Texte intégral
RMC : Jeudi 22 septembre 1994
P. Lapousterle : Vous et la majorité aviez promis qu'il y aurait des réductions d'impôts. Il n'y en a pas.
J. Barrot : Il y a la volonté de modifier progressivement notre impôt sur le revenu qui est excessivement progressif. Mais ça se fait par étapes. L'année dernière, il y a eu un allégement de 19 milliards. Cette année, on marque le pas parce que priorité est donnée à la réduction du déficit.
P. Lapousterle : Vous êtes d'accord ?
J. Barrot : Oui, parce que si nous ne réduisons pas le déficit, nous risquons un jugement sévère des marchés internationaux et une remontée des taux d'intérêt. Or qui dit remontée des taux d'intérêt, dit surenchérissement de de l'investissement et, par conséquent, un nouveau handicap à la croissance.
P. Lapousterle : Tant pis pour ce qu'on a dit ?
J. Barrot : Il faut d'abord penser à l'emploi. C'est une idée qui m'habite tous les jours, il faut donner la priorité à la lutte contre le chômage.
P. Lapousterle : Le budget n'a-t-il pas été trop fait sous l'œil des marchés internationaux ?
J. Barrot : Nous n'avons le choix. Nous sommes dans une internationalisation de l'économie. Faut-il le regretter? Je n'en suis pas sûr, parce que ça nous oblige à être discipliné. Les déficits publics, ce n'est pas une très bonne chose. Ils ont été multipliés par six depuis 1980. De budget en budget, quand on est obligé de rembourser des dettes de plus en plus lourdes, il reste très peu de marge de manœuvre pour des mesures nouvelles qui seraient souhaitables. Il faut bien s'attaquer un jour ou l'autre à la dette.
P. Lapousterle : Vous aviez sermonné E. Balladur en lui demandant que les recettes de privatisations n'aillent pas dans les dépenses courantes. Or, cette année, il y a 55 milliards de recettes de privatisations prévues qui vont aux dépenses courantes.
J. Barrot : Grosso modo, on ne peut pas dire que les recettes de privatisations ne servent pas à assainir la situation puisqu'il y a une réduction de 25 milliards du déficit. Et puis il y évidemment de l'argent des privatisations qui va directement à la politique pour l'emploi. Personnellement, je pense que la critique n'est pas recevable sur le budget qui a été fait de manière responsable.
P. Lapousterle : Fait-on assez, dans ce budget, contre l'exclusion et pour l'emploi ?
J. Barrot : Si l'on avait une marge de manœuvre dans les mois qui viennent, j'aurais bien testé une politique à laquelle je crois : s'adresser à quelques branches professionnelles où il y a quelques contrats en disant « nous baissons les charges ce qui a déjà été commencé sur les emplois moins qualifiés, de 10 à 15 % », et en contrepartie, la branche s'engage à créer des emplois, à ne pas délocaliser. Je pense au textile qui est prêt à signer un tel accord. Nous perdons 25 à 30 000 emplois dans le textile. Nous pourrions probablement les sauver en baissant un coût de ce travail non qualifiés.
P. Lapousterle : Quelles améliorations apporterez-vous au budget ?
J. Barrot : Dans la première partie qui a trait aux recettes, il n'y aura pas beaucoup de modifications possibles. J'ai quelques idées pour le logement, les PME-PMI qui auraient besoin d'une assurance contre les non-paiements. Le gros de notre travail va porter sur les dépenses et voir comment, dans certains budgets, s'il n'y a pas lieu de mettre plus d'argent dans le logement ou l'habitat ancien.
P. Lapousterle : Quelle mesure vous semblerait bonne ?
J. Barrot : Je suis très favorable à la politique de l'habitat ancien, tout ce qui peut permettre à des familles, même non-contribuables, de pouvoir rénover leur maison, en centre-ville. Nous avons les subventions de l'agence nationale pour l'amélioration de l'habitat. Ces subventions conduisent les propriétaires de vielles maisons à les réparer. Elles donnent du travail. Elles permettent de loger plus aisément des familles modestes.
P. Lapousterle : Il faudrait que ce soit dégrevé d'impôts ?
J. Barrot : Non, par parce que c'est fait. En plus, il faut subventionner un certain nombre d'opérations pour des gens qui ne sont pas contribuables.
P. Lapousterle : On s'achemine vers un grand débat national ?
J. Barrot : Pendant cette discussion budgétaire, je ne crois pas qu'il y ait de véritables alternatives au budget actuel. Par contre, il faudra en profiter pour nourrir un peu le débat qui devra permettre de dégager des choix relatifs à la l'avenir, pour le lendemain des présidentielles où il faudra agir vite, savoir entre quoi et quoi on choisit, entre le social égoïsme et le courage social.
P. Lapousterle : Les primaires, une bonne idée ?
J. Barrot : Ou bien c'est un exercice d'entraînement, et c'est intéressant parce qu'on cherche à sélectionner celui qui est le meilleur ; ou bien ce sont des primaires-affrontement, et honnêtement, je ne suis pas sûr que ça serve le candidat qui sortira vainqueur des primaires. J'ajoute que rien n'empêchera un petit malin, après les primaires, de dire « j'y vais quand même ! ». Il n'y a pas de moyen magique d'arriver à une candidature unique, même si c'est ce qui est souhaitable. Ce qui importe, c'est que chacun prenne bien le sens de ses responsabilités.
Les Échos : 19 septembre 1994
Les Échos : Le gouvernement a rendu publique, au début de la semaine, sa prévision de croissance, 3,1 %, pour l'année prochaine. Vous paraît-elle crédible ?
J. Barrot : Le premier mérite du gouvernement est de ne pas s'être trompé. Pour cette année, il avait retenu 1,4 %, ce sera aux alentours de 2 %. Je constate que beaucoup de secteurs se sont réveillés, notamment celui des biens intermédiaires. Mais il est vrai aussi que les comportements des consommateurs restent prudents. La reprise sera, à mon avis, progressive et graduelle, avec peut-être des paliers. En revanche, ce qui est nouveau, c'est que les économies des pays développés semblent marcher du même pas. Dans ces conditions, les prévisions officielles apparaissent raisonnablement optimistes compte tenu du contexte international marqué par une nouvelle amélioration en Allemagne. Il ne faut pas, pour autant, prendre prétexte de ces prévisions pour s'exonérer d'efforts de réduction de la dette. Les marchés financiers ne font pas de cadeaux et surveillent de plus en plus près l'élaboration de nos lois de Finances.
Les Échos : La consommation semble encore fragile. Faut-il prendre, dans ces conditions, des mesures pour la stimuler ?
J. Barrot : Dans la mesure où l'impératif de réduction de déficit le permet, des incitations momentanées pourraient être bienvenues dans certains secteurs. Je pense notamment au secteur des biens de la maison. Aujourd'hui, le système de l'épargne-logement représente une épargne d'environ 700 milliards de francs alors que l'encours des prêts est de 300 milliards. Ne pourrait-on pas utiliser le solde, qui dépasse 400 milliards, au profit de la consommation des ménages ? Les titulaires de plans pourraient être autorisés de façon temporaire et exceptionnelle à retirer de leurs plans, sans que cela entraîne leur clôture, les sommes qui y sont déposées pour acquérir des biens durables destinés au logement.
Seconde suggestion concernant la « consommation collective », il faudrait mobiliser des moyens supplémentaires au profit des travaux publics (enfouissement de lignes électriques, l'assainissement, etc.). Ce secteur a besoin d'être soutenu dans l'attente du lancement des grands chantiers décidés par le gouvernement. Pourquoi ne pas chercher, auprès de la Caisse des dépôts ou du Crédit Local de France, quelques concours exceptionnels au profit des collectivités confrontées aux besoins les plus urgents ?
Les Échos : Un débat, évoqué par les syndicats et le président de la République, commence à apparaître sur le partage des fruits de la croissance. Que faut-il privilégier à vos yeux, l'emploi ou les salaires ?
J. Barrot : Il faut être extrêmement clair. Le choix qui s'impose, c'est celui de l'emploi. La progression des rémunérations passe ensuite. La priorité absolue, c'est d'utiliser les bénéfices de la croissance pour alléger les charges des entreprises sur les emplois non qualifiés. Avec l'accroissement prévisible des ressources publiques, l'État doit pouvoir alléger les cotisations des entreprises, à charge pour elles d'améliorer leur compétitivité, de prendre de nouveaux marchés et de créer des emplois. Le patronat devrait pouvoir s'engager clairement dans cette voie : je vois mal alors le syndicalisme, y compris M. Blondel, ne pas y consentir.
Les Échos : Au printemps, vous aviez marqué votre préférence pour un allègement supplémentaire des charges sociales des entreprises dans le budget 1995. Le gouvernement a, semble-t-il, renoncé à aller plus vite que la loi Giraud. Le regrettez-vous ?
J. Barrot : J'aurais, en effet, soutenu activement un allègement sur quelques secteurs bien ciblés, comme le textile ou certains services. La réduction des déficits, dont je reconnais la priorité, ne laisse sans doute pas de marge. Il est dommage que l'on ne puisse pas accélérer cette politique de baisse des charges initiée très judicieusement par le gouvernement pour l'emploi ; cela au moment où la masse salariale de la fonction publique connaît une augmentation de 5 %. Un meilleur partage des efforts me paraît souhaitable à l'avenir. La nouvelle mesure visant à l'insertion des titulaires du RMI dans les entreprises va dans ce sens.
Les Échos : Quelles inflexions souhaiterez-vous apporter au Parlement au projet de budget dont on connaît désormais les grandes lignes ?
J. Barrot : Sur le plan fiscal, un nouveau pas, même modeste, pourrait être accompli pour encourager l'investissement dans l'immobilier locatif. On peut penser au relèvement de la déduction forfaitaire sur les loyers actuellement à 10 %. Les modalités du crédit-impôt recherche pourraient être utilement améliorées pour accroître la force de frappe industrielle française. Du côté des dépenses, un effort de rigueur s'impose sur tous les départements ministériels. Encore faut-il qu'il n'entrave pas les efforts d'investissement indispensables. Il ne faut pas que l'État prenne du retard dans ses participations aux investissements routiers prévus par les contrats de plan, ni non plus dans les subventions d'équipement sanitaire indispensable pour accompagner les restructurations hospitalières.
Par ailleurs, je déposerai dans quelques jours une proposition de loi visant à développer dans nos entreprises les techniques d'affacturage et d'assurance-crédit qui permettent à la fois de réduire les risques pris et d'aider à la maîtrise des délais de paiement.
Les Échos : Les députés avaient remis, en juin, au ministre du Budget un dossier relevant un certain nombre de pistes d'économies – ce qui est une première. Le gouvernement semble en avoir retenu une, le relèvement du taux de plafonnement de la taxe professionnelle. Qu'en pensez-vous ?
J. Barrot : Les rapporteurs de la commission s'étaient bornés à évoquer la croissance très rapide du rythme du coût du dégrèvement au titre du plafonnement de la taxe professionnelle. Ils proposaient de stabiliser l'effort de l'État. Le gouvernement semble avoir été plus loin, le débat permettra d'y voir plus clair. On ne peut pas reprocher aux parlementaires d'avoir aussi donné un éclairage sur quelques sujets difficiles : ciblage des fonds de formation professionnelle, rémunération des PEP, gestion du 1 % logement… Même si on reste en alerte, le travail aura été utile. Il contribue à désacraliser les « services votés » en essayant de mieux les évaluer. Le Parlement retrouve là une responsabilité majeure dont l'exercice permettra de retrouver de nouvelles marges de liberté dans les budgets à venir.
La Tribune Desfossés : 20 septembre 1994
La Tribune Desfossés : Le gouvernement a construit le budget 1995 en fonction d'un objectif prioritaire : la réduction du déficit. Approuvez-vous ce choix ?
J. Barrot : Je l'approuve entièrement. L'internationalisation de notre économie est telle que qu'il n'est plus possible de s'autoriser un quelconque dérapage. Au moindre signe de laxisme budgétaire, les marchés sont prêts à faire monter les taux d'intérêt à long terme, à attaquer le franc. Je reviens du Japon. On m'y a interrogé sur le prochain budget. Lorsque j'ai expliqué à mes interlocuteurs que le gouvernement français allait réduire le déficit, j'ai vu les visages s'éclairer.
La Tribune Desfossés : N'est-on pas allé trop loin dans l'appel aux capitaux extérieurs ? Comme vous le soulignez, ils font peser une lourde contrainte sur la politique économique…
J. Barrot : Cela était nécessaire au financement des déficits publics tout en laissant de l'épargne disponible pour le secteur privé. Mais il est vrai qu'on peut tenter de mieux mobiliser l'épargne française. Un effort est encore nécessaire pour la réorienter vers le secteur productif. Les projets de développement de l'épargne-retraite, je préfère éviter le terme de « fonds de pension » en faveur desquels je milite, vont en ce sens.
La Tribune Desfossés : Vous n'êtes pas sensible au discours sur la nécessité de donner la priorité à la lutte contre le chômage, en reléguant au besoin l'impératif budgétaire au second plan ?
J. Barrot : La politique de l'emploi se joue sur le long terme. C'est en renforçant la compétitivité de l'économie qu'on gagnera la bataille de l'emploi. Un laxisme momentané ne créera véritablement des emplois. De ce point de vue, la rigueur budgétaire est indispensable. Une réduction du déficit est synonyme de taux d'intérêt moins élevés, d'où une économie en meilleure santé et des marges de manœuvre pour l'État, qui peut agir pour l'emploi. C'est le cercle vertueux à atteindre. Cela étant, l'amélioration de notre compétitivité passera aussi par une réforme de nos prélèvements sociaux. Réforme de fond indispensable, mais qui nécessite l'établissement d'un large consensus.
La Tribune Desfossés : Tout de même, le gouvernement n'aurait-il pas pu faire un premier pas en ce sens ?
J. Barrot : Il est vrai que, si des marges de manœuvre devaient se dégager, je conseillerais prioritairement une mesure supplémentaire d'allégement des charges sur les emplois moins qualifiés. Pourquoi ne pas prendre une branche professionnelle prête à contracter avec l'État en s'engageant sur un certain nombre d'objectifs en termes d'emplois ? Le CNPF aurait gagné à se déclarer disposé à contracter de cette manière et à manifester ainsi son sens des responsabilités sociales. Certains secteurs seraient prêts à s'engager, par exemple une branche manufacturière comme le textile, qui pourrait retrouver ainsi un avantage décisif dans la concurrence internationale.
La Tribune Desfossés : À quoi tient l'absence de marge de manœuvre des pouvoirs publics ?
J. Barrot : Le projet de loi de finances, dont le gouvernement achève la préparation, est étroitement dépendant des engagements pris au cours des années passées. Certains auraient dû être beaucoup mieux évalués dans leurs conséquences. La hausse de 5 % de la masse salariale de la fonction publique grève le budget 1995. Elle réduit d'autant la liberté de choix au sein d'un budget qui, globalement, ne croît que de 1,9 %. Du coup, le risque est de voir certains investissements publics stagner. Les investissements routiers, notamment, jouent un rôle économique majeur aussi bien pour la création d'emplois que pour le nécessaire aménagement de notre espace. La fiscalité sur l'immobilier doit être progressivement allégée pour encourager une offre plus abondante de logements, clé d'une politique familiale et sociale plus active. Voilà pourquoi il est aussi important de pouvoir dégager des marges de manœuvre par une stratégie de redéploiement des crédits. La croissance va apporter des ressources supplémentaires à l'État, mais elles seront, pour l'essentiel, mobilisées par la réduction du déficit. Il s'agit donc bien de revoir des engagements passés, d'étudier quels crédits peuvent être mis en cause, afin de financer des actions qui soient porteuses d'emplois et d'avenir. Le parlement doit jouer, de ce point de vue, un rôle non négligeable.
La Tribune Desfossés : Il n'a aujourd'hui que peu de moyens pour se consacrer à un tel projet.
J. Barrot : C'est vrai, C'est pourquoi il faut qu'il lui soit reconnu plus officiellement une mission d'évaluation de de la dépense publique. Le parlement devrait disposer d'un observatoire étoffe pour mieux décomposer la dépense et ainsi procéder à de véritable audits. Il pourrait d'ailleurs faire appel à des experts de comptabilité privée, qui pourrait apporter un éclairage nouveau sur la dépense publique. Mais ces remises en cause prendront du temps. Le budget 1995 a le mérite de ne pas sacrifier l'essentiel que constitue une gestion plus rigoureuse des dépenses publiques pour réduire le déficit. Il permettra aux prochains budgets d'aller plus loin en bénéficiant je l'espère, des réformes en profondeur que permettra le nouveau septennat.