Déclaration de M. Édouard Balladur, Premier ministre, sur la résistance dans le Vercors, à Vassieux-en-Vercors le 21 juillet 1994 et interview dans "Le Dauphiné Libéré" le même jour sur la politique de la montagne.

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Circonstance : Inauguration du mémorial du site national du Vercors, à Vassieux-en-Vercors et réunion du Conseil national de la montagne à Chambéry, le 21 juillet 1994

Média : Le Dauphiné libéré

Texte intégral

Honneur au Vercors.

Les questions autour des événements de l'été 44 demeurent. L'héroïsme des résistants n'est contesté par personne.

En l'absence du chef de l'État, Édouard Balladur préside aujourd'hui l'ensemble des cérémonies d'inauguration du Mémorial du site national de la résistance à Vassieux-en-Vercors. Une journée chargée pour le Premier ministre qui profite de sa venue dans notre région pour prendre un bain de ruralité, d'abord en allant visiter des fermes dans la Drôme, puis en se rendant au Conseil national de la montagne qu'il doit clôturer à Chambéry. Un Conseil dont ce sera la troisième réunion depuis sa création par la loi montagne de 1985, mais la première organisée en dehors de Paris, en plein cœur des massifs alpins. Ainsi souhaite-t-il montrer aux élus et aux populations concernés, que la loi sur l'aménagement, du territoire récemment adoptée par le Parlement, devrait être bénéfique pour les montagnards au même titre que pour tous les habitants des zones difficiles. À propos de la célébration du cinquantenaire de la Libération, il insiste sur la nécessité de "se souvenir de notre histoire pour mieux préparer l'avenir". Et il affirme que "pour tous les Français, Vercors et Résistance sont devenus synonymes".

Le Dauphiné Libéré : Vous avez participé à plusieurs cérémonies commémorant le cinquantenaire de la libération. La dimension pédagogique est-elle, à votre sens, ce qu'il y a de plus important dans ce types de manifestation ?

Édouard Balladur : L'année 1994 est marquée par la célébration du cinquantenaire de la libération de notre pays. Les cérémonies ont commencé sur les plages de Normandie, elles se poursuivent aujourd'hui dans le Vercors, haut lieu de la Résistance. Le débarquement de Provence, puis la libération de Paris, de Marseille et de Strasbourg rappelleront à ceux qui les ont vécues, ces heures graves et décisives de notre histoire, et montreront aux autres que le combat pour la liberté n'est jamais définitivement gagné. C'est là, vous avez raison de le souligner, le sens profond d'une commémoration. Se souvenir avec ceux qui ont combattu, leur exprimer notre reconnaissance, ne jamais oublier que notre pays peut avoir un jour à lutter pour sa survie.

Le Dauphiné Libéré : Partagez-vous le sentiment du président de la République quand il dit, à ce propos, qu'il faut se tourner vers l'avenir plutôt que de ressasser sans cesse le passé ?

Édouard Balladur : Je vous le disais à l'instant, on ne peut séparer l'histoire et l'avenir. La construction européenne elle-même est née de la volonté de ceux qui, sans jamais oublier le passé, ont voulu unir des peuples que la guerre avait trop souvent opposés. C'est en se souvenant de notre histoire que nous saurons le mieux préparer l'avenir.

Le Dauphiné Libéré : Le Vercors, où vous vous rendez aujourd'hui, revêt-il pour vous un caractère historique et sentimental particulier ?

Édouard Balladur : Pour tous les Français, le Vercors symbolise le refus de la résignation, l'honneur de ceux qui ont choisi le combat pour la liberté, la grandeur de ceux qui ont accepté d'offrir le sacrifice suprême. Pour tous les Français, Vercors et Résistance sont devenus synonymes. Aujourd'hui, c'est pour moi un honneur d'inaugurer le Mémorial du Site national du Vercors. Ce mémorial a été érigé grâce aux efforts de l'État, mais aussi du Conseil régional de Rhône-Alpes et des Conseils généraux de l'Isère et de la Drôme. Il témoigne de la reconnaissance de la France toute entière.

Le Dauphiné Libéré : Votre ministre de la communication, Alain Carignon, vient de démissionner du gouvernement afin de permettre au juge chargé du dossier "Dauphiné News" de l'entendre en toute quiétude. Cette décision était-elle, à votre avis, nécessaire ?

Édouard Balladur : Lorsqu'Alain Carignon m'a fait part de sa volonté de quitter ce gouvernement, j'ai compris et approuvé sa démarche. Je lui ai dit à quel point j'avais apprécié l'action qui a été la sienne à la tête du ministère de la communication. Aujourd'hui, je souhaite que le déroulement de la procédure en cours, qui va lui donner accès complètement à son dossier, lui permette d'établir rapidement sa bonne foi.

Le Dauphiné Libéré : Vous allez clôturer dans l'après-midi à Chambéry le Conseil national de la montagne. Nombre d'élus de ces régions se plaignent d'avoir été "oubliés" dans le texte de loi sur l'Aménagement du territoire. Leurs revendications vous semblent-elles légitimes ?

Édouard Balladur : Le projet de loi pour le développement du territoire qui a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale prévoit de nombreuses décisions dont la mise en œuvre bénéficiera à la montagne. Des dispositions fiscales faciliteront la création, la reprise et le développement des entreprises. Des fonds particuliers seront créés pour renforcer les voies de communication pour améliorer la gestion de l'espace. Le principe est posé d'une péréquation entre les ressources des collectivités territoriales en fonction de leurs charges. Le principe est également posé d'une réforme de la fiscalité locale, essentiellement de la taxe professionnelle afin de corriger ses effets négatifs. Au plan institutionnel, les comités de massif seront associés à l'élaboration des directives territoriales d'aménagement. La notion de "pays" renforcera la coopération locale et l'organisation des services publics sera adaptée aux besoins des citoyens. Mais les décisions en faveur de la montagne ne relèvent pas toutes de la loi. Les contrats de plan, le comité interministériel pour le développement et l'aménagement rural, le conseil national de la montagne, ont été autant d'occasions pour prendre des décisions complémentaires. Toutes sont destinées à corriger le handicap naturel que peut être la géographie, pour encourager le développement de l'emploi. Toutes sont destinées à renforcer la cohésion du pays tout entier, condition nécessaire à un progrès durable. Toutes sont destinées à rétablir l'équité entre les Français où qu'ils résident. L'aménagement du territoire n'est l'apanage de personne. Il nous faut inventer ensemble une politique adaptée aux situations économique et institutionnelle nouvelles que la France connaît depuis une dizaine d'années.

Le Dauphiné Libéré : Viendrez-vous, comme chaque année, prendre quelques jours de repos à Chamonix ?

Édouard Balladur : J'ai effectivement l'intention de me rendre à Chamonix. Si le travail gouvernemental me le permet, au début du mois d'août. Vous connaissez les biens qui m'attachent à cette région que j'aime et que je retrouve chaque année avec tant de plaisir.

 

21 juillet 1994

Monsieur le président de l'Association nationale des pionniers et combattants volontaires du Vercors,
Monsieur le maire,
Messieurs les parlementaires et élus,
Mesdames, Messieurs,

C'est à la demande de monsieur le Président de la République que je préside cette cérémonie ; j'ai à cœur, en commençant à m'adresser à vous, de lui présenter, au nom de tous nos compatriotes, les vœux de prompt rétablissement que nous formons pour lui.

"Ici, chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait, quand il passe"...

Ici, à Vassieux-en-Vercors, chacun redit ce chant des partisans et de la mémoire : "Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place"...

Vassieux, commune tombée pour la France... Chaque année depuis cinquante ans, nous rentrons dans cette ombre affreuse de l'histoire pour rappeler ce que personne ne pourra jamais, ne devra jamais oublier.

Dans la longue attente de l'été 1944, après le débarquement du 6 juin, le Vercors se sacrifiait pour la France qui frémissait d'impatience et de liberté. Près de quatre mille hommes résistaient sur le plateau. Depuis longtemps déjà, un petit groupe d'hommes, venus d'horizons très divers, avaient fait des plateaux du Vercors la forteresse de la Résistance.

C'étaient les hommes du futur "plan Montagnards". Il fallait user les forces de l'adversaire sur le plateau du Vercors, pendant qu'un débarquement allié se préparait sur les côtes de la Méditerranée.

Au docteur Léon Martin et aux cafetiers Aimé Pupin et Eugène Chavant, dit "Clément" et "futur chef civil" du Vercors, fondateur de l'Association nationale des pionniers du Vercors, vinrent s'adjoindre le docteur Eugène Samuel et bien d'autres. À partir de la fin novembre 1942, les bataillons de l'ombre affluèrent sur le plateau. Bataillons de l'espoir et de la liberté, le 2e Régiment de Cuirassiers, le 6e bataillon de chasseurs alpins...

Ils étaient des pionniers, des combattants volontaires, des soldats venus se battre dans le Vercors. Ils refusaient de se soumettre à l'ennemi. Des "camps", dispersés, veillaient, dès 1943, sur ce plateau. Quatre-vingt-cinq jeunes gens se rassemblèrent bientôt pour former le premier, celui de la forêt d'Ambel. Quatorze maquis se constituèrent à travers le Vercors, hors des villages, dans des lieux retirés : ces "camps" veillaient sur l'honneur de la France.

Terre de volonté, terre de dignité, le Vercors avait, le 3 juillet 1944, donné pleine légitimité à la petite enclave de liberté qu'il formait. C'était la "République du Vercors". Mais cette République, soutenue par de premiers parachutages d'armes alliées, était vouée à une longue patience.

Car depuis le début de l'été, Vassieux et ses habitants enduraient les approches de l'ennemi et ses bombardements.

Le 21 juillet, le village fut bombardé, investi par les Allemands, incendié, ses habitants abattus. Ce furent trois jours de tragédie : le plateau était encerclé, les cols pris, la vallée de la Drôme occupée L'ordre de dispersion fut donné. Ce furent alors les contre-attaques héroïques du Pas-de-l'Aiguille, les combats de Valchevrière, les captures du Pas-de-la-Balme. Des fermes furent brûlées, des otages exécutés. Les blessés qu'on soignait dans la grotte de la Luire furent achevés, des médecins déportés.

Lieux d'épreuves terribles, mais lieux de gloire. Dans l'attente de l'aide alliée, dans la répression et la dévastation, ces noms sont aussi ceux de notre liberté.

"Martyre de sa foi en la résurrection de la Patrie", dit la citation de la commune de Vassieux-en-Vercors à l'ordre de la Libération le 4 août 1945.

Vassieux est compagnon de la Libération. Vassieux fut compagnon des souffrances que le Vercors tout entier a subies : La Chappelle, Rousset, Les Barraques, Saint-Nizier… Autant de lieux sanglants, redoutés des Allemands dont les communications avec l'Italie étaient ainsi entravées.

Parce qu'ils n'ont pas ménagé leurs souffrances ni leurs vies, les hommes de ces montagnes, de ces villages, ont allégé les peines de la patrie. Ce sont des semaines d'épreuves qu'ils ont épargnées à la 1re armées française. C'est la voie des troupes américaines vers Grenoble qu'ils ont ouverte. C'est la victoire de Provence qu'ils ont préparée, ouvrant la voie à la libération du pays tout entier.

Ces faits d'armes, ces hommes et ces femmes morts pour notre pays, méritaient qu'un hommage solennel leur fût rendu en ce 50e anniversaire de la Libération.

J'ai l'honneur d'inaugurer aujourd'hui le mémorial du Site national du Vercors. Il est bon que la Nation rassemblée conjugue ainsi ses efforts : l'État, le conseil régional des Rhône-Alpes et les conseils généraux de l'Isère et de la Drôme ont érigé ce monument en souvenir de la bataille du Vercors et de ses victimes.

Les pionniers et combattants volontaires du Vercors en ont eu l'initiative. Le « Parc naturel régional du Vercors" en a été le maître d'œuvre. Tous ici ont senti qu'il fallait un nouveau lieu de souvenir. Il fallait que la mémoire de ces événements tragiques ne fût pas seulement gravée dans les cœurs, dans la terre du Vercors, dans la nécropole où nous nous trouvons. Il fallait que la mémoire du Vercors habitât aussi le ciel. Il fallait qu'elle fût symboliquement plus forte que les bombardements, plus forte que les massacres, plus forte que la douleur.

Je vous rends hommage, pionniers et combattants volontaires du Vercors. Fidèles à votre lutte passée, vous avez également rempli le devoir de la mémoire, afin d'honorer vos parents et amis, vos frères d'armes et de souffrances.

Pionniers et combattants volontaires du Vercors, je vous dis, au nom du Gouvernement, au nom de la France toute entière, la reconnaissance qu'éternellement nous vous devons.


Allocation prononcée par le Premier ministre à la mairie de Vassieux-en-Vercors, le 21 juillet 1994

Monsieur le maire, 
Messieurs les parlementaires,
Messieurs les présidents de conseil général, 
Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de venir marquer aujourd'hui la reconnaissance qu'a la République envers vous. La commune de Vassieux-en-Vercors s'est distinguée par son héroïsme. Je salue, avec émotion, ce village martyr, entré dans l'histoire par sa lutte contre l'oppression, par la bataille qu'il livra pour la liberté.

Après avoir inauguré le mémorial du Site nationale du Vercors et avant de nous recueillir dans la nécropole de Vassieux, je tiens à vous remercier, Monsieur le maire, de votre accueil.

Vous le savez, la montagne m'est chère. Je serai heureux de rencontrer cet après-midi des exploitants agricoles, dont certains exercent leur activité sur le territoire de votre commune.

Je présiderai également la séance de clôture du Conseil national de la montagne où je ferai part des mesures que nous voulons prendre en faveur de la montagne. Il importe, en effet, d'améliorer le fonctionnement des institutions concernées, de favoriser le développement économique de la montagne et d'aider les communes qui connaissent des difficultés.

La montagne est belle, mais je sais combien elle peut être rude. Aussi tenais-je à venir, ici parler avec nos concitoyens, de ce qui y fait leur existence quotidienne. Je tenais à mesurer avec quelle imagination, avec quel courage vous faites vivre votre région.

La montagne est riche de ressources agricoles, sylvicoles et touristiques qu'il vous faut mettre à profit malgré les difficultés. Vous venez de nous le rappeler, Monsieur le maire : la commune de Vassieux connaît des problèmes financiers qu'une subvention exceptionnelle de 500 000 francs devrait vous aider à surmonter. Ainsi, Monsieur le maire, pourrez-vous hâter l'installation du réseau d'assainissement dont Vassieux a besoin.

À l'heure où nous jetons les bases d'un aménagement nouveau de notre territoire, d'un aménagement plus juste et plus solidaire, je ne peux que vous inciter, Monsieur le maire, à participer pleinement à la réalisation de notre grand projet. Vous devez donner à la montagne et à votre commune la place que vous méritez, une place digne de votre histoire, de la beauté des lieux, du courage de ceux qui y vivent et qui veulent continuer à y vivre.