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"La France peut contribuer à rapprocher les points de vue au sein du FMI" nous déclare le ministre français de l'Économie, Edmond Alphandéry
À Madrid, où se déroule du 4 au 6 octobre l'Assemblé annuelle du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, la Russie devrait réussir à obtenir un rééchelonnement de ses dettes publiques d'environ 20 milliards de dollars sur 42 milliards. Les négociations concernant sa dette privée d'environ 45 milliards ne devraient pas aboutir avant plusieurs mois.
Dans un entretien au "Monde", Edmond Alphandéry, ministre de l'économie, explique la position de la France dans le grave différend apparu entre les pays en développement et le G7 à propos de l'allocation de droits de tirage spéciaux (DTS). Il répond aux critiques qui reprochent à la France d'avoir rejoint trop vite les positions des pays industriels du G7.
Madrid (de notre envoyé spécial)
Le Monde : Le refus des pays en développement d'approuver la proposition du G7 en matière d'allocation de droits de tirage spéciaux (DTS) a déclenché une brusque crise. Comment analysez-vous le différend Nord-Sud surgi à cette occasion ?
Edmond Alphandéry : À mon avis, il s'agit surtout d'un déficit de compréhension de part et d'autre. Certain pays industrialisés, en l'occurrence les États-Unis et la Grande-Bretagne, sont arrivés à la veille de la réunion du comité intérimaire du FMI avec une proposition d'allocation spéciale de 16 milliards de DTS qu'ils considéraient comme un geste déjà très significatif en faveur des pays en développement. En face d'eux les pays en développement avaient le sentiment qu'on leur proposait une procédure d'allocation spéciale qui, en fait, condamnait la formule de l'allocation générale prévue par les statuts du Fonds. Un blocage était inévitable.
Dès le début, j'avais compris que nous allions à l'incident. Pour l'éviter, j'avais proposé à mes collègues du G7 de modifier la proposition anglo-saxonne en leur proposant de rester dans le cadre de l'enveloppe de 16 milliards de DTS mais de faire en sorte que la partie destinée aux pays en développement et en transition (environ 11 milliards de DTS) soit présentée sous la forme d'allocation générale. Cette suggestion n'a pas été retenue car certains pays du G7 ont continué à considérer que l'économie n'a pas besoin en ce moment de liquidités supplémentaires.
Devant la difficulté à faire passer l'initiative française, j'ai proposé que ce qui devait apparaître comme la position du G7 soit amélioré sur deux points qui devraient apaiser les craintes des pays en développement. D'un part, faire acter par les Sept que le principe de l'allocation générale n'était pas abandonné, même si nous acceptions, dans l'instant, une allocation spéciale. D'autre part, que les pays du G7 s'engagent à accélérer la ratification de cette allocation spéciale par leurs parlements le plus vite possible, c'est-à-dire au cours de l'année 1995. Mes collègues ont donné leur accord à ce calendrier, y compris le secrétaire américain au Trésor, Lloyd Bentsen.
À partir de ce moment-là, la France avait bonifié la position du G7 et j'ai considéré qu'il valait mieux s'inscrire à l'intérieur de la position du G7 plutôt que de rompre le consensus. Par la suite, quand il est apparu que les positions étaient manifestement trop éloignées, j'ai demandé une réunion impromptue du G7 que mes collègues m'ont demandé de présider. J'ai à nouveau plaidé pour un assouplissement de la position du G7 et nous avons obtenu ultérieurement du comité intérimaire l'adoption de l'élargissement de l'accès aux quotas du FMI, ce qui constitue un point très positif. En revanche, nous sommes restés bloqués sur l'affaire des DTS. D'autant que les pays en développement ont voulu lier cette question à la troisième tranche de la Facilité pour la transformation systémique dont le principe doit être renouvelée avant la fin de l'année. Le blocage était total.
Amélioration sur deux points
Le Monde : Comment comptez-vous en sortir ?
Edmond Alphandéry : Chacun sait et reconnaît que, durant tous ces épisodes, la France a constamment cherché à infléchir la position du G7 en faveur des pays en développement. À présent, si un pays peut être appelé à rapprocher les différents points de vue, la France est toute disposée à jouer ce rôle si on le lui demande.
Le Monde : À ce propos, pensez-vous qu'il s'agit d'une crise susceptible de toucher l'institution elle-même ?
Edmond Alphandéry : Non. Il est clair que nous sommes actuellement dans une période de prise de conscience des pays en développement soucieux de faire valoir qu'ils détiennent aussi un pouvoir. Mais il n'y a pas de crise au sein du FMI. Il s'agit simplement de divergences que nous allons certainement surmonter.
Le Monde : Estimez-vous que Michel Camdessus, directeur général du FMI, sort affaibli de cette bataille ?
Edmond Alphandéry : Non, M. Camdessus a aussi perçu le déficit de compréhension. Il a cherché à convaincre le G7 de la nécessité de faire partie du chemin. C'était son devoir et chacun le comprendra avec le recul. D'ailleurs, aucun pays ne l'a montré du doigt.