Déclaration de Mme Dominique Voynet, porte-parole et candidate des Verts pour l'élection présidentielle de 1995, sur sa candidature, Charleville-Mézières le 13 novembre 1994.

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  • Dominique Voynet - porte-parole et candidate des Verts pour l'élection présidentielle de 1995

Circonstance : Assemblée générale des Verts à Charleville-Mézières les 11, 12 et 13 novembre 1994

Texte intégral

Nous sommes aujourd'hui au seuil d'une année fondamentale pour l'écologie politique. Nous allons cette année redémarrer, retrouver notre crédibilité, nous allons cette année rassembler pour peser et pour gagner. C'est l'objectif que je me suis fixé, en votre nom, pour cette année : gagner, obtenir des victoires pour que l'écologie entre progressivement dans les faits, pour qu'elle change progressivement la société. 

Nous n'avons pas le choix. Il nous faut réussir. Car la voie est étroite, pour la société française, pour l'Europe, pour la planète, entre le populisme, de droite comme de gauche, qui menace la démocratie, la résignation de toutes celles et tous ceux qui, las du combat politique, ne vont plus voter et les conservatismes de tous crins. Que ce soit le conservatisme autoritaire d'un Chirac ou d'un Pasqua ou le conservatisme social-libéral d'un Balladur ou d'un Delors. 

Le monde ne peut plus attendre que ces politiciens institutionnels en finissent de jouer à cache-cache avec leur possible candidature… pour finalement mettre en œuvre des politiques tellement similaires. Les millions de chômeurs, d'exclus, ceux qu'on a privé de travail, ou auxquels on n'offre que des stages, des CES ou des voies de garage ne peuvent plus attendre. Tous ceux qui n'ont plus ni toit, ni droit à la santé, tous ceux et toutes celles qui sont petit à petit abandonné au bord de la route, ne peuvent plus attendre. Les jeunes auxquels on offre, pour seul avenir, des diplômes dévalorisés, le SMIC jeune, le chômage, les drogues légales ou non, et le SIDA ne peuvent plus attendre. Les résidents étrangers de notre pays, nos voisins, nos amis, que l'on prive de leurs droits, de leur droit à accueillir leur famille, de leur droit à se marier, que l'on contrôle à tout bout de champ comme s'ils étaient des criminels, ne peuvent plus attendre. Les femmes, qui voient le droit à l'avortement menacé, qui en ont marre de se voir confiner aux strapontins dans les assemblées, aux bas salaires dans les entreprises, quand on ne leur propose pas un salaire maternel, parce qu'elles seraient responsables du chômage, n'attendront pas plus longtemps. 

La planète ne peut plus attendre. La folie autoroutière bat son plein. Chaque élu local veut sa rocade, son échangeur, sa bretelle. Après moi, le déluge ! Tant pis pour l'effet de serre, tant pis pour la pollution qui, comme à Paris, tue des dizaines de personnes chaque année. Tant pis pour la vallée d'Aspe. La mégalomanie des bétonneurs est sans limites. Pour prix des magouilles entre Barre et Balladur, on ressort des cartons le canal Rhin-Rhône. Et Pasqua, l'homme du « zéro immigration », l'homme des caméras à chaque coin de rue, l'homme du retour de l'État dans les collectivités locales, en un mot l'homme de tous les mauvais coups, d'affirmer benoîtement que c'est une « priorité nationale » et que « si une action décisive n'est pas engagée, les deux tiers du territoire français resteront à l'écart du développement européen ». Eh bien non, monsieur Pasqua, nous ne vous laisserons pas faire ce mauvais coup supplémentaire. 

La planète qui ne peut plus attendre, ce sont aussi nos voisins, à l'Est comme au Sud. Les intellectuels et les démocrates algériens, assassinés par les militaires et par les intégristes, et auxquels on refuse l'asile en France. Les Bosniaques, envahis depuis deux ans, et auxquels on ne propose plus aujourd'hui, après les grands discours d'hier, que le partage ethnique, renvoyant dos à dos agresseurs et agressés. Les rwandais, qu'on a armé jusqu'au cou, pour se retirer en catimini quand le massacre a commencé. Les kurdes qu'on criminalise en France, alors qu'on fait ami-ami avec la Turquie. Sans oublier la célèbre « politique africaine de la France » des Foccart aux Mitterrand père et fils, dont le dernier avatar vient de se dérouler à Biarritz, dans la saine compagnie des Mobutu et des Bongo. 

Face à cela, notre responsabilité n'est plus seulement de dénoncer. Nous le faisons depuis vingt ans, depuis la candidature de René Dumont. Et nous avons été entendus. Personne n'ignore plus la pollution, tout le monde sait aujourd'hui que notre environnement est en danger, chacun est conscient de l'exclusion qui frappe tout autour de nous. Notre responsabilité aujourd'hui est de proposer une alternative. Et ce n'est pas suffisant. Nous devons non seulement proposer une alternative, mais la rendre crédible et faire en sorte que, dès demain, elle commence, progressivement, à entrer dans les faits. 

La décennie qui vient de s'achever fut celle de la construction des Verts. Elle s'est achevée par une difficile année de transition. La décennie qui s'ouvre nous permettra de présenter un nouveau visage de l'écologie. Une écologie ouverte, une écologie souriante, une écologie présente sur le terrain, dans les luttes sociales et environnementales, une écologie qui gagne. 

Nous étions là, dans la marche contre le chômage, comme contre Superphénix, contre le racisme et pour la laïcité, contre le Somport et pour le droit au logement. Nous serons le 3 décembre à la manifestation de soutien aux démocrates algériens. Nous étions présents dans tous ces mouvements, et ça s'est vu, car c'était nouveau. Nos partenaires, associatifs, syndicaux, politiques, savent aujourd'hui qu'il faut compter avec Les Verts dans les luttes, pour résister et pour proposer. 

Mais nous savons que pour peser, il faut aussi mener le combat électoral. C'est pour cela que nous avons décidé d'être présents aussi bien lors de la Présidentielle que des Municipales. La première pour porter au débat nos propositions, pour rassembler tous ceux et toutes celles qui sont aujourd'hui éparpillés et veulent profiter de ce moment pour peser, et pour marquer des points dans les luttes qui nous tiennent à cœur. La seconde pour enraciner des dynamiques citoyennes locales partout, et faire élire des écologistes pour porter et mettre en œuvre nos propositions. 

Vous m'avez choisie pour porter les espoirs des écologistes dans la campagne Présidentielle. J'aurai à cœur de me montrer digne de votre amitié et de votre confiance. Je l'ai déjà dit, je compte aussi sur celles et ceux qui ont fait un autre choix lors de nos primaires, car je compte bien être la candidate du mouvement tout entier. Et je tiens à remercier toutes celles et tous ceux qui, au cours de cette Assemblée, m'ont manifesté leur confiance. 

J'ai failli dire « candidate du mouvement tout entier et bien au-delà ». Mais il paraît que la formulation n'est pas très heureuse, pour ceux qui se sentent tout à coup projetés dans l'au-delà. 

Pourtant, quelle que soit la formulation, il y a urgence à rassembler. Rassembler les écologistes bien sûr, ceux qui partagent notre projet d'une écologie sociale, environnementale et citoyenne, mais aussi, je l'ai déjà dit, toutes celles et tous ceux qui partagent pour l'essentiel nos valeurs et nos idéaux, notre exigence d'une démocratie participative, notre choix de la non-violence, notre rejet du libéralisme et du productivisme, notre refus de l'étatisme et des nationalismes. Nous les connaissons, nous les avons rencontrés dans toutes les luttes que j'évoquais tout à l'heure. 

Ce rassemblement que je compte réussir lors de la campagne est un enjeu majeur. Je n'en sous-estime pas les difficultés. Un petit pas a déjà été accompli il y a quelques semaines, lors de la Convention de l'écologie. Pour modeste qu'il soit, il a provoqué des réticences, des inquiétudes. C'est normal. Nous les lèverons ensemble en approfondissant le dialogue et le travail en commun. 

Des pas, nous allons en faire d'autres. Je proposerai dès demain, en votre nom, à nos partenaires de la Convention, d'ouvrir rapidement le dialogue avec les membres de la Convention de l'Alternative Progressiste et avec nos amis d'Ecologie Autrement qui, les uns et les autres, ont manifesté leur disponibilité pour s'engager dans cette campagne à nos côtés. Nous devrons vérifier s'ils sont d'accord avec notre projet, et en particulier avec notre conception de la transformation de la société. En tout état de cause, une telle convergence ne prendra sens qu'en s'inscrivant dans le cadre d'un large rassemblement. 

Nous ne voulons pas reproduire les erreurs du passé. Nous savons, pour l'avoir expérimenté à nos dépens il y a deux ans, dans quel mépris les électeurs tiennent les rapprochements de façade dictés par le calendrier électoral. Nous savons le peu de dynamique suscité parmi les militants par des accords décidés « en haut » par les appareils. Nous mesurons l'inefficacité tragique des propositions qui ne sont pas portées par un véritable mouvement social. 

Nous sommes convaincus de la nécessité d'être compris et de bénéficier du soutien de ceux qui travaillent avec nous, à nos côtes, à la construction d'une alternative politique écologiste, sociale, citoyenne. Nous sommes convaincus que la méthode d'élaboration du projet compte autant, sinon davantage, que le projet lui-même. Nous faisons le choix d'avancer avec les gens. Nous pensons qu'il est indispensable de s'assurer de la cohérence de notre projet, en le confrontant sans relâche à leurs attentes, à leurs critiques, à leurs propositions. En un mot comme en cent, nous souhaitons construire solidement. Pour l'avenir. 

Les élections présidentielles, et encore bien davantage municipales, doivent nous permettre d'avancer. Tout comme les luttes que nous mènerons ensemble. Je pense notamment à la campagne contre l'exclusion proposée par les Verts. Nous devons faire preuve de beaucoup de modestie, de tolérance et de respect, pour construire patiemment un partenariat. 

Car l'époque féodale est révolue : il ne saurait être question de ralliement, mais de partenariat. Il y faudra de la modestie, de la tolérance et du respect. Il y faudra aussi du courage, pour approfondir lucidement les points qui font sans doute encore problème, parmi lesquels le productivisme, la non-violence, les institutions… pour faire sans réticence le constat de nos désaccords, pour résoudre nos contradictions. 

Pour notre part, nous le disons à tous nos partenaires potentiels, nous y sommes prêts. C'est le message que nous voulons lancer en clôture de cette Assemblée générale féconde. 

Il ne s'agit évidemment pas de rassembler pour le plaisir de rassembler. Si je souhaite que nous soyons nombreux, ensemble, je l'ai dit, c'est pour gagner. Rassurez-vous, je ne veux pas dire par là que j'imagine une seconde une élection à la Présidence de la République. Heureusement ! 

Alors, quel est le but de cette campagne présidentielle ? Pas seulement, je l'ai dit, témoigner de nos idées. Certainement pas constituer un petit pécule électoral à négocier au second tour au plus offrant. Notre ambition, c'est non seulement de porter sur la scène politique le cri de révolte et les aspirations d'une société déchirée, éclatée, mais riche de ses espoirs, de sa volonté de changement, mais surtout pour imposer ces exigences à une classe politique qui les ignore depuis tant d'années. 

Ici, je m'adresse à toutes les femmes et les hommes de ce pays. C'est avec vous et en notre nom que je veux porter votre espérance. 

Ensemble, nous porterons la volonté d'une société solidaire, fraternelle, le refus de l'exclusion. Par le partage du travail et des richesses, par la multiplication des emplois d'utilité sociale et écologique, et avant tout par la marche aux 35 heures, puis aux 30 heures, pour le temps de vivre et l'abolition du chômage. 

Ensemble, nous porterons la volonté d'une société responsable, responsable de la vie sur cette planète, responsable de la beauté de nos villes et de nos campagnes, responsable devant nos enfants et les générations futures du monde que nous leur laisserons, et d'abord une France débarrassant le monde et l'Europe des menaces nucléaires de Moruroa et de Superphénix. 

Ensemble, nous porterons la volonté d'une société citoyenne, d'un pouvoir plus près de chacun, dans nos communes et nos régions, une démocratie garantie de la corruption de certains par la participation de tous, et d'abord une démocratie où tous soient représentés, par de justes scrutins proportionnels, par le droit de vote des résidents étrangers et par la parité hommes-femmes. 

Ensemble, nous porterons la volonté d'un monde de paix, par la solidarité avec le Sud, par l'asile aux victimes de l'oppression, par de justes rapports financiers et commerciaux, et d'abord par l'arrêt du honteux soutien de la France aux dictatures africaines. 

Après une dure année de transition, cette Assemblée générale de Charleville-Mézières marque la date de nos retrouvailles, d'une cohésion retrouvée, d'une volonté de mener campagne ensemble dans le respect les uns des autres. Grâce aux textes que nous avons adoptés, grâce à la dynamique retrouvée, nous sommes aujourd'hui prêts à affronter les défis de 1995. 

Je vous avais dit à Saint-Malo que des responsabilités importantes nous attendaient et que je comptais bien prendre les miennes. Je les ai prises et je sais que ce ne sera pas facile. C'est pourquoi je compte sur vous, sur vous tous, pour que nous réussissions. C'est dans les luttes, sur les marchés, dans les quartiers, dans les banlieues, dans les manifs, par nos tracts, nos affiches et nos meetings, en ouvrant le dialogue avec tous les citoyens, toutes les citoyennes, en accueillant toutes celles et tous ceux qui voudront participer à ce mouvement, en restant fidèles à nos propositions et à notre éthique, que nous pourrons faire gagner l'écologie.