Interview de M. Charles Pasqua, ministre de l'intérieur, à France-Inter le 29 septembre 1994, sur le organisation des Primaires, la corruption et la lutte contre le trafic de drogue.

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Média : France Inter

Texte intégral

M. Levaï : monsieur le ministre d'État, Charles Pasqua, bonjour.

M. Pasqua : Bonjour, monsieur Levaï, bonjour, mesdames, bonjour, Messieurs.

M. Levaï : Vous êtes en quelque sorte un ministre matriochka de la République, le ministre de l'Intérieur, patron des préfets, premier policier de France, cache un peu le ministre des Cultes qui cache lui-même le ministre des élections, sans parler du ministre des Affaires étrangères que vous êtes quelquefois au point de faire de l'ombre, comme ce fut le cas cet été, au numéro 1 du Quai d'Orsay, monsieur Alain Juppé.

Bref, la rédaction de France-Inter, avec vous, a de quoi faire ce matin. Elle est là rassemblée, prête à vous parler des Primaires, de Folembray, de vos collègues, Méhaignerie et Longuet, de la laïcité et bien sûr de la sécurité.

Nous commencerons par là dès que Philippe Meyer, qui est au Pouvoir actuel ce que Madame de Staël était à Napoléon, vous aura tiré le portrait.

M. Meyer : Monsieur le ministre d'État, l'un de mes nombreux directeurs, monsieur Ivan Levaï, m'interpellant avant-hier dans un couloir où j'avais l'imprudence de rôder m'a adressé cette injonction vigoureuse : « Meyer, jeudi, tu croques Pasqua ». Je ne suis pas assez fou, monsieur le ministre d'État, pour me lancer dans une pareille entreprise, un homme qui terrorise les terroristes n'aurait besoin que d'un instant pour croquer le croqueur.

D'ailleurs, plus les années passent, plus on peut dire que tout le monde vous aime bien, à part monsieur Giscard d'Estaing qui, de toutes façons, n'aime que monsieur Giscard d'Estaing. Même les jeunes, chez lesquels votre popularité n'est guère élevée, et c'est une litote, même les jeunes ont fait de vous l'homme qu'ils préfèrent détester et l'on sent que vous leur manqueriez si vous n'étiez plus aux affaires.

Quant aux socialistes, ils demeurent inconsolables de n'avoir jamais mis la main sur un Pasqua de Gauche et tous ceux à qui vous fournissez des arguments pour dénoncer en vous un ogre digne des Contes de Perrault savent, dans leur for intérieur, que vous êtes plutôt un de ces grands-pères matois et bourru dont on aime bien qu'il vous rudoie et même qu'il vous fasse peur.

Dans l'action politique, plus que dans toute autre, se vérifie l'adage de la sagesse populaire : « On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs ». Pour les Français, il me semble que vous êtes l'homme qui casse les œufs.

Aujourd'hui, vous laissez entendre que vous aimeriez bien également cuire l'omelette et que vous vous sentez fort capable de tenir la queue de la poêle. Pour y parvenir, vous y réunissez d'incontestables atouts : vous êtes un homme d'appareil, c'est-à-dire que vous disposez de contacts directs et nombreux avec des gens dont l'importance tient à quelque chose de beaucoup plus consistant que la notoriété. Vous êtes un œcuménique derrière vos airs de chef de bande, mon confrère, Émile Favard, des Échos a même écrit que vous recrutiez vos proches à la tour de Babel et de fait votre entourage direct compte aujourd'hui des anciens d'extrême-droite aussi bien que d'extrême-gauche, des ex-rocardiens, des ci-devant mitterrandistes et même des membres du RPR.

Vous avez gommé, lentement mais sûrement, votre image demain du gaullisme et de chien de garde de Jacques Chirac. Vous présentant aux sujets de sa Gracieuse Majesté, un confrère britannique a récemment titré son article : « Méfiez-vous du bouledogue quand c'est l'esprit qu'il a mordant ».

Vous vous efforcez de sortir de cette prison où l'on vous cantonne, je veux dire de montrer que vous pouvez être autre chose que le premier flic de France. Vous vous attaquez aux dossiers de l'enseignement en créant dans votre département une université qui semble avoir un peu de mal à naître et vous mettez en évidence une nouvelle et utile passion, celle de l'aménagement du territoire dans un pays qui connaît d'intenses bouleversements économiques, sociaux et culturels. Cependant, et à notre grand étonnement, de votre politique d'aménagement du territoire, nous avons surtout vu un film publicitaire qui montrait un jeune homme tout nu dont les fesses avaient plus de galbe que de virilité et une jeune femme dont les seins charmants ne laissaient pas espérer beaucoup de lait.

Dernier atout enfin, mais sûrement pas le moindre pour un présidentiable en voie d'apparition, vous incarnez une espèce en voie de disparition, celle du militant. À une époque où les hommes politiques ne descendent de leur R25 que pour s'engouffrer dans un avion, où ils ne serrent de main sans importance qu'à la veille des élections, où ils ne connaissent de difficultés que celles que leur créent les rivalités dans leur parti et où ils pensent rencontrer la France profonde en se faisant bâtir une maison à Saint-Tropez, vous n'avez perdu aucune de vos qualités d'ancien scout, d'ancien résistant, d'ancien voyageur de commerce et d'ancien organisateur de congrès.

Cette originalité vous fait paraître de plus en plus réel dans un monde politique de plus en plus virtuel. Cependant, elle se retourne aussi contre vous. Ce pays, en effet, est curieux, on y déteste de plus en plus les technocrates mais on y tient absolument à n'être gouverné que par des crânes d'œuf sortis des grandes écoles. Cette contradiction pourrait vous empêcher d'aller jusqu'au bout des ambitions que l'on vous prête. Vous vous consolerez, monsieur le ministre d'État, le poids que vous pesez aujourd'hui à Droite est tel que si vous n'êtes pas Président, vous serez ce que les Américains appellent « le faiseur de rois » et personne ne pourra l'être sans vous.

M. Levaï : Un mot de commentaire ?

M. Pasqua : Quel talent ! J'espère qu'il est bien payé.

M. Meyer : La tradition, monsieur le ministre d'État, veut que je ne réponde pas à cela.

M. Pasqua : Je vous avais promis hier soir, monsieur Meyer, de solliciter pour vous une augmentation, voilà qui est fait.

M. Levaï : Elle est transmise au Président Maheu qui est là. Je pense que Meyer sera augmenté dès ce soir et il perdra beaucoup de son crédit dès demain.

Monsieur le ministre, on va parler tout de suite et rapidement, si vous voulez bien, de la sécurité puisque, au fond, la sécurité, on considère à tort ou à raison que c'est vous. Alors, la sécurité sur nos routes, bon, il y a un ministre des Transports, monsieur Bosson, qui était interviewé hier à Objections et qui a dit ce qu'il faisait, ce qu'il pouvait faire mais, tout de même, vos réactions à vous en ce qui concerne l'air, la terre et la mer cette année.

Je dis « la terre », le nombre des tués a diminué sur routes et j'imagine que…

M. Pasqua : … Pas suffisamment, certainement.

M. Levaï : Pas suffisamment ?

M. Pasqua : Non. Je crois d'ailleurs que le Gouvernement se prépare à prendre des mesures nouvelles. Il y est conduit compte tenu des résultats qui ne semblent pas satisfaisants et aussi dans la perspective d'une harmonisation au niveau de l'Union européenne, notamment en ce qui concerne le taux d'alcoolémie qu'il faudra réduire.

M. Levaï : L'année prochaine ?

M. Pasqua : Peut-être même avant, en tous les cas, pas à l'occasion des fêtes de Noël.

M. Levaï : On a été frappé, tout le monde a été frappé, cette semaine, à la fois par l'avion de la Tarom qui a failli s'écraser et qui, Dieu merci, s'est élevé au dernier moment, donc les passagers ont été sauvés mais tout de même, cela donne à penser et on est frappé, depuis hier, par ce qui est arrivé en Baltique, c'est loin d'ici, vous n'avez aucune responsabilité, mais aux ferries, il y a de nombreux ferries sur nos côtes…

M. Pasqua : Je vous remercie de reconnaître que je n'ai pas de responsabilité dans cette affaire.

M. Levaï : J'espère que monsieur Bosson vous a transmis le rapport sénatorial de monsieur Catouélan qui est sénateur des Yvelines et qui a fait un rapport assez intéressant sur la sécurité de nos côtes et qui est effrayant par certains côtés, encore une fois, c'est un sénateur qui dit cela.

M. Pasqua : Le Sénat est composé de gens très compétents, l'Assemblée aussi naturellement, je ne vais pas me mettre à mal…

M. Levaï : Simplement, il chiffrait le nombre de contrôleurs de navigation pour nos côtes et pour nos plages. Nous avons 5 200 kilomètres de côtes et il y en a 170 en France, rien que pour Le Havre où il y a 6 000 sorties de bateaux et entrées par an, il y a 3 contrôleurs de navigation, est-ce que cela vous apparaît suffisant pour notre sécurité ?

M. Pasqua : Non, mais je ne pense pas non plus que la solution puisse consister à multiplier à l'infini à la fois les contrôles et les contrôleurs. Il faut une réglementation très précise, assez restrictive et puis, ensuite, lorsqu'on constate des infractions, il faut que les gens soient sévèrement sanctionnés et peut-être, dans ce domaine, sommes-nous un peu trop laxistes.

M. Levaï : Nous allons en venir aux problèmes plus politiques et immédiats avec Pierre Le Marc et Annette Ardisson.

Vous parliez tout à l'heure de Valéry Giscard d'Estaing…

M. Pasqua : … Ah non, ce n'est pas moi.

M. Levaï : Non, c'est Philippe Meyer qui parlait de Valéry Giscard d'Estaing. Valéry Giscard d'Estaing vous a écrit ?

M. Pasqua : Oui. Il m'a plutôt répondu parce que je lui avais écrit. C'est au sujet des Primaires puisque j'avais adressé une lettre aux Présidents des deux formations de la Majorité pour leur proposer un système de Primaires qui était un peu différent de celui que les organisations de la Majorité actuelle avaient adopté en 91. À cette occasion, les deux formations de la Majorité m'ont répondu qu'elles préféraient s'en tenir au système de 1991.

En réalité, ce faisant, elles ont répondu à la question de fond. La question de fond est la suivante: Est-ce que le RPR et l'UDF font la même analyse qu'en 1991 qui consistait à dire « Il faut un candidat d'union de la Majorité, de ces deux formations dès le premier tour » ? Leur réponse signifie « oui, nous avons toujours la même analyse, il faut un candidat d'union dès le premier tour ».

Partant de là, il reste maintenant au RPR et à l'UDF de mettre en place le dispositif qui permet l'organisation des Primaires. C'est la phase qu'il faut maintenant entreprendre…

M. Le Marc : … Mais n'est-ce pas trop tard ? L'affrontement entre Jacques Chirac et Édouard Balladur n'est-il pas inévitable, comme le pense d'ailleurs une majorité de Français et comme le souhaite un tiers de ces Français ?

M. Pasqua : Oui, je crois que la grande majorité des électeurs de l'Opposition souhaitent qu'il y ait un seul candidat et ils ne souhaitent pas cet affrontement.

M. Le Marc : Mais ils n'y croient plus.

M. Pasqua : Ils n'y croient plus, ça, nous verrons bien ! Ils n'y croient plus parce que, pour le moment, rien ne semble fait pour l'éviter mais je rappelle que les Primaires n'ont pas, pour seul but, d'arbitrer entre deux candidats, les Primaires consistent à enlever aux partis politiques le pouvoir dont ils se sont emparés de désigner les candidats à l'élection présidentielle. L'élection présidentielle, ce n'est pas l'affaire des partis politiques, c'est la raison pour laquelle nous proposons que ce soit les citoyens qui choisissent, les partis politiques ont ensuite leur rôle de soutien, c'est un autre problème, mais les Français doivent pouvoir choisir librement.

D'autre part, si les partis choisissent, il y a naturellement un phénomène de sclérose et de fermeture alors que, dans chaque Parti, il peut y avoir plusieurs sensibilités qui souhaitent s'exprimer. L'idée des Primaires, c'est donc de transformer un handicap qui est le trop grand nombre de candidats qui peut conduire à l'éparpillement et par conséquent à la perte de l'élection, parce que si on n'atteint pas un certain seuil au premier tour, on ne peut pas gagner le deuxième tour, il faut donc éviter cela mais, dans le même temps, il faut que les différentes sensibilités s'expriment. Autrement dit, il faut que les Français aient une réelle possibilité de choix.

Mme Ardisson : Charles Pasqua, la réponse que vous a fait parvenir monsieur Giscard d'Estaing souligne bien qu'il est toujours d'accord mais pour des Primaires version 91…

M. Pasqua : … Oui, oui, tout à fait !

Mme Ardisson : C'est-à-dire organisées sur plusieurs mois et à travers les régions.

M. Pasqua : Oui.

Mme Ardisson : Votre version à vous était beaucoup plus courte dans le temps…

M. Pasqua : Oui.

Mme Ardisson : Donc, il réclame du temps, alors c'est un « oui » qui veut dire « non » ?

M. Pasqua : Non, non, je ne le crois pas. Enfin, à partir du moment où on dit « oui », il faut en tirer les conséquences. Moi, je suis persuadé que ces Primaires peuvent être organisées, je suis prêt à le leur démontrer quand ils le voudront, mais de toute façon il faut maintenant mettre en place le dispositif qui permet l'organisation des Primaires.

Quand ce système a été imaginé, c'est un système que je connais bien, j'en suis un des inventeurs, on a pensé effectivement qu'il fallait un délai de six mois entre le choix du candidat et l'élection elle-même. Rien n'empêche de réduire ce délai, on voit bien en réalité qu'on n'a pas besoin d'une campagne trop longue, c'est clair.

M. Le Marc : Quelle est la position du Premier ministre là-dessus ?

M. Pasqua : Vous la lui demanderez.

M. Le Marc : Vous ne la savez pas, vous ne la connaissez pas ?

M. Pasqua : Oh, je la présuppose.

M. Levaï : Jacques Chirac va vous écrire maintenant que Valéry Giscard d'Estaing vous a écrit ?

M. Pasqua : De toute façon, le RPR nous a déjà fait savoir qu'il était favorable à l'organisation des Primaires.

Mme Martin. Il est 8 heures, le journal de Gérard Courchelles.

Monsieur Pasqua, vous restez avec nous jusqu'à 9 heures sur France Inter.

Journal.

M. Courchelles : Charles Pasqua, lui, présentait à la presse le livre de son conseiller sur les questions d'immigration, « Quelle morale pour aujourd'hui ? ». Le ministre de l'Intérieur a souligné, à cette occasion, la nécessité d'une nouvelle morale républicaine et laïque.

Monsieur le ministre, bonjour.

M. Pasqua : Bonjour.

M. Courchelles : Auriez-vous l'impression que, dans ce domaine de la morale, les Français aujourd'hui manquent de repères ?

M. Pasqua : Ah oui, ça, c'est certain. Je me garderai bien de leur indiquer quel type de morale mais je suis certain qu'un système politique et une nation ne peuvent pas vivre sans repères et sans que, dès le plus jeune âge, on enseigne ce qui est bien et ce qui ne l'est pas.

Autrefois, nous avions la chance qu'à l'école primaire comme d'ailleurs dans les religions on enseignait la même morale et, aujourd'hui, je crois que malheureusement il y a eu un certain affaiblissement dans ce domaine, il faut revenir sur un certain nombre de notions simples.

M. Courchelles : Ce qui est frappant dans les propos que vous avez tenus, c'est que vous dites que « la ligne de partage aujourd'hui ne passe plus entre la Droite et la Gauche, en matière de morale » ?

M. Pasqua : Cela me paraît évident. Je crois que, aujourd'hui comme d'ailleurs à l'occasion des élections présidentielles j'espère que ce débat aura lieu, la ligne de partage est entre ceux qui croient à la France, en la nation et en la République, autrement dit en la pérennité de la France au troisième millénaire et ceux qui pensent que, ma foi, la France a duré 1 000 ans et qu'on peut bien faire l'impasse. Vous aurez compris que je ne suis pas de ceux-là.

M. Courchelles : Monsieur le ministre d'État, vous aurez sans doute l'occasion d'y revenir après ce journal.

Suite du journal.

Mme Martin : Aujourd'hui, un « Spécial petit-déjeuner » avec Charles Pasqua pour invité sur France-Inter jusqu'à 9 heures.

M. Levaï : Monsieur Pasqua, je crois que je vais vous faire cadeau du journal Le Monde, daté de ce jeudi 29 septembre, en repartant, à mon avis vous l'avez déjà acheté, parce que c'est formidable, les titres sont extraordinaires, il y en a deux qui doivent vous plaire beaucoup :

Il y a d'abord l'analyse de Jérôme Jaffré sur ce que disent actuellement les sondages et pas seulement ceux de la SOFRES. Jérôme Jaffré dit : « La Présidentielle sera une Présidentielle hors partis ».

Et puis juste au-dessus il y a « Les Français plébiscitent le système de Primaires proposé par monsieur Pasqua ».

Quand vous lisez cela, vous devez être fou de joie ?

M. Pasqua : Oh, n'exagérons rien…

M. Levaï : Ah bon !

M. Pasqua : Comme j'ai toujours pensé que le seul moyen de régler les problèmes qui peuvent exister dans la Majorité où plusieurs personnes peuvent légitimement prétendre être candidates à la Présidence de la République, que le seul système qui pouvait permettre de résoudre ces problèmes sans drame, c'était les Primaires, je m'y suis consacré et le fait que les Français aujourd'hui plébiscitent ce système me réjouit, c'est vrai.

M. Levaï : À 53 %.

M. Pasqua : 53 %, toutes tendances confondues, toutes opinions, 61 % dans notre propre électorat, ce qui est logique.

Je disais tout à l'heure que les Primaires visent plusieurs buts :

Le premier, c'est d'élargir le champ de façon à ce que l'on sorte d'un candidat traditionnel à l'UDF, d'un candidat naturel au RPR et de candidats potentiels qui, eux, n'ont qu'à rester à la maison et ne peuvent pas s'exprimer, donc il faut élargir le champ. Ce qui ne veut pas dire que, en final, ce n'est pas un des candidats que l'on connaît déjà qui émergera, mais s'il émerge, il émergera après que chacun ait pu jouer son jeu, sa partie, présenter ses idées et, ensuite, il sera plus facile de se rassembler.

En somme, qu'est-ce que les Primaires ? Cela consiste à appliquer à l'intérieur de la Majorité une règle que vous connaissez bien et qui avait été définie par Jules Guesde en matière de scrutin majoritaire. II disait : « Au premier tour, on choisit, c'est-à-dire on vote pour celui qui plaît le plus et, au second tour, on élimine, c'est-à-dire on vote contre celui qu'on déteste le plus ». C'est un peu la même chose.

M. Levaï : Comme, cette année, monsieur Pasqua, vous n'arrivez pas à départager, à dégager vos rangs celui qui doit porter vos couleurs, vous allez déranger tous les Français au mois de janvier pour le faire, pour faire une pré-sélection entre Chirac et Balladur ?

M. Pasqua : Non, ce n'est pas cela du tout, monsieur Levaï. Je viens d'expliquer que c'était exactement le contraire. Il faut que les Français sachent et qu'ils voient qu'il y a, qu'il existe un large éventail de candidats et que c'est à eux de dire, conformément à l'esprit des Institutions, quel est celui qu'ils considèrent comme étant le plus représentatif de l'idée qu'ils se font de la France. Cela consiste par conséquent à enlever aux partis le pouvoir dont ils s'étaient emparés et qui consistait pour eux à désigner le candidat. Les Français doivent pouvoir choisir.

Mme Ardisson : À travers ce sondage et cette publication, n'inversez-vous pas le principe de Jules Guesde que vous venez d'énoncer en commençant par éliminer ? Je pense à la deuxième partie du sondage qui invite les Français à répondre à la question suivante : Parmi les personnalités, quelles sont celles que vous souhaitez voir présentes en cas de Primaires ? On trouve évidemment en tête monsieur Balladur, avec 89 %, suivi de monsieur Chirac, 82 %, vous-même, 52 % et, ensuite, décrochement, tous les autres sont en-dessous des 50. Donc, vous les invitez quasiment à ne pas y aller ?

M. Pasqua : Oui, mais ce n'est qu'un sondage. Ce n'est pas comme cela qu'il vous l'interpréter.

Mme Ardisson : C'est un petit peu dissuasif.

M. Pasqua : Non, non, ce n'est pas comme cela qu'il faut l'interpréter. À l'occasion de ce sondage, il a été demandé aux Français : « quelles sont les personnalités que vous souhaiteriez voir se présenter aux Primaires ? », ils ont librement établi une liste. Cela n'empêche pas naturellement que, à l'occasion de ces Primaires, il y aura une campagne et que, finalement, ce sont les électeurs qui choisiront et personne d'autres.

M. Le Marc : La candidature de Jacques Chirac est-elle celle de l'échec et du repli sur le RPR, comme l'a lancé entendre Édouard Balladur, l'autre jour, à Colmar ? Partagez-vous son avis ?

M. Pasqua : Je crois que vous avez tort d'interpréter les propos qui ont été tenus par Édouard Balladur…

M. Le Marc : … C'est comme cela que Jacques Chirac les a compris.

M. Pasqua : Je crois qu'il faut sortir de ce schéma. Je crois que, à l'heure actuelle, les élections présidentielles ne sont pas jouées et elles ne le sont pour personne et, par conséquent, chacun a légitimement le droit de faire sa campagne et chacun a légitimement le droit de s'exprimer. Je crois que ce qu'il faudrait éviter, c'est, d'une part, tout ce qui peut compliquer la situation, c'est-à-dire les phrases agressives ou qui peuvent être ressenties comme telles par les uns et les autres puisque, de toute manière, il faudra bien se rassembler. Pour pouvoir nous rassembler, ne commençons pas par nous diviser. Il faut, d'autre part, calmer l'ardeur des entourages qui en rajoutent, certains ont déjà choisi leur champion, alors naturellement nous sommes dans la période d'échauffement avant d'entrer sur le stade, je crois qu'il faudrait que les gens se calment.

M. Le Marc : Mais, en 1995, faut-il une continuité dans l'effort entrepris depuis 1993 ou bien, au contraire, un sursaut, un changement de politique ?

M. Pasqua : Il faut les deux. Je veux dire par là qu'il faut, effectivement, la continuité. Nous avons commencé à redresser le pays et on en voit les premiers résultats, il faut continuer. À l'occasion des élections présidentielles de 95, il s'agit de désigner un nouveau Président de la République et naturellement un nouveau Président de la République apportera un nouvel élan. Chacun sait que, à l'heure actuelle, nous sommes dans une situation de cohabitation. On ne peut pas dire que le Président de la République, François Mitterrand, gêne le Gouvernement mais on ne peut pas dire non plus qu'il l'aide énormément, c'est normal, c'est comme ça ! Il est bien évident qu'un nouveau Président mettra sa marque sur les choses, quel qu'il soit.

M. Levaï : Quand Jérôme Jaffré dit qu'il y a trois candidats sérieux, Édouard Balladur, Jacques Delors et Jacques Chirac, quel est votre sentiment ? Vous qui disiez, l'autre jour, que vous aviez votre petit matelas, comme Raymond Barre.

M. Pasqua : Je l'ai dit dans une certaine circonstance…

M. Levaï : … Mais c'est un petit matelas, un tout petit matelas.

M. Pasqua : Oui, oui… tout petit, on verra bien ! En tous les cas, on m'accorde une certaine audience dans l'opinion publique et sur l'électorat de la Majorité. Alors, au risque de vous déplaire, en tous les cas, cela ne vous surprendra, j'ai une première ambition, c'est que depuis 74 je milite pour que les idées gaullistes inspirent à nouveau la conduite de l'État et je dirais qu'à la limite le nom du titulaire de l'Élysée, pourvu qu'il soit inspiré par ces idées, n'est pas pour moi la préoccupation essentielle. Par contre, ma préoccupation essentielle, c'est que ce ne soit pas Delors. Nous faisons tout pour que monsieur Delors, s'il était candidat, ce qui n'est pas encore le cas, ne soit pas élu.

M. Levaï : Cela, nous l'avions un peu deviné…

M. Pasqua : … Oui mais je le confirme. Voilà une information vérifiée.

M. Levaï : Là, on vous attend et beaucoup d'auditeurs pensent que l'on va vous poser une question, vous avez parlé de morale tout à l'heure, on va être un peu petit plus précis, on va parler de la corruption. Quelle est cette maladie qui a atteint, semble-t-il, ces derniers temps un certain nombre de membres du Gouvernement? Eric Young va vous interroger très directement là-dessus.

M. Young : Monsieur le ministre de l'État, on a entendu beaucoup de vos collègues, de vos confrères, beaucoup d'hommes politiques s'exprimer sur ce foisonnement d'affaires, les unes après les autres, et sans les personnaliser. Mais on ne vous a pas entendu parler beaucoup ni réagir sur ce qui passait dans la polémique d'un ministre du Gouvernement, monsieur Longuet. Que pense le ministre de l'Intérieur sur une telle affaire ?

M. Pasqua : Je pense un certain nombre de choses claires et je pense que la majorité des Français pensent ou la quasi-totalité, premièrement, c'est que naturellement si un ministre est mis en examen dans une affaire, bien que la mise en examen ne soit pas…

M. Young : … Cela ne veut pas dire qu'il soit coupable.

M. Pasqua : Voilà ! Mais à partir du moment où il est mis en examen, il est bien évident qu'il ne peut pas rester au Gouvernement. Ceci est un premier élément, je crois que là-dessus tel est le sentiment du Premier ministre, il n'a jamais varié, je note au passage, d'ailleurs, que Gérard Longuet l'a dit lui-même. Dans une première étape parce qu'il était énervé, ému, etc. il avait dit : « Non, non, je ne partirai pas quoi qu'il arrive », puis il a rectifié de lui-même et je crois qu'il a bien fait.

Le fait d'être ministre ne doit conférer aucun privilège et par conséquent il faut que la Justice suive son cours. Le fait d'être ministre ne doit pas non plus être une circonstance aggravante qui empêche les gens de se défendre.

Que peut-on regretter ? On peut regretter deux choses dans ce pays. Je ne parle pas de l'affaire Longuet, je parle d'une manière générale des problèmes liés à la corruption. Qu'est-ce que la corruption ? C'est la priorité donnée par un certain nombre de gens à l'argent, l'argent qui est devenu la valeur roi et, en quelque sorte, l'étalon de la réussite, ce qui va à l'encontre de tout ce qu'a été la République. La République, c'est l'honnêteté, la morale, la réussite personnelle basée sur l'effort, etc.

M. Levaï : Répétez cela.

M. Pasqua : Je le dis parce que je le crois très profondément. Je suis de ceux qui regrettent que tout cela ait été un peu perdu de vue, ceci est un premier élément.

Deuxième élément, à l'occasion des lois de décentralisation, nous sommes certainement allés un peu trop loin et je pense qu'il faut mettre les maires, notamment, à l'abri des pressions de leurs administrés et d'un certain nombre de tentations. C'est une nécessité, je l'ai proposée dans la loi sur l'aménagement du territoire. Cela n'a pas été retenu à l'Assemblée nationale…

M. Young : … Vous avez des difficultés sur ce projet de loi, monsieur le ministre ?

M. Pasqua : Non, je n'ai pas de difficultés. C'est un projet de loi, il est soumis à la discussion mais ai-je une tête à ne pas me battre ? Ai-je un tempérament qui m'amènerait à baisser les bras ? Sûrement pas. Par conséquent, au Sénat, je demanderai à nouveau à ce que les Préfets aient un pouvoir d'évocation sur les plans d'occupation des sols, sur les certificats d'urbanisme, etc. Ceci est le deuxième élément.

Troisième élément, il est profondément scandaleux que le secret de l'instruction soit bafoué en permanence et qu'on ait dans ce pays un procès devant l'opinion publique, un procès qui est conduit de telle manière que, avant même que l'affaire soit instruite réellement, vous êtes coupable. Parce que, naturellement, on commence par dire : « Vous êtes suspecté de ceci, vous avez fait ceci, vous avez fait cela, etc. », de deux choses l'une ou vous vous défendez et on dit : « Ah, il se défend, c'est qu'il y a quelque chose de vrai », ou vous ne vous défendez pas et on dit : « C'est donc qu'il est coupable », puis le jour où l'instruction est faite et le jour où le jugement intervient, avant même que le jugement intervienne, il se peut que l'instruction se termine par un non-lieu et que, par conséquent, vous soyez innocenté mais le procès a déjà eu lieu dans l'opinion publique et votre honneur en a pris, si j'ose dire, un vieux coup.

Je pense, parce que je connais ce genre de choses, aux familles. Chacun a une femme, des enfants, etc. et je crois qu'on n'a pas le droit de traîner dans la boue l'honneur des gens, quels qu'ils soient, et, moi, je ne me suis jamais associé à ce genre de choses. Quelle que soit l'étiquette politique des gens, je ne m'y suis jamais associé, je crois que la Justice, doit suivre son cours mais il faut aussi que les juges et tous ceux qui concourent à la Justice respectent le secret de l'instruction. J'espère qu'un jour, dans ce pays, on fera en sorte que ceux qui ne respectent pas le secret de l'instruction subissent les conséquences de leurs agissements.

Mme Martin : Monsieur Pasqua, vous restez avec nous pendant encore une demi-heure.

Journal.

Mme Martin : Ce matin, Charles Pasqua est notre invité, Ivan Levaï.

M. Levaï : Nous avons encore beaucoup de questions à vous poser, monsieur le ministre d'État, alors, si vous le permettez, nous allons aller vite.

Vous avez parlé tout à l'heure de morale, de corruption, etc. on ne va pas y insister mais tout de même votre collègue, monsieur Méhaignerie, Garde des Sceaux, dans un article au Monde disait, l'autre jour, que « à son avis, la corruption reculait actuellement en France ». On vous a entendu parler là, tout à l'heure, avant 8 h 30, partagez-vous ce sentiment ou croyez-vous, non, que c'est pire ces dernières années qu'autrefois ?

M. Pasqua : Non, je crois que la corruption est beaucoup moins répandue qu'on ne le dit, je partage donc assez l'avis de Pierre Méhaignerie. Il y a des phénomènes de corruption, il faut combattre cette espèce de travers ou ce mal dans notre Société mais je crois que, globalement, à la fois, le monde politique et l'administration française, etc. sont composés de gens honnêtes.

M. Levaï : Encore un tout petit mot avant de venir aux questions portant sur l'étranger avec Bernard Guetta, un petit mot de Pierre Le Marc, je ne sais pas si vous avez lu « Le cavalier seul » du Figaro aujourd'hui ?

M. Pasqua : Non.

M. Levaï : André Frossard dit que tout cet argent détourné depuis des années par les partis politiques, si on pouvait le rassembler et le chiffrer, on aurait des surprises parce que cela comblerait certains déficits. Quel est votre sentiment là-dessus ?

M. Pasqua : C'est une belle image mais je crois que cela ne correspond pas à la réalité. Quel est le problème auquel nous sommes confrontés ? Il est le suivant, il n'y a que deux systèmes :

Si l'on veut garantir absolument des règles normales de transparence, il faut que ce soit argent public et seulement l'argent public, c'est-à-dire l'argent de l'État qui permette aux partis politiques qui, d'après la Constitution, concourent à la libre expression des citoyens de fonctionner normalement. Les Français y sont-ils prêts ? Je ne le crois pas.

Il y a eu de grands progrès de faits, d'abord, la loi que le Gouvernement de Jacques Chirac avait présentée après la première affaire de corruption, ensuite, la loi de 1990 qui a combiné un peu les deux. Les partis politiques ont, d'une part, un financement qui est largement assuré par les fonds publics et, d'autre part, aussi bien les partis que les candidats peuvent avoir accès à des financements privés, soit de personnes morales, c'est défini par la loi, clarifié, etc. soit de personnes privées. Les choses sont désormais assez claires.

Quels sont les problèmes auxquels nous sommes confrontés ? Ce sont en quelque sorte les queues de l'ancien système, de celui d'avant 1990, mais je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui, en France, davantage de corruption qu'hier, je crois, au contraire, qu'elle recule. Je crois, en tous les cas, que ceux qui se laisseraient corrompre ou qui utiliseraient indûment des fonds qu'ils auraient également perçus d'une manière illégale n'ont aucune excuse et devraient être très sévèrement condamnés.

M. Le Marc : Il n'y a pas corps dans la Majorité sur ce point, sur le point du financement de la vie politique parce que je vois que Pierre Méhaignerie ne veut plus d'une politique financée par les entreprises, que Charles Millon, qui est le Président du Groupe UDF, et Pierre Mazeaud, qui est le Président de la Commission des lois RPR, proposent l'interdiction du financement de la vie politique et des élections par les entreprises. Ne faut-il pas convaincre les Français qu'il faut vraiment prendre cette mesure ?

M. Pasqua : Oui, mais je vous rends attentif à ceci : Il faut aussi permettre le libre exercice de la démocratie. Or, le système actuel, le système de financement actuel, à quoi arrive-t-il ? Il arrive à conforter les partis existants et à empêcher l'émergence de nouveaux courants parce que vous n'aurez de financements que le jour où vous serez important, courants de financements importants que le jour où vous aurez largement émergé et, pour émerger, il vous faut tout de même des moyens. Donc, c'est un peu la quadrature du cercle.

M. Le Marc : Ne faut-il pas prendre le problème par un autre point, c'est-à-dire la limitation plus grande des dépenses électorales ?

M. Pasqua : Ah oui, ça, certainement, mais j'ajouterai qu'il y a déjà eu des plafonds de fixés…

M. Le Marc : … Confortables.

M. Pasqua : Oui, ces plafonds me paraissent excessifs. Je crois que la vraie solution est là : il faut que les partis politiques aient la possibilité de conduire librement leur action, il faut aussi permettre l'émergence de nouveaux courants, autrement il n'y a plus de démocratie, c'est la permanence de ceux qui ont déjà installé et, troisièmement, il faut certainement obliger à la réduction des dépenses.

Je considère que pour faire une campagne présidentielle, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, avec les difficultés que connaissent beaucoup de Français, la perspective de voir un candidat consacrer jusqu'à 150 millions pour sa campagne, c'est tout à fait déraisonnable. On peut faire cela avec beaucoup moins d'argent, Dieu merci, surtout quand on est connu.

M. Le Marc : Et quand on est au Gouvernement, quand on est Premier ministre ?

M. Pasqua : Même en dehors de cela. Non, ne soyez pas taquin à ce point et irrespectueux envers le Premier ministre…

M. Le Marc : Pas du tout !

M. Pasqua : … Ce qui est votre droit d'ailleurs, c'est le charme de la démocratie, ça ! Entre nous soit dit, on explique que trois personnes peuvent légitimement, dit-on aujourd'hui, penser accéder à la Présidence de la République, Jacques Chirac, Édouard Balladur, Delors…

M. Levaï : … Tiens, pourquoi cet ordre-là ?

M. Pasqua : Non, je ne les mets pas dans l'ordre. Il faut avoir un esprit comme le vôtre pour essayer d'en tirer des conséquences immédiates.

Je veux dire par là, croyez-vous qu'ils ont besoin de faire une campagne importante pour être connus ? Évidemment, ils sont connus, tout le monde les connaît, donc ils peuvent réduire largement leurs dépenses.

M. Levaï : Charles Pasqua, hier, un des auditeurs de « Radio Com, c'est vous », sachant que vous alliez venir aujourd'hui, jetait cette bouteille à la mer sur une question grave, on va l'écouter quelques secondes et, ensuite, avec Bernard Guetta, on poursuivra cette interview.

Question : L'économiste qui a été assassiné avant-hier à Oran, c'est quelqu'un qui m'est très proche. Il aurait pu ne pas être assassiné, il s'est battu tout l'été pour avoir un visa, il devait être à Grenoble pour un stage, il a été invité par ses collègues pour quatre mois à Grenoble. Je voudrais parler de cela parce que, en ce moment, les chercheurs algériens sont pris entre deux feux. Les seuls moments où ils peuvent continuer à travailler, c'est quand ils viennent, comme ça, prendre des bouffées d'oxygène et en même temps continuer à entretenir un petit peu leur travail. Je ne comprends pas pourquoi les autorités françaises refusent systématiquement le visa aux intellectuels algériens ?

M. Pasqua : Je comprends très bien l'émotion de cet auditeur mais je pense qu'il ne peut pas dire que nous refusons systématiquement les visas. Chaque fois que nous sommes saisis d'un cas de ce type, nous nous montrons au contraire très compréhensifs. En l'espace d'un peu plus d'un un an, en un an et demi, ce sont 10 000 Algériens qui ont bénéficié de ces mesures alors que chacun le sait, dans le même temps, nous essayons de contrôler très strictement l'immigration. Nous nous montrons aussi compréhensifs que possible.

J'ajouterai que si, en France, – on peut d'ailleurs s'étonner du manque de réaction de l'opinion publique, manque de réaction de l'opinion publique qui est largement imputable aux partis, qu'ils soient de Droite ou de Gauche –, ce qui se passe en Algérie c'est l'assassinat de la Culture et des intellectuels, c'est une chape de plomb qui se prépare pour ce pays. Que font les démocrates, ici, et tous ceux qui ont toujours à la bouche la défense des Droits de l'Homme, etc. ? Qu'attendent-ils pour se mobiliser ? Je sais bien que ce n'est pas à nous de résoudre le problème des Algériens mais nous sommes capables, nous l'avons montré dans d'autres occasions, si nous suscitions une très grande vague d'indignation dans le Monde contre cela, je pense que les assassins, en tous les cas, ceux qui les inspirent, changeraient de politique mais tout se passe comme si tout le monde s'en moquait. Voilà la réalité.

M. Guetta : Monsieur le ministre, est-ce que le meilleur moyen de susciter cette vague d'indignation dans l'opinion et dans le Monde ne serait pas de dire que la France est solidaire de ces hommes de culture ou de ces démocrates tout simplement qu'on assassine systématiquement en Algérie et qu'elle les accueille généreusement et largement comme nous l'avions fait avant la deuxième guerre mondiale devant les vagues de réfugiés arrivant de l'Italie fasciste ou de l'Allemagne nazie ? Je m'adresse aussi au résistant, là.

M. Pasqua : Oui, oui, j'ai bien compris.

Monsieur Guetta, je ne crois pas que ce soit au Gouvernement de prendre cette initiative parce qu'il sera immédiatement…

M. Guetta : … D'ouvrir le territoire aussi.

M. Pasqua : Vous avez posé plusieurs questions, permettez-moi de vous répondre. Je crois que ce n'est pas au Gouvernement de prendre ce type d'initiative parce qu'il sera immédiatement accusé de s'immiscer dans les affaires intérieures de l'Algérie et les Algériens, eux-mêmes, ne le souhaitent pas. Ceci est un premier point.

Deuxièmement, la solution ne consiste pas, ou alors ça veut dire, monsieur Guetta, que vous considérez comme inévitable l'arrivée en Algérie d'un Pouvoir totalitaire, moi, je ne considère pas que ce soit inévitable. Je crois qu'il faut se battre avant pour que cela n'arrive pas. Si, avant la guerre, on s'était battu, dès les premiers jours du fascisme ou du nazisme, et si on avait mis ces systèmes à l'index, on aurait évité beaucoup de drames.

D'autre part, l'intérêt de l'Algérie, prise en tant que telle, est-il que toutes ces élites désertent ? C'est ce que recherchent, à l'heure actuelle, les responsables de cette politique d'assassinat. Donc, si quelqu'un est menacé, s'il n'y a pas d'autres moyens pour lui que de trouver asile à l'étranger, la France ne fermera pas sa frontière.

M. Guetta : Oui, mais nous avons fermé nos consulats en Algérie, en revanche ?

M. Pasqua : Ça, c'est un autre problème. Nous avons fermé les consulats parce que nous n'avons pas les moyens, le Gouvernement algérien non plus, d'assurer la protection de nos propres fonctionnaires, cela n'empêche pas d'instruire les dossiers.

Monsieur Guetta, vous devez savoir aussi bien que moi que si quelqu'un est persécuté et s'il se présente à nos frontières, nous sommes capables de prendre des décisions immédiates et nous le faisons.

M. Levaï : Est-ce vrai ou est-ce faux, avez-vous un plan d'accueil ? Un plan d'accueil est-il déjà mis en place déjà, au moins sur les villes du sud, les villes côtières ?

M. Pasqua : Non, il n'y a pas de plan d'accueil. Nous réfléchissons au niveau de l'Union européenne parce que s'il devait y avoir une vague d'immigration extrêmement importante, la France serait hors d'état d'accueillir plusieurs centaines de milliers de personnes. Le problème se pose au niveau de l'Union européenne, des Douze et il se pose particulièrement au niveau des trois pays du sud qui sont la France, l'Italie et l'Espagne, donc nous réfléchissons à ces problèmes, bien entendu. Mais il n'y a pas de plan au sens où un journal qui a choisi une nouvelle formule, avec beaucoup de pages…

M. Levaï : … Libération.

M. Pasqua : C'est vous qui l'avez dit, ce n'est pas moi. Moi, je ne fais pas de publicité clandestine.

M. Levaï : Non, mais il faut faire de l'information, c'est Libération.

Autant donner les chiffres, 4 millions de Musulmans en France, 1 million d'Algériens et puis des gens que vous n'avez pas cités mais qui vous regardent aussi et dont on peut considérer qu'ils vous paralysent un tout petit peu, monsieur de Villiers et monsieur Le Pen, pour ne citer que ceux-là ?

M. Pasqua : Rien ne me paralyse, ni personne. Quand j'ai décidé de faire quelque chose, je le fais, je ne prends pas comme référence ce que peuvent dire les uns et les autres. Demain, j'irai inaugurer la Mosquée de Lyon parce que je suis en même temps ministre chargé des relations avec les cultes et, à cette occasion, j'en profiterai pour rappeler un certain nombre de choses.

D'abord, le fait que la France est un État laïc, qu'elle ne reconnaît aucune religion mais qu'elle les connaît toutes, qu'elle a le devoir d'assurer le libre exercice du culte et que le libre exercice du culte, cela veut dire aussi que nous devons empêcher toutes les pressions et toutes les actions qui sont conduites pour obliger les gens à aller dans une certaine direction.

M. Le Marc : Un comité de soutien s'est créé à Goussainville, au Lycée Romain Rolland, pour faire admettre les quatre élèves portant le foulard et qui ont été interdites d'établissement, ils manifestent ce matin à Sarcelles. Craignez-vous un mouvement dans les lycées ou pensez-vous que ce soit simplement un épiphénomène ?

M. Pasqua : Il y a toujours, quand on est jeune, un sentiment de sympathie, on est toujours prêt à se solidariser avec les autres. Sur cette affaire du voile islamique, la France, la République ne doit pas reculer. Tout ce qui peut constituer une marque de prosélytisme ne doit pas être acceptée au sein de l'école publique. Voilà, c'est clair.

M. Levaï : Êtes-vous aussi laïc et républicain que votre conseiller, Jean-Claude Barrault, dont j'ai le livre, « Quelle morale aujourd'hui ? » et qui dit ceci : « La laïcité, seule, permet de distinguer la citoyenneté de l'appartenance religieuse ; la laïcité, seule, fonde la cité en tant qu'espace politique autonome » ?

M. Pasqua : Oui, je suis tout à fait d'accord avec cette analyse. La laïcité est une des valeurs essentielles de la République.

M. Young : Parmi les facteurs d'insécurité, de délinquance et de criminalité, monsieur le ministre d'État, il y a un phénomène croissant, un phénomène croissant en France quand on regarde les chiffres et les chiffres donnés par la Police nationale sur la drogue. Pensez-vous aujourd'hui que les efforts qui sont faits par la Police, on parle des opérations coup de poing, ce n'est pas comme cela que vous les appelez, c'était un de vos prédécesseurs, mais disons d'une présence policière dans Paris active, on a parlé, ce matin, dans le journal de Gérard Courchelles, de l'opération qui a eu lieu dans le XIXe arrondissement par la Préfecture de Police, mais pensez-vous que ces moyens policiers suffisent pour lutter contre un phénomène qui est aussi économique et beaucoup plus intérieur dans tous les réseaux économiques que simplement le fait du dealer du coin de la place Stalingrad ?

M. Pasqua : En réalité, la Police conduit plusieurs actions et un certain nombre de ces actions peuvent concourir à la lutte contre la drogue mais ce n'est pas leur objet essentiel. Il y a d'abord tout le travail préliminaire, le travail de recherche, le travail de pénétration des milieux de la drogue et ces opérations-là conduisent au démantèlement de réseaux importants. On l'a vu il y a quelques mois, je me suis d'ailleurs, moi-même, rendu auprès des membres de la Police judiciaire pour les féliciter parce qu'ils avaient fait une excellente action et quelques-uns de ces fonctionnaires ont fait cela au péril de leur vie.

Nous venons de faire deux très belles opérations, il y a quelques jours, cinq kilos de cocaïne, d'une part, cinq cents kilos de haschisch, d'autre part. Souvent, d'ailleurs, la France est davantage un lieu de transit pour les trafiquants parce qu'ils savent que la Police française, la Douane aussi d'ailleurs, la Gendarmerie sont très vigilantes et qu'elles font bien leur métier, ceci est une constatation.

M. Levaï : Reste les petits dealers et dans les banlieues.

M. Pasqua : Il n'y aurait pas de petits dealers s'il n'y avait pas de fournisseurs, ceci est l'histoire de l'œuf de la poule.

Je crois que, en réalité, il y a un certain nombre de choses : D'abord, il y a, à l'heure actuelle, le renforcement de la coopération internationale dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants.

M. Young : Elle existe vraiment, monsieur le ministre ?

M. Pasqua : Ah oui, tout à fait ! Si cela vous intéresse, venez donc un jour passer 24 heures comme cela vous verrez clair.

M. Young : Volontiers.

M. Pasqua : Il y a l'échange d'officiers de liaison, il y a l'implantation d'antennes de nos Services dans certains pays, je prends un exemple, un pays qui est gros producteur de cocaïne qui est la Colombie, nous avons notre propre antenne, il y a une coopération très active et un échange d'informations rapide, c'est ce qui permet de détecter et d'arrêter un certain nombre de gens.

Il y a ensuite, naturellement, tout le trafic de rue…

M. Young : … Celui qui touche les citoyens.

M. Pasqua : Pendant longtemps l'action de la Police consistait à dire : « Il faut remonter les filières ». On les connaît les dealers, les petits dealers, on les suit, on regarde à qui ils achètent, puis on essaie de remonter jusqu'aux gros bonnets. Maintenant, nous sommes décidés à intervenir tout de suite et nous le faisons. Ce qui serait d'ailleurs souhaitable, cela fera probablement hurler un certain nombre de belles âmes, mais lorsque nous savons que des gens se livrent au trafic de stupéfiants et qu'ils sont étrangers, je préférerais qu'on les expulse tout de suite plutôt que de les garder sur notre territoire parce qu'ils constituent réellement une menace pour la santé publique et pour la sécurité intérieure du pays. Je crois qu'il faut le faire.

Puis il y a tout le travail de présence policière. Alors, là, il y a deux choses qu'il ne faut pas confondre J'ai indiqué, il y a quelques semaines, que, avant la fin de cette année, je mettrais 2 000 policiers supplémentaires dans les quartiers difficiles et dans les banlieues à risque où les lois de la République ne sont pas toujours respectées, je vais les mettre. Ils sont en train d'être mis, d'une part, en prélevant sur des effectifs qui se consacraient à d'autres tâches et, d'autre part, en utilisant davantage les compagnies mobiles à des tâches de sécurisation.

En clair, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que, à l'heure actuelle, 18 compagnies de CRS, c'est-à-dire la moitié des effectifs, sont affectées sur le terrain, dans des opérations d'îlotage car c'est d'abord ainsi qu'il faut commencer.

M. Levaï : Et Simone Veil mettra des médecins et des assistantes sociales ?

M. Pasqua : Oui, exactement, mais cela se fait.

L'autre phase concerne les opérations de sécurisation, ce ne sont pas des opérations coup de poing, cela consiste à dire : « On s'intéresse plus particulièrement à un quartier, on met les forces nécessaires et on contrôle tout le monde ». On l'a déjà fait, on l'a fait à Paris à plusieurs reprises, on l'a fait dans toutes les grandes villes et on va continuer.

J'ai dit une fois un peu en forme de boutade, en tous les cas, c'était une image : « Si on ne va pas à la pêche, on ne prend pas de poissons », eh bien, ce genre d'action complète les autres actions mais, de toutes façons, la lutte contre le trafic des stupéfiants supposerait bien d'autres moyens. D'abord, la neutralisation des lieux de production, alors, là, cela suppose la mobilisation de moyens importants pour changer les types de cultures, cela coûterait certainement beaucoup moins cher à la collectivité internationale. Ensuite, la mise hors la loi au niveau de l'ONU, il y a bien des criminels de guerre, etc. une législation spéciale qui permettrait de poursuivre partout où ils se trouvent ceux qui sont compromis dans les affaires de trafic de stupéfiants.

M. Levaï : En 15 secondes, vous nous ôtez d'un doute, vous n'avez pas des dealers indicateurs, parce que cela se dit aussi ?

M. Pasqua : Oui, il y en a naturellement, il n'y a pas de Police sans indicateurs. Il y en a très peu dans la presse. Il faut bien que je vous taquine un peu.

M. Levaï : Oui. C'était la transition pour qu'on évoque les rumeurs. Vous êtes ministre de l'Intérieur évidemment, les rumeurs, ça ne vous concerne pas mais vous les recevez, si je puis dire, en balle, vous les notez aussi, vous les enregistrez. Or, il se trouve qu'il y en a beaucoup sur la santé du Président de la République.

Le ministre de l'Intérieur qui le voit, chaque mercredi au fond, au Conseil des ministres et qui est aussi l'homme qui pense, vous nous l'avez démontré ce matin, qui pense beaucoup à l'élection présidentielle, que pouvez-vous dire aujourd'hui de la situation extraordinaire que nous sommes tous en train de vivre ?

M. Pasqua : Je voudrais dire d'abord que ces rumeurs sont quelque chose d'extrêmement choquant, je trouve cela scandaleux. Dieu sait que je ne suis pas toujours d'accord avec le Président de la République, je l'ai exprimé il y a peu de temps, sur le fond, sur des problèmes de fond, mais je considère que le Président de la République est un homme courageux, personne ne peut le contester, je pense aussi qu'il a une haute idée de sa fonction et que, par conséquent, le jour où il estimerait qu'il n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions, il en tirerait les conséquences. Que, entre-temps, chaque jour qui passe, il y ait ces spéculations, « il va démissionner demain », « il ne peut plus faire ceci, il ne faut plus faire cela », je trouve cela scandaleux.

D'autre part, je vois le Président, je le vois au Conseil des ministres et je trouve qu'il est parfaitement à même, à l'heure où je vous parle, d'exercer ses fonctions. Si, demain, il considère qu'il ne le peut plus, il le dira lui-même, mais je trouve cela assez choquant.

M. Le Marc : Il s'est montré un peu ironique hier, en Conseil des ministres, à l'égard du Gouvernement, en reprochant le programme un peu maigre des Conseils ?

M. Pasqua : C'est vrai, mais il a ajouté lui-même que cela ne durerait pas puisque la session parlementaire arrive.

M. Le Marc : A-t-il réagi à votre article réquisitoire publié dans Le Monde, vous l'accusiez en quelque sorte de révisionnisme en matière d'Histoire ?

M. Pasqua : Il ne faut pas confondre les choses, il y a le Président de la République, son passé, moi, j'ai dit que je n'avais rien à dire sur ce point et sur ce terrain, par contre, il y a la tentation, dans ce pays, de réviser. Je crois que cela est un danger considérable pour la démocratie et pour la République.

M. Le Marc : Ce n'est pas la sienne ?

M. Pasqua : Non, je ne crois pas que ce soit son intention, en tous les cas. Mais ce qu'il a dit peut dans une certaine mesure conduire à cela et c'est pour cela que j'ai réagi parce que laisser penser que la France était composée uniquement de gens qui courbaient l'échine et qui collaboraient avec les Allemands, c'est une contre-vérité énorme. Je rappelle simplement, d'autres l'ont dit avant moi, mieux que moi, Pierre Messmer notamment, que, dès juillet 40, un certain nombre de Français se battaient dans le ciel de Londres, au sein de la RAF, contre les Allemands et que, au début de l'année 1941, il y avait déjà 25 000 soldats français sous les armes et avec la croix de Lorraine sur l'épaule qui combattaient. À la fin de l'année 1940, il y avait déjà un certain nombre de gens qui avaient donné leur vie, alors il faut remettre les choses à leur place.

M. Levaï : Vous avez fait une confidence, hier soir, à Annette Ardisson, vous lui avez dit… allez, révélons tout, disons-le ici… que vous rêviez d'un grand et vrai Parti républicain en France. Je croyais qu'il y en avait un ?

M. Pasqua : Oui, mais cela correspond à une analyse politique de fond. Je veux dire que, en réalité, il devrait y avoir en France deux grands partis : le Parti républicain et le Parti démocrate et que ceux qui rassembleraient les sympathisants ou ceux qui se réclameraient de ces idées transcendent très largement les courants politiques actuels. Voilà mon sentiment.

M. Levaï : Merci.