Déclaration de M. Philippe Mestre, ministre des anciens combattants et victimes de guerre, pour la commémoration de l'exécution de soixante-dix habitants du village d'Etobon (Haute-Saône) en 1944, le 27 septembre 1994.

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Circonstance : Commémoration du cinquantenaire du massacre d'Etobon le 27 septembre 1994

Texte intégral

"Il est peu d'endroits de son corps où la France fut si cruellement blessée qu'à Étobon…

Cette cicatrice, qui ne s'effacera pas, témoignera dans la suite des siècles de l'héroïsme des Français et du prix dont ils ont su payer la Liberté et la Victoire."

C'est en ces termes que s'exprimait le général de Gaulle le 24 mars 1945. Ils demeurent d'actualité dans la cérémonie qui nous réunit aujourd'hui.

Mais revenons cinquante ans en arrière, ce 27 septembre 1944, de si cruelle mémoire.

Étobon est un village en apparence tranquille, un "petit village des bois », dont les habitants, avec les moyens qui sont les leurs, apportent leur contribution à la résistance et à la libération du territoire national.

Soudain, du fait des embuscades tendues dans le secteur et des coups de mains opérés contre l'occupant, le drame éclate.

Près de soixante-dix habitants sur deux cent cinquante sont arrêtés. Trente-neuf d'entre eux seront exécutés à deux kilomètres de là, contre le mur du temple de Chenebier, d'autres seront retrouvés plus loin, le 9 octobre, dans un charnier, à Banvillars, d'autres enfin, trouveront la mort loin des leurs, loin de leur pays.

Le 27 septembre 1944, le drame a soudain fait irruption dans la vie d'une commune. Un village paisible a été frappé dans son être et dans sa chair, meurtri à jamais.

Aussi, quand sonne, pour Étobon, l'heure de la libération, le 18 novembre 1944, la douleur le dispute au sentiment de délivrance, le deuil à la joie. Chaque foyer n'est-il pas éprouvé par la perte d'un ou plusieurs êtres chers !

27 septembre 1994.

Étobon : un nom qui porte une charge particulière, qui évoque des faits qui ont marqué à vif notre mémoire !

Comment se défaire de cette puissante émotion qui nous étreint en visitant cette commune dont la vie fut à jamais bouleversée un 27 septembre, il y a cinquante ans de cela jour pour jour, par l'arrestation de tous les hommes du village, hormis les vieillards et les enfants, mais qui n'en a pas pour autant cessé de protéger et de cacher ceux qui y avaient trouvé refuge : notamment ces soldats de l'Empire britannique que recherchait l'occupant.

Étobon : un nom synonyme de douleur, mais aussi d'honneur !

Devant ce mémorial où tant d'entre vous ne manquent pas de venir se recueillir, comment ne serait-on pas frappé par la solennité de l'instant, la noblesse et la simplicité de ce qui a été, depuis lors, construit pour perpétuer le souvenir de ceux qui ne sont plus.

Ce que je ressens, ce que nous ressentons Mesdames et Messieurs, ce que ressentent avec moi les personnalités qui sont venues partager avec vous ces moments, des mots ne suffisent pas à l'exprimer. Mais vous pouvez être assurés que le nom d'Étobon est à jamais inscrit dans la mémoire vive de la nation.

Aux jeunes qui ne le sauraient pas, cette cérémonie apporte le témoignage de la barbarie des bourreaux, mais aussi de la volonté et de l'espoir des victimes, de l'horreur infinie, mais aussi du courage absolu.

Aux jeunes qui ne le sauraient pas, cette cérémonie rappelle où peuvent mener les idéologies de haine et de violence, les guerres et l'intolérance.

Notre pays connaît au sein de l'Union européenne, la paix et la liberté, biens inestimables et fragiles, partout menacés dans le monde, biens qui ne sont jamais définitivement acquis, si nous ne demeurons vigilants.

C'est le message que nous ont transmis ceux qui reposent ici. Ils ont sans doute plus que d'autres le droit d'exiger que le combat pour la dignité et le respect de l'homme soit le devoir impérieux de tous, afin que ne puisse plus resurgir le temps des otages.

Souvenons-nous de tous ces morts, de ces hommes qui voulaient vivre libres et en paix et qui ont été arrachés à leur épouse, à leurs enfants, à leur famille pour être exécutés sommairement, ensevelis à la hâte dans des charniers ou encore mourir au terme d'un terrible voyage.

Pour avoir gardé foi en la France et en ces valeurs qui sont l'honneur d'un pays, ils méritent notre hommage et notre reconnaissance.

Que celles et ceux qui ont perdu les leurs dans cette odieuse tuerie, sachent que la France prend toujours sa part de leur deuil. C'est le sens que je voudrais donner à ma présence parmi vous aujourd'hui.

Sachons nous ressourcer dans ce passé douloureux, parce qu'il est bon que la mémoire de ces martyrs guide le regard que nous portons sur le monde actuel, enfanté par leur sacrifice.

Honneur soit à jamais rendu à ces hommes, morts pour la France, mais triomphants comme elle ; à ces morts tombés dans la lumière ou dans l'ombre de ce vaste champ de bataille de la libération, où s'est joué notre destin.

Dans un monde dur et un temps difficile, ayons à cœur de porter leur message afin de servir la France !