Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un très grand plaisir que j'ai accepté votre invitation à venir clôturer vos « Deuxièmes rencontres internationales du blé et des céréales ». En effet, votre manifestation que vous avez intitulée « Défi blé 94 » s'inscrit tout à fait dans une démarche positive, constructive et d'avenir de l'agriculture française et elle correspond parfaitement à la politique que je veux insuffler pour notre agriculture.
Sans vouloir vous flatter je voudrais, cependant, saluer ici le rôle de pionniers que vous jouez au sein de l'agriculture française.
Réfléchir comme vous l'avez fait au cours de ces deux journées sur des thèmes comme le marché, la compétitivité, la qualité, l'efficience des filières, les nouveaux débouchés des produits agricoles ou encore la problématique de l'aménagement rural, c'est très clairement identifier avec justesse les différents défis que nous devons aujourd'hui relever.
Ces défis vous avez su les définir. Il s'agit bien sûr de la politique agricole réformée, des accords du GATT et de la double mission économique et territoriale qui est assignée à l'agriculture.
I. – LE DÉFI ÉCONOMIQUE QUE REPRÉSENTE LE MARCHÉ
Le marché, la loi de l'offre et de la demande ont toujours été des données permanentes du monde agricole. Mais il faut bien cependant reconnaître que depuis trente ans, avec la politique agricole commune, certains secteurs de production ont bénéficié d'une très large protection et n'ont été soumis que partiellement aux aléas du marché mondial.
Cette protection a été bénéfique au développement de notre agriculture et plus particulièrement de notre céréaliculture. Le mot d'ordre était « produisez, produisez encore, les pouvoirs publics feront le reste ». Cette situation est aujourd'hui en grande partie révolue depuis que l'Europe a atteint son niveau d'autosuffisance et est même devenue, au cours des dix dernières années, un des principaux exportateurs de céréales sur le marché mondial.
La filière céréalière joue un rôle déterminant sur bon nombre d'autres filières et notamment les filières de production animale. Vous êtes en fait au début de la chaîne. À ce titre vous avez des responsabilités particulières. Je constate que vous savez les assumer et que vous êtes prêts à relever les défis qui se posent.
La réforme de la PAC a introduit, au-delà de la lourde mécanique administrative, une révolution, au sens propre du terme, dans l'approche de votre filière. La baisse des prix d'intervention, la mise en œuvre d'aides directes à l'hectare, l'introduction d'un mécanisme de régulation de l'offre, c'est-à-dire le gel des terres, ont totalement modifié les schémas traditionnels.
Aujourd'hui, la céréaliculture française s'inscrit dans un cadre international. Le niveau de notre production doit être guidé par la loi de l'offre et de la demande, tant sur le marché communautaire que sur le marché mondial. Ceci nous a conduits à accepter la mise en jachère d'une partie de nos terres arables depuis 1993. Cette jachère n'est qu'un instrument de gestion de l'offre, elle n'est pas un élément permanent de notre politique agricole commune.
C'est pourquoi je suis déterminé à obtenir du Conseil des ministres qui se réunira lundi prochain une baisse substantielle du gel des terres pour la campagne de semis 1994-1995. Il n'est en effet pas question de rester « frileux » face à la compétition internationale. Quand les perspectives de demande mondiale sont favorables, quand le niveau des stocks atteint des niveaux bas, quand le prix communautaire de marché des céréales atteint des niveaux pouvant remettre en cause les objectifs même de la réforme de la PAC – je pense notamment à la reconquête du marché de l'alimentation animale en Europe par des céréales communautaires au détriment des produits de substitution que nous importons comme le corn gluten feed, le manioc ou les tourteaux de soja –, alors je dis qu'il est du devoir des ministres de l'Agriculture de l'Union européenne de prendre des décisions courageuses et de s'associer à notre demande de réduction du taux de jachère pour nos agriculteurs.
Les accords qui ont été signés le 15 avril dernier à Marrakech et qui ont finalisé le cycle de négociation de l'Uruguay constituent également des défis que nous nous devons de relever. Le premier de ces défis c'est de préserver ce principe essentiel de notre politique agricole commune qui est la préférence communautaire.
À cet égard, et nous l'avons rappelé dans notre mémorandum remis à la Commission, il est indispensable que la constatation des prix d'importation ne se fasse pas sur la seule déclaration de l'importateur mais sur la base d'un prix objectif, calculé à partir des cours mondiaux et des taux de fret. L'autre défi, c'est celui de notre capacité exportatrice. Les accords du GATT, issus de la renégociation que nous avons obtenue du compromis de Blair House, nous offrent pour les prochaines années des perspectives d'exportation subventionnées non négligeables.
Ces capacités d'exportation nous voulons les utiliser pleinement. C'est pourquoi nous serons vigilants, à la fois dans la mise en place administrative de gestion des certificats d'exportation, mais également à disposer d'une production communautaire en céréales suffisante pour honorer les possibilités d'exportation que nous avons obtenues. Ceci rejoint d'ailleurs notre analyse sur la baisse du taux de jachère.
Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, votre filière à une importance tout à fait déterminante sur la compétitivité des filières d'aval comme celles des productions animales notamment celle du secteur des volailles ou du secteur porcin.
La France a acquis dans ces filières un niveau de performance tout à fait remarquable. Je citerai notamment le secteur de la volaille, où nous réalisons plus de 70 % des exportations communautaires vers les pays tiers. Ce niveau de performance nous devons le conforter. Mais le succès dans ce secteur, comme dans d'autres, passera par une application pleine et entière des principes et des objectifs de la politique agricole commune réformée.
II. – LE DÉFI DES DÉBOUCHÉS NOUVEAUX
Vous avez été les premiers dans le secteur des grandes cultures, et plus particulièrement dans celui des céréales, à prospecter des valorisations non alimentaires de vos produits.
Cette démarche, les pouvoirs publics l'ont soutenue dès le début. L'utilisation des céréales à des fins non alimentaires constitue une réalité bien antérieure à la réforme de la PAC.
Ainsi, dès 1986, la France a convaincu ses partenaires et la Commission de la nécessité de favoriser, via un système de restitution, l'accès des céréales à certains débouchés industriels. Ces dispositions ont contribué significativement à une utilisation accrue de ces matières premières dans certains secteurs non alimentaires.
Si l'on observe actuellement une stabilité dans le volume des débouchés, il est clair, néanmoins, que les contraintes environnementales et la recherche d'écoproduits laissent augurer une nouvelle croissance, notamment pour les usages de l'amidon. Je pense en particulier au secteur de la papeterie, des biomatériaux ou des détergents.
La valorisation non alimentaire des céréales a également connu un essor nouveau avec l'apparition de la jachère. La France a été à l'avant-garde pour que des mesures soient mises en place au niveau européen afin de trouver une alternative intelligente à la jachère : la jachère industrielle. Afin d'encourager le développement de la filière biocarburant, qui constitue l'un des principaux débouchés de la jachère industrielle, les pouvoirs publics ont consenti des efforts importants. En premier lieu, les biocarburants se sont vus octroyer une exonération fiscale : celle de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. En second lieu, le ministère de l'Agriculture et de la Pêche s'est impliqué directement dans le développement d'unités industrielles de fabrication d'ETBE (ethyl tertio butyl ether).
Ces programmes prennent de l'ampleur. Au cours de cette campagne, plus de 300 000 hectares de terres arables seront consacrés à des cultures destinées à la fabrication de biocarburant. La filière colza-diester a pris les devants, mais la filière blé-éthanol est tout à fait dans la course.
En effet, d'ici l'an 2000, six unités d'ETBE pourraient permettre le traitement de 3,7 millions d'hectolitres d'éthanol en assurant le débouché à plus de 70 000 hectares de blé.
Afin de pérenniser au niveau communautaire la détaxation accordée en France aux biocarburants, nous soutenons très activement la proposition de directive présentée par Mme Scrivener et qui vise à instituer un taux d'accise minoré sur les biocarburants. Parallèlement, nous négocions avec la Commission des adaptations et des simplifications des règlements communautaires relatifs à la jachère industrielle ainsi qu'un élargissement des débouchés qui pourraient être autorisés. Je voudrais notamment citer la production de levure, de pesticides, de savon et de substrats de champignons.
Outre les mesures spécifiques que je viens de décrire, la France entend également soutenir le développement des débouchés non alimentaires des céréales par :
– des subventions aux investissements. Ainsi un plan sectoriel a été soumis à Bruxelles qui permettra de verser des subventions publiques à hauteur de 18 % pour les projets d'investissements industriels visant de nouveaux usages non alimentaires ;
– des aides à la recherche. Un regroupement d'intérêt scientifique, dénommé « agriculture pour la chimie et l'énergie (AGRICE) », a été constitué en mai 1994. Il réunit les professionnels agricoles, la recherche, les industriels et l'administration. Doté d'un budget de 65 MF (dont 40 MF de subventions publiques), il intervient pour cofinancer des programmes de recherche concernant le développement des valorisations non alimentaires des cultures.
III. – LE DÉFI DE LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DES ORGANISMES DE COLLECTE ET DE STOCKAGE DU SECTEUR CÉRÉALES ET OLÉO-PROTÉAGINEUX
A) Caractéristiques du secteur
La filière française du stockage des céréales et des oléo-protéagineux est très organisée. Les organismes qui la constituent y jouent un rôle primordial, puisqu'ils collectent plus de 86 % de la production et assurent la distribution des approvisionnements agricoles.
Les entreprises de ce secteur sont hétérogènes en taille et en niveau d'activité compte tenu de leur implantation géographique et de la diversité des caractéristiques agricoles régionales.
B) Conséquence de la réforme de la PAC
L'évolution du secteur, depuis l'avènement de la réforme de la PAC, est marquée par un mouvement de concentration et de restructuration.
Si les conséquences de la réforme peuvent être quelque peu nuancées d'une région à l'autre, quelques grandes tendances se dégagent néanmoins :
– diminution des volumes collectés du fait du gel des terres ;
– baisse des prix des produits commercialisés ;
– baisse du chiffre d'affaires-collecte et corrélativement baisse du chiffre d'affaires-approvisionnement suite à une moindre utilisation d'intrants par les agriculteurs.
Dans ce contexte, une adaptation rapide des opérateurs à une nouvelle donne économique s'avère nécessaire. Ils l'ont d'ailleurs pour la plupart largement entamée par la réalisation de restructurations internes ou externes et par l'utilisation d'outils techniques mieux adaptés aux besoins.
C ) Contribution de l'État à l'adaptation à la réforme
Afin d'accompagner cette adaptation, nous avons présenté à Bruxelles un programme sectoriel concernant la filière céréales oléo-protéagineux qui vise à soutenir des projets d'investissements matériels destinés à améliorer la qualité des produits et des prestations se trouvant aux différents niveaux du cycle de travail des grains.
Il est prévu que ce plan permette de soutenir sur six ans, par le biais de la POA et du FEOGA, environ 150 MF d'investissements.
IV. – LE DÉFI DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
L'agriculture française a une double mission. Elle a bien sûr, d'abord et avant tout, une mission économique de production qui contribue à accroître la richesse de notre pays. Cette mission, je l'ai longuement évoquée précédemment. Elle est la mission principale de la céréaliculture française compte tenu de ses performances. Mais il en est une seconde qu'il convient de ne pas négliger : une occupation harmonieuse de notre territoire, soucieuse de l'environnement.
L'agriculture française ne saurait être guidée que par le seul souci de la rentabilité immédiate. L'enracinement culturel de notre agriculture est trop profond pour imaginer que les pouvoirs publics puissent accepter une déprise agricole dans certaines régions. Il convient donc de rechercher et surtout de trouver des productions alternatives qui puissent être le facteur du maintien et même du développement agricole. À cet égard, des productions spécialisées, où le critère de qualité primerait sur celui du rendement, et où une valorisation par l'origine géographique ou par la notoriété du terroir serait possible, pourraient constituer une réponse appropriée à ce nouveau défi.
Ces « Deuxièmes rencontres internationales du blé et des céréales », que vous venez d'organiser à Paris, constituent une étape importante dans l'élaboration d'une réflexion nouvelle sur l'agriculture française et son devenir. Permettez-moi de vous remercier très sincèrement de votre initiative. Elle confirme le rôle que vous avez toujours eu, vous les céréaliers : celui d'être des précurseurs dans le développement de notre agriculture.