Déclaration de M. Dominique Baudis, président excécutif du CDS et tête de la liste RPR UDF pour les élections européennes de 1994, sur l'action de l'Europe en matière de commerce international et de sécurité européenne, Rouen le 23 avril 1994.

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Circonstance : Congrès du CDS à Rouen du 22 au 24 avril 1994

Texte intégral

Mes Chers Amis, 

Permettez-moi tout d'abord d'exprimer un sentiment que beaucoup d'entre vous partagent peut-être. 

La vraie fidélité à celui auquel nous pensons tous exige de nous que nous placions notre congrès de Rouen sous le signe de la vie. 

C'est ainsi que nous effacerons le souvenir de ce jour sinistre de février de l'an dernier lorsque nous nous retrouvions, autour de la cathédrale de Rouen, sous un ciel bas, et une pluie glacée. 

C'est ainsi que nous retrouverons vivante et ardente la flamme qui éclairait la vie et les combats de Jean. 

C'est ainsi que nous nous montrerons dignes de ce qu'il attendait de nous. 

Que nous ferons vivre la famille politique dont il fut le Père. 

Non pas dans un esprit de clan. 

Mais pour faire fructifier les valeurs, le Patrimoine, le plus bel héritage que l'on puisse léguer : Celui des convictions spirituelles, morales et politiques qu'il a si fortement exprimées tout au long d'une vie de combat. 

Le lieu de notre Congrès nous y invite, autant que les circonstances dans lesquelles nous nous rassemblons. 

Car s'il est une conviction qui a toujours guidé sa démarche et notre démarche, c'est bien le projet de construction d'une Europe Démocratique. 

Et le 12 juin prochain, en France, et dans les autres pays de l'Union européenne, 260 millions de citoyens seront appelés à élire leurs Députés. 

Le temps fort. Le seul temps fort – de l'expression de la citoyenneté européenne.

Et je voudrais rendre hommage à l'homme qui a su convaincre et entrainer ses collègues chefs d'État européens pour la mise en œuvre de cette réforme – révolutionnaire à l'époque – c'était il y a 20 ans. 

Cette réforme, c'était l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct. 

Le Père de cette réforme, c'était Valéry Giscard d'Estaing. 

Ce jour-là, l'Europe qui avait un peu plus de 20 ans, accédait à sa majorité civique. 

Un changement de nature de la Communauté européenne dont les habitants devenaient, enfin, des citoyens. 

Mais peut-on pour autant considérer que la vie publique européenne est une démocratie exemplaire ? 

Certainement pas. 

Et si nous le pensions, ce que nous en disent nos compatriotes devrait suffire à nous détromper. 

Que nous disent-ils ? 

Ils nous disent que l'Europe a tort de s'occuper de ce qui ne la regarde pas. 

Qu'elle exerce un pouvoir excessif dans des domaines où l'on n'a pas besoin d'elle. 

Ils ont raison. 

Aujourd'hui, à Toulouse, des milliers de personnes sont rassemblées pour dire que Bruxelles n'a pas à s'occuper des dates d'ouverture ou de fermeture de la chasse. 

Si je n'avais pas été à Rouen, j'aurais sans doute été avec eux. Parce qu'ils ont raison. 

J'ai une trop haute idée de l'Europe pour accepter de la voir gaspiller son énergie dans des réglementations, des interdictions, des obligations de toutes sortes. Alors que chaque pays, chaque région, pourrait décider mieux, et plus vite. 

J'entends déjà les commentaires. On va sans doute me reprocher de tenir un discours en fonction des attentes de l'opinion. 

Ce serait oublier que notre doctrine européenne a toujours été fondée sur le principe de subsidiarité. 

Mais de grâce, n'utilisons pas ce terme durant la campagne. Il faut un bon quart d'heure pour en expliquer la signification. 

Je préfère parler d'une Europe décentralisée, où chaque question est traitée au plus près. 

Il ne faut plus que l'Europe se disperse là où l'on n'a pas besoin d'elle. 

Il faut en revanche que l'Europe concentre toutes ses énergies là où sa présence est une nécessité absolue. Là, où nous avons vraiment besoin d'elle : sur le terrain de l'emploi ; et au service de la paix. 

L'Europe peut créer des emplois, elle en a d'ailleurs déjà créé des millions. 

J'en ai la démonstration sous mes yeux tous les jours à Toulouse, la ville d'Airbus, avec la formidable réussite de l'Aéronautique européenne. Des Britanniques, des Allemands, des Espagnols et des Italiens travaillent ensemble depuis plus de 25 ans pour inventer, fabriquer et vendre les meilleurs avions du monde. 

400 000 emplois en France. 

2 millions d'emplois en Europe. 

Un tiers du marché mondial. 

Et il y a tant d'autres domaines où l'Europe a créé ou peut créer des emplois. 

Mais il faut aussi que l'Europe sache les défendre et les protéger. 

C'est vrai pour l'Aéronautique, dont je viens de parler. Les Américains se livrent à une attaque violente. 

Nous allons avoir dix mois de négociations très dures. Nous ne résisterons, que si nous faisons bloc tous ensemble. 

Comme nous avons su le faire dans la dernière ligne droite de la négociation du GATT. 

Grâce au gouvernement français, les Européens ont fait bloc. Édouard Balladur, Alain Juppé, Gérard Longuet ont su réveiller la solidarité européenne et obtenir ainsi un résultat équitable malgré les pressions américaines ou japonaises. 

Nous sommes entrés, qu'on le veuille ou non, dans une économie mondialisée. Désormais, les marchandises font le tour du monde en quelques jours, les hommes d'affaire en quelques heures, les informations et les capitaux en quelques secondes. 

Nous devons dès lors choisir entre trois attitudes : l'ouverture aux quatre vents, la fermeture hermétique ou la régulation garantie. 

L'ouverture aux quatre vents de la concurrence mondiale. Ce serait à terme la disparition de pans entiers de notre économie avec toutes les conséquences sociales que l'on imagine. 

La fermeture hermétique de l'Europe au commerce mondial ? Ce serait pire encore économiquement et socialement. L'Europe est la première puissance commerciale du monde. L'enfermement conduirait très vite à l'asphyxie. 

Ni ouverture irresponsable, ni fermeture suicidaire. Nous choisissons la régulation garantie, c'est-à-dire un commerce organisé dans le cadre de règles claires proscrivant les pratiques de dumping qui prennent des formes multiples, et je pense plus particulièrement aux pratiques de dumping social humainement intolérables. 

La naissance de l'OMC est sans doute l'une des grandes victoires de l'Europe qui, au bénéfice de chacune des Nations qui la composent, peut être un multiplicateur de puissance. 

L'Europe au service de la paix. 

Le drame de la Bosnie est là chaque jour pour rappeler que de la terre européenne peut sortir le pire lorsqu'elle est divisée contre elle-même. 

Pour nous alerter sur les risques de propagation par la combinaison des nationalismes, des bellicismes, des populismes. 

Pour nous enseigner que le monde des années 90 est peut-être plus dangereux encore que celui d'avant la chute du mur. Plus dangereux, parce que plus imprévisible. 

Les "Karadjics", "Jirinovskis" et les guerres civiles se multiplieront si nous ne sommes pas capables de nous doter d'une politique étrangère commune, d'une politique de sécurité commune. 

Chez nous, dans l'escalade des démagogies de toute sorte à laquelle nous assistons, j'entends dire que les difficultés pour rétablir la paix en Bosnie, prouvent bien que l'Europe doit être jetée dans les poubelles de l'histoire. 

À cette absurdité, répondons par une seule question de bon sens adressée à nos compatriotes : le drame bosniaque est-il dû à un excès d'Europe ou à une insuffisance d’Europe ? 

Poser la question, c'est y répondre, et prendre conscience que nous sommes engagés dans une course de vitesse entre l'édification d'un pôle de stabilité et la montée des périls qui menacent les peuples de l'ancien Empire aujourd'hui éclaté ainsi que l'avait prévu avec une fulgurante lucidité Hélène Carrère d'Encausse. 

Montée des périls qui nous menace aussi car il serait illusoire d'imaginer que nous pourrons durablement vivre en paix et en sécurité si nous sommes cernés par la guerre et par la haine. 

Le drame bosniaque ne doit pas seulement heurter nos consciences morales. Il doit aussi réveiller nos consciences politiques. 

La gravité et l'urgence des enjeux nous interdit évidemment d'aborder cette élection dans un esprit partisan et strictement franco-français. 

Nous devions nous efforcer – et nous y sommes parvenus – de bâtir un projet européen pour les cinq ans qui viennent. 

Sous l'autorité de Valéry Giscard d'Estaing et de Jacques Chirac, UDF et RPR ont préparé ce projet pour la défense des intérêts de l'Europe dans le Monde, et pour la défense des intérêts de la France en Europe. 

La défense des intérêts de la France en Europe : il va de soi qu'ils seront mieux défendus par des Députés travaillant en étroite collaboration avec le gouvernement et la majorité parlementaire. À cet égard, j'approuve totalement la démarche de René Monory. Le Président du Sénat ainsi que le Président de l'Assemblée nationale demandent à juste titre une association plus étroite des Assemblées parlementaires françaises aux travaux du Parlement européen. 

Dans l'intérêt de tous. Dans l'intérêt des Français. Celui du gouvernement. Celui des formations de la Majorité, notre liste d'Union doit être activement soutenue afin que nous arrivions en tête et le plus largement possible face à la liste socialiste. 

Michel Rocard, patron du parti Socialiste, souhaite une Europe socialiste. Une Europe de la réglementation et du contrôle. Une Europe où tout ce qui n'est pas interdit est obligatoire et vice et versa.