négocier et discuter. Des ouvertures ont été faites au parti socialiste yéménite qui représente les forces du Sud et nous souhaitons que ça aille dans ce sens. Il nous apparaît toujours que l'éclatement du Yémen ne serait pas un facteur de stabilité de la région.
Q. : Est-ce que les sanctions sur la Libye vont être reconduites de la même manière indéfiniment ?
R. : Je constate avec beaucoup de regrets que malgré telle ou telle déclaration la Libye ne se montre pas coopérative. Nous avons fait très clairement savoir ce que nous attendions. Là aussi il n'y a pas d'agenda caché, nous n'avons aucune hostilité particulière contre les dirigeants de la Libye. Notre juge d'instruction mène une enquête. Nous demandons à la Libye de satisfaire aux demandes du juge d'instruction. Rien de plus. On a pu espérer à un certain moment que les autorités libyennes s'apprêtaient à trouver une solution. Puis chaque fois on a reculé. C'est inacceptable. Pensons aux familles des 400 victimes des deux attentats en cause ! J'ajoute que le régime libyen a souvent un comportement déroutant. Je ne peux pas admettre que les drapeaux français, britannique, américain, soient foulés au pied devant le chef de l'État libyen dans une manifestation officielle. Ce n'est comme cela qu'on va inciter les grandes puissances et le Conseil de sécurité à revenir sur les sanctions. Je regrette cette obstination parce que ce que nous demandons n'a rien d'exorbitant. Tant que le refus de coopérer restera, nous maintiendrons les sanctions.
Q. : Votre prédécesseur avait dit que c'est absurde de parler d'une politique arabe de la France, partagez-vous cet avis ?
R. : Nous avons une politique arabe en ce sens que nous avons beaucoup d'amis dans le monde arabe et que nous souhaitons les garder. Nous avons de très bonnes relations avec un très grand nombre de pays arabes. Cette relation n'est pas antinomique de bonnes relations avec Israël. Il serait absurde que la France se coupe du monde arabe. Ce serait un formidable contresens que d'assimiler notre hostilité au terrorisme et au fondamentalisme à une hostilité à l'Islam. Nous respectons tout à fait la religion islamique, c'est la deuxième religion en France, elle doit pouvoir s'exprimer dans le cadre d'un État laïc comme s'expriment toutes les religions et j'ai pour ma part beaucoup d'ouverture et de curiosité intellectuelle à ce que représente l'Islam.