Texte intégral
"Brest sort des pires douleurs, comme la France émerge du plus grand drame de son histoire."
Tels sont les premiers mots du discours prononcé par le général de Gaulle, ici même, le 25 juillet 1945.
Et d'ajouter : "Sans doute, nous trouvons-nous ici en un lieu qui a subi le paroxysme de l'épreuve."
En ce 18 septembre 1994, je viens rendre, au nom du gouvernement, hommage à une ville au destin particulier, mais aussi à une ville médaillée de la résistance ; à des femmes et à des hommes qui ont voulu "être eux-mêmes des vainqueurs", selon l'expression du général de Gaulle et qui ont pris leur part des combats de la libération et de la victoire ; mais aussi à la population civile si cruellement endeuillée par quatre années de guerre, qui a connu l'enfer et surmonté la plus terrible des épreuves, dans les plus extrêmes difficultés, au prix d'immenses sacrifices.
À celles et ceux qui vécurent ces moments-là, et qui sont encore parmi nous, nous tenons à dire que nous n'oublions pas toutes ces vies si douloureusement exposées, toutes ces vies qui s'offrirent au sacrifice suprême. En ce cinquantenaire, la France se souvient et témoigne.
Brest libéré… ces mots suggèrent des images de liesse, de drapeaux, d'une foule exultant de joie, toute au bonheur de cette liberté enfin et si chèrement retrouvée. Ici, pourtant, on hésitait sans doute à se réjouir devant tant de ruines et devant tant de deuils, devant un tel acharnement, une telle désolation.
Oui, Brest libéré… mais au terme d'un long siège, meurtrier, de plus de quarante jours, au terme de pesantes années d'occupation, après de nombreux bombardements qui n'épargnèrent pas la population. En quatre ans, la ville n'a-t-elle pas subi plus de cent soixante raids aériens, n'a-t-elle pas été écrasée par les obus et les bombes, tandis que l'occupant, refusant sa défaite, multipliait les destructions et que la population, réduite à quelque deux mille personnes après plusieurs évacuations, demeurait terrée dans les abris.
Le 18 septembre 1944, c'est une ville fantôme qui s'offre aux yeux des premiers soldats américains qui pénètrent enfin, au prix de lourdes pertes. Un chaos de ruines. Brest est détruit à plus de 90 %. Sur quelque douze mille maisons, près de six mille sont totalement détruites et les autres endommagées. La plupart des monuments n'existe plus ; ils sont réduits à des amas de pierres. La célèbre rue de Siam et son tramway cahotant disparue ! La rue Louis Pasteur aux innombrables crêperies : détruite, comme la vieille église Saint-Louis, incendiée…
Brest, ville martyre ! Mais Brest, d'où partirent les escadres qui avaient joué un rôle décisif dans l'indépendance américaine au XVIIIe siècle, libéré par ces mêmes Américains !
Tout un symbole de la grande histoire de Brest, avec lequel la ville va renouer !
Cinquante ans ont passé. Le courage des hommes ayant toujours su répondre, ici, au défi des événements, Brest, si terriblement éprouvé, mais dont le cœur n'a cessé de battre au plus sombre de la seconde guerre mondiale, s'est reconstruit, et ce, en dépit d'une dernière catastrophe, de funeste mémoire, avec ce cargo chargé d'explosifs qui prit feu le 28 juillet 1947, faisant de nombreuses victimes et infligeant de graves dommages aux habitations.
Cinquante ans ont passé. Brest, ville dynamique, peut s'enorgueillir d'avoir retrouvé sa place et son importance. N'est-ce pas d'ici que sortira le plus grand bâtiment jamais construit dans les arsenaux français depuis la dernière guerre : le porte-avions Charles de Gaulle.
C'est celui qui lui a donné son nom prestigieux qui déclarait : "L'océan qui bat tout près d'ici, l'extrémité des terres les plus avancées de Bretagne nous rappellent quel rôle insigne l'évolution du monde confère à notre pays. Nous ne sommes plus seulement, comme jadis, (…) la base de départ du monde occidental vers l'Afrique et vers l'Orient. Nous sommes aussi le cap de l'Europe, tourné vers l'Amérique. Ne fut-ce pas là la raison profonde des deux grandes batailles de France, dont la première faillit sceller le destin de l'Occident et dont la seconde assura la victoire de la liberté ? N'est-ce pas là l'explication des ruines de cette noble ville, à la possession de laquelle devaient nécessairement s'acharner les oppresseurs et les libérateurs ? N'est-ce pas là, enfin, le motif qui nous impose pour l'avenir une vigilance rigoureuse, afin que, dans l'indépendance, nous soyons le trait d'union entre les deux mondes et non point, dans l'abandon, un enjeu ou un champ de bataille ? Ah certes, oui ! C'est ici qu'apparaissent en pleine clarté les grandes leçons qui doivent, pour longtemps, commander notre effort."
Paroles d'actualité, Mesdames et Messieurs !
La paix et la liberté ne sont jamais acquises. Elles sont le fruit d'efforts incessants, toujours renouvelés.
Après l'effondrement du bloc soviétique, nous voyons surgir de nouveau depuis quelques années d'inquiétants conflits ethniques ou religieux, des nationalismes exacerbés, des idéologies extrémistes portant en elles les germes de nouvelles violences.
C'est pourquoi il serait imprudent de vouloir recueillir tous les dividendes d'une paix encore mal assurée et de le faire précipitamment.
Comme l'a déclaré le Premier ministre Édouard Balladur : "La France prépare l'avenir en poursuivant deux objectifs prévenir les conflits et garantir sa sécurité en toutes circonstances."
Ainsi du pacte de stabilité dont il a lancé l'initiative et qui est devenu le principal projet de la politique étrangère commune à l'Union européenne.
Ainsi de la dissuasion nucléaire, qui est un élément essentiel dans la stratégie de défense de la France.
Ainsi des capacités d'action renouvelées de nos armées, qui doivent être en mesure de prévenir les crises, de limiter les conflits et, le cas échéant, d'arrêter les guerres.
Aujourd'hui, plus que jamais, nous incombe le devoir de construire l'avenir, un avenir digne de l'ambition qui fut celle de ceux qui ont libéré puis reconstruit Brest, un avenir pour une jeunesse, consciente de la somme d'héroïsmes et de sacrifices qui fut nécessaire afin que notre pays retrouve, dans l'honneur, les chemins de l'espérance, de la liberté et du progrès.