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Ouest-France : Pourquoi avoir lancé des OAT « Alphandéry »
Edmond Alphandéry : C'est pour renouer avec la tradition qui permettait dans le passé aux particuliers d'acquérir des emprunts d'État, comme cela se passe d'ailleurs dans tous les autres pays modernes. Nous proposons simplement aux ménages un produit d'accès facile, régulier, et attractif maintenant que les rendements sur les obligations dépassent nettement ceux des Sicav.
Ouest-France : Attractif ? Ce n'est pas ce que disent toutes les banques ?
Edmond Alphandéry : Les banques sont venues spontanément me proposer de placer près de 20 milliards alors que je m'étais fixé un objectif à 10 milliards. Les banques viennent de s'engager, en octobre, pour la première émission sur plus de 3 milliards. C'est nettement plus que prévu. Je ne m'attendais pas à ce chiffre, même si je sais que c'est un bon placement qui garantit une bonne rémunération.
Ouest-France : Un placement qui peut être rongé par l'inflation ?
Edmond Alphandéry : Ni plus ni moins que tous les placements obligataires disponibles sur le marché. J'ajoute que la France a bien réussi à juguler la hausse des prix : 1,7 % pour 94. Elle est même plus vertueuse que l'Allemagne, la Grande-Bretagne, les États-Unis. Et elle prend toutes les garanties pour mener une politique de reprise sans inflation, grâce notamment à la Banque de France qui a pour vocation de veiller scrupuleusement à la stabilité des prix. L'épargne à long terme est ainsi protégée. Et puis ce nouveau produit est liquide. Vous pouvez le revendre quand vous le souhaitez.
Ouest-France : En prenant les risques du marché ?
Edmond Alphandéry : D'abord il n'y a aucun risque de perte pour celui qui gardera l'obligation jusqu'à son terme. Car elle sera remboursée au prix fixé. Ensuite les épargnants savent très bien à quoi s'en tenir quant aux caractéristiques de ce genre de placement.
Ouest-France : Favoriser l'épargne à long terme, n'est-ce pas contradictoire avec la relance de la consommation ?
Edmond Alphandéry : Pas du tout. Car les montants en cause sont modestes : il s'agit seulement de 20 milliards, à comparer par exemple aux 500 milliards d'emprunts de l'État pour l'année. Et puis il ne s'agit pas d'épargner plus, mais d'épargner mieux, de l'épargne courte, notamment des Sicav de trésorerie désormais moins rémunératrices, va se transférer sur cette épargne longue.
Ouest-France : On est en pleine turbulence boursière. Inquiétant non ?
Edmond Alphandéry : Cela n'est en rien spécifique à la France. Je ne crois pas que cela va durer. Les marchés s'inventent parfois des sources d'inquiétudes excessives. L'inflation est faible, la reprise s'annonce saine et durable. Les marchés finiront bien par se calmer. Les bourses, et notamment la Bourse française, rebondiront parce qu'il y a des entreprises qui affichent en ce moment de bons résultats, parce que la reprise internationale est là.
Ouest-France : Valéry Giscard d'Estaing estime pourtant que le dérèglement boursier est une menace pour la reprise ?
Edmond Alphandéry : Non, la reprise est désormais bien installée. L'investissement et la consommation repartent. Je ne vois donc pas pourquoi il y aurait aujourd'hui un risque sur la continuation de la croissance, Le plus dur est fait.
Ouest-France : Tout de même, vous ne craignez pas que la crise boursière entrave les privatisations ?
Edmond Alphandéry : Je ne le crois pas. Et je me permets de vous rappeler que nous avons privatisé l'UAP avec succès par mauvais temps boursier. Certes on ne peut totalement faire abstraction du contexte boursier, mais lorsqu'on privatise de très belles entreprises – ce qui est le cas – la demande est là. Même quand les indices ne sont pas au mieux de leur forme.
Ouest-France : Vous avez engagé l'ouverture du capital de Renault pour les investisseurs. À quand pour le public et les salariés ?
Edmond Alphandéry : J'espère que ce sera d'ici la fin de l'année. Naturellement les salariés et les retraités de Renault vont bénéficier de conditions avantageuses pour devenir actionnaires. Ce sont eux qui font le succès de l'entreprise. Ils auront un rabais de 20 % sur les actions achetées, un délai de paiement de deux à trois ans. Et dans la limite de 5 000 F ils auront droit à une action gratuite pour une action acquise, s'ils la gardent pendant trois ans. Bien entendu l'ouverture du capital ne changera rien au statut du personnel.
Ouest-France : Jacques Calvet n'a pas du tout apprécié l'augmentation de capital de Renault ?
Edmond Alphandéry : Nous l'avons décidé parce que l'entreprise a moins de fonds propres que ses concurrents et parce qu'elle a beaucoup d'investissements à financer. Dans le passé, c'est l'État qui payait de sa poche. Cette fois c'est le marché qui fournira l'argent. Qui s'en plaindrait ? Sûrement pas le contribuable.
Ouest-France : Après l'ouverture du capital, la privatisation de Renault ?
Edmond Alphandéry : La privatisation de Renault n'est pas à l'ordre du jour.
Ouest-France : En revanche, celle de Bull est annoncée pour novembre par Gérard Longuet ?
Edmond Alphandéry : Nous entendons mener celle opération le plus vite possible. Dès novembre ? C'est à voir, car c'est une opération qui est un peu plus compliquée que les précédentes techniquement. Il s'agit en effet d'une vente de gré à gré, dans le cadre d'un partenariat industriel et financier et non d'une mise sur le marché. Ce qui est sûr c'est qu'il faut couper le cordon ombilical entre Bull et l'État. Et que Bull soit géré comme une entreprise compétitive pour renouer avec les profits.
Ouest-France : Les AGF sont prêtes à être privatisées ?
Edmond Alphandéry : C'est une très belle compagnie d'assurances qui a évidemment vocation à entrer dans le privé dès que possible. Je ne suis pas sûr qu'on y arrivera en 1994.
Ouest-France : Où en êtes-vous de votre « soutien » au Crédit lyonnais ?
Edmond Alphandéry : Le Crédit lyonnais a constaté des pertes importantes l'an passé. L'État, à cette occasion, a apporté un soutien important. Malgré cela, il semblerait que le poids du passé pèse encore et que des provisions supplémentaires soient nécessaires. Une expertise sérieuse est indispensable.
Ouest-France : Le Lyonnais doit changer de stratégie, vendre des actifs ?
Edmond Alphandéry : Quand l'actionnaire est sollicité, il est normal qu'il demande aussi à l'entreprise de faire des efforts. Le Lyonnais contribuera donc à son propre redressement.
France-Soir : 18 octobre 1994
France-Soir : Lancer des emprunts d'État au moment où les marchés obligataires plongent, n'est-ce pas dangereux pour les petits porteurs ?
Edmond Alphandéry : Évidemment non. Que voulons-nous ? Renouer avec la tradition qui permettait dans le passé aux particuliers d'acquérir des emprunts d'État comme c'est le cas dans la quasi-totalité des autres pays occidentaux. Nous proposons simplement aux ménages un produit d'accès facile, régulier et attractif.
Nous répondons donc à un vrai besoin. La meilleure preuve en est que les banques ont doublé notre estimation de la demande potentielle pour l'année à venir. Nous sommes ainsi passés de 10 à près de 20 milliards de francs. Et, pour octobre, à l'occasion de la première émission, elles se sont engagées à placer près de 3 milliards de francs, soit deux fois plus que prévu.
En plus, croyez-vous que les épargnants ne sachent pas ce qu'est une obligation ? Ils en ont possédé, ils en détiennent toujours émises par des entreprises publiques, des entreprises privées ou des banques. Ils savent qu'avec ces valeurs à revenu fixe, si l'on décide de vendre avant l'échéance, on peut gagner ou perdre – en plus ou en moins-value – suivant l'évolution des taux du marché. En outre, comme tous les placements à revenu fixe, le rendement « vrai » dépend de l'évolution du niveau des prix. Or j'estime fort improbable une résurgence de l'inflation.
France-Soir : Les premières OAT affichent un taux de 7,98 %. C'est un taux actuariel, ce n'est donc pas ce que va réellement rapporter le titre à son souscripteur. Pouvez-vous préciser ?
Edmond Alphandéry : En effet, le rendement définitif pour la première émission a été fixé, net de commission, à 7,98 % par an sur 10 ans. En fait, l'épargnant touchera 7,5 % d'intérêt chaque année, mais il paiera ses obligations un peu moins cher que le prix auquel elles lui seront remboursées au bout des 10 ans. Sachez que tous les intermédiaires financiers indiqueront clairement aux épargnants le rendement des obligations, comme c'est le cas pour les autres produits financiers. La comparaison sera ainsi facile.
J'ajoute qu'un rendement de 7,98 % est élevé. Vos lecteurs le savent bien, lorsqu'ils le comparent au livret A (4,5 %), au plan d'épargne logement (5,26 %) ou encore aux Sicav court terme (entre 4,9 et 5 %). C'est vrai, vous trouverez parfois des rendements plus élevés sur le marché secondaire. Mais cela n'est vrai qu'en apparence. Vous oubliez les frais qu'il faut acquitter. Les emprunts aux particuliers, quant à eux, offrent l'accès régulier à un prix de référence incontestable et la signature de l'État, particulièrement sûre et recherchée.
France-Soir : L'évolution des taux d'intérêt a une très forte incidence sur les obligations. Leur flambée aujourd'hui pénalise les souscripteurs d'emprunt Balladur, qui seraient tentés de vendre. Avec un taux nominal de 7,5 %, les particuliers peuvent-ils escompter de meilleures performances ?
Edmond Alphandéry : Vous savez, un rendement de 7,98 % c'est 6 % de plus que l'inflation. Nous avons rarement connu un tel taux réel de rémunération par le passé.
France-Soir : Avec une commission assez faible de 2 % les OAT ne risquent-elles pas de détourner les épargnants des OPCVM ou des produits d'assurance-vie plus lourdement taxés ?
Edmond Alphandéry : C'est un placement parmi d'autres. Et même si les particuliers décident de modifier la composition de leur portefeuille, les montants concernés demeureront limités. Quant à la commission, lorsque les banquiers disent qu'elle est trop faible et que certains épargnants disent qu'elle est déjà élevée, je pense avoir trouvé un point d'équilibre.