Texte intégral
Lutte Ouvrière : 2 septembre 1994
Cinquantenaire de la « Libération » et après…
Toujours la police contre les grévistes, l'armée contre les peuples, l'État au service des patrons
Depuis le mois de juin, nous avons eu droit à un vrai festival de commémorations, de cérémonies militaires et patriotiques en tout genre et si, comme il est vraisemblable, cela doit continuer quelque temps encore, il y aura de quoi avoir une indigestion de cinquantenaire.
Il faut « se souvenir », nous dit-on. Certes. Mais ce qui peut être utile, pour éviter de revivre les mêmes problèmes, c'est de se souvenir de la vérité, de ce que fut vraiment le passé. Pas de resservir les discours mensongers qui furent utilisés il y a cinquante ans pour duper les travailleurs.
En avons-nous entendu, par exemple, dans la bouche des hommes politiques de droite comme de gauche, des discours et des déclarations sur « l'esprit de la Résistance » ? Alors que De Gaulle et les hommes politiques qui l'entouraient, les partis qui le soutenaient (de la droite au Parti Communiste Français), n'avaient comme seul but que de permettre à la bourgeoisie française de traverser cette période difficile au mieux de ses intérêts.
Bon nombre de ceux qui ont laissé leur peau dans les combats de cette époque rêvaient d'un monde plus juste. Mais pour les hommes politiques qui firent de la « Libération » un thème de discours, ce n'était que poudre aux yeux destinée à faire croire à la classe ouvrière qu'ils œuvraient dans l'intérêt commun alors qu'ils ne se préoccupaient que de maintenir un appareil d'État au service exclusif des industriels et des banquiers.
Ce fut d'ailleurs le cas de la prétendue insurrection de la police, dont on nous a rebattu les oreilles pendant quinze jours.
Le but réel de cette insubordination in extremis de la police parisienne, ce fut de dédouaner au dernier moment des forces de police qui pendant quatre ans avaient globalement servi Pétain fidèlement, et donc participé non seulement à la chasse aux Juifs et aux résistants, mais aussi à la chasse aux réfractaires au STO et aux simples petites gens qui essayaient tant bien que mal d'aller chercher à la campagne de quoi survivre. C'est comme cela que cette police vomie de la population se trouva collectivement décorée, et surtout se vit confier la mission de continuer à assurer le « maintien de l'ordre ».
L'appareil d'État que De Gaulle replâtra (avec, encore une fois, l'appui de tous les partis politiques « résistants »), c'était du neuf fait avec du vieux, en utilisant tous les hauts fonctionnaires de l'administration vichyste qui ne s'étaient pas trop publiquement compromis. Et ce fut cette police si félicitée en 1944 (et en 1994 !) qui réprima les grèves ouvrières de 1947-1948. Ce fut l'armée « issue de la Résistance » qui mena les innombrables répressions contre les peuples coloniaux qui jalonnèrent les années suivantes, en 1945 à Sétif, à partir de 1947 en Indochine et à Madagascar, et plus tard en Algérie, pour ne citer que les plus connues.
La Cour de cette même Préfecture de police de Paris, dont on nous a tant parlé ces jours-ci, fut aussi le théâtre d'un évènement bien moins connu : le massacre, en octobre 1961, de plusieurs dizaines d'Algériens dont le seul crime était d'avoir manifesté contre le couvre-feu imposé à tous les travailleurs maghrébins. Quatre mois plus tard, la police parisienne assassinait dix parisiens qui manifestaient contre l'OAS au métro Charonne. Et le responsable d'alors de cette police, c'était le préfet Papon, qui en tant que haut fonctionnaire de Vichy à la préfecture de Bordeaux avait organisé pendant la guerre la déportation de milliers de Juifs.
Alors, que la bourgeoisie française et ses représentants commémorent bruyamment le cinquantenaire d'un tour de passe-passe politique réussi, c'est dans la logique des choses. Mais les travailleurs n'ont qu'un espoir déçu à célébrer en ces circonstances.
Lutte Ouvrière : 9 septembre 1994
Conférence du Caire : Quand le Pape et les Islamistes communient… contre le droit des femmes !
L'ouverture de la conférence internationale organisée par l'ONU au Caire, pour débattre de la maîtrise du développement démographique et économique, a donné lieu à des déclarations diverses.
Du côté des pays occidentaux, dont les classes dirigeantes pillent sans vergogne le monde depuis cinq siècles pour accumuler toujours plus de richesses, il y a une hypocrisie certaine à appeler aujourd'hui les pays sous-développés à respecter l'environnement, comme à maîtriser leur démographie et à promouvoir dans ce but la contraception et le droit à l'interruption volontaire de grossesse. Il n'y a guère, en effet, qu'une vingtaine d'années que ces droits sont reconnus dans un pays comme la France. Ils sont aujourd'hui encore menacés aux États-Unis. Et supprimés dans la Pologne de Walesa (pourtant volontiers présentée comme un modèle de démocratie).
Quant au front unique réalisé à ce propos par le pape, les barbus de l'Islam et les rabbins, il est là pour nous rappeler que le combat contre l'obscurantisme religieux, c'est aussi le combat pour la liberté. Parce que, ces gens-là ont beau s'abriter derrière le respect dû à la vie (sans se soucier le moins du monde de la vie des millions de femmes condamnées de leur fait à l'avortement clandestin), le fond de leur position, c'est de refuser obstinément de reconnaître aux femmes le droit d'avoir des enfants quand elles le veulent, ou de ne pas en avoir si elles n'en souhaitent pas.
Mais la Conférence du Caire aura eu au moins le mérite de soulever un vrai problème.
Quelles que soient les estimations sur la population que la Terre pourrait nourrir, il n'est pas possible aujourd'hui, à la fin du XXe siècle, de considérer qu'il suffit de laisser faire la nature dans le domaine de la démographie, pas plus qu'il n'est possible de considérer qu'il suffit de laisser agir les lois aveugles du marché, dans le domaine de l'économie.
Il est effectivement nécessaire que l'humanité acquière la maîtrise consciente de son rythme de croissance démographique.
Et il serait bon qu'au nom de la liberté individuelle, comme dans le but de maîtriser ce rythme, la contraception et l'interruption volontaire de grossesse soient à la portée de toutes les femmes.
Mais pour ne pas en rester en ce domaine aux vœux pieux, il faudrait que les quatre cinquièmes de l'humanité ne soient pas condamnés à la misère et à la famine, à un niveau de vie où le recours à la contraception ne peut être qu'un luxe, et ne se voient pas refuser tout accès à l'éducation.
Pour que chaque homme ait les possibilités intellectuelles et matérielles de se sentir pleinement responsable de l'avenir de la planète, il faudrait que s'élève le niveau de vie des plus démunis. Or c'est à tout le contraire que l'on assiste. L'écart entre les riches et les pauvres, l'écart entre pays riches et pays pauvres s'accroît, parce que cette accumulation des richesses au profit d'une petite minorité à un bout de la société, et de la misère pour le plus grand nombre à l'autre, est la loi même de l'impérialisme, d'un système qui fait de l'exploitation son ressort.
Alors des conférences comme celle du Caire ne pourront qu'en rester au stade des parlotes.
Mais l'idée qu'il faudrait organiser rationnellement l'existence de l'humanité, mettre la science et la technique moderne au service de tous, à la portée de tous, est la seule idée qui puisse assurer un avenir digne d'elle à l'humanité.
Et elle a un nom : c'est le communisme. Non pas l'image que les dirigeants de l'URSS en ont donnée pendant des années, mais le projet qui portait le mouvement ouvrier à ses origines quand il se proposait d'abolir à tout jamais l'exploitation, les guerres et la misère, pour organiser la coopération de tous les producteurs à l'échelle mondiale.
Et cette idée, n'en déplaise aux cabotins de toutes les religions qui vitupèrent la conférence du Caire, comme aux bavards qui y siègent, n'a pas fini de faire parler d'elle.
Lutte Ouvrière : 16 septembre 1994
Le passé de Mitterrand
Comment PS et PC ont fabriqué un faux candidat de gauche avec un vrai homme de droite
De quelle énorme hypocrisie font preuve tous les hommes politiques, tous les journalistes, de ceux du Parti Communiste à ceux de la droite, envers le passé de Mitterrand, car tout le monde le connaissait depuis toujours.
Pourtant, nous avons été les seuls à dire aux élections présidentielles de 1974, il y a déjà vingt ans – à travers ma propre candidature – que François Mitterrand était un faux homme de gauche. Aucun parti politique, aucun journaliste politique n'a voulu parler de ce passé.
Ils avaient tous envie et intérêt à le cacher.
À gauche, du côté du PC comme du côté du PS, Mitterrand devait être présenté comme le candidat unique de la gauche. Il fallait que rien ne puisse ternir cette image, il fallait fabriquer des illusions parmi les travailleurs, les classes populaires, les militants et sympathisants du Parti Socialiste et du Parti Communiste. Il fallait qu'ils espèrent qu'avec Mitterrand les choses changeraient.
Pour que la mystification soit possible il ne fallait surtout pas parler de l'itinéraire politique de ce candidat dont on voulait qu'il incarne les espoirs de la population pauvre pour mieux les tromper.
Du côté de la droite, c'était la même image mais dans un miroir, que l'on ne voulait pas ternir. Tout le monde à droite savait à quoi s'en tenir et aurait pu le dire, preuves et photos à l'appui car tout cela, comme la francisque, était dans toutes les archives.
Mais à droite, on voulait aussi que Mitterrand soit un candidat « de gauche », on voulait pouvoir rallier les électeurs bourgeois et petit-bourgeois contre ce candidat des socialistes et des communistes. Il n'était pas question de dire qu'il était en réalité un homme politique de la bourgeoisie et même de la droite. Car comment alors mener campagne contre lui auprès de l'électorat bien-pensant, catholique et conservateur ?
D'autant qu'il y a aussi une hypocrisie supplémentaire : on parle aujourd'hui du passé plus ou moins vichyssois de Mitterrand, de 1940 à 1942. Mais combien d'hommes politiques de la IVe et de la Ve République avaient le même passé ? La plupart ! En 1942, il y avait avec De Gaulle bien peu d'hommes politiques de l'appareil d'État de 1939.
Et en 1944, c'est pourtant sur ceux-là que De Gaulle lui-même s'est appuyé, contre les travailleurs. Tout l'ancien appareil politique, rallié à lui, entre 1942 et, quasiment jusqu'au 20 août 1944, s'est retrouvé au pouvoir après 1945.
Et il y a 20 ou 25 ans, il aurait fallu parler de bien d'autres politiciens qui sont morts aujourd'hui, de bien d'autres ministres de la IVe et de la Ve République ou gaullistes de la dernière heure.
Mais, que Mitterrand ait été pétainiste en 1942 ou gaulliste, du côté d'un vieux maréchal réactionnaire, ou du bord d'un jeune général tout aussi réactionnaire, cela ne change pas grand-chose car les deux étaient des adversaires tout aussi résolus des travailleurs.
Aujourd'hui, c'est Mitterrand lui-même qui force tout le monde à parler de son passé, et cela gêne tous ceux qui, du Parti Communiste à la droite en passant par le Parti Socialiste, s'étaient tus par calcul politique.
Au terme de son mandat et peut-être de sa vie, Mitterrand n'a plus besoin ni du Parti Socialiste, ni du Parti Communiste.
Par contre, il tient à dire à la bourgeoisie, aux bien-pensants, à ceux qui étaient du côté de Vichy, à ceux qui étaient du côté de De Gaulle, comme à ceux qui sont passés de l'un à l'autre, qu'il a toujours été dans leur camp, avec eux, catholiques, conservateurs et bien-pensants, et fidèle serviteur des intérêts de la bourgeoisie française.
Ce n'est pas Mitterrand que cette affaire-là juge, car après tout il était ce qu'il était, mais cela juge tous ceux, et en particulier à gauche, qui ont consciemment menti aux travailleurs pour fabriquer un masque de gauche à ce représentant patenté du grand capital.
Lutte Ouvrière : 30 septembre 1994
La peste en Inde… et le choléra capitaliste pour toute la planète !
Le Moyen-âge à l'aube du XXIe siècle : en Inde, une épidémie de peste pulmonaire aurait déjà touché plus de quatre cents personnes et fait plusieurs dizaines de morts, peut-être une centaine.
La panique se répand dans la population, mais tout manque pour enrayer l'extension de cette maladie que l'on sait pourtant très bien prévenir et traiter : il manque les médicaments, les structures sanitaires, les moyens de maintenir une hygiène élémentaire. Les autorités ont d'abord nié la maladie, puis réagi en tentant d'imposer la quarantaine à la ville de Surat, foyer de l'épidémie.
En Occident, dans les pays riches pour qui combattre une épidémie en Inde représenterait une dépense minime, on a pris des mesures. Elles consistent à renforcer les contrôles à l'arrivée des avions. Tenter d'empêcher les épidémies du Tiers Monde de s'étendre jusque dans les rues de Paris ou de New York, c'est à peu près tout ce que sont capables d'imaginer les dirigeants des États-Unis, du Japon ou de l'Europe.
C'est la quarantaine : là encore on pourrait se croire en plein Moyen-âge.
Pourtant si cette nouvelle de la peste en Inde soulève quelque émotion à cause de tout ce qu'elle évoque, elle n'est que la partie émergée d'un iceberg que ceux qui président aux destinées de la planète préfèrent éloigner de leur vue et de la nôtre. Le choléra, la typhoïde, la tuberculose sont déjà des maladies endémiques dans une grande partie du monde. Et avant même des microbes ou des virus que l'on sait fort bien combattre, le responsable en est la dégradation des conditions de vie dans d'immenses métropoles où une majorité de la population vit dans une situation effroyable. Et quand bien même on n'y meurt pas de ces maladies, on y meurt bien souvent, tout simplement, de cette misère-là.
Il n'y a rien là d'une fatalité quelconque. On sait d'où viennent la plupart de ces maladies, mais on sait aussi fort bien qui est responsable de cette incroyable extension de la misère mondiale. Elle n'est que le reflet de la faillite d'un système économique : le capitalisme. La misère du Tiers Monde ne résulte pas d'une fatalité, elle est le produit des décisions des experts du FMI, des dirigeants des grands groupes capitalistes mondiaux, des gouvernants à leur service, d'autant de gens pour qui seul compte le critère du profit rapporté par leurs capitaux, et pas l'organisation d'un système économique rationnel conçu pour répondre aux besoins essentiels de l'humanité.
Car la richesse, la richesse insolente qu'affichent une poignée d'hommes qui encaissent des profits spéculatifs dans les bourses de New York, Tokyo ou Paris, vient bien de quelque part ; elle vient de l'exploitation de la classe ouvrière et de la population mondiale, son revers est la misère qui s'étend dans les faubourgs de Calcutta, de Bombay et de bien d'autres villes d'Asie ou d'Afrique. Cette misère, on saurait très bien la combattre car la planète dispose de toutes les ressources nécessaires à la vie, y compris de milliards de personnes, et les hommes disposent de connaissances et de techniques plus que suffisantes. Mais il est plus rentable d'investir dans la production d'armements, de biens de luxe, ou tout simplement de spéculer sur la dette des États ou les fluctuations des monnaies, que de consacrer les mêmes sommes à nourrir et soigner des hommes.
Alors, la seule réponse des pays riches sera peut-être de renforcer les contrôles sanitaires à la sortie des avions pour prévenir l'extension de la peste, comme elle est déjà de se cuirasser de contrôles policiers pour tenter d'empêcher les pauvres du Tiers Monde d'entrer sur leur territoire pour y trouver de quoi mourir un peu moins de faim. Mais s'il este déjà bien difficile de maintenir une quarantaine efficace contre les maladies, on peut encore moins mettre durablement en quarantaine la misère elle-même.
La crise mondiale est un tout, et ces barrières artificielles mises par les dirigeants des États, pour tenter de se garder des conséquences d'une crise dont ils sont les premiers responsables, n'y pourront rien. D'ailleurs les conditions de vie du Tiers Monde, la misère du Tiers Monde, les salaires du Tiers Monde, le chômage du Tiers Monde, la dégradation des conditions de vie sont en voie d'installation dans les faubourgs même des grandes villes occidentales, par les soins mêmes de la bourgeoisie et de son appât du gain.
Il ne sert à rien de se boucher les yeux, le seul choix pour l'humanité est de se débarrasser du système capitaliste et d'organiser rationnellement la vie économique de la planète en fonction des besoins des hommes et non des profits individuels de quelques-uns. C'est cela le socialisme, le communisme, que l'on nous prétend définitivement enterrés alors que c'est, d'abord, le capitalisme qui creuse sa propre tombe.
Et c'est bien ce système capitaliste qu'il importe d'enterrer avant qu'il ne nous ait empoisonnés sous des maux à côté desquels une épidémie de peste ne serait encore rien.