Déclaration et conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur la coopération trilatérale entre la France, l'Allemagne et la Pologne, l'élargissement de l'Union européenne, le statut d'adhésion à l'UEO et le concept d'Europe "à géométrie variable", Bamberg le 15 septembre 1994.

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Circonstance : 4ème rencontre annuelle des ministres des affaires étrangères français, allemand et polonais à Bamberg (Allemagne) le 15 septembre 1994

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je voudrais tout d'abord remercier, au nom de ma délégation et à mon nom personnel mon ami, Klaus Kinkel de nous accueillir ici dans cette magnifique ville de Bamberg, son hospitalité est toujours sympathique et chaleureuse, et elle l'est particulièrement aujourd'hui. Je voudrais à mon tour insister sur l'importance de cette coopération à trois, France, Allemagne, Pologne, sur l'importance que le gouvernement français y attache. Ce triangle a d'abord une valeur symbolique, bien entendu. C'est un exemple de réconciliation historique, mais il a aussi une portée pratique et actuelle. Je crois que nos trois pays ont un rôle déterminant à jouer dans la stabilité et la sécurité de notre continent. Ils ont aussi un rôle moteur à jouer pour la réussite de l'élargissement de l'Union européenne et la reconstitution de la famille européenne dans toutes ses composantes. C'est dans cet esprit, je le rappelle, que le Premier ministre français, M. Balladur s'était rendu en juillet dernier à Varsovie et à Cracovie.

Deuxième série de réflexions, je voudrais insister sur tout ce qui a été fait depuis deux ans. On a parfois le sentiment que les choses ne vont pas assez vite, c'est vrai que cela ne va jamais assez vite, mais nous avons fait malgré tout énormément de progrès en l'espace de deux ans. Je rappellerai quelques faits : d'abord Conseil européen de Copenhague en juin 1993 : nous avons pris à Douze la décision d'accueillir des pays d'Europe centrale et orientale et la Pologne bien sûr dans le sein de l'Union européenne. Il ne s'agit plus de savoir s'ils entreront, mais quand et comment. Donc, la décision de principe a été prise. Deuxième fait, Klaus Kinkel l'évoquait tout à l'heure, le statut d'association à l'UEO, l'idée que nous avions lancée au mois de novembre 1993 a été concrétisée  dès le mois de mai 1994, c'est un record pour une idée de cette importance. Troisième exemple, le Partenariat pour la paix, là aussi, il a été lancé lors du sommet de l'Alliance atlantique et très rapidement concrétisé. L'accord européen qui lie la Pologne et l'Union européenne est entré en vigueur le 1er février 1994. On peut ajouter à cela, de nombreuses rencontres, que ce soit au niveau des chefs d'États ou des ministres.

Donc, les choses avancent, il faut continuer. Je dirais qu'il faut accélérer et cela a été l'objet de nos quatre à cinq heures de discussion hier soir et ce matin. Notre objectif est clair : il s'agit de tout faire pour aider la Pologne à réussir, dans les plus brefs délais, son intégration à la famille européenne dont elle est membre à part entière. Nous avons, pour cela, tracé un certain nombre de pistes, je n'y reviendrai pas longuement, puisque Klaus Kinkel les a déjà évoquées. Je répéterai, par la force des choses ce qu'il a dit, mais je crois que ce n'est pas inutile. D'abord, il faut continuer à travailler ensemble le plus souvent possible ; c'est dans cet esprit que nous nous réunirons le 31 octobre à Luxembourg à 12 + 4 + 6. Dans la même perspective, nous avons également évoqué la nécessité de mieux informer la Pologne de nos réflexions préparatoires à la conférence intergouvernementale de 1996 et de voir comment nous pouvions l'y associer de façon plus effective. Il y a là un grand rendez-vous au cours duquel l'Union européenne va redéfinir son architecture pour les prochaines années, il est légitime que les pays qui ont vocation à la rejoindre soient informés et associés.

Il faut aussi, deuxième piste, mieux adapter l'aide de l'Union européenne qui est importante, vous le savez dans le cadre du programme Phare, de façon à ce que cette aide permette d'accélérer le rapprochement entre la Pologne et l'Union européenne. Il faut que ce programme serve à cela par priorité. Il y a beaucoup d'idées dans ce domaine, je n'en cite qu'une : comment mieux rapprocher les systèmes juridiques et les systèmes de normes entre la Pologne et ce qui existe au sein de l'Union européenne ?

Troisième piste, approfondir des projets concrets. Je ne vais pas tous les passer en revue. Nous avons décidé de constituer un groupe de travail sur un projet de très grande ampleur à la fois politique et technique, il s'agit de la liaison ferroviaire Paris-Berlin-Varsovie-Moscou. Il faut y travailler pour savoir tout ce que cela implique de décisions à la fois techniques et financières. Projets concrets aussi dans le domaine de la culture, des échanges de jeunes, ou de l'environnement. La sécurité nous a beaucoup retenus au cours de nos travaux et, là aussi, nous avions tracé un certain nombre d'orientations. Nous avons d'abord décidé de préparer ensemble : France, Allemagne, Pologne le prochain sommet de la CSCE qui se tiendra en décembre à Budapest. Nous avons une approche commune de ce problème. Il faut renforcer la CSCE qui a un rôle à jouer dans l'architecture européenne de sécurité. Nous allons y travailler en commun.

De même, nous avons souhaité faire vivre ensemble le Partenariat pour la paix et le statut d'association à l'UEO, et comme le rappelait le ministre Kinkel, aura lieu en France, en octobre 1994, un exercice de la brigade franco-allemande avec une unité polonaise. Toujours dans ce domaine de la sécurité, il nous faut soutenir et activer les discussions de la conférence sur la stabilité en Europe. Je voudrais à ce stade remercier à la fois la présidence allemande qui a été extrêmement active depuis le mois de juillet pour faire démarrer les tables régionales qui se réunissent, vous le savez, le 21 et 22 septembre, tant au niveau de la table Europe centrale que pour ce qui concerne la table balte. Je voudrais également remercier la Pologne d'avoir été un partenaire très constructif et très ouvert. Il nous reste encore un certain nombre d'étapes à franchir, et notre objectif est de boucler l'exercice, vous le savez, dans le courant du premier trimestre de l'année 1995, en tout cas sous la présidence française de l'Union européenne. Je terminerai en rappelant ce qu'a dit de nouveau Klaus Kinkel sur notre projet d'une rencontre des chefs de gouvernements, M. Balladur avait, en liaison avec le chancelier Kohl et le Premier ministre polonais évoqué cette idée lors de son voyage à Varsovie, nous avons confirmé l'idée et nous sommes en train d'en étudier les modalités pratiques. Enfin, je terminerai en disant que la France sera heureuse dans les premiers mois de 1995 d'accueillir à son tour le ministre polonais et le ministre allemand pour la prochaine réunion de notre coopération trilatérale.

Q. : Que pensez-vous des propositions de Kozyrev pour la CSCE ?

R. : Il y a dans les propositions d'Andrei Kozyrev un certain nombre d'idées intéressantes, d'autres qui méritent réflexion. Elles vont dans la direction qu'évoquait tout à l'heure Klaus Kinkel, vers un renforcement de la CSCE. Ça, c'est un objectif que nous partageons. Pour le détail des propositions, nous regarderons cela.

Q. : La Pologne sera-t-elle parmi les premiers pays à entrer dans l'Union européenne ?

R. : Le message de Copenhague s'adressait à dix pays, dont six pays d'Europe centrale et orientale. Nous allons continuer à travailler avec tous ces pays. Je voudrais également insister sur le fait que tout se passe comme si pour entrer dans l'Union européenne tout dépendait de l'Union européenne. J'espère que mon discours ne choquera pas, mais enfin il faut dire les choses aussi parfois un peu franchement, cela dépend de l'Union européenne et cela dépend des pays candidats. On est deux quand on négocie, il y a des efforts à faire de part et d'autre. Nous engagerons des discussions le moment venu, à ce moment-là, on verra qui est le plus prêt et qui est le plus allant. Si cela devait être la Pologne, je serais évidemment le dernier à le regretter.

Q. : L'Europe élargie sera-t-elle à géométrie variable ?

R. : Nous avons décidé d'élargir l'Union européenne, c'est un fait, nous n'y revenons pas et j'espère que la Pologne sera bientôt dans la famille européenne. Deuxième question qui découle de la première : est-ce que cette Europe ainsi élargie, à 20, 25 ou plus, peut fonctionner exactement comme l'Europe fonctionnait lorsque nous étions 6, 9 ou 12, ma conviction personnelle est que non. Troisième idée, il faut se préparer à réfléchir à une nouvelle organisation, une nouvelle structure, de l'Union européenne. Nous avons devant nous un calendrier très précis. Nous avons un rendez-vous en 1996 qui est la conférence intergouvernementale prévue par les traités. Des idées viennent d'être lancées, tant mieux, je ne les partage pas toutes, mais c'est nécessaire, on ne peut pas éviter ce débat ; il y en aura d'autres, nous avons deux ans devant nous pour discuter. Il faut y associer, comme je l'ai dit tout à l'heure dans mon propos, les candidats. Il est normal qu'ils soient informés de nos réflexions et de notre vision de ce que l'Union européenne sera à la fin du siècle. Voilà, je crois qu'il faut dédramatiser ce débat là encore. Il est nécessaire, il va se poursuivre.

Je terminerai en disant que je partage totalement la conviction de Klaus Kinkel. Il ne s'agit pas d'imposer à qui que ce soit une vision franco-allemande de l'Europe. Il s'agit de constater que si la France et l'Allemagne ne restent pas ensemble pour faire en sorte que l'Union européenne avance, eh bien, rien ne sera pas fait. Ce n'est donc pas une volonté hégémonique contre qui que ce soit, c'est tout simplement une volonté d'initiative et de dynamisation de l'Union européenne tout à fait ouverte à tous nos partenaires.