Texte intégral
Le Journal du dimanche
– Qu’est-ce qui a changé en Corse ?
Émile Zuccarelli
– Cela fait vingt ans que je réclame avec obstination, et parfois dans une relative solitude, le rétablissement de l’ordre républicain en Corse. Ce qui a changé, c’est qu’il y a un Gouvernement déterminé à rétablir l’état de droit sur l’île, comme l’avait annoncé Lionel Jospin dès juin 1997 dans son discours de politique générale. Mais il est certain que l’assassinat du préfet Érignac a provoqué dans la population insulaire une prise de conscience très forte qui ne peut que conforter le Gouvernement dans sa résolution. Pour le reste, il ne faut pas feindre de découvrir ce qui existait : 500 attentats et entre 20 et 40 homicides par an. L’absence de régression contre cette criminalité a permis le développement d’activités à caractère mafieux : la violence, l’argent et l’affairisme.
Le Journal du dimanche
– Le FLNC-Canal historique vient de revendiquer certains attentats récents et de proférer de nouvelles menaces dont l’attentat d’Avignon dans la nuit de vendredi à samedi pourrait être la concrétisation. Qu’en pensez-vous ?
Émile Zuccarelli
– Tout cela ne fait que renforcer le Gouvernement dans ses choix en Corse. Aujourd’hui chacun doit avoir à l’esprit que ces menaces et ces tentatives d’intimidation ne modifient en rien, au contraire, la détermination de l’État à mener à bien le rétablissement de la légalité qui passe, au premier chef, par la mise hors d’état de nuire des fauteurs d’attentats et d’homicides.
Le Journal du dimanche
– En même temps, l’enquête sur l’assassinat du préfet Érignac piétine…
Émile Zuccarelli
– L’enquête criminelle est menée avec diligence et j’ai bon espoir qu’elle aboutira. Pour autant, dans ce domaine, on n’est jamais sûr du résultat et on ne peut s’arrêter à des présomptions, à des hypothèses. Il faut rassembler des preuves.
Le Journal du dimanche
– Toute la Corse semble être mise en accusation. Ne passe-t-on pas par un état d’exception pour parvenir à un état de droit ?
Émile Zuccarelli
– Un état d’exception certainement pas ! Toute la politique du Gouvernement vise à rétablir l’état de droit, par l’application convenable mais obstinée des moyens ordinaires de justice et de police et de l’ensemble des services de l’État. Qu’il y ait un surcroît d’effectifs parce qu’il faut rétablir une situation, c’est évident. Mais il n’y a pas de moyens d’exception.
Le Journal du dimanche
– Le préfet Bonnet utilise-t-il les bonnes méthodes ?
Émile Zuccarelli
– Il mène une tâche difficile de manière courageuse. Il a tout le soutien du Gouvernement. Au regard de la situation, il est amené à ouvrir de nombreux dossiers, mais c’est son rôle et il l’exerce pleinement.
Le Journal du dimanche
– Certains appellent cela une opération « mains propres »…
Émile Zuccarelli
– Je n’aime pas trop le terme. Non, c’est une opération état de droit, application de la loi. Il est vrai que l’opinion ne fait pas toujours la différence entre contrôles, présomptions et poursuites éventuelles surtout quand les médias présentent un contrôle comme une mise en accusation voire une culpabilité.
Le Journal du dimanche
– N’assiste-t-on pas à une justice spectacle en Corse ? Pourra-t-on aller jusqu’au bout des poursuites éventuelles ?
Émile Zuccarelli
– Il est certain qu’actuellement la justice est très médiatisée, peut-être l’est-elle trop. Comme l’a indiqué le procureur général Legras, il faut éviter de tomber dans ce piège. Quant aux moyens humains et matériels de la justice, ils vont s’adapter aux besoins.
Le Journal du dimanche
– Ces enquêtes conduisent à des personnalités politiques…
Émile Zuccarelli
– Parfois. Mais il faut toujours séparer le bon grain de l’ivraie. Il est absurde de dire que « les Corses ne paient pas leurs impôts » parce que 8 % d’entre eux – au lieu de 3 % sur le continent – ne le feraient pas : il y a quand même 92 % de Corses bons payeurs. Pour les politiques, c’est pareil. Les élus de Corse sortiront de cette affaire lavés d’un soupçon collectif car je sais que, dans leur immense majorité, ce sont des gens honnêtes.
Le Journal du dimanche
– Il y a beaucoup de nouvelles nominations en Corse, cela ne risque-t-il pas de paralyser la machine ?
Émile Zuccarelli
– Non. La machine se met en place. Il y a un changement de politique clair. Cela dit, le rétablissement de l’état de droit est une condition incontournable du développement économique, social et culturel de la Corse, qui est la fin recherchée. Si on ne réalise pas cette condition, tous les programmes les plus mirifiques et les plus généreux de la part de l’État seront voués à l’échec. Autant semer du grain dans les cailloux ! C’est une condition nécessaire mais elle n’est pas suffisante, il faut aussi agir. Lionel Jospin vient de rappeler que le Gouvernement s’attachait également à mettre en place les outils du développement de la Corse. Il prépare avec soin le contrat de plan, une occasion importante de définir un projet pour la Corse. C’est, à mes yeux, un aspect très important de la politique du Gouvernement dans l’île. La politique qui a conduit à la sinistre mascarade de Tralonca (NDLR : la conférence de presse des cagoulés) en janvier 1996 doit être abandonnée à tout jamais. Le développement passe par là.