Texte intégral
Parallèlement, le déficit du budget de l'État atteignait 340 milliards de francs. En trois ans, il avait plus que triplé, tandis que, depuis 1988, la dette de l'État avait augmenté de 40 %.
La protection sociale, quant à elle, était dans une situation précaire ; plus de la moitié des contrats emploi-solidarité, nécessaires pour lutter contre l'exclusion, n'étaient pas financés et les régimes sociaux subissaient un déficit supérieur à 100 milliards de francs.
En outre la sécurité n'était pas assurée convenablement, des violences secouaient depuis près d'une décennie les banlieues et révélaient un profond malaise.
La crise était également morale ; elle mettait en cause la confiance des citoyens dans l'État.
Les français doutaient de leur justice et la justice elle-même doutait de l'État, incertaine de sa mission, inquiète de l'insuffisance des moyens de son fonctionnement, soucieuse de voir son statut remis en cause.
Enfin, nous étions confrontés, sur le plan international, à des risques majeurs une crise monétaire persistante qui n'était évitée que grâce à des taux d'intérêt extrêmement élevés qui asphyxiaient l'économie, des négociations commerciales mal engagées par l'Europe et qui menaçaient sa propre cohésion.
Qui porte la responsabilité de la situation ?
C'est bien entendu à la fois l'état du monde, l'évolution de la société et des esprits, qui, le plus souvent, échappent au pouvoir politique, mais aussi, très directement l'action ou plutôt la surprenante inaction des pouvoirs publics qui avaient gaspillé, de 1988 à 1991, les chances qu'offrait la croissance, redevenue forte depuis 1987, et qui n'avaient pas entrepris les indispensables réformes de nos structures économiques et sociales.
Il y a un an, les français ont décidé de soutenir une autre politique.
Ils étaient conscients de la nécessité de l'effort ; ils s'estimaient capables de retrouver la croissance; ils voyaient bien que les problèmes posés par les déficits publics et sociaux, s'ils étaient laissés sans solution, menaçaient à la fois la prospérité et les acquis sociaux, si souvent invoqués par les précédents Gouvernements.
Dès lors, l'objectif de l'action du nouveau Gouvernement était clair : il s'agissait de réformer la société française pour qu'elle retrouve son dynamisme, sa confiance en elle-même, afin qu'elle soit plus prospère et plus juste.
Compte tenu de leur importance, les réformes ne pouvaient être que progressives. Le Premier ministre l'a souvent rappelé, elles devront couvrir au moins cinq ans.
Aussi, pour entreprendre ces réformes, profondes et durables, l'action du Gouvernement s'est inspirée de trois principes.
Le premier est de dire la vérité aux Français. La France a trop souffert des marchands d'illusions. Le Gouvernement n'a rien dissimulé de l'ampleur et de la durée de l'effort qu'il fallait entreprendre. Nous n'avons pas fait de promesses inconsidérées, nous nous sommes simplement engagés à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour améliorer la situation économique du pays et l'emploi.
Second principe : réformer dans la concertation. Il est arrivé que la concertation infléchisse les intentions du Gouvernement, et en particulier dans telle ou telle entreprise nationale en difficulté comme à Air France. Certains s'en étonnent, alors qu'elle est faite pour cela.
Si l'on qualifie de recul toute inflexion, il n'y a plus de dialogue possible, notamment avec les organisations syndicales. La concertation se transforme en caricature et elle est ressentie comme telle.
Troisième principe associer les Français aux réformes. Bien entendu, le Gouvernement sait pouvoir compter au Parlement sur le soutien et la force de proposition de sa majorité dans toutes ses composantes et ses sensibilités. Mais il a en outre le souci d'associer aux réformes l'ensemble des Français, les comprendre et susciter leur adhésion.
C'est pourquoi nous avons organisé les consultations les plus larges sur tous les grands sujets l'emploi, l'aménagement du territoire, la protection sociale ou l'agriculture.
Cette démarche est nécessaire. Après plusieurs années d'immobilisme, il faut se garder d'imposer des réformes, de créer des traumatismes inutiles, qui remettraient en cause notre indispensable effort.
D'ores et déjà, les grandes lignes de l'action de redressement et de réforme entreprise depuis un an, apparaissent clairement et sont conformes à ce qui avait été promis aux Français.
S'agissant de l'État, la Constitution a été modifiée, afin de permettre une plus grande indépendance de la magistrature, une justice mieux rendue pour tous et aussi une lutte plus efficace contre l'immigration clandestine. Le changement des règles sur la nationalité, les contrôles d'identité et la sécurité complètent ce dispositif afin d'assurer le respect de l'ordre public et des principes de la République.
Mais c'est principalement sur le plan économique que les Français attendaient le Gouvernement. Des réformes structurelles ont été prises afin d'accompagner le redressement économique :
– diminution du déficit public, abaissé de 340 à 300 milliards de francs ;
– adoption d'une loi quinquennale permettant de la ramener d'ici à 1997, l'endettement de la France a un taux de croissance qui soit supportable ;
– indépendance de la Banque de France ;
– privatisation de vingt-deux entreprises industrielles, bancaires et d'assurances ;
– réforme de l'impôt sur le revenu représentant l'allégement le plus important depuis 1958.
À ces réformes, il faut ajouter des mesures importantes de soutien de l'activité économique et de l'emploi :
– crédits au bâtiment et aux travaux publics ;
– mesures en faveur de la consommation telles que l'incitation à l'achat d'automobiles neuves, dont tout le monde reconnaît maintenant l'impact sur l'activité ;
– suppression du décalage d'un mois en matière de TVA qui a permis de détendre la situation de trésorerie des entreprises, et particulièrement des petites et des moyennes.
Le ressort de cette politique est de restaurer la confiance, afin que les entreprises et les Français réinvestissent et consomment davantage. C'est le but de l'emprunt qui a été émis en juin 1993 et dont vous savez le succès.
Grâce à cette politique de confiance, on a assisté à une baisse importante et durable des taux d'intérêt manifestant le nouveau crédit de notre pays sur le plan international.
Mais le redressement de l'économie est insuffisant s'il n'a pas d'effet sur l'emploi.
La lutte contre le chômage doit mettre en œuvre d'autres dispositions. C'est l'objet des multiples mesures prévoyant la réduction des charges sociales sur les bas salaires, le développement de la formation professionnelle et de l'apprentissage, et de la loi quinquennale relative à l'emploi qui a pour objectif d'assouplir les mécanismes et les réglementations existantes tout en préservant les droits essentiels des salariés.
Vous connaissez les difficultés rencontrées par ce texte.
Cependant, il m'apparaît qu'un rejet, a priori, global et précipité de l'ensemble du dispositif, à la suite du retrait du CIP, présenterait le risque de bloquer pour longtemps dans notre pays toute tentative de réforme des relations du travail, alors que des changements sont nécessaires.
Quant à la protection sociale, nous avons pu faire accepter sans grande difficulté la réforme des régimes de retraite, indispensable pour préserver le système français de solidarité entre les générations, alors que Michel Rocard disait que cette réforme était de nature à faire tomber plusieurs gouvernements.
Par ailleurs, 30 milliards de francs d'économie sont attendus des mesures de redressement prises l'été dernier en matière d'assurance-maladie. Le déficit des régimes sociaux a été ramenée de plus de 100 milliards de francs à 40 environ, grâce à l'aide de l'État dont la contribution a permis de sauver l'assurance-chômage; mais aussi aux efforts de l'ensemble des Français, à travers l'augmentation de 1,3 % de la Contribution sociale généralisée (CSG).
Cela montre que le Gouvernement n'a pas hésité, même dans une période préélectorale, à prendre des décisions impopulaires dès lors qu'elles étaient nécessaires.
Le Gouvernement est, en outre, guidé par la volonté de restaurer dans notre pays une vraie solidarité. Vingt ans de crise ont mis à mal les liens naturels existant dans la société.
Une solidarité forte s'exprime à travers la lutte contre l'exclusion, contre le SIDA, ou encore la politique de la ville.
Mais la solidarité entre les Français passe également par une nouvelle politique d'aménagement du territoire.
Les mutations que connaît la France, les risques de déchirure sociale qu'elle court, nous ont conduit, Charles Pasqua et moi-même, à proposer au Premier ministre de lancer une politique ambitieuse de reconquête de notre territoire.
Le grand débat lancé au mois de septembre 1993 n'a pas de précédent dans notre histoire récente. Il représente un effort considérable de réflexion sur ce que doit être notre pays dans vingt ans, sur l'égalité entre les citoyens, le réseau des services publics, les libertés locales, le rôle de l'État, la modification des systèmes de financement public, les grands équipements indispensables. Il s'agit d'une réforme à la fois politique, économique et sociale dont les répercussions se prolongeront plus loin qu'on ne le croit.
D'ores et déjà, nous nous sommes donnés les moyens financiers de cette politique. Le budget de l'aménagement du territoire a été relancé et les contrats de plan État-régions qui arrêtent les programmes d'action pour cinq ans progressent globalement de 32 % par rapport à 1989.
Quant à la place de la France dans le monde, elle a été affirmée avec une vigueur renouvelée.
Nous avons surmonté une crise monétaire et sauvegardé, au prix d'un assouplissement de ses règles, le Système Monétaire Européen. Nous avons surtout fait en sorte, dans les négociations du GATT, de reconstituer l'unité de l'Europe des Douze grâce à laquelle la France est plus forte, et d'obtenir de nos partenaires des aménagements aux accords envisagés qui garantissent nos droits en matière agricole, comme en matière industrielle et culturelle.
Est-il possible de juger dès aujourd'hui les résultats de toutes ces décisions prises durant une année et dont certaines n'ont que quelques mois d'existence ?
Dans une certaine mesure, oui.
L'activité économique est repartie, la dépression est derrière nous, et nous connaîtrons cette année une croissance enfin redevenue positive comme en témoignent les chiffres de l'industrie automobile, du bâtiment et de la consommation des ménages.
Le rythme d'augmentation du chômage a diminué. De janvier à mars 1993, il s'accroissait de 80 000 personnes. Dans les trois derniers mois, il a augmenté, mais cinq fois moins vite. C'est un résultat insuffisant, fragile aussi, mais l'amélioration est incontestable.
Le rythme d'augmentation des dépenses sociales s'est considérablement ralenti, ce qui permet de prévoir, dans les années qui viennent, le retour à l'équilibre.
La stabilité de notre monnaie a pu être préservée. Malgré la crise de l'été 1993, le franc est aujourd'hui une monnaie respectée, alors que les taux d'intérêt ont baissé de 40 % à court terme et 15 % à long terme en l'espace d'une année, stimulant l'activité économique.
La situation de notre commerce extérieur, qui connaît un excédent de 90 milliards de francs en 1993, dû certes pour partie à la baisse des importations, est néanmoins la preuve du dynamisme de notre pays et de l'efficacité de ses entreprises. J'observe que l'agriculture est l'un des acteurs principaux de ce succès.
D'autres résultats ne sont pas mesurables, ou en tout cas pas tout de suite : comment apprécier dès maintenant si les citoyens ont le sentiment que la justice est plus impartiale et mieux rendue ?
D'autres ne peuvent être mesurés immédiatement l'ensemble des textes nécessaires à l'amélioration de la sécurité et de la lutte contre l'immigration clandestine n'est pas encore paru car la procédure législative et réglementaire est longue. Les effets des réformes ne seront visibles que dans quelques mois. C'est le fait d'un État de droit, au sein duquel les transformations sont soumises à des règles précises garantissant les prérogatives de chacun.
Mais objectivement le changement est incontestable ; la France commence à aller mieux.
Cette action entreprise, nous devons la poursuivre tout au long de 1994 sans nous laisser arrêter par les obstacles :
– qu'il s'agisse de l'impatience de l'opinion qui souhaite et qui redoute à la fois des réformes ;
– de la situation économique qui, même si elle s'améliore, nous prive encore des marges de manœuvre budgétaires ou sociales dont nous aurions besoin ;
– ou encore de la campagne électorale présidentielle qui pèse trop tôt sur les esprits.
Malgré ces obstacles, il nous faut continuer à réformer avec résolution, mais aussi pragmatisme, car nous avons été élus pour faire changer les choses.
Je sais que certains, pas seulement dans l'opposition, dénoncent l'immobilisme du Gouvernement, mais ce sont aussi les premiers à s'émouvoir dès que la mise en œuvre de la réforme soulève des problèmes.
Pour autant notre volonté comme notre action réformatrice ne faiblira pas en 1994. Elles s'exerceront dans quelques directions claires :
1. La mise en œuvre de toutes les mesures relatives à la croissance de l'emploi contenues dans la loi quinquennale et le développement de la formation professionnelle et de l'apprentissage.
2. L'application de la loi « Initiative et entreprise » favorable au développement des petites et moyennes entreprises.
3. Le développement de l'emploi à temps partiel et de la mobilité dans la fonction publique, et en même temps l'examen des moyens de créer des emplois dans les services qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale.
4. Mais aussi, prendre en faveur de la famille des mesures de justice en élargissant le champ de l'allocation parentale d'éducation.
5. Adapter l'organisation de la protection sociale en clarifiant la gestion des divers risques sans mettre en cause l'unicité de la sécurité sociale.
6. Étendre le champ d'application de la participation et de l'intéressement des salariés.
7. Réformer l'appareil judiciaire en lui consacrant les crédits nécessaires à sa modernisation.
8. Doter la police de l'organisation et des moyens qui lui sont indispensables.
9. Poursuivre les privatisations.
10. Continuer la réforme de la fiscalité entreprise en 1993 notamment en matière d'impôt sur le revenu.
11. Et définir les grands objectifs d'aménagement du territoire permettant un développement équilibré de notre pays.
Tout cela devrait donner lieu à des projets de lois soumis au Parlement en 1994.
J'ajoute que nous connaîtrons au mois de mai prochain les résultats de la concertation avec les organisations représentatives intéressées sur l'avenir de l'école dont il faut à la fois garantir les missions, rénover les méthodes, confirmer la vocation tout en l'ouvrant davantage sur le monde extérieur. Nous verrons alors quels doivent être la nature, et le contenu, d'un nouveau contrat national sur l'école.
La jeunesse en a besoin ; il y a trop de jeunes au chômage. Tous ceux qui ont une responsabilité dans la société doivent coordonner leurs efforts pour les aider à trouver un avenir.
Ainsi se dessinent les grandes réformes de structures qui, au-delà de 1994, devront être discutées devant l'ensemble des Français, le temps nécessaire pour susciter leur adhésion.
Elles concerneront l'Europe et son avenir, la place que doit y tenir la France, sa politique de défense. Elles concerneront l'indispensable adaptation des institutions, afin d'élargir le champ du referendum.
Elles concerneront aussi la fiscalité, aussi bien d'État que locale ou sociale, l'organisation de la protection sociale et son financement, l'avenir de l'école pour la mettre mieux en mesure d'assurer son rôle de formation de la jeunesse, enfin la situation de tous ceux que le progrès laisse de côté, qui restent en marge de la société et que nous avons le devoir d'intégrer.
La vraie question qui se posera l'an prochain à notre pays sera de savoir si notre politique de réforme entreprise depuis 1993 inaugure une nouvelle période ou si elle ne sera qu'une parenthèse. C'est le fond du débat qu'il faudra avoir de la façon la plus honnête et la plus dépassionnée possible.
Une politique de réforme suppose de l'imagination et une capacité d'invention, ce qui est le plus facile. Elle suppose l'adhésion des citoyens, qui est indispensable. Elle nécessite enfin un mélange de souplesse pour éviter les difficultés momentanées, car rien ne peut être changé brutalement, et de courage, voire d'opiniâtreté, pour réussir, fût-ce au prix d'un détour.
Telle est la tâche difficile que le Gouvernement doit remplir. Les risques que nous prenons sont grands parce qu'ils sont à la mesure des attentes des français.
Mais je sais aussi, que c'est pour notre pays, une occasion inespérée. Pour la première fois, depuis longtemps, les élus, tant nationaux que locaux, comme la grande majorité de français, sont persuadés que la réforme est nécessaire. Ils entendent y être associés, proposer, participer. Le Gouvernement a la volonté de répondre à cette attente.
C'est à cette condition qu'il sera possible de rétablir la confiance des français dans leur pays, mais aussi et avant tout en eux-mêmes.