Texte intégral
La lettre de J.-M. Le Pen : 1er juin 1994
12 juin : deuxième étape
Et après ?
Les élections européennes marquent, après les cantonales de mars, la deuxième étape qui doit conduire le Mouvement national jusqu'aux présidentielles et aux municipales du printemps 1995.
Le travail de « ratissage du terrain » effectué depuis plusieurs mois par Jean-Marie Le Pen, les responsables et les militants du Front à travers tous les départements de métropole et d'outre-mer va porter ses fruits.
L'effort de persuasion accompli par le FN en direction de professions menacées directement par l'Europe de Maastricht, mais aussi la dénonciation méthodique de la corruption politicienne et de l'inversion systématique des valeurs dans notre société, va sans doute nous ouvrir des cœurs. Les idées portées par l'alternative nationale et ses « 300 mesures » avancent dans le pays tandis que nos compatriotes doivent progressivement se rendre à l'évidence : il n'y a pas 36 façons de conduire le gouvernement de la France ; M. Balladur pratiquant sensiblement la même politique que M. Bérégovoy et M. Baudis étant sensiblement d'accord avec M. Rocard, il faut donc chercher ailleurs des raisons d'espérer une véritable volonté de changement, c'est-à-dire de rupture avec les politiques menées de façon funeste depuis 20 ans.
L'outsider
Cet « ailleurs », cette capacité de rompre avec des erreurs érigées en système de gouvernement, c'est au Front National qu'on peut les trouver. Voilà pourquoi désormais le Front est incontestablement devenu la 3e force politique française, voilà pourquoi, plus que jamais, Jean-Marie Le Pen fera figure d'outsider possible pour le deuxième tour de l'élection présidentielle d'avril prochain.
On le voit, le 12 juin n'est qu'une étape vers des échéances plus décisives encore et qui devront, je crois, être marquées par le retour, dans le discours politique et dans l'esprit des Français, de valeurs fortes jusqu'ici laissées au rebut par la classe politicienne et qui ont pour noms : fierté d'être ce que nous sommes, ambition pour notre peuple et notre nation, fraternité d'armes et enfin courage dans le combat à mener.
Fierté retrouvée
Si l'on veut bien s'y arrêter un instant, on s'apercevra d'abord que ces valeurs ont été trop souvent évacuées du discours politique et que leur absence a accéléré notre décadence morale et politique, mais qu'ensuite le retour de ces justes sentiments dans la conscience collective est la condition préalable à toute conquête de l'opinion et, partant, à toute conquête du pouvoir.
C'est une question d'état d'esprit. La volonté marquée par les italiens de rompre avec une ère de médiocrité, de calculs politiciens et de magouilles financières afin de cesser d'avoir à rougir d'eux-mêmes, afin aussi de renouer avec les moments de grandeur et de fierté de leur nation, les a conduit, tout naturellement, à se tourner vers la coalition porteuse d'une alternative nationale. MM. Fini, Bossi et Berlusconi ont promis de l'effort et de la sueur, mais ils ont aussi fait entrevoir des lendemains exaltants pour une nation réconciliée avec elle-même, sûre de ce qu'elle incarne aux yeux du monde.
Nos ambitions pour la France ne sont pas bien éloignées de celles-là et si nous dénonçons les fléaux qui menacent avec constance notre peuple, c'est pour provoquer chez nos compatriotes le réflexe salutaire de la volonté de changer les choses.
Notre peuple, notre pays ont connu au cours des siècles bien des vicissitudes, parfois plus dramatiques encore que celles que nous vivons et le Traité de Troyes était bien dans le même esprit que celui de Maastricht. Il n'empêche. À un instant donné, le sang français n'a fait qu'un tour et la nation a cessé de courber l'échine. Dix fois, cent fois au cours de notre histoire, notre peuple a relevé la tête.
Le stimulus de la grandeur
En fait, la vocation du Front National est bien là tout entière : il a le devoir d'être le stimulus de la nation assoupie, le stimulus chargé de lui redonner goût à la vie, à la conquête. À la grandeur dans le respect de son histoire séculaire.
Les Français ne sont pas morts !
Tout juste anesthésiés, endormis par des années de culpabilisation médiatique, de belles paroles politiciennes et de promesses selon lesquelles demain ceux qui ont échoué hier, « raseront gratis » !
Face à cela, il nous reste une année pour réveiller nos compatriotes, pour les libérer du champs du mensonge et de l'illusion dans lequel ils sont confinés depuis tant d'années.
Notre tâche est immense et exaltante, mais pour la mener à bien, il nous faudra être plus soudés et unis fraternellement que jamais derrière Jean-Marie Le Pen, il nous faudra innover, déconcerter, étonner et convaincre.
Aussi, le 12 juin n'est qu'une étape et notre courage comme notre travail ne devront pas se relâcher une fois le scrutin passé. Tout désespoir, toute faiblesse en politique est sottise absolue, soulignait Maurras.
Notre croisade pour la France et les Français d'abord est encore longue mais nous saurons être à la hauteur de notre épopée.
Le Parisien : 7 juin 1994
Le Parisien : Quelles réactions suscitent chez vous les commémorations du débarquement ?
Bruno Mégret : Je les perçois commun un hommage à des valeurs qui ne sont plus très répondues aujourd'hui : le courage, le dévouement, le sacrifice. Je regrette que les Allemands ne soient pas présents à ces cérémonies. C'était l'occasion d'une réconciliation définitive et c'était plus logique de les inviter aux cérémonies du débarquement que de les faire défiler le 14 juillet prochain.
Le Parisien : Vous êtes contre la présence des soldats allemands sur les Champs-Élysées ?
Bruno Mégret : Le 14 juillet est une fête nationale française. Associer des étrangers comme acteurs des manifestations officielles c'est suggérer l'idée que la France ne serait plus tout à fait une nation.
Le Parisien : Il y a surtout dans cette initiative un symbole européen, puisqu'il s'agit de troupes de l'Eurocorps.
Bruno Mégret : Nous sommes totalement opposés à l'Eurocorps. C'est une illusion de vouloir constituer une armée qui serait une tour de Babel, avec un colonel britannique, un capitaine allemand, un lieutenant français, un sergent belge et des soldats néerlandais. Cela ne marchera jamais ! Et justement la commémoration du débarquement nous enseigne quelle est la bonne voie pour organiser l'Europe des armées : c'est l'alliance militaire comme elle a été pratiquée du côté des alliés au cours des deux dernières guerres mondiales. Cette alliance militaire européenne aurait dû être mise en place, il y a bien longtemps, ce qui aurait évité à 350 millions d'Européens d'avoir à subir l'humiliation de faire appel à 220 millions d'Américains pour les protéger contre 260 millions de Soviétiques.
Le Parisien : Comment cette alliance militaire européenne pourrait-elle fonctionner dans un cas de figure comme celui de la guerre dans l'ex-Yougoslavie ?
Bruno Mégret : Je constate premièrement que l'Europe de Maastricht s'est montrée totalement impuissante et qu'elle n'a pu que faire appel à l'ONU, à l'OTAN et aux États-Unis. Les défenseurs de Maastricht en tirent cette conclusion : l'Europe, cela marche mal, c'est pourquoi il faut plus d'Europe. En d'autres termes, la voiture part dans le décor, accélérons l'allure !
Le Parisien : Mais quelle est votre solution ?
Bruno Mégret : Il faudrait, dans le cadre d'une organisation différente de l'Europe, créer l'équivalent d'un conseil de sécurité à l'échelle du continent européen pour gérer entre Européens les problèmes et les conflits qui existent sur le sol européen.
Le Parisien : Mais plus précisément dans le cas de l'ex-Yougoslavie ?
Bruno Mégret : Il faut trouver les solutions politiques, c'est-à-dire celle qui suppriment les causes de la guerre : dans le cas de la Bosnie l'origine du conflit c'est la coexistence impossible sur un même sol des communautés religieuses ou culturelles différentes. Nous sommes pour appliquer en ex-Yougoslavie le principe selon lequel chaque peuple ou chaque communauté doit vivre sur un sol qui lui soit propre.
Le Parisien : Comment expliquez-vous les intentions de vote relativement importantes en faveur de la liste Sarajevo ?
Bruno Mégret : Par une réaction sentimentale, une compassion à l'égard de ceux qui souffrent là-bas. Je ne suis pas sûr que l'on retrouve ces chiffres dans les résultats du 12 juin.
Le Parisien : Comment un responsable politique doit-il réagir à cette émotion ?
Bruno Mégret : Cette émotion est sympathique, tout à l'honneur de notre peuple, mais je pense que les politiques ne doivent pas être guidés par des émotions. M. Bernard-Henri Lévy est tout à fait à côté de la plaque car il nourrit en tant que philosophe une chimère politique : faire exister en Bosnie un État pluriculturel et multireligieux. Je trouve paradoxal que, dans une campagne où l'on débat de la perte d'intégrité nationale de la France, on se préoccupe de l'intégrité nationale de la Bosnie.
Le Parisien : Que pensez-vous des phénomène Tapie et Villiers ?
Bruno Mégret : C'est un phénomène très révélateur d'une nouvelle fracture de la classe politique traditionnelle. Que certains, à droite, commencent à ne plus voter pour les partis classiques, mais pour M. de Villiers, c'est, à terme, quelque chose qui ne peut que nous servir. Parce que lui ne dispose pas d'un mouvement politique structuré et enraciné.
Le Parisien : Sert-il de sas pour certains électeurs entre la majorité et le FN ?
Bruno Mégret : C'est une bonne formule. Je dirais d'une certaine façon : « Merci M. de Villiers ! Vous travaillez dans la bonne direction ».
Le Parisien : À entendre les discours de Philippe de Villiers et de Jimmy Goldsmith, on dirait bien qu'ils chassent sur vos terres.
Bruno Mégret : Beaucoup de ce qui est dit par M. de Villiers et par M. Goldsmith est depuis longtemps dans le programme du FN. Quand on sait que les batailles politiques sont d'abord gagnées sur le plan des idées, on ne peut que se réjouir de la progression de notre discours, même si électoralement ceux qui y adhèrent ne votent pas encore tous pour la liste du FN. De ce point de vue, M. Goldsmith a toute notre sympathie. C'est déjà une première victoire du FN que d'avoir remporté un certain nombre de succès idéologiques.
Le Parisien : Idéologiques certes, mais politiques ?
Bruno Mégret : Je vois tout ça dans une perspective extrêmement… positive.
Le Parisien : J'ai cru que vous alliez dire « extrêmement lointaine »…
Bruno Mégret : Non (rires). Pas du tout. Sur le plan électoral, le FN ne cesse de progresser. Bien sûr, on aimerait bien aller plus vite, mais les grandes choses ne se font pas en un jour.
Le Parisien : En 1984, l'événement, c'était la percée du FN. Comment ressentez-vous le fait que dix ans plus tard vous n'apparaissiez plus que comme un élément familier du paysage ?
Bruno Mégret : Cela prouve que le FN, a réussi à s'enraciner dans la vie politique française. Il est maintenant en position d'exploiter une situation qui pourrait devenir favorable dans les mois ou les années qui viennent.
L'exemple de ce qui s'est passé en Italie est extrêmement encourageant pour nous. Je pense que des événements de nature comparable pourront se produire en France : d'une part, une opération mains propres de grandes envergure qui balaierait la classe politique institutionnelle de plus en plus touchés par les affaires et, d'autre part, la sortie du ghetto de la droite nationale comme cela s'est produit eu profit du MSI en Italie. Ce qui se passe en Italie va donc servir de référence pour la France.
Le Parisien : Mais le MSI s'est recentré. Il a un leader plus jeune et plus moderne que Jean-Marie Le Pen. Le FN doit-il s'en inspirer ?
Bruno Mégret : Il ne faut pas donner une importance excessive aux phénomènes d'image. Je ne pense pas que ce soit l'âge des dirigeants qui détermine les votes. Le FN n'a pas à opérer le recentrage qui a été fait par le MSI, parce qu'il n'est pas l'héritier d'un mouvement fasciste. Son recentrage en termes d'image a été conduit par Jean-Marie Le Pen à l'occasion de sa dernière campagne présidentielle et poursuivi depuis.
Le Parisien : C'était éclatant face à Bernard Tapie. Par rapport au Le Pen 1989, on voit une évolution…
Bruno Mégret : Si vous le dites…
Le Parisien : Qui a fait dire à Philippe de Villiers : « Le Pen n'existe plus ».
Bruno Mégret : Si on rentre dans le jeu des petites phrases, est-ce que M. de Villiers existera un jour ?
Le Parisien : Pour en revenir au MSI, ce parti a su s'entourer d'alliés. Est-ce que votre problème n'est pas celui-là ?
Bruno Mégret : Actuellement, le FN est pénalisé par le système électoral, qui est un handicap artificiel, et par l'attitude du RPR et de l'UDF…
Le Parisien : Qui est une attitude politique…
Bruno Mégret : Oui. C'est vrai que nous sommes gênés par l'absence de possibilité d'alliance, ne serait-ce qu'électorale. Encore que cet isolement nous fait apparaître pour ce que nous sommes : un recours face au système. Cela dit cet ostracisme changera par le rapport de force. La gauche s'étant effondrée, le RPR et l'UDF ont put jouer la carte de la non-alliance avec les FN. Si la donne change, et je pense qu'elle va changer, il n'en sera plus de même. Ne serait-ce qu'à l'occasion de l'élection présidentielle. M. Chirac devrait se souvenir que, s'il a été battu, c'est peut-être d'abord et avant tout parce qu'il a rejeté le FN. Les mêmes causes peuvent produire des mêmes effets.