Interview de M. Jean-François Hory, président du MRG, à O'FM le 29 septembre 1994, sur la mise en examen de Laurent Fabius, sur les relations entre le MRG et le PS pour la préparation des élections présidentielles et municipales 1995, sur le radicalisme, et sur la politique gouvernementale.

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Média : O'FM

Texte intégral

Un candidat MRG à l'élection présidentielle : J'en ai un, et un bon, en l'occurrence Bernard Tapie (…) Bernard Kouchner ? Ce n'est pas idiot d'y penser ! (…) Jack Lang ? Dialoguer avec Jack Lang, pourquoi pas ? (…) Jack Lang a été membre des jeunesses radicales, c'est le début de son engagement politique (…) Si Jack Lang se reconnaît plus dans le projet radical que dans son organisation actuelle, il sera le très bien venu.

Les attaques de Lionel Jospin contre le MRG : Les radicaux de sa région d'implantation, le Sud-Ouest, sauront lui répondre de façon appropriée, notamment dans les occurrences électorales !

Laurent Fabius et l'affaire du sang contaminé : Je sais qu'il ne porte aucune part de culpabilité ni de responsabilité.

Les démêlés judiciaires de Gérard Longuet : Quels que soient les faits qui lui sont actuellement reprochés et qui paraissent avoir une consistance très très concrète. Monsieur Longuet, comme tout le monde, a droit aux protections de la loi. Personnellement, je ne veux pas ajouter ma voix au concert des gens qui l'attaquent ou de ses amis qui font semblant de le soutenir.

La popularité d'Édouard Balladur : Elle tient un petit peu du même phénomène de sympathie qui entourait autrefois le magicien Garcimore qui ratait tous ses tours mais qui s'en excusait en souriant, ce qui fait qu'on l'applaudissait pour rater ses tours !

Journalistes : Philippe Martinat (La Croix) ; Emmanuel Faux (Europe 1) ;  Gilles Perez (RFI) ; Christian Delahaye et Henri de Saint Roman (O'FM)

Q. : Edmond Hervé a été mis en examen pour complicité d'empoisonnement après Georgina Dufoix et avant Laurent Fabius ; trouvez-vous normal que ces ministres répondent de cette affaire devant la justice ?

Jean-François Hory : C'est malheureusement nécessaire, et le président de la république l'avait indiqué il y a déjà deux ans, il faut que sur cette incrimination particulièrement injuste, les ministres soient en position de s'expliquer. Mais je dis que c'est vraiment très injuste, et je veux porter témoignage d'amitié, de solidarité politique aussi, à Laurent Fabius. Je me rappelle très bien, parce que je siégeais à l'Assemblée Nationale, lorsqu'en 1985 Laurent Fabius, à notre surprise à tous, est intervenu pour dire qu'il prenait personnellement en main le dossier de cette affaire montante du SIDA, qu'il imposait le dépistage obligatoire pour tous les dons de sang, et je me rappelle qu'à l'époque, il a fait cette déclaration sous des sarcasmes les plus violents, les plus agressifs et ridicules, de l'opposition de cette époque à majorité de maintenant. Et Laurent Fabius avait eu beaucoup de clairvoyance, de lucidité et de courage, chez l'homme politique qui a le premier compris quelle était la dimension terrible de cette maladie, dimension effective (c'est la maladie elle-même), mais dimension symbolique aussi, parce qu'elle mêle la mort au geste même de la vie, et donc pour les gens c'est terrible. Laurent Fabius l'avait compris, il est aujourd'hui sommé de s'expliquer sur des responsabilités qu'il n'a pas, et je pense que l'occasion lui sera donnée de faire toute la lumière sur ce dossier.

Q. : Vous seriez juge, vous l'acquitteriez avant même de l'avoir entendu ?

Jean-François Hory : Tout à fait, moi je ne l'acquitterais pas avant de l'avoir entendu, parce que je l'ai entendu. Laurent Fabius est un ami, nous avons parlé souvent de ce dossier, donc j'ai eu, je le dis sans forfanterie, j'ai eu l'intuition depuis le début de cette affaire qu'elle irait très loin et qu'elle serait lourde et dramatique. Et donc j'en ai parlé à plusieurs reprises avec lui, je sais à quel point il est personnellement atteint, je sais ce qu'il m'a dit de tout ce dossier, je sais qu'il ne porte aucune part de culpabilité ni de responsabilité, même si je peux comprendre aussi les douleurs coalisées des victimes et de leur famille.

Q. : Le MRG est-il une "boursouflure provisoire gonflée par l'effet Tapie" comme le dit Lionel Jospin, ou bien s'agit-il de la première force de gauche en pleine gestation ; et puis plus précisément, hier soir s'est réuni le bureau national du MRG, avec au menu la préparation de la présidentielle et des municipales, sur ces sujets avez-vous avancé ?

Jean-François Hory : Avant de répondre sur ce point, je voudrais dire quelque chose qui n'est pas sans lien à propos de la remarque de Lionel Jospin, que il ne faudra pas me dire les choses, comme ça trop souvent et trop longtemps. J'ai eu l'occasion de répondre à Lionel Jospin que ça n'était ni d'un ami évidemment, ni même d'un allié, que les radicaux sauraient s'en souvenir, et puisqu'il parle de boursouflure, j'ai noté que pour sa part il était plutôt spécialiste de l'amaigrissement, qu'il s'agisse de son propre parti, de son propre courant dans son parti, ou de son influence régionale.

Q. : La prochaine fois vous lui faites quoi ?

Jean-François Hory : Les radicaux de sa région d'implantation, le sud-ouest, sauront lui répondre de façon appropriée, notamment dans les occurrences électorales.

Q. : Ça veut dire que vous n'hésiterez pas à le faire battre si vous en avez la possibilité ?

Jean-François Hory : Nous n'en sommes pas, je suis en train de dire qu'il ne faudra pas me le faire, il ne faudra pas me le redire. D'ailleurs les radicaux du Sud-Ouest ont déjà réagi, et même les socialistes du Sud-Ouest qui trouvent ce comportement un peu étonnant. Et de fait, puisque nous préparons les élections présidentielles, si la gauche les prépare comme ça, les rassemblements vont être un peu difficiles à opérer. On peut et on doit gagner cette élection, il faut la gagner, mais si on peut la gagner, c'est un peu grâce à la droite et malgré la gauche. Je dis "malgré la gauche" parce qu'il y a beaucoup de gens qui préparent cette élection pour la perdre, qui ont décidé de faire l'impasse sur une élection présidentielle qui est gagnable, qu'il est impératif pour le pays que nous gagnions, et il y a aussi beaucoup de gens qui développent entre eux des polémiques, des querelles, des attitudes de secte, c'est-à-dire de sectarisme étymologiquement, qui sont repliés sur leur organisation partisane et qui sont incapables de nouer, sur les questions de fond et dans la forme…

Q. : … Vous pensez à qui ?

Jean-François Hory : À un certain nombre de dirigeants, de nos voisins, de nos cousins…

Q. : Socialistes ?

Jean-François Hory : Notamment et pas seulement. Je vois par exemple que, sur un capital de 3 % aux européennes, les écologistes ont déjà 3 candidats aux présidentielles, je suis sûr qu'en s'appliquant on peut faire encore mieux, d'ailleurs. C'est la preuve de ce que j'appelle l'esprit de chapelle, l'esprit sectaire, l'esprit partisan, et qui fait obstacle au dialogue sur le fond, et aussi à la convivialité dans la forme, qui sont l'un et l'autre nécessaires à un vaste rassemblement pour le deuxième tour des présidentielles au moins, pour les gagner.

Q. : Au premier tour, est-on sûrs qu'il y aura un candidat MRG ?

Jean-François Hory : Cette réponse appartient au congrès. Le bureau national qui s'est réuni hier soir et dont vous parliez, avait pour objet principal de préparer le congrès qui se réunira au Bourget, en Seine Saint Denis, les 4, 5 et 6 novembre.

Q. : C'est là que le PS était déjà passé…

Jean-François Hory : Le PS est passé là, mais les grandes manifestations laïques sont passées là il y a plus de dix ans…

Q. : … Le Pape aussi…

Jean-François Hory : Pierre Mauroy, le pape, il y a beaucoup de références, le Bourget est une terre d'envol ce qui n'est pas inapproprié à la stratégie actuelle du MRG. Mais ça n'est pas le cadre qui est le plus important, pour les présidentielles nous avons 3 cas de figure : soit les partis de gauche discutent, passent un accord et désignent ensemble un candidat, c'est l'hypothèse qui me paraît la moins plausible parce plus personne n'attend, surtout les partis politiques qui désignent les candidats aux présidentielles. Deuxième hypothèse, la formation que je préside dialogue avec un candidat déclaré, qui a les qualités et la volonté, il faut vouloir y aller, pour parler du fond du projet, et à partir de là on peut décider de soutenir un candidat déjà déclaré, deuxième hypothèse plus probable que la première, mais qui n'est pas la plus plausible. Troisième hypothèse pour les radicaux, c'est d'avoir un candidat radical, parce que c'est le plus simple, parce que c'est le plus efficace pour faire valoir ses idées, parce que c'est ce qu'attendent les militants radicaux évidemment, pour des raisons de grégarisme, et puis parce que ça me paraît en plus le plus efficace pour la gauche au total. Alors moi, c'est ce que je souhaite, c'est ce que je préfère, mais il se trouve qu'il faut en plus avoir un candidat et que j'en ai un, et un bon, en l'occurrence Bernard Tapie.

Q. : Mais qui, lui, n'est pas très intéressé…

Jean-François Hory : Alors Bernard Tapie, qu'il soit intéressé ou pas, ce n'est guère la question, après tout, à partir d'un certain niveau d'impact dans l'opinion, et dans une occurrence comme la présidentielle, vous ne vous appartenez plus. C'est vrai pour Bernard Tapie mais c'est vrai pour d'autres, et je pense à Jacques Delors. Mais Bernard Tapie, il a les municipales à Marseille en perspective qui l'occuperont beaucoup, c'est beaucoup de travail, ça l'intéresse, et puis la motivation négative c'est qu'il a observé que les querelles innombrables, extravagantes, de toute nature et de toute origine qu'on lui fait, s'accélèrent et convergent curieusement au rythme des calendriers électoraux. Alors évidemment, même s'il est intéressé par l'élection présidentielle, il ne manque pas de se dire qu'il vivra plus tranquillement, plus sereinement au milieu de sa famille et de ses amis dans le calme, s'il n'est pas candidat. Mais ce sont des motivations d'ordre personnel qui pèsent peu devant une analyse politique.

Q. : Si Tapie n'y va pas, ce sera Hory qui ira ?

Jean-François Hory : J'entends dire des choses comme ça, ce sont véritablement des extravagances. Je souhaite qu'il y ait un candidat radical, mais considérez tous les radicaux actuels, et puis pensez aussi aux radicaux virtuels, il y a un certain nombre de gens qui peuvent être candidats radicaux dans une élection présidentielle mais également dans des grandes municipales, qui ne savent peut-être pas tous encore qu'ils sont candidats, et qui ne savent pas encore qu'ils seront radicaux.

Q. : Visiblement vous pensez à quelqu'un ou à quelques-uns…

Jean-François Hory : Ça n'est pas secret, nous sommes en contact avec un certain nombre de personnalités, pour que, lors de notre congrès, on assiste à un véritable rassemblement, élargissement, autour du MRG qui va se transformer, et qui va dans une espèce de fusion-construction constituer un grand parti radical moderne, nouveau. Et là, il y aura beaucoup de gens qui ne ressembleront ni à Gambetta ni à Clemenceau. Je ne peux pas vous en donner la liste parce que ça priverait tout notre congrès de son intérêt.

Q. : On pense au moins à Bernard Kouchner…

Jean-François Hory : Ça n'est pas idiot d'y penser, oui.

Q. : Si Delors décidait de ne pas se présenter à la présidentielle, le nom qui vient tout de suite après c'est Jack Lang ; pourriez-vous avoir des atomes crochus avec lui, pourrait-il être le candidat radical dès le premier tour ?

Jean-François Hory : Moi quand je dis que je souhaite un candidat radical au premier tour. Je veux dire au premier tour au moins. C'est-à-dire que je ne souhaite pas envoyer, que notre parti envoie un candidat aux élections présidentielles pour y faire de la figuration et y faire simplement du ramassage de voix, une espèce de travail de concentration au profit d'un autre candidat au deuxième tour. Donc moi je suis sur la ligne d'indépendance à gauche, ce qui ne signifie pas isolement, quand il faut des rassemblements nous sommes capables de gérer cette nécessité. Mais le candidat radical, il doit aller à mon avis au premier tour, au moins. Et donc il faut penser à un candidat qui soit capable d'affronter éventuellement le deuxième tour. J'ai parlé de Bernard Tapie, quand quelqu'un réunit dans une élection à la proportionnelle nationale deux millions et demi de voix, il est fondé à penser à l'élection présidentielle, et pas seulement à son premier tour. Mais il se peut en effet que nous entrions en dialogue avec un certain nombre d'autres gens, vous avez parlé de Jacques Delors, on me dit que Jacques Delors pourrait être le candidat des radicaux, je dis toujours pourquoi pas. Il y a deux problèmes quand même, c'est qu'il n'est pas radical, et il n'est pas candidat. Alors quand on aura traité tout ça, on pourra avancer, dialoguer avec Jack Lang, pourquoi pas…

Q. : Oui, mais il n'est ni radical ni candidat ?

Jean-François Hory : Qui n'est pas radical dans ce pays ? Jack Lang a été membre des jeunesses radicales, c'est le début de son engagement politique, et il se trouve que le PS, dans une dérive idéologique d'ailleurs assez intéressante à observer, est venu occuper le terrain du réformisme radical : il y avait deux familles, une famille collectiviste et une famille réformiste. Les socialistes ont occupé le terrain, et là on est confrontés à un phénomène de rétractation, de reflux, et notre terrain se libère à nouveau, et les radicaux se déploient sur leur terrain. Donc les gens qui étaient là depuis longtemps peuvent y rester, ils sont chez eux. Il y a beaucoup de gens qui ont été radicaux, ou qui le sont philosophiquement, et donc si ils viennent dans le nouveau parti radical, ils seront traités comme des anciens de la maison, au même titre, ils seront chez eux.

Q. : Donc Lang est chez lui au parti radical ?

Jean-François Hory : Si Jack Lang se reconnaît plus dans le projet radical que nous allons élaborer notamment dans notre congrès, que dans son organisation actuelle, il sera le très bienvenu.

Q. : Qu'est-ce que vous allez revendiquer avec le Parti socialiste, pour les prochaines municipales ?

Jean-François Hory : Rien ! Je ne revendique rien du Parti socialiste ! Il faudra d'ailleurs que tout le monde s'habitue à l'indépendance radicale. Je ne demande pas des places aux municipales au Parti socialiste, parce que j'estime que les municipalités de France n'appartiennent pas au Parti socialiste ! Ce n'est pas à eux de m'accorder, de me donner ce que je demanderai. Et moi je n'ai pas l'intention que les radicaux vivent d'une existence octroyée, vivent des aumônes qu'on viendrait leur allouer ! Donc je ne demande pas.

Le moment venu, je ferai connaître mon dispositif et je verrai avec les forces de gauche comment nous pourrons rendre compatibles et efficaces pour la gestion municipale nos dispositifs respects.

Q. : II faudra bien des listes communes ?

Jean-François Hory : Alors, il y aura ici des listes communes, là des listes en émulation, au moins dans les premiers tours aux municipales et puis là encore, des configurations originales, avec des écologistes, avec des socialistes en mouvement, qui rapprochent de nous des personnalités indépendantes des diverses gauches, des universitaires, des syndicalistes. Il faut que la politique commence un peu à ressembler à la vie, à la vraie vie, la vie qui bouge, la vie de terrain.

Q. : Le MRG porteur d'eau du PS, c'est donc fini ?

Jean-François Hory : Je crois que tout Je monde l'a compris, mais si quelqu'un ne l'avait pas compris, du côté du PS notamment, il faut bien le comprendre là, maintenant, c'est fini, oui !

Q. : Est-ce que vous confirmez que le MRG devrait changer de nom au cours de son prochain congrès ?

Jean-François Hory : La question est à l'ordre du jour du prochain congrès on hésite, on étudie beaucoup cette affaire. Je suis plutôt favorable au changement de nom et je suis plutôt favorable à "radical", mais je ne crois pas que Bernard Tapie ait des préventions.

Q. : Pierre Méhaignerie a annoncé que Gérard Longuet serait mis en examen le 31 octobre prochain dès lors qu'il n'y aurait pas de fait nouveau dans l'enquête sur sa maison de Saint Tropez ; Édouard Balladur disait hier qu'il s'identifiait volontiers à Antigone, pour son souci de la morale avant tout…

Jean-François Hory : Il y aurait beaucoup à dire sur l'identification d'Édouard Balladur à Antigone ! Je ne souhaite pas, moi, donner un tour constamment polémique aux délibérations politiques. En l'occurrence, on nous a assez fait la morale à toute la gauche ! Le Parti socialiste, qui est plutôt, je crois, beaucoup plus honnête que la moyenne des partis politiques français, on sait que je ne suis pas extrêmement complaisant avec le Parti socialiste, il a eu quelques personnes impliquées dans une affaire de financement des partis. On notait tout, religieusement, sur un petit cahier d'écolier, on a parlé de ça pendant des années ! Et le Parti socialiste a intériorisé la leçon de morale qu'on lui faisait pour en faire un complexe. Nous, pour ce qui concerne Bernard Tapie, je rappelle que cela concerne des questions d'argent privé, généralement le sien, c'est-à-dire qu'il prend de l'argent de sa poche droite pour le mettre dans sa poche gauche. C'est de cela qu'on lui fait procès, il ne s'agit pas d'argent public, il y a quand même une petite différence !

Nous a-t-on fait assez la morale ! Et bien moi, je dis, dans cette situation, que la justice doit garder sa neutralité. Je ne parle pas de l'indépendance des juges, qui est importante, mais de la neutralité de la justice, neutralité politique ! Elle doit garder sa sérénité, aussi, c'est-à-dire qu'elle ne peut pas être en permanence connectée avec le pouvoir médiatique, sinon ce n'est plus la justice.

Et je dis que Monsieur Longuet, quels que soient les faits qui lui sont actuellement reprochés, et qui paraissent avoir une consistance très très concrète, qui ne concernent pas seulement, Monsieur Longuet, mais un certain nombre de ses amis politiques, et bien Monsieur Longuet, comme tout le monde, a droit aux protections de la loi. Et, personnellement, je ne veux pas ajouter ma voix au concert des gens qui l'attaquent ou de ses amis qui font semblant de le soutenir.

Q. : Si Gérard Longuet était contraint à la démission, est-ce que vous ne diriez pas que la crédibilité d'Édouard Balladur pourrait s'en trouver atteinte ?

Jean-François Hory : C'est-à-dire que moi, je ne passe pas mes nuits à m'interroger sur la crédibilité Édouard Antigone Balladur ! Je vais mon chemin, je ne détermine pas ma stratégie, je ne propose pas celle des radicaux en fonction de la manière dont Monsieur Balladur s'entoure, bien ou mal, d'amis qui le gênent ensuite !

Je répète que la gauche ne retrouvera pas la place qui doit être la sienne dans l'opinion uniquement à raison des divisions ou des faiblesses de la droite. Je crois que la popularité de Monsieur Balladur tient un petit peu du même phénomène de sympathie qui entourait autrefois le magicien Garcimore, qui ratait tous ses tours, mais qui s'en excusait en souriant, ce qui fait qu'on l'applaudissait pour rater ses tours.

Que ce soit sur le chômage, sur la reprise économique ou sur les équilibres budgétaires. Monsieur Balladur rate tous ses tours et le public, un peu attendri, continue à applaudir. Pour combien de temps ? Je ne crois pas très longtemps. Je ne suis pas sûr que l'effondrement prévisible de la popularité de Monsieur Balladur dépende des avatars judiciaires de Monsieur Longuet ou de Monsieur Carignon ou de leurs amis.

Moi je n'attends pas cette baisse de popularité, je la pronostique et je vous dis : Monsieur Balladur va s'effondrer, le président de la République va finir son septennat sur un nuage de popularité, il apparaitra comme l'arbitre des grandes questions de ce pays, aussi bien nationales qu'internationales, à la faveur de la présidence française de l'Union européenne. Monsieur Balladur va s'effondrer, parce qu'il faudra bien qu'un jour il finisse par dire ce qu'il va faire, quel est son projet. Et je pronostique que la gauche va gagner les présidentielles. Et je vous autorise à m'en demander compte le moment venu.

Q. : Qui va gagner la présidentielle selon vous ?

Jean-François Hory : La gauche va gagner, que ce soit Jacques Delors ou un autre, l'important c'est le projet, la qualité du dialogue et la capacité d'écoute sociale, surtout si la gauche comprend qu'on n'a rien à attendre des échéances électorales lorsque la gauche a comme projet politique de démontrer au pays qu'elle est capable d'être aussi à droite que la droite. Parce que, dans ses cas-là, les Français ne sont pas plus bêtes que vous ou moi, au lieu de faire sous-traiter, ils traitent directement !

Il faudra bien qu'à un moment ce pays se réveille. Quand ce pays va se réveiller de l'anesthésie Balladur, il va d'abord découvrir que le vrai visage d'Édouard Balladur est calé quelque part entre Charles X et Louis XVIII, jusqu'au physique ! C'est quand même saisissant ! Nous sommes en République. Plus proche que d'Antigone, très très Louis XVIII, jusqu'au physique ! c'est quand même saisissant ! Nous sommes en République. Plus proche que d'Antigone, très très Louis XVII comme genre !  Et Louis Philippe un peu, aussi. Un physique bourdonnien. Nous sommes en République et il faudra bien que le tiers état reprenne la parole.

Monsieur Balladur est un vrai conservateur qui gouverne au profit de ses amis, au profit d'une minorité de ce pays. Dans ce pays, il y a une aristocratie qui prétend confisquer la République. Il va bien falloir rendre la parole au peuple.

À côté de ça on retrouvera encore Monsieur Giscard d'Estaing et puis le nouveau look de Monsieur Chirac, parce que Monsieur Chirac a un nouveau look : il est devenu social, il a été trahi par ses amis et ce n'est pas lui qui ferait ça a ses amis, ce n'est pas Monsieur Chirac qui ferait perdre son camp dans une élection présidentielle ! Il a été trahi par ses amis et la trahison lui a donné du temps pour réfléchir. Et dans ses réflexions, il a découvert qu'il y avait un grave déficit social. Je ne pense pas que cela puisse séduire le pays.

Q. : Quelle justice faites-vous des rumeurs qui circulent bon train sur la santé du président de la République ?

Jean-François Hory: Nous sommes mitterrandistes. Nous ne sommes pas les seuls, les vrais, les purs sucres, intégristes du mitterrandisme, nous sommes proches du Président de la République…

Q. : Ne considérez-vous pas, au fond, que François Mitterrand est plus radical que socialiste ?

Jean-François Hory : Stendhal écrivait en exergue à Lucien Leuwen : dans tous les partis, plus un homme a d'esprit et moins il est de son parti. À l'égard du Parti socialiste, le Président de la République ne fait pas mentir cette maxime. Moi, je le trouve assez radical, oui ! Mais nous sommes proches de lui. Nous avons d'abord pour lui une affection respectueuse. Puis, nous nous reconnaissons dans les orientations qu'il a proposées et dans l'action qu'il dirige encore aujourd'hui. Je dois vous dire que je trouve très très choquante la rumeur dont l'origine est identifiable. Je ne veux pas participer à la conjuration en apportant ma part de choses putrides. Mais il y a des gens qui prennent leurs désirs pour des réalités. J'entends Monsieur Monory dire : je suis en disposition psychologique de remplacer, si besoin était, le chef de l'État. Mais qu'est-ce que ça veut dire ! Moi, je vais vous dire, comme chef de parti politique, je m'interdis de travailler sur une telle hypothèse. Je me l'interdis pour une raison politique toute simple : on a vu par le passé que toutes les spéculations étaient ruinées par un événement de cette ampleur. Mais surtout, parce que moralement, ma génération à moi, ce que nous sommes, c'est Mitterrand qui la fait. Et je vois qu'à droite et même à gauche, on juge François Mitterrand, on lui prête une durée de vie, on l'enterre politiquement et physiquement. C'est scandaleux ! C'est vraiment scandaleux ! Et c'est politiquement bête, parce que les électeurs ne le comprennent pas.