Texte intégral
Le candidat socialiste pour la présidentielle de 95 : (Rocard ?) Ce n'est jamais fichu, mais enfin aujourd'hui ce n'est pas le plus probable. Donc tout le monde fait appel à Jacques Delors ; je ne suis pas convaincu que la nouvelle direction soit exactement la tasse de thé de Jacques Delors (…) Personne ne me semble aujourd'hui en position claire : ni Lionel Jospin, ni Laurent Fabius, ni le nouveau 1er secrétaire Henri Emmanuelli. Pourquoi pas Martine Aubry ? Ça aurait de la gueule ! (…) Ça sera intéressant en effet de faire appel à quelqu'un d'un peu neuf, et soit il me semble que Martine Aubry serait très bien dans le rôle.
La situation du PS : Michel Rocard a été battu sur les idées de rénovation, d'ouverture. Moi je ne renonce pas à cette rénovation et je crois que si ça devait traduire un retour à un discours d'avant 81, ça ne serait pas vouloir mettre la barre à gauche toute, ça serait simplement vouloir mettre la barre en arrière ! (…) Henri Emmanuelli est un homme extrêmement respectable, mais je crois qu'on ne peut pas limiter le discours à ce que j'ai trop entendu jusqu'à maintenant, à savoir un discours un peu incantatoire.
François Mitterrand a-t-il joué un rôle dans la chute de Rocard ? Je crois qu'il ne se passe rien à gauche qui, d'une manière ou d'une autre, n'ait été fortement influencé par le Président de la République (…) Des liens d'affection entre François Mitterrand et Michel Rocard sont connus depuis longtemps : donc c'est clair !
L'intervention française au Rwanda : je pense qu'il faut être favorable à cette intervention tant qu'elle apparaît, qu'elle demeure, qu'elle est effectivement ce qu'elle s'annonce, c'est-à-dire humanitaire. Le problème se posera à l'arrivée de savoir si le rôle qui est joué est bien uniquement humanitaire.
Q. : Êtes-vous favorable à l'opération Turquoise ?
R. : Comment ne pas être favorable à une intervention dont l'objectif est humanitaire ? Sur le principe, évidemment, le drame du Rwanda est un des plus graves que l'on est connu et dans une certaine mesure, notre attention a été beaucoup fixée sur la Bosnie ; cela nous a un peu caché l'horizon un peu plus lointain qu'est l'horizon africain.
Opération militaire, très bien ! Elle pose quand même deux questions : comment ensuite on peut s'arrêter ? Est-ce qu'on peut limiter dans le temps la volonté d'aider les autres ? La seconde question, c'est que chacun a entendu dire qu'ils ne souhaitaient pas cette aide.
C'est très compliqué de venir en aide à une partie de la population qui subit un massacre terrible alors que cette fraction elle-même dit ne pas le vouloir.
Q. : La présence de la France n'a-t-elle pas pour effet, même involontaire, d'empêcher la victoire de la partie tutsie ?
R. : C'est un des arguments employés par les tutsis. Je comprends que pour les tutsis, s'ils sont dans la situation que le FPR rapporte, je comprends qu'ils puissent pense que c'est un moyen de leur voler leur victoire. Encore une fois, je pense qu'il faut être favorable à cette opération tant qu'elle apparaît, qu'elle demeure, qu'elle est effectivement ce qu'elle s'annonce, c'est-à-dire humanitaire. Le problème se posera à l'arrivée de savoir si le rôle qui est houé est bien uniquement humanitaire.
Q. : Comment jugez-vous la tiédeur des partenaires européens de la France ?
R. : Le problème, c'est que cette tiédeur, vous savez, on la trouve partout. On la trouvait aussi en Bosnie. La France a été au premier rang en termes d'hommes, d'initiatives et l'est toujours pour ce qui concerne la Bosnie. Là encore on a vu combien nos partenaires européens étaient réticents.
En plus, la France a longtemps été considérée par les Européens comme, non pas le domaine réservé de la France, mais comme une zone dans laquelle elle avait exercé et exerçait encore une grande influence. Ils ont un peu tendance à nous dire que ce sont nos affaires et que nous devons nous débrouiller. Je ne crois pas d'ailleurs que ce soit une bonne chose que les problèmes africains, qui sont des problèmes graves, soient considérés comme des problèmes que la France doit régler seule.
Je crois que nous avons beaucoup de mal, pas seulement nous les Français, à sortir de la période coloniale, c'est vrai des Anglais et d'une autre manière des Américains. Tous les pays tiennent à conserver une zone d'influence et à rester des gendarmes de telle ou telle zone. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose. Je ne suis pas favorable à ce qu'une sorte de Yalta implicite fasse que la France s'occupe de telle partie de l'Afrique, les États-Unis de telle partie de l'Amérique latine, etc… Et qu'on donne ainsi aux grandes puissances un rôle de tuteur vis-à-vis des pays qui ont le droit de s'émanciper et de vivre sans cette sorte de protection, sauf si elle est collective et là on revient à l'ONU.
Q. : Mais le Yalta dont vous parlez n'a-t-il pas été ratifié par la gauche au pouvoir ?
R. : Oh si ! Ça, ce n'est pas le problème. Je veux dire que le problème du Rwanda dépasse largement la question de la gauche. Oui, la politique traditionnelle de la France en matière de politique étrangère, et en particulier en matière de politique africaine, elle a été ratifiée par la gauche quand elle a pris le pouvoir. Ce que je dis s'adresse à la politique de la France en général : il me semble que nous avons des devoirs parce que nous sommes un des pays les plus riches du monde, un des pays les mieux armés. Nous avons des devoirs lorsque des situations comme celle-ci se présentent, c'était pareil en Bosnie. Il faut faire quelque chose avec les autres. Pour autant, je ne suis pas certain que le fait que la France ait une sorte de zone réservée soit une bonne chose. En plus, comme cette zone réservée est contestée par les autres, par exemple les Américains, ça entraîne des conflits entre grandes puissances sur le dos des populations et certainement pas dans leur intérêt.
Q. : Vous avez dit qu'on ne tuait plus physiquement en politique, mais qu'on tuait politiquement…
R. : Oui. La politique devrait être le débat des idées entre deux camps, pour aller vite la gauche et la droite. Et, à l'intérieur de chaque camp, puisqu'il y a des idées différentes. C'est bien, c'est l'essence même de la démocratie. Le problème, c'est qu'une dérive qui peut être inévitable, moi je crois qu'elle n'est pas inévitable, mais certains la prétendent inévitable, une dérive conduit à ce qu'on ne se batte pas uniquement sur les idées, mais que des jeux d'appareils, de retournements de palais, etc. construisent des majorités et des minorités. C'est vrai me semble-t-il au RPR et à l'UDF comme au PS. Ça je crois que c'est très mauvais. C'est très mauvais parce que les hommes consacrent à çà beaucoup de temps, au lieu de réfléchir à l'avenir du pays. Et en plus, ça donne de la politique l'image détestable qu'en ont les français aujourd'hui et qui marque un recul de la démocratie, avec les conséquences que ça peut avoir sur la montée de fonctions plus tribuniciennes, comme Bernard Tapie d'un côté, ou Philippe de Villiers de l'autre.
Q. : Le dernier épisode socialiste semble bien être la mort politique de Michel Rocard…
R. : La grande différence entre la mort politique et la mort physique, heureusement, c'est que la mort politique, selon la formule consacrée, n'est jamais assurée…
Q. : Vous, vous n'avez pas "voté la mort" de Michel Rocard ?
R. : Non. Moi, j'ai voté pour les propositions de Michel Rocard, parce que j'ai participé à l'arrivée de Michel Rocard à la direction du Parti socialiste bien que je ne sois pas un de ses amis politiques. J'ai pensé que c'était l'homme qui convenait puisque Laurent Fabius l'avait intrôné candidat naturel. Puisqu'il était candidat, autant qu'il soit Premier secrétaire du Parti, pour qu'il n'y ait pas de confusion ; donc, quand on a participé à mettre quelqu'un en place et qu'ensuite on a travaillé avec lui, c'est indigne, je trouve, de voter contre sous prétexte qu'une majorité pouvait se former contre lui.
En plus, je voudrais dire un mot : je crois que Michel Rocard est un homme de très grande qualité, qui a donné des dizaines d'années de sa vie à la réflexion et à la gauche dans ce pays et je trouve que l'action qu'il a conduite depuis un an est bonne. Mais tout le monde n'avait pas intérêt à ce que Michel Rocard réussisse. D'autres, dont on verra peut-être dans les mois qui viennent comment ils veulent se positionner, ont contribué à ce qu'il ne réussisse pas. Vous avez tous reproduit des déclarations de personnalités de la gauche qui, ma foi, n'étaient pas très chaleureuses. Tout ça créé un climat qui fait que Michel Rocard, au-delà d'erreurs qu'il a pu commettre et que nous avons commises à plusieurs avec lui, tout çà créé un climat qui n'est pas bon. Mais c'est un homme pour lequel j'ai beaucoup d'estime.
Q. : Michel Rocard avait proposé d'en finir avec les courants : est-ce que ça veut dire que la nouvelle direction va rester immobile et conservatrice ?
R. : J'espère qu'elle ne va pas rester immobile, l'intérêt collectif est qu'elle ne reste pas immobile. Il reste que c'est vrai que Michel Rocard a été battu sur les idées de rénovation, d'ouverture. Moi, je ne renonce pas à cette rénovation et je crois que si ça devait traduire un retour à un discours d'avant 81, pour parler clair, ça serait pas vouloir mettre la barre à gauche toute, ça serait simplement vouloir mette la barre en arrière. Il faut certainement que la gauche s'affirme mieux. Des ruptures avec le libéralisme, avec des politiques monétaires trop accentuées, un conformisme économique, de telles ruptures doivent être plus marquées que nous n'avons su le faire, j'en suis d'accord. La critique de ce que fait le gouvernement Balladur sur un certain nombre de points doit être plus forte que nous n'avons réussi à la faire, j'en suis d'accord. Pour autant, il faut inventer ce qu'est la gauche de la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix et de l'an 2 000. Et la gauche de l'an 2 000, c'est pas la gauche des années 70 ! On a gouverné dans les années 80 avec un programme écrit dans les années 70 et sur des idées des années 60. C'est inévitable, d'ailleurs, parce qu'il y a un décalage tout le temps entre la production des idées et leur mise en œuvre. Mais maintenant, il ne faut pas revenir à ces idées des années 60. Le monde a changé. Il faut construire une nouvelle gauche en France.
Q. : N'est-ce pas la nostalgie d'une gauche pure et dure qui domine chez les nouveaux dirigeants socialistes ?
R. : En posant la question, vous indiquez quel est à votre sens la réponse. En effet, je crois que la volonté d'affirmer mieux la gauche, que je partage avec la nouvelle direction, passe pour cette nouvelle direction par un retour à la manière dont la gauche s'est affirmée dans les années 70 et 80. Et passe pour moi par d'autres moyens.
Donc nous avons le même objectif : affirmer mieux la gauche à travers notre Parti socialiste ; voir pourquoi la gauche est aujourd'hui aussi émiettée alors que globalement elle n'est pas tellement en retard ; être capables à nouveau de donner espoir.
Mais, là où nous divergeons, c'est dans le fait de savoir si réaffirmer un ancrage à gauche, c'est le réaffirmer dans ce qui a été l'ancrage à gauche il y a dix ou quinze ans ou bien trouver le nouvel ancrage de la gauche. C'est d'ailleurs vrai pour la France et pour tous les pays qui nous entourent.
La question qui partage aujourd'hui la Parti socialiste, c'est : est-ce que pour redonner de la force à la gauche, il faut essayer de redonner de la vigueur à ce qui a permis de construire la gauche pendant les années 50 ou 60 ? Ou est-ce qu'il faut être capable de garder ça mais d'inventer aussi une nouvelle gauche, plus adaptée aux problèmes qui n'existaient pas à l'époque ?
Mais par exemple, la réponse à la question difficile des banlieues, avec des problèmes couplés de délinquance, de sida, de drogue, le discours traditionnel qui consiste à dire que c'est la faute du capitalisme, ce discours ne suffit pas.
On passe son temps à se réunir en conventions, en congrès, à vouloir tirer les leçons et il n'y a pas le véritable débat de fond. Chacun reste par des pratiques classiques organisées en factions qui sont plus des écuries de promotion d'un homme qu'organisées sur des idées. On dit qu'on va en tirer des leçons et on n'en tire jamais les leçons.
Q. : Le congrès cet automne ne risque-t-il pas d'être marqué par l'affrontement d'une ligne un peu nostalgique et d'une ligne d'une gauche plus gestionnaire ? Et est-ce que ce sera bien le moment à six mois des présidentielles ?
R. : Je ne dirai pas une gauche nostalgique et une gauche gestionnaire, je dirai une gauche nostalgique et une gauche progressiste, au sens où elle s'adapte à l'évolution de la société.
Q. : Vous n'êtes pas très tendre avec la nouvelle direction du Part socialiste…
R. : Henri Emmanuelli est un homme extrêmement respectable, aux convictions extrêmement ancrées et sérieuses mais je crois en effet qu'on ne peut pas limiter le discours à ce que j'ai trop entendu jusqu'à maintenant, à savoir un discours un peu incantatoire. J'espère que la nouvelle direction ne se limitera pas à ça et qu'elle saura en effet adapter le Parti socialiste à ce qu'elle doit être une gauche nouvelle.
Q. : Où en est le courant jospiniste ? On dit beaucoup qu'il a implosé…
R. : Je crois que justement, il faut sortir de ces courants, il faut revenir sur les idées. S'il y a un congrès, on va pouvoir se redéfinir. Moi, je suis très fidèle à l'Homme qu'est Lionel Jospin, auprès duquel j‘ai appris la politique et qui je crois a toutes les qualités personnelles, morales, intellectuelles, pour conduire un combat politique. La définition des courants se fera au prochain congrès.
Q. : Est-ce que cette rénovation, souhaitable selon vous, peut se traduire par la désignation ou par l'entrée en lice de Jacques Delors pour la prochaine présidentielle ?
R. : Jusqu'à dimanche dernier, la question traditionnelle des journalistes était "Rocard est le candidat prévu, mais est-ce que vous ne croyez pas que Delors ça serait mieux", etc. Ma réponse traditionnellement, c'était de dire "écoutez, autant que je sache, Delors n'est pas candidat, donc Michel Rocard me paraît un très bon candidat, s'il y en a un autre on verra". Aujourd'hui, Michel Rocard est dans une situation pour le moins difficile, comme je le disais tout à l'heure la vie politique permet des rebondissements.
Q. : Ce n'est pas fichu pour lui ?
R. : Jamais, ce n'est jamais fichu, mais enfin aujourd'hui ce n'est pas le plus probable, ce n'est pas le plus probable. Donc tout le monde fait appel à Jacques Delors, je ne suis pas convaincu que la nouvelle direction soit exactement la tasse de thé de Jacques Delors. Alors il dira s'il veut être candidat ou pas, ce qui est intéressant c'est aussi de s'interroger sur ce qui peut se passer si, Michel Rocard étant à terre et Jacques Delors ne voulant pas être candidat, ce qu'il a toujours dit, peut-être qu'il changera d'avis mais c'est ce qu'il a toujours dit, alors quel sera le candidat du Parti socialiste.
Q. : Alors qui ? Peut-être Jospin dont vous disiez tout à l'heure…
R. : Moi, je n'ai pas de lapin dans mon chapeau, je n'en sais rien honnêtement…
Q. : Jospin, non ?
R. : Oui, enfin personne ne me semble aujourd'hui en position claire, ni Lionel Jospin, ni Laurent Fabius, ni le nouveau premier secrétaire Henri Emmanuelli.
Q. : Martine Aubry ?
R. : Pourquoi pas Martine Aubry, pourquoi pas Martine Aubry, ça aurait de la gueule.
Q. : Est-ce que ça ne serait pas l'occasion de faire faire un premier tour de piste à un quadra, à un jeune ?
R. : Ah bien oui, c'est la question. Écoutez, ou bien quelqu'un s'impose, comme dit François Mitterrand quelqu'un est en situation, alors à ce moment-là il n'y a pas de débat, c'était Michel Rocard, bon très bien, ou bien maintenant si donc il ne peut plus être dans cette position, on verra à l'automne. Mais enfin si c'est le cas, Delors s'il le veut, il est en position, c'est clair. Si Delors ne veut pas, qui sera en position ? Rien n'est évident, à ce moment-là peut-être que ça sera la peine, ou ça sera intéressant en effet, de faire appel à quelqu'un d'un peu neuf, et moi il me semble que Martine Aubry serait très bien dans le rôle.
Q. : Ou pourquoi pas Dominique Strauss-Kahn ?
R. : Non, non, restez modeste, restons raisonnable.
Q. : Il y en a un autre dont on n'a pas encore parlé depuis le début de cette émission, c'est Bernard Tapie…
R. : Je parle des sujets sur lesquels vous m'interrogez…
Q. : Que va faire le PS avec Tapie ? Une des raisons de la défaite de la gauche l'année dernière, ça a été les affaires de fausses factures. N'est-il pas gênant pour le PS d'avoir à composer et à discuter avec Tapie qui lui-même a beaucoup d'ennuis de cette nature ?
R. : Il faut dire deux choses différentes. La première c'est tirer les leçons, et je vais essayer de les tirer vraiment. Si Bernard Tapie a réussi à faire 12 % des voix aux élections européennes, c'est lié à son talent personnel qui est grand, c'est clair. C'est lié aussi au fait qu'il a tenu un discours que nous n'avons pas été capables de tenir. Je ne dis pas que tout dans son discours aurait dû être tenu par le PS, car il y a des choses que je n'approuve pas dans son discours, mais il y a des points que j'approuve. Quand il était dans son débat contre Le Pen, la manière dont il parlait de l'immigration ou de la peine de mort me va très bien. C'était un discours bien à gauche, c'est celui-ci que je voudrais qu'on tienne, et il le tient mieux que nous, mieux que moi., ça c'est vrai. Il y a des choses dans son discours que je n'aime pas, parce que ça a un caractère un peu démagogique, facile…
Q. : Par exemple ?
R. : Sa phrase sur le chômage illégal par exemple. Voyez-vous, je crois que la gauche a beaucoup souffert de dire des choses, de faire rêver, mais rêver au-delà de ce qu'elle pouvait faire ensuite. Il faut toujours faire rêver un peu plus, on n'arrive pas toujours à le faire tout ce qu'on a promis, mais il ne faut pas qu'il y ait trop de décalage. Quand il y a trop de décalage, ça vous revient dans la figure. Alors si on dit "le chômage doit être illégal" alors qu'il est clair pour chacun que si demain M. Tapie était élu président de la République ou Premier ministre ou je ne sais pas, il ne pourrait pas appliquer formellement ce qu'il a dit, je crains que ça entraîne beaucoup de déception, et moi je ne veux plus d'un discours qui soit aussi éloigné de la réalité, où parce qu'on est dans l'opposition, on s'autorise à dire des choses dont on sait très bien qu'elles ne sont pas susceptibles d'être mises en œuvre. Donc de ce point de vue je ne suis pas d'accord pour reprendre un certain nombre des formulations de Tapie sur d'autres sujets. L'immigration par exemple, je m'y retrouve. Alors le deuxième point, est-ce qu'il faut s'allier, comment faut-il traiter avec Bernard Tapie ? Oui, vous avez raison, une des causes pour lesquelles le PS a tellement perdu la faveur des français, alors qu'il l'a eue beaucoup dans le passé, c'est ces questions d'affaires, d'éthique de façon plus générale, pas simplement des problèmes d'affaires, des problèmes d'éthique. Il faut retrouver cette éthique, et il n'est pas certain que ce soit la chose la plus facile pour Bernard Tapie. Donc moi je ne propose pas du tout, d'une quelconque manière, que nous ayons une alliance privilégiée, comme vous le dites, avec Bernard Tapie, tout en reconnaissant son talent, ses qualités, mais ce n'est pas le débat, en revanche je propose que, comme on l'a toujours fait dans le passé, localement, pour les élections municipales, chacun voie avec ses correspondants MRG du coin avec lequel il a l'habitude de traiter et de constituer des listes, comment on va pouvoir travailler.
Q. : Vous avez remarqué le coup du mépris du n° 1 du MRG, Jean-François Hory, et qui regarde maintenant le PS…
R. : Qui, qui vous avez dit… ?
Q. : Jean-François Hory, qui regarde la PS de haut…
R. : Oui, écoutez, tout ça c'est "politicard", ça n'a aucun intérêt.
Q. : il y a quand même quelqu'un qui peut jouer un rôle important dans les prochains mois, c'est le président de la République. Quel est votre sentiment sur l'action qu'il doit avoir dans les 10 mois qui restent ?
R. : C'est compliqué parce que le président de la République par définition est le président de tous les français, et puis comme il l'a dit à plusieurs reprises, "je suis socialiste et je ne renie pas dans mes convictions", et c'est vrai, et son rôle est majeur dans tout ce qui se passe à gauche, personne n'en doute.
Q. : dans la chute de Rocard aussi ?
R. : Je crois qu'il ne se passe rien à gauche qui, d'une manière ou d'une autre, n'ait été forcément influencé par le président de la République.
Q. : Mitterrand a été pour quelque chose dans la mort de Rocard ?
R. : Non, non, je ne dis pas ça comme ça. Je dis que les liens d'affection entre François Mitterrand et Michel Rocard sont connus de tous depuis longtemps, donc c'est clair. Je pense que l'influence qu'à le président de la République, mais c'est bien normal d'ailleurs, parce qu'il est le président de la république, ensuite par e que c'est un homme d'état et un homme politique de première grandeur, je n'en connais pas d'autres à gauche aujourd'hui de sa taille, c'est bien normal que ce qu'il pense, ce qu'il dit, ses opinions, ses affections et au contraire ses désillusions, se traduisent dans la réalité. Dons son rôle est majeur.
Q. : Dans ce qui s'est passé dimanche ?
R. : Dans tout ce qui se passe à gauche. Et pour revenir à votre question, qu'est-ce qu'il doit faire dans l'année qui vient, c'est difficile pour lui d'orienter le choix, vous vous rappelez Giscard d'Estaing disant "j'indiquerais le bon choix", etc. Je ne sais pas quelle sera la formule de François Mitterrand, mais je n'ai pas de doute sur le fait qu'il souhaite orienter le vote des français en fonction de ses propres préférences, il l'a dit pour les européennes, il a dit "je voterai socialiste et européen", donc c'était clair. Je n'ai pas de doute qu'il le fasse, je comprends que ce ne soit pas facile pour lui, parce qu'il a un rôle au-dessus des partis à tenir.
Q. : La gauche peut encore gagner cette présidentielle ?
R. : Vous allez me taxer de langue de bois, je vais vous dire ce que je pense vraiment : non seulement elle peut encore gagner, mais moi j'ai toujours été convaincu qu'elle allait gagner. Je ne dis pas que les derniers évènements facilitent les choses, mais j'ai toujours été convaincu qu'elle allait gagner. Pourquoi ? D'abord parce que, élection après élection, en dépit de son émiettement et de ses divisions, quand je dis élection après élection, c'est cantonale puis européenne, le total des voix de gauche permet cela, à condition bien sûr que quelqu'un puisse rassembler ces voix de gauche. Donc je ne dis pas qu'on va gagner à tout coup, ça serait idiot de dire ça, c'est le moins qu'on puisse dire, mais les conditions peuvent exister, il faudrait que quelqu'un puisse rassembler ces voix de gauche. Ce n'est pas comme si la gauche était à un tel point, toutes composantes réunies, que de toute façon ça ne fasse pas le compte. Mais les idées de gauche sont-elles, on le voit sur le CIP, sur la loi Falloux, que quand il y a vraiment quelque chose capable d'entraîner, et là ça doit être un homme ou une femme pour l'élection présidentielle, alors ça peut se faire. La seconde raison, c'est que je ne suis pas d'accord avec M. Séguin quand il dit "les français ont été François Mitterrand parce qu'ils préfèreraient François Mitterrand", ce n'est pas vrai. En 88 c'est vrai, les français préfèreraient François Mitterrand, mais en 81 ce n'est pas vrai. Les français ont élu François Mitterrand parce qu'ils étaient divisés à droite. Et la division joue. Séguin, pour des raisons tactiques personnelles que je peux comprendre, essaie d'expliquer que la division à droite ne joue pas parce que, comme il vaut peut-être aussi être candidat et qu'ils ont aujourd'hui si j'ai bien compté 9 candidats, ils ont intérêt à dire que ça ne nuit pas à leur propre camp. Mais en réalité la division nuit, et à gauche elle nuit aussi. Et donc, si comme on peut le penser aujourd'hui, il y a bien, et M. Balladur et M. Chirac qui sont candidats dès le premier tour, peut-être en plus M. de Villiers, peut-être plus d'autres parce que j'entends tous les jours, la division nuira à la droite. Alors, il ne faut pas s'en féliciter, on ne peut pas uniquement vouloir que la gauche soit élue parce que la droite est divisée…
Q. : Ça fait une petite victoire…
R. : Exactement ça fait une petite victoire. Néanmoins, pour ce pays, je suis convaincu qu'il vaut beaucoup mieux que la gauche soit en place, pour les banlieues dont je parlais tout à l'heure, pour corriger le chômage qu'il faut essayer de limiter, de faire baisser même la gauche n'a pas entièrement réussi sur ce sujet, je suis convaincu, c'est ma conviction profonde, mon engagement politique, qu'il vaut mieux que ce pays soit gouverné à gauche. Donc, je préfère une petite victoire à pas de victoire du tout.
Q. : À quand une femme président de la République ?
R. : Moi, j'ai répondu, si on doit choisir une candidate, moi je l'ai nommée tout à l'heure.
Lundi 4 juillet 1994
Europe 1
F.-O. Giesbert : H. Emmanuelli vous a rassuré hier ?
D. Strauss-Kahn : Je l'ai vu en effet. Il n'y a pas d'opposition au PS, il y a des opinions qui peuvent être différentes et on verra au congrès de novembre comment elles se répartissent. Il m'a rassuré oui. Il a été très bon sur l'attaque, la critique du gouvernement Balladur.
F.-O. Giesbert : Et moins bon sur quoi ?
D. Strauss-Kahn : Pas moins bon sur le reste mais plus discret. Je pense qu'il veut d'abord parler aux militants, lors du congrès que l'on aura. Sa prestation a été une position critique du gouvernement et la presse salue ce matin, la force avec laquelle il l'a fait.
F.-O. Giesbert : Peut-il arriver à redresser seul, le PS ?
D. Strauss-Kahn : Seul non. Mais le PS a besoin d'être redressé ; on va tous s'y atteler. On a un an pour ça avant les présidentielles.
F.-O. Giesbert : Vendre le siège du PS c'était une bonne idée ?
D. Strauss-Kahn : Je ne connais pas les comptes du PS, je crois qu'ils sont en grande difficultés. S'il n'y a pas d'autres solutions, il faudra faire comme ça. Ça fait un peu vente de meubles mais peut-être n'avons-nous pas d'autres moyens d'équilibrer nos comptes.
F.-O. Giesbert : En termes d'image, c'est pas terrible ?
D. Strauss-Kahn : Vous avez raison. La raison est simple : nous avions 270 députés et tous les députés cotisent. Mais quand il n'en reste que 53 ça fait un trou.
F.-O. Giesbert : Vous êtes l'homme de la culture du gouvernement face à Emmanuelli, l'homme de la culture de l'opposition. C'est ça ?
D. Strauss-Kahn : H. Emmanuelli, hier a tenu à mettre en avant qu'il avait aussi une culture de gouvernement et je veux aussi défendre que j'aie une culture d'opposition. Les pondérations ne sont peut-être pas les mêmes.
F.-O. Giesbert : J. Dray dit que "le PS doit se situer en totale opposition avec le libéralisme". Vous ne pouvez pas être d'accord, vous qui êtes un socialiste libéral.
D. Strauss-Kahn : Je ne suis pas du tout un socialiste libéral. Mais si on entend par libéralisme, le libéralisme économique, alors J. Dray a raison. C'est la fonction d'un peu tous les partis de gauche partout en Europe. La question est qu'il faut, à la place de recettes libérales, proposer d'autres recettes dont on pense qu'elles peuvent fonctionner.
F.-O. Giesbert : Quelles sont ces recettes autres que celles du libéralisme économique ?
D. Strauss-Kahn : Un exemple : celui du pouvoir d'achat. Le gouvernement depuis qu'il est en place, à la convention, à mon avis erroné, que pour sortir de la crise et pour profiter de la croissance, il faut limiter au maximum le pouvoir d'achat. Ça a été fait sur le salaire des fonctionnaires, sur le SMIC, et ça vient encore d'être annoncé sur le SMIC.
F.-O. Giesbert : Vous dites : ouvrons les vannes …
D. Strauss-Kahn : Non, je ne dis pas ça, car il ne faut pas tomber dans l'extrême. Je dis néanmoins, qu'on ne peut pas avoir de croissance si elle n'est pas soutenue par la commission intérieure. Aujourd'hui, la consommation stagne parce que le pouvoir d'achat stagne, voire baisse pour certaines catégories sociales. Il faut soutenir un minimum le pouvoir d'achat. On ne peut pas ouvrir les vannes, ça serait absurdes mais on ne peut pas non plus tomber dans l'autre travers et qui est celui du gouvernement aujourd'hui et qui consiste à serrer les boulons à tout prix.
F.-O. Giesbert : Vous soutenez la politique monétaire du gouvernement. Il a eu raison de ne pas dévaluer.
D. Strauss-Kahn : Oui, je pense qu'il vaut mieux un franc qui soit fort, à condition qu'il soit fort par ses propres caractéristiques. Et non pas artificiellement maintenu fort par des taux d'intérêt trop élevés. Il me semble que dans l'Europe des Douze aujourd'hui, nous aurions tous intérêt à avoir une politique monétaire un peu moins restrictive qui donc limite moins la croissance qu'elle ne le fait aujourd'hui.
F.-O. Giesbert : Si J. Delors ne souhaite pas se présenter, qui fera le mieux l'affaire : M. Rocard ? Il n'est pas mort, il peut revenir …
D. Strauss-Kahn : On n'est jamais mort en politique et M. Rocard moins qu'un autre ? Ça dépend beaucoup de sa capacité à parler aux Français dans les mois qui viennent.
F.-O. Giesbert : P. Mauroy ?
D. Strauss-Kahn : Oui, il serait un bon candidat. C'est la gauche authentique, la gauche qui reflète les engagements de 81-83 et pas de reniements depuis. C'est aussi la gauche qui a su avoir la culture du gouvernement. En 83, c'est Mauroy qui négocie le virage et qui refuse de sortir du SME.
F.-O. Giesbert : J. Lang ?
D. Strauss-Kahn : Ça serait une candidature plus en paillettes, plus chatoyante.
F.-O. Giesbert : M. Aubry ?
D. Strauss-Kahn : C'est un peu tôt. Elle a certainement de grandes qualités et elle fera partie des présidentiables de la gauche plus tard, mais pas cette fois-ci.
F.-O. Giesbert : L. Jospin ?
D. Strauss-Kahn : Il y est préparé.
F.-O. Giesbert : Et F. Mitterrand ? il ne serait pas si mauvais candidat ?
D. Strauss-Kahn : Il ferait certainement un bon candidat, on dit même dans les rangs du PS que c'est celui qui sait le mieux être candidat. Mais je ne crois pas aujourd'hui que ce soit une hypothèse très réaliste.
F.-O. Giesbert : est-ce que l'opposition a encore un sens aujourd'hui ? Est-ce que les socialistes savent où ils veulent aller, puisqu'ils n'ont pas de candidats ?
D. Strauss-Kahn : Il y a des idées et elles vont s'exprimer, pour le moment elles sont en débat et c'est vrai qu'il y a débat à l'intérieur du PS. L'absence de candidats n'est pas obligatoirement un début. Je vois à droite une pléiade de candidats, ça ne nous garantit pas un bon fonctionnement de la démocratie. Est-ce que l'opposition a encore un sens dites-vous ? Évidemment qu'elle en a encore un et même plus qu'à d'autres moments. Je ne vois pas le gouvernement proposer vraiment quelque chose. Je suis très surpris de voir E. Balladur, ne plus être un citoyen banal comme les autres, ne pas être encore président et ne pas comprendre qu'entre les deux il est Premier ministre et il doit prendre des décisions. Et quand on le voit à la télévision par exemple, il constate, déplore, espère, mais il n'annonce pas de décisions ! Or c'est lui qui a les leviers, c'est lui qui doit agir.
F.-O. Giesbert : Ça lui réussit bien, il est populaire !
D. Strauss-Kahn : Oui, mais peut-être que la fonction d'un homme d'État n'est pas de chercher simplement à être populaire mais aussi de chercher à résoudre les problèmes.
F.-O. Giesbert : Vous n'avez pas l'impression qu'il est en train de réduire son pari sur la reprise ?
D. Strauss-Kahn : Non, je ne crois pas, sincèrement. La reprise est un peu là en effet, elle l'est dans tout le monde occidental, plus forte ailleurs que chez nous et on peut penser qu'elle est un peu moins forte en France qu'elle ne pourrait l'être, car au printemps dernier, le gouvernement a pris des mesures restrictives – le pouvoir d'achat entre autres – mais nous profitons moins de la croissance que nous pourrions en profiter. Je suis loin d'être le seul à le dire, car vous avez vu que les chiffres que l'INSEE vient de sortir ne sont pas très réjouissants.
F.-O. Giesbert : V. Giscard d'Estaing a prôné hier "une stratégie globale de lutte contre le chômage". Il veut le ramener de 12,5 % niveau actuel à 5 ou 6 %. N'a-t-il pas mis le doigt sur le vrai problème, en disant qu'il fallait réduire de l'ordre de 30 % le coût salarial des bas-salaires en France ?
D. Strauss-Kahn : D'abord, il a mis le doigt sur l'effort à faire. Quand j'ai préparé la Convention pour l'emploi du PS en février dernier, j'ai dit qu'il fallait que d'ici la fin du siècle, il fallait créer 2,5 millions d'emplois. C'est à peu près le même cadrage que de dire de ramener le chômage de 5 à 6. Donc, de ce point de vue, je suis d'accord avec Valérie Giscard d'Estaing. Il ne faut pas des politiques comme celles que l'on nous propose aujourd'hui, qui sont des politiques un peu homéopathiques, il faut des politiques massives, avec un objectif qui n'est pas de réduire totalement le chômage, on n'arrive pas à zéro, mais l'objectif de le réduire pour moitié d'ici l'an 2000. C'est un objectif réaliste, le même que je poursuivais. Donc, de ce point de vue, ce n'est pas parce que Valérie Giscard d'Estaing n'est pas du même côté que moi que je vais le critiquer.
F.-O. Giesbert : Vous dites "Bravo Giscard !" ?
D. Strauss-Kahn : Non, je dis c'est le bon objectif et la politique qui est suivie aujourd'hui par le gouvernement est tout à fait insuffisante. Sur les moyens : il y en a de nombreux. Je crois que la réduction du temps de travail reste un élément majeur d'une stratégie qu'il faut que nous mettions en œuvre.
F.-O. Giesbert : Ça n'accroche pas, les Français n'y croient pas …
D. Strauss-Kahn : C'est vrai, les sondages le montrent. Ç a montre que nous n'avons pas été capables de l'expliquer clairement. Mais la société française depuis un siècle, c'est bien ce qu'elle a fait. C'est parce qu'elle a réduit le temps de travail massivement depuis un siècle, que nous avons pu absorber le progrès technique ? Il faut remettre ça en marche.