Texte intégral
Dans cette vallée du Volturno, non loin du Mont-Cassin, nous retrouvons le souffle d'un passé qui demeure présent à jamais en chacun de nous dans le souvenir de ceux qui dorment de leur dernier sommeil, ici, à Venafro.
Sur cette terre, "des soldats français et musulmans algériens, marocains et tunisiens, aujourd'hui confondus dans les mêmes sacrifices et les mêmes fiertés" selon la belle expression du Maréchal Juin, se sont battus avec bravoure et abnégation.
Sur leur poitrine, un insigne et un symbole : le coq gaulois, annonciateur de l'aurore, annonciateur de la victoire.
Dans leur cœur : l'ardeur et la détermination qui forcent le cours des événements.
Le corps expéditionnaire français, incarnation de l'Armée française renaissante entrait dans l'histoire et dans la légende.
Le Général Clark, commandant la Vème armée américaine, devait déclarer à l'issue des opérations :
"Pour moi, cela a été une source de profonde satisfaction que de constater combien la part vitale prise par les troupes françaises de la Vème armée pendant toute notre campagne d'Italie contre l'ennemi commun a été universellement reconnue.
Pendant ces longs mois j'ai eu le réel privilège d'être moi-même témoin des preuves les plus éclatantes que les soldats français, héritiers des plus belles traditions de l'Armée française, nous ont apportées. Néanmoins, non satisfaits de ceci, vous et tous les vôtres avez ajouté un nouveau chapitre d'épopée à l'histoire de France ; vous avez réjoui les cœurs de vos compatriotes et leur avez insufflé la consolation et l'espoir pendant qu'ils sont encore sous le joug lourd et humiliant d'un envahisseur exécré.
L'allant et le mépris complet du danger constamment démontrés par le corps expéditionnaire français sans exception, ainsi que les hautes qualités militaires, professionnelles de l'officier français, ont suscité l'admiration de vos alliés et la crainte chez l'ennemi. Des bords du Garigliano où vos premiers succès ont donné le ton qui devait caractériser toute l'offensive, puis fonçant sur Rome à travers les montagnes, traversant le Tibre et poursuivant l'ennemi sans trêve jusqu'à Sienne et jusqu'aux hauteurs dominant la vallée de l'Arno, les soldats de France ont toujours accompli tout ce qui était possible et parfois même l'impossible".
Le 5 juin 1944, à la veille du débarquement en Normandie que nous allons célébrer prochainement, les alliés entraient dans Rome après avoir fait sauter le verrou du Mont-Cassin, remporté la bataille de Garigliano et rompu quatre lignes allemandes : les lignes Gustav, Orange, Dora et Hitler. La contribution du corps expéditionnaire français au succès de cette campagne d'Italie fut décisive.
Pour s'illustrer aussi magnifiquement dans l'art de la guerre, il fallait des hommes d'exception, il fallait des chefs d'exception.
Votre chef, s'appelle Juin ; dernier maréchal de France à reposer aux Invalides, il a mis en pratique ce principe cher au maréchal Lyautey : "avant tout être des convaincus et des persuasifs… doués au plus haut point de la faculté d'allumer le feu sacré."
Son ordre du jour, lors de ses adieux au corps expéditionnaire français, mérite d'être rappelé :
"…Renouvelant les exploits accomplis naguère sur ce même sol,… vous avez hâté l'heure de la libération, intervenant sur le front d'Italie comme le facteur déterminant de la victoire. Le Général de Gaulle vous l'a dit : "Vous avez bien mérité de la Patrie".
Je m'incline pieusement devant nos morts et salue vos drapeaux et étendards aujourd'hui chargés de gloire.
…Où que vous alliez, vous vous montrerez forts, unis et confiants, pareils à ce que vous fûtes toujours ici, au cours de cette inoubliable campagne.
Vous resterez marqués du signe victorieux du CEF, cette magnifique entité française dont toute ma fierté sera d'avoir été l'animateur et le chef.
Je sais le prix que cette armée d'Afrique a payé dans les terribles batailles de la liberté et c'est avec une profonde émotion que je foule le sol de ce cimetière.
Si le Mont-Cassin est synonyme de gloire, il l'est aussi de douleur. Comment imaginer, dans ce paysage où les oliviers ont un air d'éternité, les terribles combats de la campagne d'Italie et la tragédie de ceux qui y ont laissé la vie.
Pas un mètre carré de terrain qui n'ait été le théâtre d'une lutte toujours recommencée, comme jadis sur les forts démantelés mais inexpugnables de Verdun. En attestent ces côtes si difficilement conquises. Ainsi de la côte 700 prise quatre fois, de la côte 915 deux fois et quatre fois contre-attaquée et de tant d'autres.
Les noms des combats, où vous vous êtes distingués, flottent tels des drapeaux et sonnent comme des glas : Pantano, la Mainarde, le Belvédère, le Majo au sommet duquel – le jour de la rupture du front du Garigliano – est planté le drapeau tricolore.
Ils sont synonymes du courage et de la peine des hommes, de la grandeur à laquelle parviennent les combattants quand ils croient en eux-mêmes et en une cause qui mérite le sacrifice suprême.
Mesdames et messieurs, lorsqu'on m'a invité à prendre part à cette cérémonie, c'est de grand cœur et avec le plus profond respect que je suis venu me joindre à vous.
Notre devoir est d'honorer les morts, en leur demandant de nous pardonner de violer le silence éternel des cimetières.
Notre devoir est aussi d'honorer les vivants, tous ceux, où qu'ils soient, qui ont partagé l'honneur de ces combats formidables.
Ce pèlerinage du souvenir que nous accomplissons ensemble nous donne la mesure du prix inestimable de la paix et de l'amitié entre les peuples. Et je voudrais saluer les personnalités étrangères qui nous font l'hommage de leur présence.
Vous me permettrez également de saluer les familles venues ici raviver le souvenir d'un être cher dont elles sont à jamais séparées, tout comme ceux qui se dévouent sans compter pour l'entretien des tombes des soldats morts à la guerre.
Savoir respecter la douleur, s'incliner devant elle, voilà l'un des fondements de la conscience humaine.
L'histoire tragique de l'Europe, plus tragique encore par la démesure des ambitions et des guerres de ce vingtième siècle a multiplié les morts et les victimes.
C'est l'honneur de notre civilisation de ne pas les oublier et de faire en sorte que des sépultures décentes leur soient données.
C'est l'honneur d'une nation de faire en sorte que ses soldats disparus ne soient pas des orphelins de l'histoire.
Puisse Cassino, symbole de guerre et d'héroïsme, même s'il y eut tant et tant d'autres combats, tant et tant d'autres drames sur cette ligne de front qui traversait l'Italie et traçait les tragiques frontières d'une campagne mémorable, – puisse Cassino nous rassembler – désormais, durablement, comme le symbole qu'il mérite aussi d'être : celui de la compréhension et de la paix entre les hommes.