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LE PEN : "La VIe RÉPUBLIQUE CONTRE LA CORRUPTION"
Alors que chaque jour apporte son lot de faits divers pour alimenter le grand feuilleton des scandales financiers et politiques, le président du Front national explique en quoi la corruption d'aujourd'hui est spécifique et pourquoi il faut radicalement changer le système institutionnel français. Pour rendre aux Français l'argent – et le pouvoir – qu'on leur vole.
National Hebdo : Vous dites « tous pourris" : n'est-ce pas un peu démagogique ? Le système a ses brebis galeuses, est-ce une raison, pour discréditer l'ensemble des hommes politiques honnêtes ?
Jean-Marie Le Pen : Je crois qu'il faut inverser les proportions. C'est la classe politique dans son ensemble qui est gangrenée ; même s'il y a, bien sûr, des exceptions, des élus, des maires, des parlementaires honnêtes gens. Si nous pouvions soulever des milliers de boîtes de Pandore où les décideurs cachent leur vérité, je crois qu'on trouverait matière à des milliers d'inculpations. Mais la magistrature française manque de bras, tous les partis ont leurs pompes à finance, on l'a vu pour le PC avec GIFCO, pour le PS avec URBA, quant au RPR et à l'UDF, jour maintenant révèle une nouvelle officine.
Q. : Et le Front national ?
R. : Nous pouvons marcher mains propres et tête haute, et le début de notre précampagne présidentielle va reprendre ce slogan des législatives de 1993. J'ose espérer que notre "virginité" en matière de corruption ne tient pas seulement au fait que nous ne sommes pas soumis aux mêmes occasions que nos adversaires. J'ose croire que, formés au feu de l'adversité, nous sommes un peu différents. En tout cas, nous sommes aujourd'hui seuls face à ce qu'il faut appeler plus que jamais la bande des quatre, embourbée dans un marécage de tripotages et de corruption.
Q. : Pas seuls Philippe de Villiers, flanqué du juge Jean Pierre, a lancé une grande campagne "mains propres"
R. : Philippe de Villiers aime bien s'approprier nos idées. Moins d'un mois après mon discours des Bleu-Blanc-Rouge, le juge Jean Pierre réclame, par exemple, la VIe République. Il n'est pas mal que Philippe de Villiers découvre les vertus de la probité, mais il ne faudrait pas laisser porter la bannière par de bonnes consciences d'extraction récente. Au moment où se commettaient les faits qu'on reproche à ses anciens amis, Longuet, Madelin, Léotard, le vicomte était une étoile du parti républicain. Il s'en va au moment des poursuites, il restait au moment des présumés délits. Des délits que tout Paris connaissait : le consensus de la bande des quatre suppose que tous sachent et se taisent. En 1993, quand nous luttions mains propres et tête haute contre le "Front républicain" dont la devise implicite était "queue basse et mains sales". Villiers portait une étiquette, que sa robe d'hermine toute fraîche ne supporte plus. Il se donne aujourd'hui pour le parangon d'une vertu qui semblait alors le laisser indifférent. Cette délicatesse tardive devrait lui suggérer plus de discrétion.
Q. : La corruption est de toutes les époques et tous tes régimes. Qu'y a-t-il de différent aujourd'hui ? Cela vaut-il vraiment la peine de crier au loup ?
R. : Oui, Tant qu'il y aura des hommes, et du pouvoir, il y aura corruption, mais la gangrène qui frappe l'État est sans précédent pour deux raisons principales. La première est philosophique : c'est l'effondrement de la morale publique et privée, la désagrégation des principes sur lesquels repose notre civilisation. En analyser les causes nous mènerait trop loin, mais les coups portés à la famille, l'éducation, l'Instruction, le laxisme des juges, la subversion des médias et de la culture pèsent d'un bon poids. La deuxième est technique : c'est la loi Deferre de 1982 instituant la décentralisation. Elle a généralisé les occasions d'être corrompu. Grâce à elle, il existe maintenant d'innombrables niveaux administratifs où une simple signature vaut de l'or. Hier, on corrompait des ministres ; aujourd'hui, le plus petit maire peut devenir une proie, pourvu qu'on veuille bâtir ou installer quelque chose sur sa commune. Si le Front national prend le pouvoir, il modifiera la loi Deferre. J'ajoute que la fameuse "économie mixte" prêchée par le président de la République multiplie les occasions pour l'État de s'ingérer dans les affaires privées et pour le privé de s'ingérer dans les affaires de l'État. Cela n'est pas sain.
Q. : Ingérence, trafic d'influence, corruption active ou passive, abus de biens sociaux, fausses factures, on se perd un peu dans ces termes juridiques qui servent à qualifier les tripotages des politiques et des entreprises.
R. : Tâchons de simplifier. Il existe des hommes politiques qui entendent profiter de leur situation pour obtenir un avantage – qu'ils le monnayent ou non. D'autre part, il existe des entreprises qui sont prêtes à verser de l'argent à un homme ou à un parti pour obtenir un avantage – par exemple une autorisation abusive de construire. À partir de là, on peut imaginer d'innombrables variantes et degrés. Le mot corruption désigne le cas le plus aigu, et de plus en plus fréquent, où l'entreprise achète directement un service – ou celui où l'élu rackette simplement une entreprise. Une des vertus du mot est de rappeler la pourriture que ce genre de comportements répand.
Q. : Quid des nombreuses techniques qui entrent en jeu : fausses factures, faux en écriture, fraude fiscale ?
R. : Elles sont répréhensibles et délictueuses bien sûr, mais ne constituent pas le fond du problème. Les fausses factures d'URBA sont un moyen : l'essentiel est qu'on détourne de l'argent vers les poches d'hommes et de mouvements politiques. À ce sujet, je juge inique la distinction opérée par la loi d'amnistie selon qu'il y a "enrichissement personnel" ou que l'argent détourné sert "seulement" à alimenter la caisse d'un parti. Le vol est le même. Et l'indépendance du parti vis-à-vis des "donateurs" est tout aussi suspecte. C'est donc le parti tout entier qui peut être soupçonné soit de racket, soit de corruption passive.
Q. : Pourquoi dites-vous vol, pourquoi dites-vous racket ?
R. : Je dis racket si l'entreprise a dû cracher au bassinet pour obtenir l'autorisation qu'elle visait. Je dis vol en tout cas, car les Français ne semblent pas avoir compris que tout ce bel argent qui valse devant leurs yeux dans de petites valises noires pour aller payer tantôt des villas sur la Côte, tantôt des opérations politiques douteuses, tout ce bel argent ne sort que d'une poche : la leur. Ils disent : bah, c'est l'argent de l'État, ou, c'est l'argent des entreprises ! Allons donc. Je prends un exemple : imaginons un promoteur immobilier véreux qui verse à un maire corrompu, pour le compte d'un parti politique malhonnête, une grosse somme d'argent. Croyez-vous qu'il va la retirer de ses bénéfices, ou l'ajouter à ses pertes ? Que non : il l'impute, sans le dire, dans le prix des immeubles qu'il va construire ou le montant des loyers s'il loue. C'est donc à vous et moi, locataires ou propriétaires, qu'on aura volé l'argent de la corruption. Et je pourrais multiplier les exemples. Tenez, le marché des ventes d'armes ! L'Irak nous a payé cent milliards de matériel en quelques années. La ristourne, dans ce genre de marchés, est de 15 %. Voilà donc quinze milliards (lourds) volés, disparus – pas pour tout le monde. Ou encore les "erreurs" des grands groupes nationalisés. Ce n'est pas pour rien que le Front national a manifesté aux cris de "Haberer voleur". Le Crédit Lyonnais aide tel ou tel (par exemple l'escroc de langue anglaise Maxwell) ou prend des participations ici ou là. Puis vient l'heure du bilan. Catastrophe. Pour boucher le trou, l'État "recapitalise". C'est-à-dire qu'il "injecte" un nombre respectable de milliards. D'où viennent-ils ? Du contribuable. On pourrait encore parler des crédits garantis par la COFACE pour l'export, des subventions à la coopération, etc. Mais je ne voudrais pas lasser le lecteur.
Q. : Pour moraliser la vie publique, faut-il réformer le mode de financement des partis ?
R. : Le problème, nous venons de le voir, dépasse de très loin le seul financement des partis : c'est tout le système de la bande des quatre qui est corrompu et corrupteur. Toutefois, le Front national propose une décision simple interdire aux entreprises tout don aux hommes politiques et aux partis. Ne seraient acceptés que les dons des particuliers et les subventions de l'État. Celles-ci seraient versées au prorata des votes obtenus au premier tour d'une élection générale, les législatives par exemple, Pour l'heure, le nombre des parlementaires entre dans le calcul : c'est une erreur et un détournement puisque les parlementaires disposent par ailleurs d'indemnités, de locaux, de matériel et d'avantages liés à leur fonction, ils ne doivent donc pas frustrer les partis de la moitié des financements prévus pour eux.
Q. : Faut-il vraiment aider les partis ? Et s'ils sont financés par l'État, n'est-ce pas dangereux ?
R. : Traditionnellement, les nationaux se méfient des partis car ils y voient tantôt un instrument de division, tantôt un rouage du pays légal asservissant le pays réel. Je crois qu'il faut adapter l'analyse maurrassienne à la situation d'aujourd'hui pour lui garder sa pertinence. À quoi sert un parti ? Il aide entre autres à l'expression du suffrage, à la formation civique, à la propagande : la clé de tout cela est l'information. Si l'on a les moyens de communication de masse à sa disposition, on souhaite la réduction des partis. À l'inverse, un parti peut servir d'instrument de résistance à cet avatar du pays légal qu'est le tout politico-médiatique. Les partis peuvent aider le pays réel. Leur financement par l'État est certes un pis-aller, mais sans cela il ne reste que la puissance de l'argent et l'arbitraire des médias. Ce que je viens de dire implique qu'aucune réforme du financement des partis n'aura d'effet significatif si on ne l'accompagne d'une réforme de l'accès aux médias : le minimum de cette réforme serait d'attribuer des temps d'antenne sur les ondes publiques aux partis suivant la même grille de répartition que pour les subventions d'État. On ne pourra atteindre les objectifs que nous nous fixons pour la France dans un système où les représentants du peuple soient privés de tout pouvoir : nous ne pouvons donc pas faire l'économie d'une refonte complète des institutions, fondée sur une réforme intellectuelle et morale. Telle sera la VIe République.