Interviews de M. Michel Deschamps, secrétaire général de la FSU, dans "Le Monde" du 10 septembre 1998 et dans "Libération" du 15, sur les relations du gouvernement avec le SNES, la volonté de la FSU de maintenir un ordre de grève des enseignants et la négociation sur les heures supplémentaires.

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Circonstance : Préavis de grève des enseignants du second degré pour le 18 septembre 1998

Média : Emission Forum RMC Libération - Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde - Libération

Texte intégral

LE MONDE : 10 septembre 1998

Q - « Comment expliquez-vous la récente « réconciliation » entre le principal syndicat du second degré, le SNES, et le ministre de l'éducation nationale ?

- Je considère que l'intelligence politique l'a emporté. L'annonce de grève a joué un rôle essentiel, comme la mobilisation, qui est montée ces derniers jours en raison de l'affaire des heures supplémentaires. Mais je crois aussi que l'intervention de nombreuses forces politiques qui considéraient que l'on avait tout à perdre d'un conflit frontal au moment de la rentrée n'a pas été négligeable. Des responsables de la gauche plurielle au plus haut niveau se sont alarmés de la dégradation accélérée des relations sociales et ont pesé pour que des négociations s'ouvrent. Ces interventions multiples n'ont certainement pas été sans effet.

Dorénavant nous allons toucher aux questions de fond et nous aurons peut-être des difficultés. Nous serons très vigilants dans les prochains jours sur les réponses que l'on nous apportera dans le cadre des négociations ouvertes. La première année avec Claude Allègre a été celle des erreurs de méthode, espérons que la deuxième soit celle des réponses justes aux problèmes de fond.

Q - Pourquoi maintenez-vous le mot d'ordre de grève du 18 septembre ? Le premier degré a obtenu des avancées, le second degré commence à discuter. Avez-vous peur d'être débordé sur votre gauche ?

- Les personnels ont voulu, par leur vote, que la FSU soit largement majoritaire. La fédération doit assumer ses responsabilités par rapport à ce qu'elle croit juste pour l'école, nous ne nous définissons donc pas par rapport aux autres.

Cela dit, nous savons que cette décision de grève va à contre-courant – alors que l'opinion est favorable au gouvernement Jospin – et qu'elle est à contre-pied de la rentrée sociale, puisqu'il ne se passe rien. Ce que nous faisons est difficile. Mais personne ne devrait sous-estimer le malaise des enseignants et la gravité de problèmes posés au système éducatif.

L'ouverture de négociations, c'est positif. Pour autant, cela ne débloque pas les trois verrous qui nous gênent encore. Premièrement, il faut prendre conscience – c'est l'affaire de tout le gouvernement, voire du pays – du blocage de la démocratisation du système éducatif. Le ministre ne se soucie pas, et même se félicite, de la baisse de la demande sociale d'éducation, du ralentissement sensible des études générales longues. On ne peut pas le suivre sur ce point. Cela cache un lourd clivage social entre ceux qui vont arrêter leurs études et ceux qui vont les continuer. Si la dynamique de solarisation se ralentit, ce sera au détriment de la démocratisation, si imparfaite encore. Cette panne du système scolaire est un vrai sujet d'inquiétude et l'on ne trouve pas d'interlocuteur pour en parler.

Le deuxième verrou, c'est le gel de l'emploi public. On ne peut pas apporter une réponse correcte aux problèmes en procédant uniquement par redéploiements budgétaires. Tous les sondages montrent que les Français sont favorables à la création de postes d'enseignants, quoi qu'ils pensent par ailleurs du nombre de fonctionnaires. Par ailleurs, autant je me suis battu pour la création des aides-éducateurs, qui me paraissait un bon moyen de lutter contre le chômage des jeunes, autant les défendre aujourd'hui devient très compliqué, le risque de substitution à des emplois existants est de plus en plus évident. Le résultat est que l'on ne propose pas de postes d'enseignants à des jeunes souvent surdiplômés, mais un emploi au SMIC. Socialement ce n'est pas défendable, et cela dévalorise le rôle de l'école. Cela veut dire que les qualifications auxquelles l'école prépare ne comptent pas. Quand on a un CAP, il est normal d'être payé au SMIC, mais pas avec une licence ou même une maîtrise.

Le troisième verrou, c'est que le seul discours public tenu aux enseignants est un discours de mise en cause et de culpabilisation, prenant appui sur l'opinion publique. Il n'y a pas de discours forts des politiques sur l'école. Qu'ont-ils de fort à dire aux jeunes, autres que des billevesées sur « l'enfant au centre » ? Que font-ils en dehors de se gargariser avec la République ? Il me semble pourtant que l'engagement des personnels est le meilleur atout pour faire aboutir une réforme. Tout cela est en creux dans le malaise enseignant. Et l'on ne peut pas s'en tirer par un traitement social au coup par coup des difficultés qui surgissent dans le système éducatif.

Q - N'avez-vous pas l'impression que les enseignants vont se sentir floués, et même peut-être un peu ridicules, de voir annuler au dernier moment un mot d'ordre de grève lancé depuis des mois ?

- Le SNES a pris une décision très difficile. Seul un grand syndicat, très représentatif – c'est l'un des premiers de ce pays – pouvait faire cela. Il a pris un vrai risque et c'est tout à son honneur. La demande de transformation des heures supplémentaires en emplois, c'était aussi un risque, mais il l'a fait.

Cela dit, que les choses soient claires : nous ne serons pas les godillots de la majorité plurielle. Nous avons des choses à dire, des propositions à faire et si nous ne sommes pas entendus, il y aura conflit. Mais chaque fois qu'il y aura une négociation, même tardive, nous prendrons nos responsabilités, comme le SNES l'a fait. Si Matignon avait ouvert une négociation au sujet de la grève du 18 septembre, nous aurions pris la même décision. Il n'y a eu aucun signe d'une telle volonté de négociation pendant l'été, notamment sur les trois « verrous » que j'ai évoqués et qui ne renvoient pas qu'à Claude Allègre, il faut même reconnaître à ce dernier qu'il s'est bien battu pour obtenir des postes de fonctionnaires. Mais il a perdu.

Q - La négociation sur les heures supplémentaires est bloquée. Pensez-vous qu'il soit possible de sortir de cette situation ?

- Tout d'abord il faut rappeler que la méthode utilisée par Claude Allègre est inacceptable. On ne peut pas d'un côté abaisser la rémunération d'un travail et de l'autre obliger les gens à faire ce travail. En revanche, il me paraît souhaitable d'ouvrir une négociation sur les 35 heures dans l'éducation nationale. N'attendons pas le rapport Roché sur les 35 heures dans la fonction publique, qui est d'ailleurs pour le gouvernement une façon de gagner du temps. Je ne vois pas pourquoi il faudrait attendre que les trois fonctions publiques soient sur le même pied. Si c'est le cas, on ne fera jamais rien. Ouvrons donc une négociation sous les trois aspects de la réduction du temps de travail, de la création d'emplois et des incidences salariales. Nous ne sommes fermés à rien. La discussion sur la transformation des heures supplémentaires en emplois, c'est bien de cela qu'il s'agit.

Q - La situation nouvelle créée entre Claude Allègre et le SNES a-t-elle des incidences au sein de la FSU ?

- La disparité de traitement entre le premier et le second degré engendrait naturellement des problèmes au sein de la fédération. Je ne comprenais pas pourquoi il y avait un traitement différent entre le premier et le second degré, pourquoi on pouvait négocier avec les uns et pas avec les autres. Cela ouvrait un champ à des manoeuvres politiciennes. Je me suis donc battu, avec quelques-uns, pour que tous les secteurs puissent négocier. L'annonce de la grève pour le 18 septembre est d'ailleurs bien la preuve que cette tentative de division a échouée.

Q - Votre succession doit intervenir au cours de l'année. Qui est votre candidat, ou candidate ?

- D'abord sur le moment : nous allons tenir un congrès au mois de juin. Mes amis me demandent de rester jusque-là, mais s'il y avait une solution transitoire ou définitive avant, je la prendrais. Il est probable que nous irons vers un fonctionnement plus collégial. Et pour ma part je souhaiterais qu'il marque cette relève de génération dont le syndicalisme a besoin.


LIBÉRATION : 15 septembre 1998

Q - Pourquoi maintenir la grève de vendredi, alors que le SNES-FSU est en négociations avec Claude Allègre ?

« La discussion est engagée, c'est une très bonne chose. Mais au-delà de problèmes du second degré, notre grève porte sur des questions de fond qui interpellent le Premier ministre et l'ensemble de la majorité. Nous disons notamment qu'il n'est pas possible de réformer le coût constant. Pour reprendre une formule chère à Claude Allègre, on ne peut pas viser le « zéro défaut » avec un budget qui prévoit zéro création de postes. La FSU n'accepte pas le gel de l'emploi public. Elle s'inquiète également du manque d'ambition pour l'école : l'objectif l'amener 80 % d'une classe d'âge jusqu'au bac n'est plus évoqué par Claude Allègre. On assiste à un changement de politique éducative, le ministre semble même se féliciter de la baisse de la demande sociale d'éducation. »