Texte intégral
France Info :
Bonjour Monsieur Védrine. Un massacre de plus le week-end dernier au Kosovo, hier soir, le Conseil de sécurité de l’ONU a une fois de plus condamné la Serbie, les éléments sont-ils réunis maintenant pour une intervention militaire de l’OTAN ?
Hubert Védrine :
Cela fait plusieurs mois que nous sommes saisis de cette crise au Kosovo depuis le mois de mars exactement. Il y a plusieurs mois que le Groupe de contact – six pays : États-Unis, Russie, Allemagne, Italie et Grande-Bretagne – et le Conseil de sécurité se sont saisis de ce sujet.
La semaine dernière, à New York, le Conseil de sécurité a adopté une résolution 1199 qui exige un certain nombre de choses très précises des autorités serbes, j’ajoute d’ailleurs également des Kosovars, pour que l’on arrête cet engrenage et que l’on arrive enfin à poser ce que nous cherchons depuis plusieurs mois maintenant, c’est-à-dire, une solution politique à cette question du Kosovo.
La situation ne s’améliore pas. Elle est la même sur le plan de l’engrenage des provocations, de la répression et des massacres, même si dans le cas d’espèce, nous ne connaissons pas les circonstances exactes. A ce stade, il n’y a aucune certitude précise sur ce massacre. Du reste, ce n’est pas le problème puisque de toute façon, la situation est intolérance. La situation humanitaire est extrêmement grave, l’hiver s’approche. Quant aux négociations politiques, elles n’en finissent pas de commencer ou de ne pas commencer.
Il devient maintenant indispensable, il devient urgent de montrer notre détermination et elle est entière sur ce plan. Nous voulons obtenir, d’une façon ou d’une autre – c’est-à-dire que tous les moyens sont recevables, toutes les options sont ouvertes – une solution car cette affaire du Kosovo, tant qu’elle n’est pas résolue est une sorte d’abcès dans cette partie de l’Europe.
France Info :
Dans l’hypothèse d’une intervention militaire, pour la décider. Faudrait-il un vote supplémentaire au Conseil de sécurité de l’ONU pour déclencher les frappes de l’OTAN ?
Hubert Védrine :
C’est une question qui n’est pas clairement tranché mais qui le sera dans les tout prochains jours puisque nous attendons maintenant un rapport du Secrétaire général des Nations unies sur la situation, après le vote de la résolution 1199 qui, pour la première fois était placée sous le signe du chapitre VII. Traduisons : le chapitre VII de la Charte des Nations unies autorise l’emploi de la force. Donc – c’était en exergue de cette résolution – nous attendons à partir de cette base, un rapport du secrétaire général pour nous dire si la situation a changé et si les exigences et les demandes du Conseil de sécurité ont été satisfaites.
Vraisemblablement, cette discussion aura lieu en début de semaine. C’est à partir de ce moment-là que nous saurons dans quelle situation nous sommes.
France Info :
Quand vous dites que la question du vote n’est pas tranchée, c’est que vous souhaitez, à tout prix, inclure la Russie dans la prise de décision, si intervention militaire il y a ?
Hubert Védrine :
Il est clair que nous aurons beaucoup de poids. Nous serons beaucoup plus efficaces pour régler la crise immédiate et le problème de fond au Kosovo, tout en maintenant notre cohésion dans l’affaire de la Bosnie qui est connexe, si nous continuons à progresser ensemble, c’est-à-dire les membres du Groupe de contact y compris la Russie, tous les membres du Conseil de sécurité y compris la Russie. C’est un impératif géopolitique d’avenir. Il y a les accords de Dayton-Paris qui ont finalement mis fin à la question bosniaque, même si cela n’a pas tout résolu. Ces accords reposent aussi sur une coopération pleine et entière de la Russie.
France Info :
Si elle met un veto, pourra-t-on se passer d’elle ?
Hubert Védrine :
Nous n’en sommes pas là. Je ne sais pas si nous aurions à faire cette démarche. Ce n’est pas forcément indispensable mais ce n’est pas entièrement tranché non plus.
Je ne sais ce que fera la Russie, l’essentiel n’est pas de se laisser enfermer maintenant dans des questions qui sont, pour le moment des spéculations. L’essentiel est d’avancer et de garder la cohésion que nous avons rétablie avec la Russie la semaine dernière à New York. La Russie a voté la résolution, elle est dans le Groupe de contact et elle participe pleinement à ce travail de pression sur les autorités de Belgrade et de mise en garde par rapport à une partie des Kosovars puisque cela fait aussi partie du problème, ne l’oublions pas.
France Info :
De facto, un ultimatum a été lancé au président Milosevic. Il doit comprendre qu’un compte à rebours s’égrène déjà ?
Hubert Védrine :
Le terme exact d’ultimatum ne devrait s’employer que lorsqu’il y a un délai. On ne peut pas dire qu’il soit contenu exactement dans la résolution. Chaque jour qui passe nous en rapproche puisqu’il y a eu la résolution, il y aura le rapport du Secrétaire général, et nous serons, en début de semaine, dans une situation de ce type.
France Info :
Le président Milosevic a-t-il encore une marge ? Peut-il empêcher les frappes aériennes sur son dispositif ? Que faudrait-il qu’il fasse maintenant ?
Hubert Védrine :
Naturellement. Il peut répondre aux demandes, aux appels, aux exigences du Groupe de contact qui ont été lancés depuis le début du mois de mars. Il y a trois choses :
- il y a l’arrêt de la répression, même si c’est en réponse à des provocations. Il faut qu’il arrête cette répression cela veut dire qu’il doit, au minimum, regrouper, et mieux encore, retirer les forces de répression ;
- cela veut dire d’autre part que, sur le plan humanitaire, il faut permettre un accès à grande échelle, et avec de grands moyens, aux populations déplacés ou réfugiées dès lors que l’hiver approche ;
- cela veut dire, enfin, que sur le plan de la négociation politique, il faut mettre sur la table une vraie proposition à propos de ce que nous cherchons, c’est-à-dire l’autonomie du Kosovo.
France Info :
Belgrade invite M. Kofi Annan à se rendre au Kosovo, y a-t-il encore place pour ce genre de mission de dernière heure qui avait si bien réussi à M. Annan à Bagdad ?
Hubert Védrine :
Cela avait bien réussi à M. Annan à Bagdad parce qu’il y avait une combinaison de facteurs qui était la menace de l’emploi de la force notamment par les États-Unis, une activité diplomatique française très développée et l’investissement personnel de Kofi Annan qui a pu aboutir parce qu’il a eu en face de lui un Tarek Aziz qui, à ce moment-là, a pris des engagements au nom de l’Iraq qui n’avaient pas été pris avant.
France Info :
Ces facteurs ne sont pas réunis ?
Hubert Védrine :
Ils ne le sont pas aujourd’hui. A la minute où nous parlons, ils ne se sont pas réunis. Peuvent-ils l’être ? Bien sûr, je ne peux que le souhaiter. Mais, le seront-ils ? Je ne peux pas le prévoir à ce stade. Pour le moment, la priorité du travail de M. Kofi Annan est d’établir un rapport équitable, complet et véridique sur la situation après le vote de la résolution 1199.
France Info :
En cas d’intervention, serait-il indifférent de frapper les forces serbes au Kosovo et en Serbie proprement dite ?
Hubert Védrine :
Je ne veux pas entrer dans le détail de la planification. Ce qu’il faut savoir, c’est que, ces dernières semaines, au sein de l’OTAN, toutes les hypothèses ont été envisagées, allant d’une démonstration ponctuelle à des frappes plus massives à différents endroits. Il y a un objectif qui reste le même : obtenir une solution politique.
Il ne s’agit pas de frapper pour frapper, il s’agit de le faire s’il n’y a pas d’autre moyen, si on ne peut pas faire autrement. Si on y est conduit, il faudrait employer la force pour obtenir un résultat. Cela peut être graduel, progressif, cela peut passer par des étapes. Encore une fois, nous ne perdons pas de vue l’objectif. Nous voulons trouver pour le Kosovo, une autonomie substantielle qui permette à cette région de vivre et de fonctionner. Il y a différentes populations qui y vivent, qui doivent cohabiter dans des conditions normales de l’Europe d’aujourd’hui. C’est cela l’objectif. La force n’est jamais qu’un moyen même quand il faut l’employer.
France Info :
Nous sommes dans un interrègne à Bonn, il y a une crise interne de la présidence américaine, les alliés ont-ils la cohésion politique nécessaire à une telle décision ?
Hubert Védrine :
Ces facteurs existaient, pour une partie d’entre eux, la semaine dernière lorsque nous avons adopté la résolution 1199 quand le Groupe de contact s’est réuni. Il y a d’autres réunions qui se poursuivent. Cette semaine après les élections allemandes, M. Schroeder a indiqué que la politique allemande s’inscrirait dans la continuité. Juridiquement, c’est le chancelier Kohl et le gouvernement précédent qui sont en charge aujourd’hui. Je ne crois pas que cela affecte une détermination qui, au contraire, est de plus claire, de plus en plus nette et de plus en plus impatiente.
France Info :
Le compte à rebours déclenché, c’est une échéance de 8 à 10 jours environ pour qu’une décision soit prise. La semaine prochaine ?
Hubert Védrine :
On ne peut pas dire exactement les choses comme cela. Tout a été préparé sur le plan technique et militaire pour savoir ce qu’il faut faire si nous devons en arriver là. Il faudra une décision politique ultime naturellement car ce ne sont pas des automatismes, ce ne sont pas des bureaucraties, des technocraties, fussent-ce celles de l’OTAN qui peuvent décider des conditions et du moment. C’est une décision politique. La seule date précise à ce stade, c’est qu’en début de semaine, le Conseil de sécurité écoutera le rapport du Secrétaire général sur la situation. Après on verra, cela dépend de ce qu’il dira.
France Info :
Tout dépend à chaque fois de la détermination de Washington. Si Washington veut y aller, les alliés y vont ?
Hubert Védrine :
Non, cela ne se représente pas comme ça. C’est une véritable discussion collective. Par exemple, depuis le début de l’été, c’est la France et la Grande-Bretagne – et pas d’autres pays – qui voulaient que l’on vote cette résolution 1199 invoquant le chapitre VII. C’est ainsi que cela s’est passé.
Au sein de l’OTAN, depuis plusieurs semaines, ce sont les États-Unis, c’est vrai, et la France qui ont demandé des études complètes, détaillées, couvrant tous les cas de figures.
Tout dépendra aussi de la réponse des autorités de Belgrade. Elles peuvent répondre, apporter un élément nouveau qui change la situation si elles le veulent. Elles peuvent participer à l’élaboration de cette nouvelle situation. Cela dépendra de chacun des autres membres du Groupe de contact, chaque pays joue son rôle pleinement.