Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur le théâtre et la liberté de création, Paris le 28 septembre 1994.

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Circonstance : Remise des insignes de chevalier de l'ordre national du mérite à M. Régis Santon à Paris le 28 septembre 1994

Texte intégral

Monsieur Régis Santon, 

Le théâtre est une vocation, dites-vous. Votre carrière, votre passion pour le monde dramatique le confirment. Très jeune, dès l'âge de neuf ans, vous saviez que ce serait votre lieu de vie et de travail, même si vous hésitiez encore – et c'est bien naturel – entre le jeu et la mise en scène. 

C'est la rencontre de grands artistes qui a déterminé votre choix : Jean Vilar et Roger Planchon vous ont émerveillé. Ils vous ont fait comprendre le mystère à la fois simple et difficile de cette voie que vous alliez emprunter. Mettre en scène, c'est recréer sur les planches un monde différent, plus vivant encore, plus vrai presque, que la réalité. 

Cette décision était courageuse et même téméraire aux yeux de votre entourage. Et, toute votre vie, vous avez éprouvé les contradictions qui pèsent sur celui qui se sent aussi profondément artiste et citoyen que vous l'êtes. 

Préserver votre liberté de création, ainsi que celle de vos acteurs, tout en obéissant aux contraintes qu'impose la direction d'un théâtre municipal, est un équilibre bien délicat à trouver. Surtout quand on se refuse à obéir aux modes, comme vous l'avez toujours fait. 

C'est un choix méritoire. Je me réjouis que vos créations et vos adaptations rencontrent un succès croissant. Il suffit de voir quels éloges suscitent dans la presse les Affaires sont les affaires, d'Octave Mirbeau, que vous faites jouer en ce moment même ! 

Il est vrai que de remarquables artistes vous entourent. Permettez-moi d'associer à vos mérites ceux de votre épouse, Marie-France Santon, qui interpréta avec brio le rôle de Gabrielle Jourdan dans Lundi huit heures, ainsi que ceux de votre fils, Sacha Santon qui joue, ces jours-ci, dans votre dernière réalisation. 

Mais au-delà de votre famille, avec laquelle ce doit être une grande joie que de partager ainsi votre passion du théâtre, c'est à votre équipe toute entière que je souhaite également rendre hommage. Vous connaissez certains de vos acteurs de longue date. La joie avec laquelle ils se produisent sous votre direction témoigne, plus que tout autre signe, d'une réussite digne de la confiance que vous faisait Silvia Monfort. 

Votre théâtre se doit, en effet, d'être fidèle à sa mémoire, à l'esprit du Théâtre National Populaire qu'elle vous a légué et que vous faites vivre d'autant plus volontiers que vous en partagez les convictions. 

La culture pour tous, oui, certes, mais une culture de qualité, pour les plus démunis et les plus déshérités, tel est son message. Tel est le projet qui guide vos mises en scène sur ce lieu des anciens abattoirs de Vaugirard, où Silvia monfort avait installé son Carré et où la Ville de Paris a décidé de construire cet agréable théâtre municipal. Je tenais à évoquer, à cette occasion, le souvenir de cette grande actrice qui a marqué notre théâtre contemporain. 

Vous avez monté un grand nombre de pièces, vous avez choisi des textes exigeants. 

Que ce fût au Théâtre Essaïon, que vous avez fondé en 1974 et dirigé pendant trois ans, ou à la Gaîté-Lyrique, où ensuite, le Nouveau Carré de Silvia Monfort s'était installé. Que ce fût au théâtre de la Plaine dont vous avez été le directeur artistique. On vous dit inclassable, mais vos mérites sont reconnus dans les compétitions dramatiques. Vous avez, entre autres prix, obtenu pour votre mise en scène du Foyer d'Octave Mirbeau le Molière 89 du « Meilleur Spectacle subventionné de l'année ». À cette occasion, la Grande Médaille d'Argent de la Ville de Paris vous fut décernée. En 1992, c'est la Valse des Toréadors de Jean Anouilh qui, lors de l'inauguration même de ce théâtre, fut particulièrement remarquée. 

Ces pièces – quasiment toutes écrites en notre langue – ont retenu votre attention, parce qu'elles appartiennent à une tradition bien française, comique et noire à la fois. Elles mettent au jour, sans complaisance, les rouages de notre société, et les fondements de notre existence. Que ces œuvres soient de grands classiques ou que vous les ayez fait redécouvrir à votre public, le rire y triomphe toujours du désespoir. Vous parvenez, au fil des représentations, ou lorsque vous professez à l'École Supérieure d'Art Dramatique de la Ville de Paris, à instaurer cette relation de franchise et de communion qui définit pour vous le théâtre. 

Rien n'est plus satisfaisant que de voir, ainsi, de brillantes initiatives personnelles relayer les ambitions de notre politique nationale. 

L'objectif du Gouvernement est de rendre le théâtre plus proche des citoyens. C'est l'action que mène, avec résolution, M. Jacques Toubon, ministre de la Culture et de la Francophonie, pour que tous les Français aient également accès à des spectacles de qualité, quels que soient leurs moyens et leur lieu de résidence. 

Je suis heureux de reconnaître aujourd'hui le talent et le civisme avec lequel vous accomplissez votre mission d'artiste, au service du théâtre et de la cité, et pour le plus grand plaisir de vos concitoyens. 

Régis Santon, 

Au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de l'Ordre National du Mérite.